Chapitre 6, partie 3
Le donjon était toujours clos, porte à peine éraflée par l'explosion et probablement l'impact de centaines de débris, d'une impeccabilité agaçante. À côté d'elle, Erin, qui venait de la rejoindre, grommela, les lèvres serrées et les sourcils froncés.
« – Je ne sais pas si c'est le pouvoir de ces Deus ex Machina dont vous nous avez parlé en réunion ou une protection magique qui fait tenir cette satanée tour mais une chose est sûre, elle tient. »
Lina hocha doucement la tête, une expression identique à celle d'Erin sur le visage. À la différence qu'elle, elle réfléchissait. Quoi que ce soit, cela ne serait certainement pas franchi par des moyens conventionnels. Mais les éraflures sur la porte l'interpellaient. La protection avait forcément une faille, quelle qu'elle soit. Mais comment la trouver, sacré nom du Créateur, ça, c'était une toute autre histoire! Ça pouvait être n'importe quelle connerie, des affinités magiques à un seuil de puissance maximum, ou alors une barrière de protection temporaire qui ne pouvait recevoir qu'un certain taux de dégâts avant de disparaître... Vraiment, cela pouvait être n'importe quoi, et les n'importe quoi, ça n'ouvrait pas les portes à des soldats assoiffés de sang, songea Lina avec amertume.
Elle se triturait la tête depuis déjà deux bonnes minutes lorsqu'une voix forte et grave retentit dans les rangs des soldats, faisant se retourner tout le monde sous le coup de la surprise. La métamorphe elle-même, ressentant une soudaine vague de pouvoir, sortit de sa réflexion dans un sursaut, pour voir les rangs s'écarter sur un homme de haute stature au maintien très noble, les longs cheveux bleu océan se rattachant dans son dos en une queue de guerrier. Son air sévère et son maintien particulier détonait au milieu des petits soldats crispés sous leurs blessures, en position d'attaque et l'air plus épuisés et apeurés qu'autre chose devant lui.
L'homme sourit à Lina avec une touche d'arrogance, et se remit à parler, cette fois de façon suffisamment intelligible pour qu'elle l'entende, planté devant elle comme devant un égal. Ce qui la surprit assez. En effet, la position du regroupement de soldats et leurs regards vrillés sur elle en attente de solution, ainsi que sur Corbeau et Erin qui étaient à côté, indiquaient très clairement son statut de leader.
« – Il m'est avis que vous avez besoin d'aide pour briser cette porte? »
Erin chuchota à l'oreille de la métamorphe quelques mots d'étonnement sur l'air sûr de lui abordé par l'indubitable étranger. Cette dernière hocha la tête, de façon imperceptible, mais leva néanmoins ses yeux vers l'homme, qui la dépassait d'au moins deux bonnes têtes.
« – Vous savez comment faire?
– Direct, j'aime, sourit l'homme. En effet, je pense savoir. Ce n'est rien de plus qu'une protection avec un seuil de puissance, seuil que je peux largement dépasser. »
Sa voix transpirait la confiance et une touche d'arrogance, ce qui fit grincer légèrement des dents Corbeau, resté en retrait pour analyser la porte. Mais comme à son habitude, ce dernier se tut. Et laissa Lina s'écarter de la porte d'un rapide pas de côté, l'air trop pressée d'en finir pour se préoccuper de ce que cet individu inconnu faisait ici. Devant son geste, très équivoque de ses intentions, les yeux brun sombre de ce dernier pétillèrent d'amusement, et il s'avança dans l'espace que les trois assistants généraux lui avaient laissé.
« – Si je puis me permettre vous devriez reculer davantage, messieurs et mesdemoiselles. Les déflagrations pourraient vous blesser encore davantage. »
Ce fut le tour de Lina de grincer des dents et de garder son agacement pour elle, mais elle ne pouvait nier la logique de l'homme. Si une explosion de machinerie mortelle, qui avait tué voire déchiqueté des êtres vivants, avait laissé le donjon dans un état convenable, elle ne voulait pas imaginer la puissance nécessitée pour briser la porte. Un espace de vingt bons mètres fut donc laissé entre l'armée et l'homme, qui hocha doucement la tête et leva un bras couturé de cicatrices. Une lance vibrant d'électricité y surgit, se calant dans son poing avec la perfection qui sied aux armes les plus travaillées. Erin ne put retenir un sifflement d'admiration devant la facture de l'objet, qui outre d'une beauté fatale semblait doté d'un tranchant hors pair, et faisait trembler l'air autour d'elle à cause de la magie qui s'en dégageait.
L'homme leva son arme, pointe dirigée vers le centre de la porte, là où se trouvait la plus grande des éraflures. Et, d'un mouvement vif, envoya la lance s'enfoncer dans la faille, où elle y déchargea toute son électricité dans une déferlante d'énergie. La brusque augmentation de concentration de magie dans l'air généra une onde de choc, mais cette fois ils y étaient préparés, et l'immense bouclier de glace érigé par Corbeau absorba la déferlante, avec difficulté, certes, mais laissant les soldats indemnes.
Les seuls dégâts causés par la lance furent ceux visés, comme le prouvait les morceaux de bois de la porte étalés sur le sol dans un bain de copeaux. L'arme disparut de nouveau sous le regard satisfait de l'homme, et le bouclier le suivit de suite après, fondant et imbibant la pierre d'humidité sur une injonction de Corbeau. Satisfaite, Lina se dirigea vers leur possible nouvel allié, un sourire aux lèvres et le katana pointé vers le sol. Ce dernier se retourna en l'entendant approcher, mais n'eut pas le temps de parler : La jeune femme avait pris l'initiative, accompagnée d'un mouvement de bras.
« – J'ai pas mal de questions à vous poser mais pour l'heure je dois finir de nettoyer cet endroit. Corbeau, Erin, vous venez? »
Elle n'attendit pas le hochement de tête approbateur de l'homme avant de se précipiter dans les escaliers, suivis de ses deux compagnons qui en passant lui jetèrent un regard, curieux pour Erin, inexpressif pour Corbeau.
Les marches étaient très nombreuses, et la plupart des salles étaient étonnamment vides selon Lina, qui s'étonnait presque du manque de clichés laissés à l'abri. Mais il était vrai que la plupart des lâches ne se seraient sûrement pas cachés dans les bastions les plus exposés et les plus faibles. Elle avait probablement anéanti quelques héros pleins de fausses bonnes intentions, sans une once de peur ni de faiblesse. Tant mieux, ce genre de platitude n'avait pas sa place dans le royaume de Wattpadia.
Finalement, ils arrivèrent à la dernière pièce du donjon, la plus haute de toutes. Fermée à clé, remarqua Erin en actionnant la poignée. Mais ce ne fut pas un problème pour Lina cette fois. Bien entendu, celui qui dirigeait ce bastion n'avait pas été suffisamment intelligent pour protéger aussi sa porte, et sa répugnante aura traversait même le bois maigre, qui représentait sa dernière défense. Il suffit à la métamorphe de sortir son katana pour envoyer valser les planches en morceaux d'un habile mouvement de poignet, laissant le champ libre aux trois compagnons.
Derrière la porte, le dos tourné comme les pires méchants de films face à leur défaite, se tenait non pas un mage en longue robe noire, pas plus qu'un chef de guerre véreux, mais un garçon tout ce qu'il y a de plus normal, du moins si on exceptait les vagues chargées de pestilence pure qu'émettait son aura. La pauvre Lina était sur le point de vomir, se raccrochant de toutes ses forces à son pendentif comme à une protection, le visage blanc comme un linge. Ce gamin, sans doute âgé de moins de dix-huit ans, dégageait malgré tout la pire aura qu'elle avait jamais sentie de toute sa carrière dans les ordres; Sans aucun doute il devait faire partie de la pire espèce des clichés, les gars répugnants juste pour être répugnants, sans autre but ni envie que de blesser, de faire le mal, de répandre son venin. Des clichés de force très basique, certes, mais horriblement destructeurs pour leurs ennemis héréditaires de par leur seule force, leurs émanations déformant le tissu même de la logique et de la raison.
Sans doute Corbeau et Erin y étaient-ils moins sensibles qu'elle vu qu'eux conservaient un visage relativement détendu, mais sa réaction de pur dégoût ne leur échappa pas et ils se tournèrent vers le cliché avec un œil nouveau, teinté de mépris, alors que ce dernier prenait la parole. Sa voix manqua de faire rendre son entrecôte à Lina, tant elle charriait la puanteur des clichés. Comment une simple voix de basse, d'adolescent tout ce qu'il y a de plus normal, pouvait-elle à ce point empuantir l'atmosphère? C'était à ne plus rien y comprendre.
« – Tiens tiens, voyez-vous ça... Des ennemis.
– Tu n'as pas mieux à faire que de nous imposer tes discours plats? Gronda Erin. Tu nous donnes la nausée, saloperie. »
Le gamin se retourna aux mots de l'elfe, dévoilant un visage recouvert d'un duvet dont il devait tirer grande fierté malgré ses joues rondes d'enfant, doté d'un nez de taille un peu trop respectable qui déformait l'ensemble. Il fixa Erin avec amusement, alors que Lina, combattant la répulsion qui l'envahissait de plus en plus, levait son katana, prête à s'approcher de lui. Pareille abomination ne devait pas vivre. Il allait rendre la famille royale malade. Peut-être même avait il le potentiel pour tuer sur le coup certains des princes et princesses avec sa simple présence, brisant tant leurs auras que ça en deviendrait irréversible. Raison, Logique, Grammaire, Originalité, la pauvre petite Originalité... Il fallait empêcher ça. À n'importe quel prix.
Sans remarquer le mouvement de Lina, l'adolescent continua à rire grassement, arrachant une grimace de dégoût même à Corbeau.
« – Mais c'est que vous êtes mignonnes en plus! Même si évidemment avec ma chance vous êtes sûrement lesbiennes ou un truc du genre... C'est con hein, ces temps-ci, toutes les filles bonnes sont homos! »
C'était tout juste si la bile concentrée dans l'estomac de Lina n'en rejaillissait pas sur le sol. Outre l'aura fétide pesant sur chacun de ses mots, le garçon avait des idées tellement répugnantes que sa résistance s'effritait à vue d'œil. À côté d'elle, Corbeau s'était figé, et Erin, folle de rage, sifflait, tout en levant son épée:
« – Va te faire foutre avec ton homophobie de merde, sale fils de pute.
– Eh! » S'exclama le gamin, pas gêné pour deux sous par la menace de l'arme. «C'est super susceptible les anomalies de la nature dis-donc, on s'calme les social justice warriors! Reconnaissez au moins que c'est pas natur.... »
Il n'eut pas le temps d'en dire plus. La résistance de Lina était arrivée à son terme et sa dernière syllabe s'évanouissait à peine dans l'air que le corps malingre avait été étêté et démembré avec une sauvagerie incroyable, le tout en seulement un quart de seconde. Détaché du tronc, le crâne roula au sol sans même avoir eu le temps de pousser un hurlement, une expression à mi-chemin entre la terreur et la confiance amusée typique du dragueur de première encore crispée sur le visage, alors que son bourreau se redressait, complètement recouverte de sang pestilentiel, les yeux fous, haletant sous l'effort brusque qu'elle avait dû fournir pour faire son œuvre en passant outre sa répugnante pestilence. Cette dernière cracha sur le cadavre avec mépris avant de grommeler, animée par le mépris et la colère :
« – Pour info, nous n'étions pas disponibles pour que tu perdes la pucellerie dont vous autres les brutes de décoffrage avez si honte. Amuse toi bien dans l'Autre Lieu, si ta vulgaire vie y a accès. »
Sur ses mots, elle se retourna vers ses deux compagnons, encore sous le coup de son accès de colère, pour écarquiller les yeux devant leurs traits, étrangement figés. Corbeau avait ajouté une pointe de dégoût dans son habituel air inexpressif, tandis qu'Erin fixait le cadavre au sol avec des yeux vides. Il fallut à la métamorphe un peu de temps pour reprendre ses esprits, temps durant lequel elle se demanda ce qui leur arrivait. Du moins jusqu'à ce que la légère brume qui obscurcissait ses capacités de pensée disparaisse, et qu'elle ne fixe les restes humains, la chair déchiquetée et les membres arrachés avec un œil nouveau. L'œil du tueur sans scrupules qui se rend compte qu'il est démasqué.
Elle s'en serait donné des gifles intérieurement. Avoir passé tant d'années à travailler sur cette part d'elle-même sans la moindre pitié, l'avoir dissimulée même à ses proches les plus chers afin d'être acceptée, tout ça pour ruiner tant d'efforts qui avaient porté leurs fruits pour le simple plaisir de faire taire un cliché. Tout ça pour se faire fixer par ses camarades, des gens qu'elle allait probablement garder pendant très longtemps à ses côtés, avec des yeux dégoûtés qui elle en était sûre l'avaient ciblée, elle. Ça la faisait se crisper en entier rien que d'y penser.
Sans dire un mot, et avant que Corbeau ou Erin n'ait pu ouvrir la bouche, elle sortit en coup de vent, sans prendre la peine de nettoyer le sang qui la recouvrait. Elle ne voulait pas d'insultes. Ce n'était vraiment pas le moment.
De retour dans la cour, elle eut la surprise de trouver l'homme de tout à l'heure, seul, passant son doigt avec affection sur le tranchant de la lame d'une épée. Le fourreau de cette dernière pendait à sa ceinture, très simple, mais semblant de bonne qualité. Entendant ses pas furieux claquer sur le sol, l'homme releva la tête, et écarquilla les yeux à la vue de la quantité de sang sur ses vêtements, d'un rouge criard sur le cuir noir de sa veste. Mais il eut la décence de ne rien dire, attendant que Lina ne lâche une petite phrase explicative, constituée en tout et pour tout d'un « Y'avait beaucoup de ménage à faire là-haut » marmonné avec une certaine hargne, pour se détendre complètement.
La jeune femme s'assit à ses côtés et fit disparaître son katana ensanglanté, qu'elle avait gardé dans la main tout ce temps, avant de se tourner vers l'étranger, une façade de calme olympien pas du tout représentative des pensées qui l'agitaient intérieurement sur son visage.
« Donc.Qu'est-ce que vous faites ici et pourquoi nous avoir aidés. »
L'homme se rengorgea quelque peu, et engagea ses explications de sa voix grave. Le son empreint de badinerie si déplacée sur un champ de bataille calma un peu Lina, l'aidant à se distraire des regards de ses deux compagnons. Ces regards tellement... Ah, elle refusait d'y penser à nouveau.
« – C'est assez simple en fait. Je suis un mercenaire, homme de la mer en voyage. Sauf que ces temps-ci, il n'y a plus vraiment de coin agréable sur la grande bleue, ce qui m'a motivé à traverser les terres pour rejoindre des contrées inexplorées. Et, en passant par ce coin, j'ai senti une aura d'une telle répugnance que je n'ai pas pu aller plus loin. Vous devez sûrement avoir senti ça, vous aussi. »
Lina fronça les sourcils. Bien sûr qu'elle l'avait senti, c'était l'aura des clichés. Mais seuls les prêtres du saint Créateur étaient en mesure de la percevoir, et ce type n'avait assurément pas le profil de l'emploi. De plus, elle ne sentait pas la moindre trace de pendentif sacré sur lui. C'était assez étrange. Elle hocha néanmoins la tête, se disant qu'elle pouvait toujours le questionner plus tard.
« Bien, reprit l'homme. Cette aura me bloquait donc le passage, ce qui m'énervait passablement. Je devais emprunter des chemins contournés pour rejoindre le domaine maritime, et c'est en passant par ici, surmontant ma répugnance, que j'ai brusquement senti l'aura diminuer. Ma curiosité naturelle a fait le reste. Quant à savoir pourquoi je vous ai aidés... Ces choses sont suffisamment dégoûtantes pour agiter mes sens, et j'ai supposé que purifier cet endroit ne serait pas une trop mauvaise occupation. Je pense avoir tout dit. »
Il avait beau conclure, Lina avait encore quantité de questions à lui poser. Mais un petit reste de convenances dans son esprit lui fit se souvenir que si l'homme était un allié potentiel, se présenter, et présenter la cause, ne serait décidément pas de trop. Elle étendit donc sa main dans un geste universel de présentation.
« – Ça tombe bien, c'est notre boulot. Je me présente, Lina Blackheart, voyageuse inter-univers et générale de l'armée de Wattpadia. »
L'étranger sourit et la lui serra.
« – Enchanté. Moi, c'est le Capitaine Azul, hybridé dragon. »
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Chapitre 6 bouclé!
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