Chapitre 6, partie 1

L'aube se levait à peine dans le ciel, illuminant les alentours de sa lueur rosée, que Lina était déjà aux abords de la capitale, enveloppée dans une large robe de cérémonie blanche bordée de bleu, et un bâton de prière en bois d'ébène serré dans sa main crispée.

C'était un passage obligé après une extermination de clichés. Il fallait purifier les lieux où ils étaient passés, les débarrasser de leur aura répugnante, afin que personne ne se retrouve contaminé par leur impureté. Et cette tâche était conférée aux prêtres du Créateur qui se trouvaient sur les lieux. Lina, en tant que leur cardinale, avait été choisie pour mener la cérémonie de purification. Aucun archevêque, ses supérieurs directs et leaders de la branche communicante de l'Église, n'étant sur place, il fallait bien quelqu'un pour diriger le rituel, après tout. C'était une tâche qui la rendait très fière, une contribution supplémentaire à cette guerre, et pas des moindres.

Ressassant les souvenirs de la bataille d'hier, la jeune femme leva lentement sa main vers sa radio. Un objet approuvé par bien peu de prêtres car provenant tout droit d'une avancée de la place SF que Wattpadia n'avait pas encore complètement rattrapée dans son ensemble, mais qui avérait son indéniable utilité dans la situation présente. En effet, pour dessiner le cercle incantatoire, les cinquante prêtres avaient dû se répartir dans un large périmètre et ne pouvaient pas communiquer par la voix ni les signes, la radio restait donc le seul moyen fiable de coordonner l'immense opération. Appuyant de deux doigts sur le bouton de communication, Lina demanda confirmation à ses actuels subordonnés sur leur position, hochant la tête avec une grande satisfaction à chaque fois que l'un d'eux confirmait. Ils étaient tous en place. Enfin. Le rituel allait pouvoir commencer.

« – Parés? Je commence et vous me suivez.

– Oui Cardinale! »

Elle sourit. Il était temps de s'y mettre.

La Cardinale écarta grand les bras et se mit à psalmodier une très ancienne formule en vieux Wattpadien, bientôt reprise pas quarante-neuf autres voix qui chantaient à l'unisson l'incantation ancestrale. Une douce lumière émana de son pendentif et de son bâton de prière, se répandant sur son corps entier en caressant doucement sa peau à découvert. La sensation en était enivrante. Bientôt, Lina se sentit flotter dans une bulle de bien-être générée par la magie qu'elle mobilisait, les yeux fermés et un grand sourire aux lèvres alors que l'incantation sortait de sa gorge avec un automatisme de plus en plus marqué.

La sensation était délicieuse, un pinacle de bonheur. La jeune femme ne sentait plus son corps, son esprit se perdait au milieu de la magie générée, cherchant instinctivement à explorer plus en détail ce plaisir, en découvrir tous les aspects, toutes les subtilités. Savoir si il était possible de passer de ce sentiment de sécurité, l'impression d'être blottie dans les bras de quelqu'un qu'elle adorait, à l'abri dans sa chaleur humaine, pouvait se muer en quelque chose d'encore mieux. Abandonner son corps, ne faire qu'un avec la magie. Atteindre l'état d'éveil ultime.

Son âme commençait à s'ancrer la question au plus profond d'elle-même, se détachant presque de son corps avec une délicatesse des plus jouissives. Mais une soudaine douleur au bas de ce qui semblait être son dos ramena brusquement la cardinale à la réalité, alors qu'elle avait pratiquement abandonné sa conscience. Celle-ci revint en claquant presque dans son corps, toujours campé, droit comme un I, devant la porte de la ville, bras écartés et solide sur ses pieds. La jeune femme secoua la tête intérieurement, se morigénant d'avoir laissé son esprit dériver dans le fleuve de magie, et se concentra avec encore plus de force, faisant regagner en vigueur l'incantation.

La ville était illuminée d'une intense lumière blanche, qui envahissait les bâtiments et se réverbérait sur le visage des prêtres présents, qui arboraient des expressions allant de la concentration à la pure extase. Quelques corbeaux, surpris par la luminosité et la brusque concentration de magie aux alentours, s'envolèrent des toits de la cité, laissant échapper quelques plumes dans un concert de croassements paniqués. Certaines d'entre elles vinrent effleurer le visage de Lina, alors que les oiseaux noirs comme la nuit passaient au-dessus d'elle dans leur fuite.

La lumière mit un peu de temps avant de finalement s'atténuer, laissant les bâtiments de la ville, intacts, quoiqu'un peu plus brillants et d'apparence plus propre. La cardinale baissa les bras, imitée autour d'elle par quelques prêtres, la sueur ruisselant le long de son visage et le bas du dos en feu. Le rituel avait pompé toutes ses forces et ses capacités de concentration, et il était évident qu'elle ne pourrait pas participer au moindre conseil stratégique ce matin.

Attrapant une serviette que lui tendait un obligeant soldat non loin, la jeune femme s'essuya le front, ébouriffant ses mèches rebelles et plaquant trois épis égarés sur sa tête. Épis qui ne tinrent pas très longtemps plaqués sur son crâne, et rebiquèrent aussitôt la serviette dans les mains du soldat. Avec des gestes brusques, elle se débarrassa également de sa robe de cérémonie, révélant en dessous un T-shirt et un pantalon de cuir noir, et la balança à un autre prêtre, avec son bâton de cérémonie, avant de se retourner et de partir sans un mot. Les remerciements attendraient, elle était bien trop fatiguée pour le moment. Tout ce qu'elle avait en tête, c'était la tranche luisante de viande qui devait certainement l'attendre dans ses quartiers, dégoulinant de jus et fumante, prête à être mangée... Elle en avait presque l'eau à la bouche.

Les bruits de son estomac brisèrent le silence du camp alors qu'elle le traversait pour rejoindre sa tente, une douce odeur de viande grillée lui chatouillant les narines au fur et à mesure qu'elle se rapprochait. Ses lèvres se tordirent en un rictus affamé. Cette odeur, c'était celle du bœuf grillé à point, saupoudré d'une fine couche de poivre et d'herbes, une chair tendre et parfaitement cuisinée... De la viande... De quoi remplir son estomac bien mis à mal par le rituel... De la nourriture, bon sang!

De plus en plus affamée, Lina rentra dans la tente en écartant les pans de toile d'un geste ample, un léger filet de bave au coin de ses lèvres, écarquillant les yeux, prête à dévorer un bœuf entier... Pour voir l'assiette, sur la table, dégoulinante de jus, exhalant un fumet des plus alléchants. Sans plus de contenu qu'un bain de sauce luisante et quelques restes d'herbes. Et autour d'elle, Corbeau et Erin, qui se léchaient les lèvres avec contentement, un os dans leurs mains.

La jeune femme pouvait presque sentir son estomac se fissurer en deux sous la première et intense déception qu'elle avait ressentie de toute cette guerre. Sa viande qui venait de lui filer sous le nez, avec un fantastique pied de nez de la part de ses compagnons, ou plutôt cette bande de traîtres! Les ordures! Oser la priver de son repas qu'elle attendait avec tant d'impatience! Ses poings se serrèrent d'un coup, et son estomac se contracta en même temps que son visage alors qu'une exclamation furieuse franchit ses lèvres avec toute la colère dont elle était capable :

« – NOM DU... LES GARS! MON ENTRECÔTE, BORDEL DE ZEUS! »

Les deux traîtres bien réveillés sursautèrent et se tournèrent vers leur compagne lésée d'un geste brusque, tandis que sur son lit, Sky, réveillée en sursaut, se redressait brusquement, agitée de tics, sa chevelure suivant le mouvement effréné de son crâne. Les trois se retournèrent vers une Lina furieuse et affamée, les poings serrés et l'estomac plus gargouillant que jamais. L'expression crispée et les lèvres dégoulinantes de bave de cette dernière firent froncer les sourcils à Erin, qui baissa les yeux vers l'assiette vide, puis les releva doucement vers Lina. Il fallut quelques épisodes de navette entre l'assiette et la pauvre métamorphe à moitié morte de faim pour que la lumière se fasse dans son petit cerveau d'elfe et qu'elle se frappe le front, en marmonnant :

« – Merde, Lina, on a oublié d'en laisser à Lina... »

Il était temps que ça rentre, grommela l'intéressée en fixant l'assiette avec regret. Corbeau pouffa, ce qui lui attira un regard réprobateur de Sky, tandis que la plus jeune se levait, lassée, et sortait sa tête dans un autre coin de la tente pour appeler à grands cris le cuisinier. La générale eut un petit rire compatissant au bruit de l'estomac de Lina qui grognait toujours plus alors que cette dernière se dirigeait vers son lit et s'y étalait sans douceur, son esprit pleurant encore sur son repas retardé.

Son T-shirt s'était légèrement remonté dans le mouvement, et la lumière diffuse qui émanait du bas du dos de la métamorphe ne tarda pas à attirer l'œil d'Erin, une fois la nouvelle fournée de viande commandée. Cette dernière se pencha sur la source de lumière, soulevant sans aucune cérémonie le vêtement de celle qui l'émettait. La cardinale sursauta, et se dégagea avec un mouvement brusque, se retournant sur le dos et ramenant son T-shirt contre elle dans un froissement de tissu et une exclamation agacée.

« – Eh! Putain tu fous quoi là? »

L'elfe ne se laissa pas démonter, et pointa du doigt la part la plus lumineuse du corps de Lina. Part qui commençait d'ailleurs à lui faire bien mal, vu que sans moyen de récupérer son énergie la marque qui s'y trouvait pompait toute sa magie pour se rétablir à la normale...

« – Tes reins brillent. C'est à cause de quoi?

– Oh, ça? C'est juste la marque sacrée de l'Église de la Création. Elle est encore activée à cause du rituel de purification, et ça brûle, nom du Créateur. »

Erin s'assit sur une chaise, les jambes croisées, une expression curieuse sur le visage. Derrière elle, Corbeau releva la tête, une lueur légèrement intéressée dans ses yeux bleu glacé.

« – D'ailleurs, c'est quoi, les préceptes de ton église? J'ai jamais entendu parler de là ou je viens....

– Oh, putain, je dois sérieusement expliquer? Mais ça va prendre des heures! »

La cardinale s'affala dans son lit, le dos toujours en feu. Cette foutue marque commençait vraiment à la faire chier.

« Bon, ben, allons-y gaiement. Alors, l'Église de la Création.... Vous êtes prêts pour le gros pavé? »

Les trois autres hochèrent la tête, et Sky s'attela au démêlage de ses cheveux, plus rebelles que jamais, tandis que Corbeau lui reprenait la lecture du roman qu'il avait sur ses genoux. Des trois, Erin était la seule à écouter attentivement Lina expliquer, détail par détail, rituel par rituel, toutes les subtilités de sa Sainte Église. Elle décrivit la hiérarchie double, les communicants et les gardiens du Savoir, où elle se trouvait dans la hiérarchie des communicants. Et de temps en temps, son interlocutrice l'interrompait pour poser des questions de pus en plus pointues, et la cardinale y répondait avec de moins en moins d'agacement, et de plus en plus d'ardeur.

« – Alors la cardinale, c'est pas le chef suprême? Pourtant dans certaines religions...

– Oui mais pas ici. Ici, le chef de ma branche, c'est l'archevêque. Qui est sous l'autorité directe du grand Pope et de ses assistants les maréchaux. Moi, je contrôle juste les prêtres et les évêques, point. »

Avec un marmonnement approbateur, Erin se tut, et laissa Lina achever ses explications. Qui prirent le temps que la douce odeur de viande envahisse de nouveau la tente, dégagée par l'énorme plat que portait le cuisinier de l'armée, tout fumant et propre à éveiller l'appétit. Il fut impossible de tirer un mot de plus de Lina après ça, tant elle était concentrée sur l'appétissante assiette, pleine à craquer et posée juste devant elle et Sky. Décidément ça payait, d'être l'assistante de la générale.

Pendant que la métamorphe dévorait, non sans délices et voracité digne des animaux les plus affamés, sa pièce de bœuf, la lumière émanant de son dos diminuait au fur et à mesure que ses forces se reconstituaient. Finalement, le rai blanc illuminant la tente se réduisit à un tatouage simple, aux traits monochromes, représentant un chat entouré de trois rangées de runes élégantes et de ramifications étendues sur toute la largeur du dos, prenant sa source entre ses reins. Il brillait désormais tout juste d'une lumière immaculée à peine perceptible, qui ne tarda pas à s'évanouir, alors que Lina avalait le denier morceaux de viande dans son assiette, avec force bruits de mastication avide et jus dégoulinant sur le menton. La viande était un de ses péchés mignons, tout particulièrement la viande rouge, et se goinfrer après un rituel épuisant avait ce je ne sais quoi d'extatique.

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