Chapitre 6, partie 2
Enfin repue, la cardinale reposa son couteau, s'essuya la bouche avec un torchon qui traînait non loin sur la table et se retourna vers les trois autres en haussant les sourcils.
« – Alors?
– Alors quoi? » Demanda une Sky surprise, qui elle n'avait pas fini de manger.
Son interlocutrice haussa les épaules et s'appuya contre sa chaise avec une nonchalance feinte. Seuls ses poings serrés trahissaient une certaine nervosité.
« – Alors on fait quoi? Vous avez bien dû discuter après la reprise de la ville que je viens de nettoyer. C'est quoi le plan, on a quoi de nouveau, et cetera, et cetera? »
Corbeau regarda Erin, et les trois se tournèrent vers Sky en attente d'informations. Cette dernière finissait de mastiquer lentement sa bouchée, l'air concentrée sur chacun de ses gestes, avant de repousser sa chaise avec délicatesse et d'aller chercher une carte, qui à défaut de pouvoir être étalée sur la table encore encombrée de nourriture trouva sa place sur un des lits.
Lina se pencha vers la carte et écarquilla les yeux. Tant de croix rouges, et si proches de la capitale... A en croire l'air sombre de Sky ces marques ne montraient pas les principales places fortes de l'armée. Impression qui se confirma lorsque la métamorphe repéra, à l'est du campement, la ville qu'ils avaient reprise marquée de blanc.
« – Ces croix rouges, ce sont les bastions clichés que nous avons réussi à repérer. Que ce soit avec les renseignements de Miya ou les rapports des autres soldats. Et encore, je ne suis pas sûre qu'on ait réussi à tout localiser. Oui, c'est alarmant. Oui, il va falloir qu'on s'en occupe vite avant que le pouvoir de la capitale ne soit entièrement rogné et qu'il y ait une nouvelle victime. Oui, vous êtes de nouveau mobilisés. »
Soupir collectif des trois larrons. Ce n'était décidément pas la fête, une guerre. Mais malgré tout, Lina ressentait une pointe de joie sauvage à l'idée d'aller de nouveau casser du cliché. Ces sales bestioles avaient assez profité du don de la vie qui leur avait été accordé.
Attrapant son katana à une main et sa veste de l'autre, elle se prépara rapidement, démontrant un enthousiasme que tout son sarcasme n'aurait pas réussi à cacher, sous les yeux des trois autres plus ou moins surpris. Sky souriait.
« – Bon ben alors, quand est-ce qu'on y va, sacré nom du Créateur? »
Ses compagnons hochèrent la tête. Traîner ne servait à rien dans pareille situation.
Le voyage vers le second bastion à reprendre fut court. Sky avait choisi celui qui paraissait à la fois le plus près d'eux et de la capitale, afin de mettre un minimum d'efforts pour un maximum de résultats. Bastion assez peu important, simple fortin qu'il était, il ne devait pas contenir plus de mille clichés, ayant pour seul intérêt stratégique sa position dans Wattpadia. Position idéale si Kikoolol ou n'importe lequel de ses autres chefs décidait de camper en attendant de lancer une offensive massive sur Wake'li, ou d'atteindre le palais et par conséquent les monarques. Mais il y avait autre chose qui stressait Lina, en plus de la bataille à venir. Aujourd'hui, devant l'armée, ils n'étaient que trois.
La générale avait choisi de rester dans sa tente, sous prétexte de recevoir des informations qui devaient lui arriver de ses espions. Un prétexte logique en vérité, mais qui ne suffisait pas à atténuer l'angoisse de la jeune femme lorsqu'elle leur avait transmis le commandement de l'offensive. Erin, à côté d'elle, semblait tout autant perdue. L'une comme l'autre n'avait jamais vraiment mené une bataille, et surtout pas au poste de chef suprême.
L'elfe rapprocha un peu son visage en lissant le fin duvet au bout de ses longues oreilles spécifiques de sa race, et chuchota dans l'oreille de Lina, la voix crispée par le stress :
« – Tu sais diriger une armée toi? »
Cette dernière secoua la tête et émit un petit gémissement étranglé.
« – La seule chose que j'ai jamais commandé c'est des prêtres, et en petit nombre, pas plus de cent... Là on parle de dizaines de milliers de soldats aguerris qu doivent flairer notre inexpérience à des kilomètres! »
Contente de voir que la métamorphe partageait ses craintes, Erin eut un petit sourire un peu faux, taché par l'inquiétude. Commander n'était pas dans ses habitudes à elle non plus, sans aucun doute. Mais ça ne résolvait pas vraiment le problème. Qui allait mener l'armée? Sky avait certes un plan tout préparé, mais il fallait un leader au cas où ça tournait mal. Quelqu'un qui prendrait les décisions pour eux, empêcherait l'offensive de tourner à la débandade. Mener était bien plus difficile qu'il n'y paraissait, Lina, haut placée dans son église, le savait mieux que personne.
La jeune femme ne remarqua le silence qui émanait de la position censée être occupée par Corbeau que lorsqu'une voix étonnamment forte et très reconnaissable leur parvint des rangs des soldats.
« – Vous avez compris le plan? Eh bien en marche! »
Une clameur répondit à l'injonction, forte et emplie de motivation, alors que le cryomancien sortait des rangs et se dirigeait vers les deux filles d'un pas digne, le visage toujours aussi inexpressif. Ses deux cadettes le fixèrent avec soulagement et une légère pointe d'admiration le temps qu'il arrive vers elle et qu'une ombre de sourire se dessine sur son visage pâle.
« – J'ai une petite expérience dans le commandement, ayant géré une confrérie. Faut croire que ça suffit pour les soldats. »
Ravie, Lina s'autorisa un sourire. Elle n'appréciait pas plus que ça son camarade et allié, le trouvant trop mêle-tout et insensible, mais au moins elle savait qu'elle pouvait s'appuyer sur lui en cas de besoin. Du moins jusqu'à ce qu'il chuchote, juste assez fort pour n'être entendu que de la voyageuse et de l'elfe qui se regardaient en souriant :
« – Du moins en espérant qu'il n'y ait pas d'imprévu. Je n'aime pas établir des plans pour une armée entière. »
Et qu'il fasse s'effondrer leurs expressions détendues aussi vite qu'un soufflet raté. Tout compte fait, il était aussi paumé qu'elle, se dit Lina en grognant pour elle-même. Tant pis. Il lui faudrait apprendre sur le tas. Sinon elle serait réduite à se reposer entièrement sur leur supérieure et le Créateur sait à quel point cette idée la rebutait, elle, l'indépendante de première catégorie.
En attendant, il lui appartenait visiblement de donner le signal, à en croire l'immobilité de ses deux compagnons. Elle se dirigea vers le premier rang de l'armée et leva haut son katana, qui capta un rayon de soleil, brillant suffisamment pour attirer l'attention d'à peu près tous ses nouveaux subordonnés.
« – Prêts? »
La clameur qui avait accueilli l'injonction de Corbeau retentit de nouveau, encore plus forte, encore plus excitée, preuve de leur avidité à verser le sang de nouveau, couvrant la voix claire de leur chef du jour, en position d'attaque. De leur côté, les deux autres se mirent en position pour charger sur les portes du fortin, arme en main pour Erin, tandis qu'un courant froid se dégageait par tous les pores de la peau de Corbeau.
Un silence plana quelques secondes, faisant peser sur l'armée une tension impossible à oublier. Le régiment entier était tendu comme un seul homme, fixé dans son entièreté sur l'objectif le plus proche, les portes du fortin, la dernière protection de l'ennemi. Ce furent quelques secondes qui passèrent à grande vitesse, mais dont chacun pouvait en ressentir le poids sur ses épaules. Les dernières secondes avant la bataille.
Et puis Lina abaissa le katana avec un immense cri de guerre, et tout explosa.
L'armée située devant la porte principale fonça avec force hurlements enragés sur son objectif, bélier en première position, tandis que la cardinale, en tête, se métamorphosait en aigle géant et attrapait entre ses serres ses deux compagnons, pour traverser en coup de vent le no man's land délimité par la portée des archers ennemis, esquivant les flèches à grand renfort de boucles aériennes, ses yeux devenus globuleux fixés sur son seul et unique objectif : Les remparts.
L'enfer se déchaîna lorsque Corbeau et Erin touchèrent le sol. Le premier ne perdit pas de temps pour geler tous les environs, immobilisant les archers, tandis que l'elfe les achevait d'un coup d'épée à travers la coque glaciale. Lina quant à elle, avait foncé sur ce qui lui paraissait être des rayons de la mort, énorme imprévu de la bataille, qui tiraient à répétition des lasers rouges sang. Ces armes, d'un classique étonnant quoique peu meurtrières pour l'archétype auxquelles elles étaient rattachées, fauchaient soldat sur soldat sur le passage de l'onde, ne laissant d'eux qu'un petit tas de cendre et, parce qu'on est chez les clichés, un casque ou deux. Une énorme gêne pour qui est à l'extérieur. Par contre, pour un ennemi infiltré, ces machines en toute vraisemblance issues d'une part corrompue de la place Science-fiction devenaient une simple cible, facile certes mais prioritaire sur tout le reste.
La jeune femme ne perdit pas de temps à comprendre le mécanisme des rayons mortels et décida de parier sur la solidité du métal saint de son katana. Pari gagné: Le premier des rayons se fendit en deux et cessa de tirer, et la métamorphe prit parti de ses temps de réaction effarants pour le projeter dans la cour avant qu'il n'explose, deux secondes plus tard. Une détonation assourdissante mais localisée la projeta contre les murailles, lui arrachant un hurlement de douleur : La pierre avait cogné l'endroit du dos qu'elle s'était blessée la veille, qui malgré des soins ma foi fort corrects de la par des infirmiers la faisait encore souffrir. Mais la douleur n'était rien comparé à la satisfaction de voir le sang jaillir en contrebas dans une véritable fontaine de rouge, alors que la chair déchiquetée ornait désormais les remparts de la muraille. Un véritable concert de hurlements prit sa source dans le lieu de l'explosion, la faisant sourire encore plus, envahie par la satisfaction d'avoir éliminé une bonne partie des ennemis.
Plus loin, derrière un bouclier de glace fissuré et planté de débris organiques et minéraux, Corbeau et Erin levèrent la tête, à peu près indemnes. Seule une plaie très profonde sur la joue d'Erin se faisait remarquer, dégoulinant de rouge, tachant ses vêtements, mais cette dernière ne semblait pas tellement s'en préoccuper, puisqu'elle se jeta de nouveau dans la bataille sans prendre le temps d'essuyer le sang. Corbeau lui, fit disparaître son bouclier de glace et bondit sur les deux autres rayons de la mort, les congelant immédiatement jusqu'au cœur de la machine.
L'explosion avait soufflé la porte déjà bien enfoncée par les béliers et Lina, toujours sur les remparts, put admirer la marée vivante que constituaient ses soldats envahir la cour toujours ensanglantée et détruite par l'explosion du rayon, marchant sans aucune considération et même une pointe de satisfaction féroce sur les restes des clichés qui y vivaient. La jeune femme s'empressa d'aller les rejoindre, prête à investir le donjon, encore debout par on ne savait trop quel miracle. Probablement une protection divine. Chemin faisant, elle envoyait valser avec le plus grand plaisir les morceaux de chair qui bloquaient son chemin, sans même tiquer à la vue de la petite main d'adolescente de treize ans maximum sur laquelle elle venait de marcher. Un cliché restait un cliché, et une bonne abomination est une abomination morte.
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