Chapitre 9 : Désastre écailleux*
« C'est ce genre de moment où on comprend qu'on a franchi un cap de l'histoire ; cette seconde où tout bascule. Je me souviens très bien avoir vu le seigneur Kikoolol terrasser le seigneur Sretaz en quelques mouvements. Le combat était à sens unique et c'était parfaitement clair aux yeux de tous les spectateurs médusés. Je me souviens aussi que, contrairement aux apparences, le seigneur Kikoolol jouait avec son adversaire. Il n'a pas été sérieux une seule seconde.
Et pourtant il avait terrassé celui qui était notre seigneur depuis des années. Il l'avait renversé et même humilié davantage en lui proposant un poste de conseiller. Je ne peux y voir qu'une manœuvre parfaitement calculée pour briser le seigneur Sretaz...
Hmmmm c'est excitant. Je me demande bien ce que le seigneur Kikoolol va apporter à notre peuple. »
Journal de Serenity Darkmoon Raven, 3646
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Lina était à présent seule pour chercher dans l'immense forteresse clichée toute trace de renseignements utiles. Une chance qu'un oiseau ne se fasse pas vraiment remarquer au sein d'un château ; mais pour éviter tout problème et essayer de conserver une forme autre que sa forme yürhamah pendant un laps de temps le plus long possible, elle ne cessait de changer d'apparence, passant de l'oiseau à la mouche, sans oublier l'araignée. Cela faisant, elle éloignait au maximum la douleur sourde qui accompagnait chacune de ses transformations longues ; mais ça ne pourrait durer très longtemps. D'ici quelques heures, elle serait contrainte de reprendre sa forme originelle, et là, elle serait à la merci de tout cliché voulant profiter de son état de fatigue. Autant de mots pour dire qu'elle avait tout intérêt à se dépêcher, ou trouver une cachette sûre pour se reposer un minimum.
En plus de cela, ses recherches patinaient. Un animal avait toutes les excuses du monde pour se faufiler dans les coins les plus étroits, mais même alors que son métamorphisme lui donnait accès à sensiblement tout le palais sans de gros risques de se faire démasquer, elle avait beau fouiller, elle ne trouvait rien. Et cela commençait sérieusement à l'agacer.
Un soudain mal de crâne lui annonça une tentative de prise de contact télépathique. L'araignée dont elle avait pris la forme remua les pattes avec agacement, avant de se tisser une toile dans un coin et de se concentrer dessus. C'était le comble, tout de même, d'en arriver à cracher de la soie pour pouvoir être discrète. Une chance qu'elle ait seulement pu maîtriser sa forme d'araignée assez pour pouvoir produire de la soie, sinon elle aurait eu quelques problèmes... Enfin, une chance si on en oubliait toutes les fonctions qu'elle avait dû travailler pour que l'araignée puisse acquérir cette capacité. Une vraie purge, dans tous les sens du terme. Elle siffla, et se centra sur le lien télépathique.
« —Des nouvelles, Lina ? »
C'était Corbeau. Il arrivait encore à conserver son calme, alors que ça faisait près d'une heure qu'ils s'étaient séparés. De quoi lui tirer son chapeau, si Lina en avait un. Sauf qu'une araignée portait rarement des chapeaux, et Lina était loin de témoigner le même calme.
« —Non, ça patine. Je trouve rien du tout. Et de votre côté ?
—Notre télépathe commence à fatiguer, malgré la présence du mage du Domaine de la Guerre qui fait de son mieux pour le recharger en énergie. Dépêchez-vous de trouver quelque chose avant qu'il ne coupe le contact. »
Le calme de Corbeau ne dissimulait pas l'inquiétude qui transparaissait dans ses formulations. Le télépathe fatiguait, ce qui était sans doute normal vu qu'un sort maintenu pendant une heure sans discontinuité pouvait affaiblir même le meilleur des mages. Mais en plus de ça, les recherches ne donnaient rien. Lina leva ses paires d'yeux au ciel et abandonna sa toile derrière elle, coupant abruptement le contact. Elle n'avait pas de temps à perdre avec des palabres sans but.
L'araignée fit son chemin le long d'un mur vide avant que ses poils ne frémissent sous l'effet d'une brusque recrudescence de l'aura clichée. Elle se recroquevilla. De toute évidence, il y avait dans cette pièce un cliché de très haute puissance, second cercle à n'en pas douter. Peut-être même plusieurs. Des Mary-Sue et des Gary-Stu. Et qui disait clichés du second cercle disait importance dans l'armée...
Luttant contre son dégoût, elle se rapprocha de quelques centimètres, et se mit à tisser sa toile dans un coin de la porte ouverte sur la pièce. De là, elle avait la meilleure vue possible sur toute la salle contenant les clichés.
Ils étaient bien là. Trois Mary-Sue et un Gary-Stu, tous reconnaissables à leurs vêtements riches et leur aura purulente. Ils étaient d'ailleurs couverts de blessures, blessures qui soit dit en passant ne semblaient pas gêner leurs mouvements. Typique des Mary-Sue. Mais ces gens-là faisaient peut-être partie du groupe de clichés qu'elle pistait... Elle se concentra pour entendre au mieux leur conversation.
« —... Et on est sûrs que le seigneur Sretaz compte prendre le commandement ? »
Sretaz. Voilà un nom qu'il lui faudrait retenir. Le seigneur Sretaz. Sans doute un lieutenant, vu le titre, peut-être même sous le commandement direct de Kikoolol. Le nom lui disait quelque chose, quand elle y pensait. Sans doute l'avait-elle entendu dans un rapport quelconque... Rien de vraiment nouveau, donc, mais elle savait au moins qu'elle se trouvait dans le repaire d'un lieutenant cliché nommé Sretaz et que ce dernier comptait prendre le commandement de quelque chose. Connaissant les clichés, ce serait une attaque. Plus qu'à en déterminer l'ampleur.
« —Oui, grogna une des Mary-Sue, et il compte nous emmener aussi. Ce n'est pas que je ne veux pas me battre, mais l'autre salopard m'a mis dans un état pitoyable hier...
—Chhhht ! Fais gaffe à ce que tu dis, je te rappelle que le seigneur Sretaz refuse d'entendre ni le nom de ses rivaux, ni des paroles de mutinerie ! Il a toujours eu horreur qu'on lui rappelle qu'il existe plus puissant que lui... »
Le Gary-Stu semblait paniqué à la seule idée que son chef puisse se trouver dans la pièce. Ce qui ne semblait pas être le cas, vu qu'aucune colère divine ne s'abattit sur la tête de la clichée, mais ces mots n'étaient néanmoins pas tombés dans l'oreille d'un sourd. « L'autre salopard », c'était sans doute le mage qu'elle pistait, qui avait donc blessé la Mary-Sue. Et probablement les trois autres. Il y avait bien une bataille en préparation, suffisamment importante pour que le lieutenant des clichés y emmène des soldats blessés. Et visiblement, le « seigneur Sretaz » était doté d'un sacré ego. Répugnante créature.
En attendant, les clichés avaient cessé de parler, et regardaient dans toutes les directions, l'air paniqués. Lina haussa ses huit articulations proximales d'araignée. Elle en avait entendu assez, pour le moment. Maintenant, il fallait qu'elle retrouve Erin et Seiji, pour les avertir de la bataille proche, et peut-être chercher ce fameux Sretaz tous les trois.
L'araignée fila sur les murs à toute vitesse, laissant sa toile inachevée derrière elle, avant de passer une poutre du mur. C'est une mésange qui ressurgit derrière la poutre, volant à toute allure dans les couloirs.
Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour retrouver Erin. Lien télépathique aidant, elle avait retrouvé sa piste dans une des chambres inoccupées du palais, alors qu'elle venait de s'asseoir sur un lit, massant ses oreilles malmenées par le casque des clichés. Lorsqu'elle entra, un couinement lui signala la présence de Seiji dans un drapé du lit. Ils étaient réunis tous les trois.
Elle attendit qu'Erin ferme la porte derrière elle avant de se retransformer, soupirant de soulagement lorsque ses deux pieds heurtèrent le sol. Même si retrouver ses vêtements collés par une soudaine vague de transpiration n'avait rien d'agréable, sa forme humanoïde était beaucoup plus agréable à arborer. Une fine pellicule de sueur recouvrait son front, signe de son état de fatigue, et elle avait sans doute les yeux un peu hagards, mais rien de bien contraignant. Elle s'assit sur le lit avec un grognement de satisfaction, arrachant un nouveau couinement paniqué à Seiji qu'elle avait manqué d'écraser.
« —Alors, Lina ? Tu as trouvé quoi ? »
Elle soupira à la question d'Erin. Quelques trucs intéressants.
« —On apprend pas mal de trucs en écoutant les conversations des clichés. J'ai réussi à retomber sur le groupe de Mary-Sue qu'on a pisté jusqu'ici, et ça m'a permis de savoir que premièrement, le mage qu'on piste n'a pas l'air d'être avec eux, deuxièmement, on est dans le repaire d'un certain seigneur Sretaz qui prévoit une offensive prochaine, suffisamment immense pour réquisitionner des blessés. Et toi ? »
L'elfe haussa les épaules, un air un peu défaitiste sur son visage.
« —Pas grand-chose de plus. Mis à part que le seigneur du château semble agir à la fois aux ordres et en parallèle de Kikoolol. Il y a effectivement une grosse offensive de prévue, mais visiblement, ce n'est pas le grand patron qui l'a ordonnée, lui, il ne bouge pas du Nord. »
Les deux filles n'ayant plus rien à dire, elles se tournèrent vers Seiji, qui était resté dans sa forme de souris. Ce dernier émit un petit couinement, signe qu'il ne pouvait pas (ou ne voulait pas) se retransformer, puis leurs tympans vibrèrent et le lien télépathique se remit en branle dans leur tête. Lina se concentra dessus, et la voix du métamorphe résonna dans son cerveau.
« —Moi, j'ai rien appris qui m'avait l'air intéressant. Par contre, j'ai trouvé un couloir... Bizarre. Il sentait le lézard à plein nez, en tout cas, et était orné de bien plus de tapisseries que le reste du château... On devrait aller voir.
—Le lézard ? Demanda Erin, curieuse. Comment ça ?
—Mais enfin si, le lézard... Faut vraiment pas avoir de nez pour ne pas sentir ça ! C'est piquant et dur, une odeur de chair froide... Vous avez jamais senti cette odeur de lézards ?
—C'est sûrement là que se cache le chef, soupira Lina, coupant court à toute protestation d'Erin sur son odorat. La mine de renseignements idéale. Et quand on l'aura trouvé, on pourra dire à Corbeau de lancer l'offensive. »
Erin se remit à faire tourner entre ses doigts la pointe de ses oreilles, une moue anxieuse sur le visage.
« — ça me semble plutôt dangereux. Si on se fait griller, on risque gros.
—Corbeau attaquera le palais de toute façon, qu'on soit prisonnières ou non, soupira Lina. C'est pas comme si on avait aucun renfort. »
Se rendant à cet argument on ne peut plus imparable, Erin hocha la tête, et se leva du lit.
« —Bon eh bien dans ce cas, Seiji, on y va. »
La souris émit un petit couinement avant de regrimper sur l'épaule d'Erin, et Lina réintégra sa place sur l'autre épaule sous la forme cette fois d'un moineau. Ils étaient prêts à y aller.
La porte de la chambre se referma derrière une garde clichée dissimulant derrière ses cheveux deux animaux tout à fait peu suspects.
Seiji leur indiquait le chemin via le lien télépathique, mais Lina pouvait sentir que le sort commençait à avoir des accès de faiblesse. Bientôt, ils ne pourraient plus compter dessus. Ce serait sans doute le signal pour Corbeau de commencer à marcher, selon ce qu'il avait décidé concernant l'attaque du palais. Mais en attendant, signal ou pas, ça n'allait pas arranger leurs affaires s'ils ne pouvaient plus communiquer avec leur guide.
Guide qui d'ailleurs commençait à couiner.
« —Eh, regardez ça, c'est les thermes ! Au moins on saura où aller pour se reposer après !
—Et laisser des clichés me voir sans mes vêtements ? Je veux bien qu'un bain chaud ça reste agréable, mais là tu exagères !
—Roh, n'en fais pas trop, soupira Seiji dans le lien télépathique. Les gens y vont pas pour mater. Enfin sauf moi parfois. Mais reconnais quand même que les soldats sont agréables à regarder. »
Le moineau manqua de battre des ailes violemment, ce qui aurait pu griller leur couverture. A la place, elle se contenta de claquer du bec, ulcérée par ce que venait de dire Seiji. Mater les clichés ? Et puis quoi encore ? Pourquoi pas partir dans la zoophilie tant qu'on y était ! Elle grommela.
« —Je fais pas dans l'admiration des corps de soldats, merci bien. Surtout les clichés.
—T'exagères là. Ce sont des êtres humanoïdes dotés d'intelligence et des mêmes atouts que nous, je vois pas ce qui te gêne. Bon, à part le côté voyeur, certes, mais je ne suis pas les gens dans les vestiaires, moi !
—Bon, sur ce petit interlude sympathique, Seiji, elle est où la bonne direction ? » Grommela une Erin lassée d'être interrompue.
Le métamorphe pouffa, avant d'indiquer un couloir proche. Le petit groupe s'y engagea sans même rajouter un seul mot sur l'épisode des thermes. Tant mieux, se dit Lina. Ce n'était vraiment pas le moment d'aborder ce genre de sujets. Surtout quand on parlait de mater les gens, pire encore les clichés. Brrrr... Elle avait toujours autant de mal à comprendre les gens qui aimaient ce genre d'activité.
Les couloirs dénudés des quartiers réservés aux soldats firent bientôt place aux tapisseries et aux dorures que leur avait décrites Seiji. Des tapisseries qui se démarquaient par le total fictionnel des scènes représentées, grommela Lina lorsque son regard s'échoua sur certains des drapés. Jamais de toute l'histoire de Wattpadia il n'avait été question de bad boys marchant sur les ruines du palais et les cadavres des monarques dans une atmosphère sanglante, alors qu'un reptilien portant plusieurs têtes au bout de piques dressées en l'air se tenait fièrement au centre de l'œuvre.
Erin, sentant les griffes du moineau transpercer le tissu de son vêtement, suivit ses claquements de bec jusqu'à voir la macabre scène de la tapisserie. Elle plissa les yeux.
« —ça, c'est du récent. La tapisserie n'a pas l'air abîmée et le fil semble neuf. Celui qui a fait tisser ça l'a probablement fait à l'image du succès qu'il veut avoir.
—Mégalomaniaque, grommela Lina dans le lien télépathique. Foutus clichés.
—Il est clair que je ne donnerais pas mon allégeance à un seigneur pareil, renchérit Erin. Il m'a l'air bien imbu de lui-même. »
Le moineau hocha la tête, avant de se recaler dans les plis de la tenue d'Erin. Une horrible envie d'arracher ces blasphèmes sur tissu agitait ses entrailles, mais elle se retint. Bientôt, se dit-elle, bientôt elle pourrait. Lorsque Corbeau attaquerait, il n'y aurait plus de couverture qui tiendrait, et elle pourrait mettre ce maudit bastion cliché à feu et à sang. Le bec du moineau claqua à toute vitesse. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle allait s'en donner à cœur joie. Histoire d'oublier cette horrible aura clichée qui lui agressait les sinus depuis près d'une heure et demie.
Contrairement aux quartiers précédents, ceux des nobles avaient beaucoup, beaucoup de choses à leur apprendre. Ne serait-ce que par le nombre incalculable de tapisseries représentant toutes des scènes fausses de la guerre menée contre les clichés, toutes mettant en scène diverses de ces créatures dans des situations d'où elles sortaient toujours victorieuses. Dans chaque image conservée sur un tissage de bonne qualité, il y avait les clichés vainqueurs, le sang qui coulait, le roi et la reine morts. Lina eut même de violentes envies de meurtre en apercevant la tête de Sky aux pieds d'une des Mary-Sue, déformée par la peur et la soumission, même alors que la mort était censée avoir déteint sur ses traits.
Et sur chaque scène Lina pouvait trouver un point commun : Le reptilien, droit comme un I, parfois dévorant les cadavres placés dans son assiette, parfois à la tête d'une immense armée marchant littéralement sur Wake'li, et parfois fixant le spectateur de l'horrible tapisserie avec son regard perçant de lézard. Autour de lui, des piques ornés de corps et de tête, des visages pour la plupart inconnus, même si Lina crut sentir un écho dans son esprit en voyant une touffe de cheveux bruns orner un des pals, et un œil turquoise traîner sur le sol. Toujours, il était au centre, toujours, il était mis en valeur, toujours il avait une position qu'on pouvait aisément associer au chef. Place qui n'était pas la sienne ; mais Kikoolol ne semblait être nulle part sur la toile tissée, pas même dans les cadavres.
Erin plissa le nez, son regard se baladant sur une des tapisseries ou le monstre écrasait de ses grandes pattes le trône royal.
« —Ce lézard s'affiche ostensiblement à la place de son chef. On dirait qu'il y a de la mutinerie dans l'air...
—ça ou des rêves de grandeur, souffla Seiji. Quoique les deux puissent être combinés. En attendant, bouge, Erin, on va se faire remarquer. »
Seiji avait raison. Les chambres étaient suffisamment chargées d'auras pour que Lina puisse détecter au moins une bonne cinquantaine de Mary-Sue dans les couloirs. A en juger par la richesse et la taille des lieux, cet endroit était fait pour en accueillir un maximum. Ce qui était plutôt étrange quand on y pensait. Une garde pour un bastion de lieutenants, d'accord. Mais les clichés du second cercle comme les Mary-Sue étaient très peu nombreux comparés à la proportion des autres, et Lina jugeait qu'il devait y avoir assez de place pour accueillir la moitié de l'espèce ici... L'hypothèse de possible mutinerie devenait de plus en plus probable. Ce qui était une bonne nouvelle. Une armée clichée séparée serait plus facilement affrontable, et la nouvelle des disputes en haut lieu allait remonter le moral du peuple.
Enfin, Erin se stoppa net devant l'une des portes, la plus grande et recouverte de dorures. Elle l'avait sans doute reconnue pour être la porte du chef, mais même sans ça, Lina aurait senti que la créature derrière cette porte n'était pas ordinaire ; Ses plumes se hérissaient d'elles-mêmes et son bec claquait tout seul, sous l'effet d'un dégoût inouï et ne pouvant être dû qu'à un cliché puissant.
Si elle n'avait pas été un oiseau, perché sur l'épaule d'Erin et contraint au calme, elle en aurait vomi son déjeuner. L'aura qu'elle sentait était horrible, à tel point que même alors qu'elle n'avait pas réellement de dos sous sa forme de moineau, elle pouvait sentir sa marque rituelle la brûler. Et comme si le dégoût ne suffisait pas, il fallait en plus qu'elle perçoive derrière cette porte un être de grande puissance magique, largement capable de se défendre. Quelqu'un contre qui elle devrait se méfier, et pas un simple cliché qui n'avais jamais appris les règles les plus élémentaires du combat malgré sa puissance. Elle siffla, et Erin fit bouger son épaule en guise d'avertissement. Le lien télépathique vibra.
« —On a trouvé notre bête. On la capture ou on écoute ?
—Je crève d'envie de lui faire ravaler ses propres boyaux, mais si on le capture maintenant, on risque de louper des informations capitales, grommela Lina. Jouons la discrétion. Tu as de bonnes oreilles ?
—Ce type parle plutôt fort, fit Seiji. En se mettant en position de garde près de la porte, on devrait pouvoir entendre le gros de leur conversation. Viens à côté de moi, Lina. »
Le moineau s'exécuta, claquant du bec lorsque l'aura prit plus d'ampleur. Mais Seiji avait raison : De là, elle entendait plutôt bien les gens dans la pièce parler. Elle plissa les yeux et tendit le cou, prête à écouter tout ce qu'elle pouvait.
« —... Troupes sont bientôt prêtes, seigneur Sretaz. »
Sretaz. Elle était donc bel et bien tombée sur le lieutenant cliché, chef de cette forteresse et possiblement énorme traître à sa propre cause. Un éclair de lucidité lui revint, et elle se souvint de là où elle avait entendu ce nom : la clichée d'Erdenn'aëll. Selon Miya, elle avait prononcé ce nom avec une certaine frayeur. Ils avaient donc bien tiré le bon bâtonnet.
« —Parfait, parfait... Nous serons donc bientôt en mesure d'attaquer. »
La voix qui venait de répondre au cliché émanait sans aucun doute d'une créature reptilienne, au vu de ses intonations sifflantes et son ton râpeux. Lina fit rapidement le lien avec le reptilien des tapisseries. Encore un élément supplémentaire à ajouter à son portrait du lieutenant cliché. Elle grinça du bec. Créature répugnante sous tous ses aspects.
Erin plissa le nez.
« —Donc ces petits salopards prévoient bien une offensive...
—Une quoi ? »
Ah, Lina en avait presque oublié Corbeau. Visiblement, il écoutait leurs conversations, à certains moments. En tout cas assez pour intervenir à ce moment précis, mais trop peu pour avoir déjà entendu « offensive » de toute la mission. Elle soupira dans le lien télépathique.
« —On t'expliquera ça lorsque cette forteresse sera réduite en poussière. Pour l'instant, j'essaie d'écouter. »
Elle entendit à peine l'assentiment du mage, puisque le reptilien s'était remis à parler de son horrible voix, et cela suffit pour occulter le lien télépathique dans l'esprit de Lina.
« —Et cet homme en cape noire, cet espion dans les armées wattpadiennes... Le Rat, je crois bien ? A-t-il de nouveaux renseignements pour nous ?
—Euh, oui, fit le cliché, sans laisser le temps à Lina de digérer l'immonde information. Il m'a dit hier qu'un groupe constitué des trois dernières recrues officiers et de mages de métier était parti sur la piste de... De votre rival, marmonna-t-il d'une toute petite voix. Ils ne devraient pas tarder à arriver ici. »
Sacré nom du Créateur, ça, c'était ce qu'on pouvait facilement appeler une mauvaise nouvelle. Un espion dans leurs rangs, suffisamment haut placé pour avoir entendu parler de leur mission actuelle. Voilà qui risquait de ruiner tout leur effet de surprise... Il fallait qu'ils donnent le signal à Corbeau rapidement, sinon la destruction de la forteresse allait se faire sous de bien pires auspices.
Un type dénommé le Rat était donc capable de fournir d'aussi hauts renseignements au lieutenant cliché. Sky devait être avertie au plus vite, pour qu'elle prenne les dispositions nécessaires. Tout compte fait, forteresse détruite ou pas, Lina en savait suffisamment pour faire avancer le jeu... Ces renseignements à eux seuls pourraient faire office de preuve de leur importance. Le moineau se lissa les plumes. Au moins, rester plus de deux heures au sein des clichés puants ne lui aurait pas servi à rien.
La voix continuait de parler, agaçant les tympans de Lina avec ses intonations serpentines. Elle commençait à n'en plus pouvoir de ce petit lieutenant mégalomane, qui était à présent en train de sortir à son subordonné tout un discours mirobolant sur sa grandeur. Elle parvenait à peine à capter des noms intéressants tant le cliché l'agaçait. Et puis, si seulement il y avait ça, comme sujet de préoccupation. Elle n'avait rien appris sur cette offensive proche, ni même sur les plans des clichés pour les prochains mois, et ça l'énervait de ne sentir dans la voix du reptilien qu'un ego dégoulinant.
Seulement, quoi qu'elle ait voulu entendre, sa mission d'infiltration venait de prendre fin. Avec le cri d'alarme de la Mary-Sue qui venait de surgir au bout du couloir, sans doute une dotée de perceptions supra-sensorielles, ou alors qui trouvait bizarre de voir un garde avec deux animaux immobiles sur ses épaules. Erin émit un juron et se décala du mur, la main sur son épée, mais trop tard ; La porte venait de s'ouvrir d'un coup sec, claquant sur le mur avec une force digne des clichés. Derrière elle, un cliché de type bad boy, sans doute du troisième cercle vu ses galons, et une forme verte qu'elle n'eut pas le temps de voir nettement. La Mary-Sue s'était mise à courir dans le couloir, sans doute dans le but d'intercepter Erin, et cette dernière avait levé son épée, déséquilibrant Lina qui n'eut d'autre choix que de sauter à terre, sous sa forme humaine. A peine les deux pieds au sol, elle se mit en position à côté d'Erin, prête à se battre.
Elle siffla. Le combat allait commencer plus tôt que prévu, donc ? Soit. Elle était prête. Elle leva sa main devant elle, prête à appeler son katana... Mais ce dernier ne vint pas. De même que toute la magie qu'elle sentait pourtant dans ses vaisseaux sanguins. Elle ne pouvait même plus bouger. Même ses cordes vocales restaient immobiles.
Deux nouvelles tentatives de mouvement lui apprirent qu'elle était paralysée par une force étrange, qui l'avait prise totalement au dépourvu, engourdissant jusqu'à la moindre cellule de son être. Elle tenta d'avertir Erin par télépathie, voire de donner le signal de l'attaque à Corbeau, mais sans résultat : Par pure malchance ou sort cliché, le lien télépathique ne fonctionnait plus du tout. Et visiblement, Erin avait subi le même sort qu'elle ; son épée claqua sur le sol dans un grand bruit, signalant qu'elle avait relâché sa prise.
Les deux femmes ne purent que constater, impuissantes, l'avancée de la forme verte que Lina avait remarquée plus tôt vers elle.
C'était, à n'en pas douter, le reptilien des tapisseries. Sa face allongée et sa longue queue recouverte d'écailles le démontraient. Il avait les doigts longs et pourvus de griffes, et des yeux verts et globuleux de chaque côté de sa tête qui se braquaient avec difficulté mais néanmoins délectation sur ses deux prisonniers.
Les écailles qui recouvraient tout son corps lui garantissaient une sorte d'armure, lui permettant de porter au-dessus des vêtements très riches, qui a vue d'œil semblaient constitués de soie et de velours. Il était entièrement vêtu de rouge et de jaune, ce qui jurait avec le vert sombre de son corps, et la longue cape de velours qui flottait derrière lui ajoutait à l'extravagance de sa tenue. Mais malgré son air presque inoffensif au premier abord, ses pupilles brillaient d'une cruauté et d'un sadisme impossible à ignorer, dénotant avec son apparence de noble élevé trop vite aux plus hauts rangs. La plus pure apparence de cliché.
Sauf que, vu toute la magie que Lina sentait mobilisée dans ses yeux, ce même cliché venait de les immobiliser. Et visiblement, ce n'était pas pour faire une partie de Quatre reines avec eux, vu l'expression avide de son visage et la terreur sur le visage du bad boy à côté de lui.
Le reptilien se lécha les babines avec délectation.
« —Mais qui voilà ? La cardinale Frosilæn et... Et son elfe de compagnie ? »
Lina sentit Erin se tendre, juste à côté d'elle. Elle-même avait du mal à avaler l'insulte. Premièrement parce que les elfes n'étaient pas des animaux de compagnie, deuxièmement parce que c'était plutôt ironique pour une sous-race de cliché de lui sortir ça. Mais son immobilité totale l'empêcha de cracher à la gueule du cliché. Ou de le découper en petits morceaux. Même chose.
Le fait qu'il connaisse son nom et surtout qu'il puisse l'associer à elle n'était pas non plus rassurant. Ce type en savait beaucoup trop. Ce qui signifiait qu'il y avait dans ses propres rangs quelqu'un qui en savait tout autant. De plus, s'il l'avait identifiée elle, mais pas Erin, ça voulait dire... Nan, il était sans doute déplacé de prendre cet élément en compte. Sretaz aurait très bien pu aussi vouloir la blesser.
La patte griffue du reptilien se tendit vers sa joue, pinçant sa peau alors que son propriétaire affichait une expression qui se rapprochait de la délectation. Lina sentit son estomac se retourner. Attendez un peu que ce sort prenne fin, et elle enverrait valser cet appendice écailleux droit dans le fondement du lézard humanoïde ! Avec peut-être la compagnie d'un bad boy ou deux !
« —Parfait, parfait ! Justement, je mourais d'envie de vous avoir sous la main, Cardinale. Il y a plusieurs personnes dans mes rangs qui ne seraient pas ravies de recevoir votre tête livrée par cliché express... Quel dommage, tout de même, pour une enfant si jeune ! »
Lina en aurait hurlé de rage. Elle avait eu vingt-et-un ans il y a peu de temps ! Sa majorité était dépassée depuis longtemps, quel que soit le référentiel que les gens voulaient bien employer. Elle n'avait plus rien d'une enfant, peu importe ce qu'en disait son apparence, tout de même ! Certes, le vieillissement ralenti de son espèce pouvait lui jouer des tours, mais pour faire une remarque aussi ostentatoire, cette sale tronche de reptile puant devait forcément vouloir la provoquer. Il voulait jouer à ce petit jeu ? Très bien, elle lui ferait avaler sa provocation avec de la sauce piment !
... Quand elle pourrait bouger. Créateur que c'était désagréable de n'avoir aucun contrôle sur ses muscles !
Comme si le Créateur, ou le reptilien, l'avait entendue, la paralysie se dissipa dans ses membres, mais uniquement pour se muer en un contrôle extérieur total. Sur un signe et une émanation de magie provenant de Sretaz, Erin et Lina se mirent à bouger, totalement contre leur gré, dans une direction qui leur était inconnue.
« Bien ! J'ose supposer que vous avez une envie subite de voir mes beaux cachots avant le clou du spectacle ? Regardez comme je suis obligeant, je vous y emmène. Jordan, va me chercher les cordes dans ma salle spéciale, tu veux ? On va interroger ces deux charmantes visiteuses impromptues... »
Deux ? Le reptilien n'avait donc pas détecté la présence de Seiji ? D'ailleurs, elle se demandait bien où il était passé, cet animal... Et pourquoi il ne les aidait pas, aussi. Enfin ça, c'était une question motivée par la mauvaise foi. Seiji seul n'aurait pas eu la moindre chance contre un bad boy, une Mary-Sue et Sretaz. N'empêche, ça en restait rageant. Lina ne pouvait imaginer plus humiliant que de se retrouver ainsi sous le contrôle d'un ennemi aussi répugnant, tout ça pour perdre la vie dans un temps très proche.
Il ne lui restait plus qu'à espérer que Corbeau ne se dépêche, pensa-t-elle avant de perdre tout contrôle sur son cerveau.
L'atmosphère avait changé lorsque l'esprit de la métamorphe cessa d'être embrumé par l'emprise de son ennemi. Loin des couloirs riches en décorations, l'endroit dans lequel elle se trouvait était sombre, sordide, et sentait la mort et l'hémoglobine. Des pleurs lui parvinrent de l'extérieur, sans qu'elle arrive à en discerner la source, et tandis que sa vision s'habituait progressivement au noir, elle put discerner les barreaux qui se trouvaient devant elle, de même que les cordes lui attachant les chevilles et les poignets aux pieds et aux accoudoirs d'une chaise de bois rêche.
Elle redressa la tête, ravie d'être libre de ses pensées, pour voir devant ses yeux Erin, attachée à une chaise non loin. Elle aussi avait sans doute récupéré tout contrôle sur son corps, mais cela ne servait pas à grand-chose, ligotée contre une chaise. Son uniforme cliché avait été soigneusement décortiqué, ne laissant sur son dos qu'une chemise tachée et des bas déchirés, et elle avait la tête penchée en avant. Lina grogna. Qu'est-ce que ce vulgaire reptile mal embouché avait bien pu lui faire ?
Un rapide regard sur sa propre tenue lui apprit cependant qu'elle n'était pas en meilleur état. Son pantalon de toile avait été déchiré, et à en juger par le froid qu'elle sentait sur ses épaules, elle n'avait plus non plus sa veste en cuir. Par contre, quelque chose qu'elle avait toujours, c'était son dégoût à en recracher ses tripes. Dégoût lui signalant la présence de Sretaz sur les lieux.
Elle releva la tête. Oui. Il était bien là tournant autour des chaises, sa langue passant dans un geste répugnant sur un scalpel marqué par une sorte de rouille brune que trop reconnaissable et dégageant une odeur caractéristique. Leur geôlier, qui avait troqué ses vêtements nobles pour un habit de bourreau, les yeux brillant de convoitise et fixés sur le corps de Lina.
Le bon sens aurait voulu qu'elle fasse profil bas, qu'elle se taise, qu'elle évite de s'attirer l'antipathie de son geôlier le temps qu'elle ne puisse se sortir de ce sac de nœuds. Mais les effluves clichés, la position dans laquelle se trouvait Erin et la sienne, installée sur une chaise à la merci d'un lézard pervers, n'avaient jamais été les meilleurs facteurs de conservation de calme.
Elle se mit à jurer, jurer à s'en écorcher la voix, tirant de toutes ses forces sur ses liens, cherchant, sans succès, à faire apparaître son katana ou utiliser sa magie. Ce qui fit encore plus sourire le reptilien, la regardant avec amusement s'épancher sur lui dans toutes les langues qu'elle connaissait tandis qu'il se rapprochait de sa chaise en sifflant. Renforçant son envie de lui cracher à la figure.
Finalement, il posa une main sur sa joue et roula des yeux, lui imposant de nouveau cette insupportable paralysie. Les hurlements laissèrent place à un immense silence : les autres prisonniers s'étaient de toute évidence arrêtés de pleurer à l'entente des cris. Sans doute espéraient-ils se documenter, songea Lina avec une profonde amertume. Les jurons de cette qualité, cela ne devait pas se trouver tous les jours dans ces cachots cuisinés à la moisissure.
« Veux-tu bien cesser de hurler de la sorte, petite fille, tu me donnes mal à la tête... Ce n'est que plus motivant pour jouer un peu, et les dieux savent que j'ai déjà bien assez de raisons... »
La grossière imitation de sourire du reptilien s'élargit, ce qui donna encore plus à Lina l'envie de lui cracher à la figure. Mais il ne lui en donna pas l'occasion. L'emprise sur sa gorge se relâcha juste assez pour permettre à Lina de parler, alors que le reptilien remuait sa longue queue écailleuse dans un mouvement qui rappela à Lina celui des jeunes chiens au summum de l'excitation. Ce lézard avait décidément tout de l'animal. Un animal bien plus cruel, transpirant la perversion par toutes ses écailles pourries.
Profitant de la liberté sur sa gorge, elle émit un petit toussotement avant de marmonner :
« —Qu'est-ce que tu me veux, fils de chien ? »
Le reptilien pouffa, avant de faire glisser ses griffes sur la joue de Lina. Cette dernière ne put retenir un frisson en sentant passer les pointes tour près de sa gorge.
« —Moi ? Pour être honnête, je n'ai rien contre toi, petite fille. Mais mon patron, lui, semble beaucoup tenir à toi. Il m'a même demandé de te garder en vie si jamais je te croisais ! Plutôt étonnant, non ? Enfin, sauf s'il veut te tuer lui-même... »
Crachant ses derniers mots, il se pencha vers elle en dardant ses yeux globuleux dans ceux, écarquillés, de Lina.
« Tu sais, mon patron, je ne l'aime pas beaucoup. Alors si j'ai une occasion de lui faire les pieds, je la saisis. Et l'occasion vient de se présenter sur un plateau d'argent. »
Le contact de la main écailleuse à travers le tissu du pantalon de toile de Lina la fit frémir de dégoût. Elle ne voulait pas savoir ce qu'il entendait par là, elle ne voulait pas savoir pourquoi Kikoolol souhaitait la récupérer, elle ne voulait pas savoir. Tout ce qui l'intéressait à cet instant précis, c'était que le reptilien ôte sa patte.
Bien entendu, constatant sa répugnance, la créature se fit un plaisir d'accentuer la pression, et même de remonter sa main dans une caresse qui se voulait sensuelle mais qui ne parvenait à faire émettre à Lina que des jurons emplis de hargne. Elle ne parvenait même pas à se débattre, et le dégoût qu'elle ressentait venait encore de s'accentuer. Oh, comme elle se ferait un plaisir de tuer cette bestiole elle-même... Mais en attendant, elle ne pouvait faire grand-chose de plus que de jurer et cracher. Et alors qu'elle rassemblait dans sa bouche de quoi lui cracher au visage, il finit par retirer sa main, et faire quelques pas en arrière en soupirant.
« Ce serait dommage de se gâcher le plaisir, n'est-ce pas, cardinale ? Du coup je vais être magnanime. Pour que mon patron adoré tienne à toi à ce point, siffla-t-il avec un dégoût se rapprochant facilement de celui que ressentait Lina, c'est que tu dois avoir une importance cruciale dans la guerre, je me trompe ? »
Il se dirigea vers une table recouverte d'instruments, avant de s'emparer d'un à l'aspect barbare et recouvert de la même rouille que son scalpel. Lina se figea. Cette chose devait faire très, très mal si elle rentrait en contact avec la chair.
« Je vais donc te poser une question, et tu as intérêt à y répondre si tu veux rester indemne, ou si tu veux éviter à ta jolie petite elfe de compagnie de connaître une fin atroce. Alors, ma jolie. Raconte-moi. Pourquoi as-tu cette importance ? Qu'est-ce que les fameux hauts dignitaires ont vu en toi ? Et surtout quels sont les prochains lieux que ta traînée de générale tentera de prendre pour cible ? »
Un grognement fut sa seule réponse. Hors de question de larguer le moindre renseignement de son plein gré à cette espèce d'animal répugnant. Elle ne trahirait pas sa générale. Elle ne dirait rien des projets de sa reine. Et surtout pas à un sale lézard aux écailles pourries qui ne trouvait rien de mieux que de traîner au fin fond d'une forteresse de pierre noire avec des sbires en possible mutinerie. Ce dernier, constatant sa résolution, écarta les mâchoires.
« —Bien. On a tout notre temps, petite fille. Je m'en vais chercher de quoi m'occuper plus sérieusement de la jolie petite elfe, je suis sûre que l'entendre crier te déliera la langue... »
Et il sortit, sur un sifflement. Une fois ses pas lourds évanouis dans le couloir, Lina prit une profonde inspiration, satisfaite de ne plus sentir dans ses narines que de simples odeurs de villageois. Pas un cliché aux alentours. Donc, pas de gardes. C'était bon à savoir. Peut-être, si elle arrivait à s'en sortir...
Erin frémit, mais ne releva pas la tête. Lina soupira. Même sans gardes aux alentours, ils étaient quand même en une sacrée position de faiblesse. Le reptilien l'inquiétait franchement, et c'était un euphémisme. Il était hors de question qu'elle ne sente de nouveau ses mains sur sa peau, à travers le vêtement trop fin pour protéger de quoi que ce soit.
Elle grogna.
« —Erin ! Oh, Erin ! T'es avec moi ? »
L'elfe releva la tête. Elle avait les yeux pleins de colère et les dents serrées.
« —Je suis là. Comment est-ce qu'on s'évade ? Ce type commence sérieusement à me taper sur les nerfs...
—On est coincées, soupira Lina. Ces cordes ont l'air imprégnées d'un sort gèle-magie, en tout cas, je ne peux plus utiliser la mienne. Il va falloir trouver une autre solution.
—Je vois, grommela Erin. Tant pis pour mon charmant programme d'enfoncement de ma chaise dans ses fondements arrière. »
Lina plissa les yeux. Elle l'avait rarement vu aussi énervée. La dernière fois, c'était lorsqu'elle était revenue de son pays d'elfes... L'insulte de Sretaz avait sûrement plus piqué qu'elle ne voulait bien le laisser paraître. Un sourire faible se dessina sur ses lèvres.
« —Impec, on a le même programme. Trouvons une solution et allons lui faire ravaler son insulte.
—C'est pas tant l'insulte, soupira Erin, que le fait qu'il t'aie reconnue et pas moi. C'est stupide, mais avec tout ce que ça impliquait, ça reste blessant. »
Lina haussa les sourcils. C'était ça qui la préoccupait ? Comme si elle avait senti son incrédulité, Erin secoua la tête.
« Ecoute Lina, quelque chose que tu ne comprends sans doute pas, c'est que depuis le début la comparaison ne tient pas. Tu es Cardinale et Corbeau Archimage, vous êtes tous les deux originaires du coin. Moi ? Je suis une elfe étrangère, qui n'a rien prouvé du tout à un peuple auquel elle n'appartient même pas et de qui on en attend autant que vous. La pression est suffisamment immense sans rajouter ce genre de points de détail. Alors ennemi ou pas ennemi, ce lézard puant m'a donné l'impression de remuer le couteau dans la plaie, et de le savoir. »
Le silence envahit la pièce. Lina plissa les yeux. Quoi qu'en dise Erin, elle avait remarqué cet écart de pouvoir, d'ailleurs ce n'était pas la première fois que l'elfe lui faisait remarquer. Mais elle ne pensait pas que ça l'affecterait au point de prendre autant à cœur une insulte de cliché. Elle serra les dents.
« —Je sais pas trop ce que tu ressens effectivement mais s'il y a bien une chose que je peux t'assurer c'est que dans cette armée, on en est actuellement au même point. Et puis sacré nom du Créateur, on fait cette mission ensemble, nan ? Au retour, tout ce qu'on aura à faire, ce sera de raconter nos renseignements et hop, popularité égalisée. Et c'est pas dans un vieux cachot de derrière de lézard qu'on va s'en sortir. »
Son sourire se fit plus large. Elle venait de repenser à un truc.
« Eh mais au fait, on est ligotées par des cordes, non ?
—Euh. Oui, et ?
—Et ? Et les cordes, ça se ronge. »
Le visage d'Erin s'illumina. Elle venait de comprendre.
Un rapide mouvement d'épaule suffit à vérifier que leur sauveur était toujours là. Seiji se dressa sur ses petites pattes, appuyé dans le tissu, avant d'émettre un couinement d'excuse. Lina haussa les épaules. Sa dissimulation allait se révéler un atout de taille dans leur libération.
Elle inclina rapidement la tête, et la souris se dirigea droit vers les mains liées d'Erin, derrière son dos. Un petit bruit de grignotement lui apprit que Seiji venait de se mettre au travail ; s'il restait diligent, Erin aurait bientôt les mains libres. Puis elle pourrait libérer Lina et là... Bye-bye, reptilien ! Même pas besoin d'attendre Corbeau.
Erin put bientôt sauter de sa chaise, les mains libres, s'étirant avec une expression de ravissement. Il fallut encore moins de temps pour que les cordes de Lina ne cèdent, la laissant se masser les poignets avec délice. Pendant que Lina récupérait ses moyens, sa camarade s'empara prestement de la souris fière d'elle, avant de la caler sur son épaule. Elles étaient prêtes à se battre.
Bien leur prit de se dépêcher. Quelques secondes de plus et elles auraient été obligées d'affronter le reptilien s'étant précipité dans la cellule alors que Lina était encore attachée. Mais là, Lina eut tout le loisir d'invoquer un katana et de parer la première attaque d'un Sretaz fou de rage, non sans retenir un crissement de dégoût en sentant l'aura putride. Mais cette aura lui causa une demi-seconde de retard qui manqua de lui être fatale : Elle n'était pas préparée au deuxième coup de griffes du reptilien qui lui heurta le torse et l'envoya rouler au sol, le corps envahi d'une intense douleur. Elle n'eut que le temps de jeter son katana à Erin avant qu'un poids ne l'immobilise et qu'elle ne voie au-dessus d'elle l'ombre bavante du lézard humanoïde, les traits tordus par une immense colère.
« Sale petite garce, siffla Sretaz, en proie à une colère noire. Comment tu as fait pour te libérer ? »
Il eut le temps de parer la première attaque d'Erin, qui lui abattait le katana sur l'échine. Pas la deuxième. Ses écailles volèrent en éclat, lui arrachant un sifflement de douleur et laissant à Lina le temps de se dégager. Elle roula au sol, inspectant son torse : Des égratignures, visiblement. Rien de grave.
Erin lui relança son katana au moment même où elle s'était relevée, et s'était emparée de la chaise en guise d'arme. Face aux deux femmes en pleine possession de leurs moyens et blessé, le reptilien n'avait pas beaucoup d'options qui se présentaient à lui ; furieux, il laissa échapper un ultime sifflement avant de s'enfuir, les écailles de son dos se refermant déjà.
Pour un lézard, cette bestiole était drôlement rapide, se dit Lina en le voyant se carapater. Mais elle ne le laisserait pas filer aussi facilement.
« —Okay, je crois qu'on lance le plan d'attaque maintenant, sourit Erin. Seiji, tu peux descendre de mon épaule et mettre tout le bordel que tu veux, ou te planquer, au choix.
—Je m'occupe de poursuivre le lézard, sourit Lina en penchant son dos en avant. Aussi rapide qu'il soit, il ne m'échappera pas, et j'ai quelques coups de crocs à lui rendre. »
Un rire s'échappa d'entre les lèvres d'Erin avant que cette dernière ne pose la souris au sol et ne se précipite vers la sortie des cachots, sa chaise toujours en main. Une arme meurtrière à n'en pas douter, mais Lina savait que ça ne rivaliserait pas avec le jeu de crocs du tigre au pelage noir rayé de blanc dont elle venait de prendre l'apparence, et qui s'était précipité à la suite de l'elfe. Après tout, tous les chats qu'elle connaissait avaient un amour particulier pour la viande de lézard...
Le tigre bondit dans les couloirs, très vite rejoint par un congénère au pelage mordoré ; Seiji, sans aucun doute, qui avait décidé de se joindre à elle. Un grognement approbateur s'échappa de la gorge de Lina alors qu'elle commençait à bousculer les clichés qu'elle rencontrait sur son chemin, donnant des coups de dents à droite à gauche. Ils ne seraient pas trop de deux pour causer un carnage en attendant l'arrivée de Corbeau.
Et en parlant de carnage, ça oui, on pouvait aisément marquer cette bataille comme celle ou le sang coulait. Lina, pistant Sretaz au maximum de ses capacités, en profitait pour arracher tout ce qui sentait le cliché et passait à sa portée, comme des meubles, des débris vivants ou encore ces horribles tapisseries puantes. Elle s'en donnait à cœur joie, faisant ses griffes sur les murs, donnant des coups de patte aux gardes, renversant les armoires. Un vrai plaisir, se dit-elle en administrant un coup de patte à une armure qui traînait non loin. Si elle continuait dans cette direction, Corbeau n'aurait plus rien à faire.
Une prophétie qui malheureusement pour elle ne se réalisa pas. Un jet de glace lui coupa la route, jaillissant d'un couloir, et sa source, l'archimage, le suivit d'un pas précipité. Il avait la main gauche tendue devant lui en signe de défense, prêt à faire jaillir un nouveau geyser ; mais se détendit en voyant le tigre noir le fixer du regard.
« —Lina, parfait ! J'ai déjà dit à Erin de sortir, on prépare un sort pour abattre cette forteresse ! Je n'ai pas d'archives à récupérer par pur hasard ? »
Elle réfléchit rapidement, puis secoua la tête. Non, elle n'avait pas entendu parler d'archives, de plus elle ne voyait pas ce qu'ils pourraient apprendre de plus par ce moyen. Les informations livrées par Sretaz étaient déjà suffisamment conséquentes, de même que préoccupantes.
Corbeau, voyant le mouvement de tête du tigre, hocha à son tour du menton.
« —Parfait. Sors de là en vitesse, et emmène Seiji si c'est lui le tigre que je vois derrière toi ! Dès que je serai en dehors de la forteresse, ce sera le signal pour que les mages lancent leurs sorts, nous sommes bien d'accord ? »
Un nouveau bataillon de clichés empêcha Lina de répondre. Corbeau leur balança un nouveau jet de glace, laissant à Lina et Seiji une immense ouverture parfaite pour prendre la fuite. Opportunité aussitôt prise. La menace du sort de destruction était bien plus grande que l'opportunité de capturer voire croquer Sretaz.
Lina se mit à courir dans les couloirs, les crocs sortis, prête à casser la croûte sur des os de cliché. Pour tout recracher après, évidemment ; sa part animale avait des limites, tout de même, et elle n'était pas franchement fan de l'anthropophagie. Elle se sentait prête à déchiqueter tout ce qui passait à sa portée. Mais un mouvement dans un coin du couloir qu'elle traversait attira son attention, et elle se retourna dans la direction de ce mouvement pour voir un bad boy tremblant lever son arme à feu devant lui, les mains tellement agitées de tremblements que presser la détente relevait du miracle.
Elle plissa les yeux. Pourquoi ce bad boy en particulier lui disait quelque chose ? Habituellement, les clichés étaient plus oubliables que les cafards qu'elle écrabouillait quotidiennement dans sa tente. Mais c'est lorsqu'elle se jeta sur lui et lui ouvrit la poitrine d'un coup de griffes puissant qu'un sourire amical se présenta à sa mémoire, et qu'elle reconnut le bad boy qui avait indiqué à Erin la direction de la salle d'armes.
Etrangement, tuer ce cliché-ci ne lui apporta pas la moindre satisfaction. Si bien qu'elle laissa son cadavre derrière elle sans ajouter le moindre coup de patte symbolique, une expression terrifiée figée sur des traits morts ne cessant de s'afficher devant ses yeux.
Les forteresses clichées étaient parfois labyrinthiques, mais Lina et Seiji n'eurent point trop de mal à retrouver la sortie, suivant la piste de l'odeur d'Erin. Ils étaient suivis par Corbeau, qui courait de toute la vitesse de ses jambes de voyageur et couvrait leur sortie à grand renforts de jets de glace ; des hurlements d'agonie de clichés accompagnaient chacun de leurs pas. Enfin, les deux tigres franchirent la herse d'un bond synchronisé, et Lina roula au sol sous sa forme habituelle, alors que Seiji fonçait dans un buisson. Il se passa un peu de temps avant qu'il n'en ressorte, sous sa forme humaine et vêtu de pied en cap, le même moment où Corbeau débouchait de la forteresse.
Ce fut le signal que les mages en extérieur attendaient. Lina vit s'allumer autour du château une bonne dizaine de pentacles, et n'eut que le temps d'entendre une incantation en wattpadien ancien avant que le château cliché n'explose, puis que le moindre de ses débris ne soit réduit en poussière, puis cendres, puis cristaux de glace. Il ne restait plus rien de la forteresse noire dominant la clairière de sa grandeur et de son incongruité. Plus même trace du moindre cliché vivant dedans, à part quelques cadavres échoués sous les ruines.
Un soupir de Corbeau lui fit aisément comprendre ce qu'il pensait de ce carnage. Il n'avait visiblement pas souhaité que les sorts prennent une telle ampleur et Lina le comprenait : La forteresse rasée à ce point, on ne pouvait plus rien en tirer, et encore moins vérifier si Sretaz était encore en vie. Mais la vision des corps traînant sur le sol, ne dégageant plus la moindre odeur ni la moindre aura, lui fit voir un peu flou. Des corps comme les autres... C'aurait pu être les soldats, ensevelis sous les ruines. C'aurait pu être ses proches.
« —Quelle pitié, soupira Seiji, qui s'était rapproché d'elle. C'était vraiment nécessaire d'en arriver aussi loin ? »
Et cette fois, Lina ne sutque répondre.
____
JE
SUIS
UN
BOULET.
Ca fait quand même quatre jours que j'aurais dû poster ce chapitre et moi comme une conne j'ai zappé... Alors que j'ai rien d'autre à branler en plus ces temps-ci !
Pur boulet moi je dis.
Enfin c'est pas tout ça, mais il est enfin là le chapitre ! J'espère qu'il vous aura plu au moins, pour me faire pardonner du retard. Ah, et, si vous voulez taper Sretaz, ne vous gênez pas. C'est le pur cliché punching-ball.
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