Chapitre 5, partie 2

Le reste de la traversée de la ville ne se composa que du même schéma. Une course effrénée, des clichés qui lui barraient la route, du sang versé. Quelques égratignures, et même une brûlure assez profonde causée par une Élue des Dieux quelconque, trop douée pour manipuler le feu. Des visions floues de combat, parfois quelques soldats qui lui venaient en aide, parfois une mêlée générale dans laquelle elle ne pouvait faire que trancher dans le tas, faisant voler les membres dans tous les sens, sans prendre le temps de vérifier ou même de se préoccuper de qui était son allié. Guidée simplement par le frisson qu'elle ressentait dans son dos à chaque fois qu'elle s'approchait d'un cliché, tranchant en deux ce qui dégageait la plus forte odeur d'anomalie, entièrement confiante en les pouvoirs accordés par son église pour repérer les parasites. Jusqu'à ce qu'elle atteigne enfin son but, recouverte de sang et de boyaux, haletant de fatigue mais les yeux brillant d'adrénaline, fixant l'immense porte de grès du temple central.

Elle regarda aux alentours. Une soudaine barrière de glace provenant d'un autre chemin lui signala la présence de Corbeau, probablement aux prises avec les quelques filles appartenant à l'insupportable catégorie des Mary-Sue qui gardaient le centre névralgique de leur précieux bastion. Plus loin, quelques soldats de diverses origines tentaient de traverser les boulevards en passant par les maisons, ce qui était manifestement peu apprécié des occupants qui se battaient sauvagement pour les bloquer. Des cris retentissaient de toute part, le sang et la magie volaient, les épées s'entrechoquaient, et les relents de clichés se mêlaient à l'odeur d'hémoglobine dont elle était incapable d'identifier la provenance. Mais aucun autre de ses alliés n'avait réussi à traverser le mur de clichés qui entourait la place centrale, et l'accès qu'elle avait réussi à percer venait de se refermer derrière elle, trois filles en tenue affriolante étant venues en renfort.

Elle était donc seule sur la place. Et par conséquent, seule pour reprendre le temple à Kikoolol.

Son bon sens lui dictait de rester là, même cinq minutes, et d'attendre au moins un peu de renfort, mais l'adrénaline qui coulait dans ses veines bloquait dans son esprit toute trace de raison. Et c'est avec un rictus sardonique aux lèvres qu'elle courut vers l'entrée du temple pour la défoncer d'un violent coup d'épaule, prête à combattre, prête à verser le sang. Prête à rétablir la pureté de cette ville assaillie par les abominations clichées. Elle touchait au but. Il ne lui restait plus qu'à nettoyer le temple, et à faire confiance à ses camarades pour finir le travail.

La porte s'ouvrit en coup de vent sur une scène assez étrange. Le bâtiment était quasiment vide, sans meubles, ni même bancs de prière quelconques, juste une immense salle blanche au sol creusé en escaliers. Au fond de cette salle, une jeune femme aux courts cheveux violets et aux airs très autoritaires, attachée sur l'autel dressé devant une alcôve vide, fixait avec mépris une fille qui à vue d'œil semblait avoir vingt ans et quelques, mais dont la posture et la manière d'être ne lui en donnait que seize. Elle tenait, enroulé étroitement dans des ombres, un petit homme sec, l'air d'avoir la trentaine, qui soupirait d'agacement.

Lina grogna de satisfaction. Elle ne savait pas du tout ce qu'il se passait, mais une chose était sûre : à en croire la lumière dans sa main gauche, la chaleur qui se dégageait de ses pieds, et l'aura putride et spécifique aux anomalies qui lui faisait froncer le nez, cette fille était une Mary-Sue. Et donc, un cliché. À éliminer. Juste une horreur qui ne se doutait sûrement pas que ses formes sans le moindre défaut, ses longs cheveux noirs mêlés à des mèches blanches et à d'encombrants rubans, et ses pouvoirs vraisemblablement d'origine divine qui faisaient trembler même les molécules d'air ne devaient pas exister. Une insulte à l'équilibre du monde. Cette fille avait tout ce qui était bien et rien de ce qui était mal. Comme toutes ces insupportables Mary-Sue, toutes des putains de top-modèle en toutes circonstances, le genre de personnes qui faisait le plus hérisser les poils à la métamorphe. Une gamine trop tôt investie de pouvoirs qui allait bientôt rendre à son Créateur la vie qu'elle avait injustement gaspillée.

Elle secoua la tête, ravie devant la facilité de sa mission, bondit vers sa cible le plus silencieusement qu'elle put, prête à lui faire sauter la tête, avant de voir le regard paniqué de la femme aux cheveux violets et de se faire projeter en arrière par un rayon de lumière blanche. Sa colonne vertébrale heurta un mur en émettant un craquement qui à ses oreilles paraissait assourdissant, la faisant hurler de douleur, tandis que la Mary-Sue se tournait vers elle, dévoilant des yeux immenses et bordés de cils noirs et recourbés, des iris d'une étonnante couleur opale teintés d'un mépris qu'elle pensait probablement juste.

« – Voici donc les ennemis que je dois affronter ? Ce sera vite vu. Moi, l'Élue, je les exterminerai jusqu'au dernier avec mes dons ! Tels sont les mots de...

– De la prophétie, hein ? »

Un glapissement surpris de la fille suivit les mots d'une Lina folle de rage, qui tenait de justesse sur ses pieds, malgré la douleur de sa colonne vertébrale. Pareille platitude et assurance fade dans si peu de mots la mettaient en rogne avec une facilité déconcertante. Et même si le coup porté à son dos la faisait horriblement souffrir et qu'elle sentait que ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'elle ne se fatigue, elle était prête à se battre. Elle haïssait par-dessus tous les Mary-Sue et surtout celles qui se prenaient pour les reines du monde à cause d'une quelconque destinée. C'était les pires d'entre elles. Celles qui avaient pris trop d'assurance dans leur pseudo-destinée, les sales gamines sûres d'elles à un point presque suicidaire. Et ce n'était pas des pouvoirs offerts par une vulgaire prophétie qui allait empêcher Lina de faire son travail de purification. Surtout une prophétie dont on ignorait la provenance. Jamais le Créateur n'aurait fait pareille prévision.

Katana devant elle, la métamorphe se mit en garde.

« – J'vais t'apprendre un truc, petite. Les prophéties, c'est du vent. »

La femme ligotée pouffa, mais l'homme lui grinça des dents. Lina ne s'en préoccupa pas. Toute son attention était centrée sur l'adolescente, qui agitait ses boucles noires et blanches avec un air offusqué, l'air de ne pas croire aux paroles de son aînée. Bien sûr. Cette sale gamine allait forcément écouter les enseignements pourris au lieu de la sainte parle de la seule vraie église d'ici. Il fallait régler ça au plus vite avant que l'aura répugnante du cliché ne s'incruste dans les pierres, empuantissant le temple qui sans aucun doute avait au départ un but plus noble que le simple accueil d'abominations.

La métamorphe guettait une ouverture, qui ne tarda pas à se présenter alors que la fille, se croyant très intelligente, se préparait à tirer de nouveau sur son adversaire., chargeant dans sa main une quantité d'énergie qui pour n'importe quel être normal, y compris les meilleurs voyageurs, était tout simplement ahurissante. Sans aucun doute elle croyait toucher avec facilité la jeune femme, et en avait oublié de se mettre en garde, adoptant simplement une pose mettant étrangement en valeur ses formes voluptueuses. Quelle idiote, se dit Lina en se ramassant sur elle-même. Le combat d'abord, l'esthétique ensuite.

Elle bondit alors que le rayon de lumière déchirait l'espace, roulant au sol pour l'esquiver dans un geste ample qui lui arracha malgré tout un cri de douleur. Son dos la faisait encore souffrir. Concentrée dans son mouvement, elle n'entendit pas la lourde clameur derrière elle, préférant centrer toutes ses pensées sur son ennemie, poussée par ses derniers restes d'adrénaline, en faisant abstraction autant que possible de la douleur de son dos pour atteindre la magicienne clichée et tenter de lui asséner un violent coup de katana, le coup de grâce. Surprise, cette dernière n'eut pas le temps de reculer suffisamment pour se mettre hors de la portée de la métamorphe furieuse ; L'arme fendit l'air et une gerbe de sang jaillit d'une entaille sur son torse, pile entre ses deux seins qui malgré leur taille conséquente n'étaient assurément pas une protection suffisante au combat. Encore une erreur de clichés. La fille glapit de nouveau, son visage d'une finesse irréelle tordu par la terreur, et s'effondra sur le sol, pour se faire recouvrir de la horde de soldats qui avait envahi le temple juste après la dernière attaque de Lina, sous les bruits d'armes et les cris de victoire.

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