Chapitre 9, partie 2
Leur plan décidé et leurs traces camouflées, Azul et Lina remirent à regret leurs casques et se dirigèrent vers la porte, que Lina ouvrit avec précaution, avant de s'assurer que personne de gênant ne traînait dans les couloirs. Par chance pour eux, seuls quelques groupes de gardes bavardaient sans prêter attention au grincement de la porte de bois de leur chambre, et ils purent sortir sans encombre et en toute discrétion, bien que Lina manqua de grogner de douleur à cause d'un spasme paniqué de la souris sur son épaule, dotée malgré sa petitesse de griffes solides.
D'un pas décidé, ils franchirent les couloirs nus des quartiers des soldats, pour arriver dans ceux plus décorés et ornés de tapisseries représentant diverses scènes de combat. Toutes fausses, bien entendu, marmonna Lina entre ses dents. Il n'avait jamais été question de bad-boys marchant sur les ruines du palais et les cadavres des monarques, dans une atmosphère sanglante, alors qu'un reptilien portant plusieurs têtes au bout de piques dressées en l'air se tenait fièrement au centre de l'œuvre. Azul, attiré par son grommellement, se tourna vers elle, avant d'apercevoir le macabre tableau et de serrer les poings.
« – C'est récent, d'après la fabrique. Le seigneur du château a fait tisser ça à son image. Mégalomaniaque, n'est-ce pas?? »
La jeune femme hocha la tête, trop furieuse pour oser émettre le moindre son. Avant de reprendre sa route. Elle voulait se retrouver le plus loin possible de cette horrible tapisserie. Sur son épaule, Seiji couina, un petit couinement qui transpirait le dégoût devant la scène.
Bientôt, se promit Lina, bientôt on lancera une offensive sur ce foutu bastion et je pourrai déchirer moi-même cette tapisserie. Elle sourit, dévoilant ses canines pointues, toujours dissimulée derrière son masque. Cette pensée la mettait en joie. Déjà que frayer parmi les clichés n'avait rien d'agréable...
Contrairement aux quartiers précédents, ceux des nobles avaient beaucoup, beaucoup de choses à leur apprendre. Ne serait-ce que par le nombre incalculable de tapisseries représentant toutes des scènes fausses de la guerre menée contre les clichés, toutes mettant en scène diverses de ces créatures dans des situations d'où elles sortaient toujours victorieuses. Dans chaque image conservée sur un tissage de bonne qualité, il y avait les clichés vainqueurs, le sang qui coulait, le roi et la reine morts. Lina eut même de violentes envies de meurtre en apercevant la tête de Sky aux pieds d'une des Mary-Sue, déformée par la peur et la soumission, même alors que la mort était censée avoir déteint sur ses traits.
Et sur chaque scène, ce même reptilien, droit comme un I, dévorant avec un certain raffinement les cadavres, les yeux vert vif dardés sur le spectateur, ou menant avec une apparente bravoure ses troupes à la victoire, des têtes inconnues sur les piques, bien qu'il sembla un moment à Lina qu'elle avait déjà vu ces mèches de cheveux noirs quelque part. Toujours présent, toujours à la place du chef. Place qu'était censée occuper Kikoolol. Kikoolol qui n'était visible nulle part.
À côté d'elle, Azul chuchota discrètement :
« – Ce type en plein milieu de chacune de ces dégoûtantes tapisseries ne correspond pas du tout à la description qu'on m'avait fait de Kikoolol et c'est ça qui doit te surprendre, mais bouge un peu. On va attirer l'attention si tu restes devant chaque tapisserie du mur. »
La jeune femme grogna, mais hocha la tête, et se remit à suivre son compagnon. Il n'y avait pas que les tapisseries qui leur apportaient des renseignements : Il y avait aussi la richesse et la taille des lieux, le nombre de portes abritant des chambres qu'ils croisaient sur leur chemin, et toutes les odeurs de parfum très cher accompagnées d'auras de pouvoir. Assurément, ceux qui résidaient ici étaient des personnes de très haut pouvoir, sûrement les Mary-Sue les plus efficaces. Et elles étaient nombreuses. Pourtant, on était proches de la frontière Wattpadienne, et assez loin des Plateaux ou Sky avait assuré y avoir localisé les quartiers de Kikoolol, alors pourquoi? Y avait-il un personnage important dans ce château, au final? quelqu'un qui méritait d'être protégé?
Ses réflexions en cours, Lina ne remarqua pas que ses pas la menaient tout droit là ou l'aura clichée était la plus forte; Ce n'est que lorsque l'odeur répugnante envahit ses narines et qu'elle sentit le moindre de ses poils se hérisser sur sa peau que son cerveau finit par assimiler le signal, et qu'un spasme de recul dégoûté ne la fasse se stopper net, manquant d'emboutir Azul qui se trouvait derrière elle.
L'homme-dragon grogna et lui tapa sur l'épaule en guise de réprimande, mais le dégoût qui l'avait envahie lui fit ignorer le message. Son corps était tellement crispé qu'elle pouvait à peine bouger normalement, et elle pouvait presque sentir ses nerfs pulser, sous le coup d'une envie de meurtre, de purification des abominations, qui l'avait envahie à peine son cerveau avait-il compris sa position. Cette aura... Elle lui rappelait celle de la brutasse clichée qu'elle avait démembrée il y a deux semaines, mais en tellement, tellement plus puissant... C'était à lui en donner envie de vomir. Et pire encore, en plus de cette atmosphère empuantie par le cliché, elle sentait autre chose. De la puissance pure. Assez peu, mais de quoi se douter que l'entité abritant cet endroit était autrement plus apte à se défendre que le petit homophobe du bastion.
Sans se préoccuper des imprécations furieuses d'Azul, la jeune femme se tourna vers la source de l'aura, l'esprit quelque peu embrumé par les sensations désagréables qui l'envahissaient de toute part. Dégoût, colère, peur, pulsions meurtrières. Mue par un instinct qui lui paraissait ancestral, les yeux fixés sur la porte à sa droite, elle se pencha vers le trou de la serrure et y colla son oreille. Elle voulait savoir. Il fallait qu'elle sache. Quelle créature pouvait émettre des ondes aussi négatives?
Azul eut beau tenter de la tirer en arrière, impossible de raisonner la jeune femme ; Elle épierait ce qu'il se passait à l'intérieur de la pièce, qu'ils le veuillent ou non. Même Seiji qui lui mordait les oreilles ne suffit pas à la séparer de la porte. Elle se concentra et écouta, avec toute l'attention qu'elle pouvait, sous l'œil atterré du marin et les couinements paniqués de Seiji.
« – .... Ne devraient plus tarder à arriver, seigneur Sretaz. »
Sretaz. Elle reconnaissait ce nom. C'était Miya qui lui avait dit, le jour où ils avaient repris Erden'aëll. La clichée qui dirigeait la ville. Elle en avait peur, lui avait dit la chef, avant que Sky ne décide de lever le camp. Et franchement, en sentant ce qu'il dégageait, on comprenait pourquoi.
« – Parfait, parfait, » fit une voix râpeuse et sifflante, en réponse au ton empreint de déférence de son interlocuteur. « Faites moi penser à remercier cet immonde homme pour ses renseignements. Comment a t-il dit qu'il s'appelait... Le Rat, c'est ça? »
Un murmure d'approbation échappa au deuxième homme tandis que le propriétaire de la voix râpeuse émettait un sifflement satisfait. Lina continua de froncer les sourcils. Il y avait donc bien un espion dans les rangs de l'armée. Un type dénommé le Rat. Elle ne l'avait jamais vu, ni même entendu parler de lui, mais cela démontrait sans aucun doute ses compétences en matière d'espionnage. Sky devait être informée le plus rapidement possible. Mais ça ne lui disait toujours pas qui était ce Sretaz, et où étaient les cachots, tant qu'on y était.
La voix continuait de parler, agaçant les tympans de la métamorphe avec ses intonations serpentines. Celle-ci commençait sérieusement à se demander si le reptilien des tapisseries n'était pas l'individu nommé Sretaz, ce qui résoudrait beaucoup de choses. Tout en soulevant de nouvelles questions. Comme par exemple, pourquoi se présentait-il en chef ? Y avait-il eu une passation de pouvoirs de Kikoolol à lui? L'avait-il pris de force? Et dans ce cas, pourquoi son quartier général se trouvait-il ici? Les informations de Sky étaient elles fausses? Ou bien ce type était-il simplement un chef de guerre en attente de mieux? L'hypothèse semblait plausible, songea la brunette en se remémorant la divergence des traces. L'aura de pouvoir pure se dirigeait vers le nord, vers l'emplacement dit du vrai campement de Kikoolol, aux Plateaux. Et comme il n'y avait eu aucune trace de lutte sur le chemin, elle ne pouvait qu'en conclure qu'ils étaient, d'une manière ou d'une autre, de mèche. Ça n'allait pas arranger ses affaires, bougonna t'elle. Elle ne s'était toujours pas assurée de l'identité de l'entité en question, celle qui avait enlevé Suzu. Et partager ses craintes risquait de paniquer toute l'armée grammaticale.
Plongée dans ses pensées, accumulant tous les renseignements qu'elle pouvait, elle n'entendit pas le couinement paniqué de Seiji, ni le juron d'Azul qui la tira de force de la serrure avant même qu'elle ne puisse réagir. Par contre, une fois sortie de sa torpeur, elle put parfaitement percevoir le cri d'alarme de la Mary-Sue à l'extrémité du couloir raffiné. Et l'ouverture en coup de vent de la porte sur un bad boy et une forme verte dans un coin de la salle sur laquelle elle donnait.
Seiji se fit tout petit et se glissa dans se cheveux alors qu'Azul levait une main, prêt à invoquer sa lance. La jeune femme se mit également en situation de combat, tous ses sens en éveil, le nez froncé par la répugnance et les poings serrés, prête à frapper. Elle avait grillé leur couverture, à en juger par l'expression du bad boy et de la Mary-Sue, tous deux vêtus richement et armes en main. Le revolver du garçon, pointé vers elle, n'inspirait pas à penser qu'il la prenait pour une simple garde.
La métamorphe grogna, et leva la main, prête à se jeter sur ses adversaires... Pour rester immobile, incapable de bouger le moindre de ses muscles, d'émettre le moindre son. Elle était paralysée par une force étrange, qui l'avait prise totalement au dépourvu, engourdissant jusqu'à la moindre cellule de son être. Elle tenta d'avertir Azul, mais ses cordes vocales avaient été atteintes par la paralysie imposée et rien de sortit de sa gorge, pas même un souffle d'air. L'homme-dragon, sentant sa mauvaise posture, émit un juron et se tourna vers elle pour la secouer. Trop tard, cependant : La métamorphe eut tout juste le temps de sentir ses doigts sur son bras avant que ces derniers ne se figent à leur tout, immobilisés net, alors que la forme verte en fond avançait doucement vers les deux compères.
C'était, à n'en pas douter, le reptilien des tapisseries. Sa face allongée comme celle d'un varan de Komodo terrien et sa longue queue recouverte d'écailles le démontraient. Il avait les doigts longs et pourvus de griffes, et des yeux verts et globuleux de chaque côté de sa tête qui se braquaient avec difficulté mais néanmoins délectation sur ses deux prisonniers. Les écailles qui recouvraient tout son corps lui garantissaient une sorte d'armure, lui permettant de porter au dessus des vêtements très riches, qui a vue d'œil semblaient constitués de soie et de velours, Il était entièrement vêtu de rouge et de jaune, ce qui jurait avec le vert sombre de son corps, et la longue cape de velours qui flottait derrière lui ajoutait à l'extravagance de sa tenue. Mais malgré son air inoffensif au premier abord, ses pupilles brillaient d'une cruauté et d'un sadisme impossible à ignorer, dénotant avec son apparence de noble élevé trop vite aux plus hauts rangs. Aucun doute possible, pensa Lina en le voyant approcher, en sentant son aura se renforcer au point que la bile lui montait dans la gorge. C'était lui le seigneur de ces lieux, celui qui émettait ces effluves de cliché pur. Et à en voir la terreur exprimée par ses deux subordonnées, tomber entre ses griffes n'était pas du tout, mais alors pas du tout une situation enviable.
« – Vous en avez mis du temps, cardinale Blackheart, Capitaine Azul... »
Les intéressés eurent un spasme à l'entente de leurs noms, du moins mental, la paralysie les empêchant toujours de faire le moindre geste. Ce que regrettait beaucoup la cardinale en question. Elle aurait adoré lui faire avaler sa petite langue pointue qui se dardait entre ses crocs de reptilien, histoire de ne plus jamais entendre cette horrible voix sifflante. Et puis, comment il pouvait les avoir identifiés, d'abord? Certes, l'espion pouvait leur avoir refilé leur noms, cependant associer un nom et une silhouette, une odeur et une attitude, c'était tout autre chose!
La patte griffue se tendit vers son casque, débouclant les lanières et le laissant tomber au sol, avant de faire de même avec celui d'Azul. La vision de leur deux visages rougis par la chaleur qui régnait sous l'équipement, crispés par la surprise et une pointe de terreur, arracha un petit sifflement au reptilien, qui écarta les mâchoires dans une grossière imitation du sourire des humanoïdes.
« Voilà qui me semble parfait, dites moi! J'ignorais que la cardinale Blackheart était aussi jeune... Ce n'est pas un peu tôt pour une adolescente, pour s'engager dans une guerre qui la dépasse? »
Lina en aurait hurlé de rage. Il la provoquait, cela ne pouvait être que délibéré ! À vingt-et-un ans, elle savait pertinemment qu'elle disposait d'un visage encore trop juvénile pour les humaines et la plupart des espèces de son âge, la faute au vieillissement ralenti des voyageurs et très probablement de son ascendance. Mais jamais elle n'aurait participé à un événement de pareille envergure dans son adolescence, malgré toute la motivation dont elle faisait preuve dans les ordres. Elle savait ce qu'elle faisait et ce reptilien la faisait passer pour une adolescente stupide ! C'était pour elle la pire des insultes qu'elle pouvait recevoir, et ces mots étaient d'autant plus douloureux qu'elle ne pouvait même pas y répondre.
La paralysie se mua en un contrôle extérieur total des membres sur un signe et une émanation de magie provenant de Sretaz, et les deux compagnons se mirent à bouger, totalement contre leur gré, dans une direction qui leur était inconnue.
« Vous souhaitiez voir mes cachots, pas vrai ? Regardez comme je suis obligeant, je vous y emmène. Ethan, va me chercher les cordes dans ma salle spéciale, tu veux? On va interroger ces deux charmants visiteurs impromptus... »
C'en était rageant pour les deux visiteurs en question. Réussir à trouver les cachots uniquement pour servir de prisonniers de guerre! Le pire des scénarios imaginé par Lina venait de se produire, et le pire, elle s'en rendait compte maintenant, c'était qu'il s'agissait de sa faute. Oui, elle pouvait sentir le regard accusateur d'Azul lui brûler le dos, mais elle était incapable de bouger d'elle-même et elle sentait sa faculté de penser lui échapper petit à petit. Elle n'avait plus aucun moyen de s'excuser.
La dernière chose qu'elle sentit avant de perdre entièrement le contrôle de son cerveau, la plongeant dans un état de simili-inconscience, ce fut la piqûre de toutes petites griffes sur son épaule droite.
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