Chapitre 5, partie 3
Cette dernière soupira, l'adrénaline qui retombait doucement la faisant tituber sur ses jambes, épuisée mais heureuse de sentir l'aura putride de la clichée s'atténuer, avant de totalement disparaître, au fur et à mesure que les soldats se regroupaient autour de son corps. Une soudaine prise sur son épaule lui fit lever la tête, et son regard croisa celui d'une Erin au visage recouvert d'une fine pellicule de sueur mais visiblement à peu près indemne, qui l'avait attrapée pour l'empêcher de s'effondrer sur le sol comme un vieux chiffon abandonné. La cardinale fronça le nez, mais se laissa faire, trop fatiguée pour protester d'une quelconque façon. Et puis, le bonheur de la victoire compenserait bien sa répulsion.
Sa camarade la traîna avec de grandes précautions jusqu'à un relief de pierre où elles s'assirent avec soulagement, silencieuses mais ravies, pour panser leurs blessures et se reposer un peu, avant que la femme aux cheveux violets ne se dirige vers elles, se massant les poignets rougis par les cordes. À bien y regarder, Lina se dit qu'elle était très maigre, bien plus qu'il n'est recommandé de l'être. Il avait dû se passer quelque chose avant que la ville ne soit reprise aux clichés.
Faisant fi du regard interrogateur d'Erin qui se demandait sûrement d'où venait la dame, cette dernière se tourna vers Lina et inclina doucement la tête devant elle, faisant bouger ses boucles violettes et indisciplinées.
« – Merci infiniment de nous avoir tirés de là.
– Ce n'est rien, soupira Lina. C'était même pas le but de base. Vous pourriez p't'être nous expliquer ce que vous foutiez attachée dans le temple, nan ? »
La femme haussa les épaules, son regard dérivant vers son compagnon, l'homme sec et voûté, qui après avoir été libéré de l'emprise de l'ombre ennemie se craquait le dos en grognant. Avant de se retourner vers les deux protagonistes, une lueur non identifiable dans ses yeux bleu pâle.
« – C'est peut-être une histoire que votre chef souhaitera entendre et j'ai horreur de me répéter. Dois-je aller chercher Théophilius pour qu'il explique avec moi?
– Théophilius? »
Elle montra son compagnon à la question de Lina, qui hocha la tête et se mit avec difficulté sur ses jambes tremblotantes, avant de héler un soldat qui traînait non loin, des pansements plein les bras et presque plus recouvert qu'elle de sang et de boyaux, pour lui demander où était Sky.
Ce dernier, d'une obligeance rare pour un soldat de base, lui montra un coin du temple, ou la générale s'était installée avec un Corbeau à moitié recouvert de glace. Lina lui adressa un signe de remerciement avant de se tourner vers Erin, qui commençait déjà à bander ses égratignures et désinfecter les endroits d'où le sang coulait, quelques potions de soin à côté d'elle. L'elfe, avisant son regard, secoua la tête, lui faisant signe d'y aller seule. Sans doute ne voulait-elle pas de discussions politiques avant d'avoir fini de sécuriser ses quelques blessures. Et elle avait bien raison, soupira Lina. Elle-même n'avait pas trop envie de se mêler de stratégie avant de s'être débarrassée du sang et être certaine qu'aucune de ses plaies et brûlures ne s'infecterait.
La métamorphe se dirigea donc seule vers le coin ou sa supérieure et son compère discutaient, s'appuyant autant qu'elle pouvait sur son arme qui lui servait de soutien non négligeable vu son état de fatigue. Elle gardait les yeux fixés sur son objectif, ses deux camarades qui parlaient, avec une certaine animation si on en croyait les grands gestes de bras de Sky et le fin sourire de Corbeau. Il lui fallut un temps pour traverser la marée de soldats et supporter l'effroyable quantité de chaleur humaine et les odeurs infâmes de transpiration qui les accompagnaient, mais finalement elle atteignit sans trop d'encombre leur rebord avec la femme et le fameux Théophilius, qui les avait rejoints en cours de route, l'air toujours aussi grognon. Un petit toussotement agacé de la part de ce dernier arracha l'avenante et joyeuse générale à sa discussion, et celle-ci se tourna vers le petit groupe, en s'essuyant une trace de sang sur son visage.
« – Qu'est-ce que je peux faire pour toi, Lina?
– Ces deux-là étaient enfermés dans le temple avec la Mary-Sue. Visiblement ils considèrent avoir des infos pour toi. »
L'homme fronça les sourcils et parut prêt à ajouter quelque chose, mais la femme lui posa la main sur l'épaule, le visage toujours austère, avant de se tourner vers une Sky toujours souriante, les mains jointes sur ses genoux en attente des fameuses informations.
« – On va commencer par le commencement. Mon nom est Miya, et voici Théophilius. À l'origine, nous étions les gouvernants de la cité où vous vous trouvez. Sauf qu'on a eu... Quelques petits soucis.... »
N'écoutant que d'une oreille, Lina alla s'asseoir à côté de Corbeau, posa son katana ensanglanté sur les genoux et se mit à le nettoyer avec délicatesse, tandis que son compagnon finissait tranquillement d'ôter la glace sur son corps, dévoilant des plaies innombrables mais propres. Les deux engagèrent une discussion très anodine pour le lieu où ils se trouvaient, faisant abstraction de l'immense tâche de sang sur le sol là où se trouvait la clichée et de la marée vivante dégageant des relents d'hémoglobine, de sueur et de boyaux. Jusqu'à ce qu'un mot de l'histoire de la fameuse Miya ne parvienne aux oreilles d'une Lina distraite et ne la fasse se retourner par instinct, crispée par une soudaine surprise et une réaction spontanée de terreur.
« – Tu as dis maître de la magie ? »
Surprise, son interlocutrice se détourna un instant de Sky. Cette dernière haussa un sourcil, étonnée que ce soit ce terme qui attire Lina. Pour elle, il n'avait rien de particulier, sans doute. Mais ce n'était pas le cas de la métamorphe pour qui cette appellation était tout sauf anodine. Et pas seulement à cause des anciennes légendes voyageuses.
« – Oui, j'ai dit ça. La clichée n'arrêtait pas de parler d'un maître en magie, ou quelque chose du genre. Elle le haïssait, visiblement. Pourquoi ?
– C'est rien, c'est juste... Le terme. »
Lina prit son visage dans ses mains, plongée dans une profonde réflexion. Maître de la magie. Cela pouvait avoir tant de significations dans un univers aussi vaste que Wattpadia. Mais l'une d'entre elles, rattachée au folklore de son espèce et aux légendes de sa religion, rattachée à son passé quelque peu tourmenté, ne lui plaisait pas. Pas du tout.
Un grognement s'échappa d'entre ses lèvres serrées alors qu'elle décidait de se convaincre qu'elle était sûrement paranoïaque, et elle se pencha vers sa générale et les deux autres pour écouter la discussion, avec plus d'attention cette fois. Corbeau soupira dans son dos, mais fit de même, et les deux écoutèrent tranquillement Miya expliquer tous les petits détails que la clichée avait laissé échapper, trop sûre d'elle. Notamment, et c'est ce qui ravit Lina, la position de plusieurs de leurs bastions les plus importants. De quoi facilement déstabiliser le cours de la guerre, jusque-là trop en faveur des clichés. De quoi reprendre du service et prouver sa valeur au roi, sans le moindre doute.
Pour finir, Miya conclut sur cette simple phrase :
« – La fille a laissé échapper un nom, je crois qu'il pourrait vous intéresser vu la peur dans sa voix. Un certain Sretaz. »
Sky sourit, dévoilant sa dentition abîmée par des années de combat. Un large sourire étonnamment malsain sur son visage rond et amical. Mais cet air terrifiant ne resta qu'une seconde avant que la générale ne se lève dans un cliquettement de métal et ne tende la main à Miya avec amitié, de nouveau avenante et douce. Lina serra les dents. Sans doute cette fugitive impression d'avoir affaire à une machine de guerre avide de sang n'était rien. Et ce Sretaz... Le nom ne lui disait absolument rien. Pourquoi il terrifiait une clichée trop sûre d'elle était un vrai mystère, mais il fallait assurément s'en méfier si même les Mary-Sue en avaient peur.
« – Merci pour toutes ces informations, elles vont bien nous servir, à n'en pas douter. »
Son interlocutrice sourit à son tour et lui attrapa la main avant d'exercer une légère pression, dans un geste formel un peu atténué par son expression plus ou moins amicale.
« – Si vous avez besoin d'aide, n'hésitez pas. Le temps qu'on nettoie la ville et elle est à votre disposition. »
Hochant la tête avec gratitude, la générale s'inclina devant elle, fit un signe de tête respectueux à Théophilius et se tourna vers Lina et Corbeau, la première toujours en train de réfléchir et le deuxième rangeant ses armes dans leurs fourreaux. Les deux sursautèrent légèrement, et le cryomancien se leva en faisant craquer ses os dans un bruit assez désagréable aux oreilles. Mais avant que Lina n'ait eu le temps de faire quoi que ce soit de son côté, un bruit de cavalcade retentit sur la pierre souillée du temple et un grand dadais au teint de porcelaine surgit d'entre les soldats pour se précipiter vers Miya dans un grand cri de joie. Derrière lui, un tigre au pelage mordoré portait sur son dos une femme aux cheveux argentés et une autre aux allures d'adolescente, l'air épuisé par pareil poids, mais toujours galopant. Lina remarqua qu'il boitait légèrement de la patte arrière droite et avait un petit air maladif. Pourtant, il tenait bon. Et même une métamorphe sans pitié pouvait admirer la ténacité de l'animal, et un sentiment de sympathie l'envahit en voyant que même en mauvaise forme il s'était campé près de son compère, droit et fier, un sourire de tigre sur le visage, l'air empli de joie.
La jeune femme passa ses mains dans ses cheveux violets et soupira, fixant son regard redevenu réprobateur sur l'homme qui souriait de toutes ses dents. Un sourire plutôt éclatant d'ailleurs.
« – Tu en as mis le temps, Zium.
– Désolé, désolé ! S'exclama le dénommé Zium en tirant sur une de ses courtes mèches vert foncé. C'est juste que j'ai vu les soldats et je me suis dit que ce serait une bonne occase... »
Un ronronnement sonore du tigre le coupa dans son flot frénétique de paroles. Les deux filles sur son dos venaient d'en descendre et celle qui semblait la plus jeune se dirigea vers Théophilius avec une certaine colère, faisant complètement abstraction de Sky, Lina et Corbeau qui fixaient la ménagerie avec de grands yeux ahuris. L'homme soupira. La fille avait visiblement envie de se disputer et lui s'en serait bien passé, surtout devant ceux qui l'avaient sauvé et étaient babas à côté, devant les paroles animées du premier des arrivants qui s'était remis à déblatérer des aventures visiblement passionnantes pour lui, le tigre qui s'ébrouait, projetant une nuée de poils de partout, et la dernière des inconnus, celle à l'air le plus sensé des quatre, qui dardait sur son groupe un regard blasé. Lina était perdue devant tant de nouvelles personnes, surtout des personnes qui ne paraissaient même pas se préoccuper d'elle et de ses compagnons, faisant leur petite vie avec les leurs, et créant des histoires qu'il lui était impossible de suivre en même temps. Un vrai bordel, se dit-elle intérieurement. Il y avait de quoi se demander si elle se trouvait bien toujours dans le temple ensanglanté, entouré de soldats blessés, de sang et de mort, car l'enthousiasme qui se dégageait du groupe brisait complètement l'ambiance assez morbide des lieux.
Corbeau finit par se racler la gorge avec force, rappelant sa présence au petit groupe d'intrus. Sky le remercia d'un regard et Lina soupira avec un agacement qu'elle ne se donnait même pas la peine de contenir. Elle en avait marre, elle voulait rentrer, ses blessures commençaient à la piquer et ces six-là ne faisaient que la ralentir. Entendant le bruit, Miya se tourna vers eux et eut un léger air d'excuse.
« – Avec ces idiots j'en oublie les convenances... Je vous présente ceux qui vivaient avec moi dans la cité et la forêt mitoyenne avant l'arrivée des abominations que vous avez eu la gentillesse d'exterminer pour nous. Voici Zium, donc... »
L'exubérant jeune homme au teint de porcelaine agita la main en souriant un air un peu bêta, une expression qui se voulait charmeuse sur le visage. Maintenant qu'elle pouvait le détailler de plus près, la métamorphe put remarquer qu'il avait plusieurs étranges symboles sur le visage, qui se détachaient sur la pâleur de sa peau. Comme elle, il avait les yeux vairons, sauf que les siens étaient rouge et bleu, et que le rouge brillait d'une lueur plus forte. À côté d'elle, Corbeau lui chuchota à l'oreille, le plus discrètement qu'il pouvait:
« – On voit que ce n'est pas lui qui est à la tête de la cité. »
Sa camarade se retint de pouffer. Ce n'était pas très sympathique de se moquer de ce qui deviendrait probablement un futur allié, mais elle avait trop besoin de se détendre, entre ses blessures, sa fatigue et le carnage qu'elle avait causé.
Miya finit de présenter les autres. Apparemment, la jeune femme blasée répondait au doux nom d'Angélique, et le tigre, qui n'en était pas vraiment un d'après leur chef, se prénommait Seiji. Quant à la petite dernière, son nom était Allium. Théophilius osa même élever la voix, dans un grognement mécontent, pour annoncer qu'il s'agissait de sa nièce, alors que Zium la présentait avec un sourire éclatant comme sa petite amie.
Le groupe dégageait une impression de bonheur bon enfant et une certaine cohésion qui, si elle avait agacé une Lina fatiguée au premier abord, apportait une petite touche de détente à la scène typique de la guerre qui les entourait. Leur exubérance, normalité et autres disputes finirent par totalement détendre ses muscles, la faisant même oublier quelques instants ses douleurs. C'était bon de voir un groupe d'amis se distraire de la sorte, ça lui avait manqué dans ces temps troublés. Au final, elle les aimait bien, ces gens. Et finalement, alors qu'une énième facétie de Zium qui était visiblement très taquin arrachait un premier petit rire à la jeune métamorphe, Sky se pencha vers les deux acolytes toujours l'un à côté de l'autre et leur dit avec fierté:
« – C'était du bon travail. Le roi ne s'est pas trompé en vous confiant de telles responsabilités. »
Elle accompagna ses paroles d'une petite tape sur l'épaule avant de se diriger vers Erin, les laissant plantés là, d'excellente humeur. Lina sourit, puis se mit à rire franchement en observant Seiji courir après sa queue dans l'espoir de distraire les autres, sous le regard blasé d'Angélique et les rires retentissantes de Zium et d'Allium. Rien n'aurait pu lui faire plus plaisir que pareil compliment.
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