Chapitre 5, partie 1

Le soleil commençait à peine à étendre ses rayons sur la petite ville d'apparence déserte que déjà une marée vivante s'agitait aux extrémités, émettant des cliquettements de métal très reconnaissables et des clameurs belliqueuses. Des lances se tendaient, des insultes fusaient, des promesses de sang versé s'établissaient alors que l'immense armée entourait les bâtiments d'apparence récente, mais déjà recouverts de toiles d'araignées.

Dans les rangs des combattants, dissimulées entre deux gros bras visiblement humains, Lina se concentrait, katana en main, son visage crispé par une excitation à grand-peine contenue, prête à laver l'honneur de son royaume dans le sang. Erin avait vu juste : à peine l'armée constituée, Sky s'était empressée d'organiser une offensive mineure sur le premier bastion connu de Kikoolol, une ville surgie de nulle part mais déjà investie par les clichés qui y avaient vu une base parfaite, à en croire les espions royaux. Et elle avait décidé d'y faire participer les trois compères, qui attendaient désormais dans les rangs des troupes que le signal soit donné.

La jeune femme se tortillait sur place, se rongeant les ongles dans une marque évidente d'anxiété. Malgré son travail et son engagement dans les ordres qui l'avaient conduite à se battre très souvent, c'était sa première vraie bataille dans une armée, au sein d'un groupe organisé, et aussi l'occasion idéale de montrer ce qu'elle avait vraiment dans les tripes à la famille royale et à Sky. Sans compter l'enjeu ; En effet, si ce bastion était loin d'être le plus important, et ne semblait pas cacher un quelconque secret, une victoire remonterait le moral du peuple des abysses où la mort du prince l'y avait envoyé, bloquant du même coup les clichés avec davantage de sûreté. Une première victoire serait essentielle pour cette première bataille afin de poser les fondations de leur future victoire. Et elle savait pertinemment qu'elle ne devait pas se planter.

Tentant de calmer les battements rapides de son cœur, elle soupira bruyamment, s'attirant un regard réprobateur d'un de ceux qui l'entouraient. L'homme, visiblement un capitaine modérateur aux allures patibulaires, à en croire l'étoile à six branches sur son plastron et son armure légère, murmura entre ses dents quelque chose à propos des « nouvelles recrues trop excitées » et détourna le regard avec dédain, sans se préoccuper de savoir si il avait été entendu par ses camarades aux alentours et surtout par la cible de son ire, qui avait les oreilles très sensibles et grogna sous l'insulte sans aucune discrétion. Plus loin, le grognement parvint jusqu'aux oreilles d'Erin qui frémirent, et elle se tourna vers sa camarade avec cette même expression tendue pour lui faire un signe, auquel Lina répondit par un fin sourire crispé. Malgré son stress et la proximité du combat qui lui faisait bouillir les sangs, elle se sentait heureuse de ne pas être la seule dans cette situation, surtout avec des gens qu'elle se mettait à apprécier.

Finalement, alors qu'elle commençait à ne plus tenir en place, Sky s'avança devant son armée, revêtue d'une armure de cuir renforcée de métal luisant au soleil, et leva très haut sa rapière, prête à donner le signal. Le rayon de l'astre reflété sur le métal de l'arme fit se détourner la métamorphe de la contemplation des alentours pour se tourner vers la chef des armées, droite et majestueuse dans sa simple posture, juste à temps pour la voir baisser son épée avec un immense cri de guerre et entendre les premiers bruits de botte des soldats qui couraient vers l'ennemi. Puis elle se mit à courir aussi, et à partir de ce moment tout ne fut plus que confusion.

Rentrer dans la ville fut aisé. Les portes étaient très peu protégées et les premiers clichés qu'elle croisa après quelques minutes de course effrénée au milieu des autres soldats n'étaient que des lycéennes, dont le lourd maquillage n'empêchait pas de discerner la panique sur leurs visages. Des clichées de base, absolument pas douées en combat, sauf exception, probablement postées là en pâture pour les ennemis, tout juste de quoi les ralentir en teintant la ville de sang. Un genre de chair à canon pour donner le temps aux défenses adverses de se réorganiser, sans doute. Lina fronça les sourcils, les traits tordus par un dégoût sans nom. Il n'y avait décidément que les clichés pour mettre au point un plan aussi répugnant. Raison de plus pour les anéantir.

Sans aucune pitié, la jeune femme fit apparaître entre ses mains son arme attitrée, son katana, forgé dans un mithril pur et trempé dans son sang, et trancha la tête des premières poupées Barbie vivantes, faisant gicler le sang tout autour d'elle dans une étonnante envolée de rouge. Le bruit des corps qui s'effondraient, accompagnés des cris de victoire des soldats et des râles d'agonie de leurs victimes, fut bientôt tout ce qu'elle entendit du champ de bataille déjà flou à ses yeux.

Elle progressait à grande vitesse, enjambant un corps, glissant dans une flaque d'hémoglobine, katana en main, l'œil vif, cherchant avec une frénésie marquée un chemin vers le centre de la ville, une place fortifiée qui abritait tous les bâtiments stratégiques de la zone. Il lui suffirait de l'atteindre et de le prendre pour regagner la cité et de ce fait remporter la victoire, se disait-elle, agitée d'une joie sauvage. Aussi simple que ça. Elle revoyait le plan que lui avait montré Sky alors qu'elle préparait l'offensive avec Corbeau et Erin. L'immense temple qui trônait au cœur de la zone. Sûrement l'endroit où se cachait le gouverneur, le chef ou on ne sait trop quoi de la ville. Dans la logique des clichés, c'était toujours le cas.

Et si à côté elle pouvait exterminer quelques uns de ces saloperies de clichés, rendre au Créateur la vie qu'il avait si inutilement gaspillée, sa mission serait remplie. Elle aurait accompli ses devoirs vis-à-vis de son armée et des commandements de son église, de l'ordre du Grand Pope, le porte-parole du Dieu sur Terre, l'ordre de détruire les anomalies. Cette perspective l'emplissait d'une joie sauvage, qui la boostait au même titre que l'adrénaline qui courait dans ses veines, et faisait bouger son corps seul, tranchant dans des membres, sautant par-dessus des obstacles, esquivant les attaques en traître de ses ennemis, des ennemis de son royaume, des ennemis de sa sainte église.

Au fur et à mesure qu'elle se rapprochait de sa cible, traversant un océan de corps morts et de désolation, la jeune femme rencontrait des ennemis plus féroces. Notamment un gang armé de pistolets qui lui barra la route alors qu'elle écartait de son chemin un débris de grande roue, tentant de stopper sa progression d'une balle de pistolet qui lui siffla aux oreilles, la faisant piler pour en chercher la source. Source qui n'était pas trop bien cachée, plantée au milieu du chemin comme elle l'était. Les cinq garçons tenaient tous un exemplaire de pistolet ou de revolver, plus ou moins vieux, mais un seul était pointé sur la jeune femme. Cette dernière baissa les yeux vers le menaçant objet et grogna. C'était une arme moderne, d'inspiration terrienne, mais qui semblait avoir beaucoup servi. La vision des traces dans la crosse de l'arme et l'odeur de poudre et de sang séché qu'elle captait de manière infime lui fit grincer des dents. Super. Un souci en plus.

Se stoppant net, elle se mit en garde devant le petit groupe de mâles souriant de toutes leurs dents, ses yeux balayant ses adversaires dans tous les angles possibles, cherchant la faille qui lui permettrait d'achever les cinq bad boys qui osaient croire qu'ils suffiraient à l'arrêter. Mais ces derniers se méprirent sur son soudain arrêt et le plus grand des cinq éclata d'un rire grave, qui se voulait probablement séduisant, mais qui n'avait aucun effet sur quelqu'un d'immunisé aux clichés. Au contraire, Lina sentait tout son corps se contracter sous le coup d'une intense répulsion, alors que son pendentif chauffait sur son torse, envoyant des ondes de chaleur calquées sur la force de la voix de l'anomalie. Si son collier avait eu une conscience propre, la métamorphe aurait même dit qu'il réagissait avec dégoût. Devant l'hilarité de celui qui selon les codes des gangs de base était leur chef, les quatre autres s'avancèrent et l'un d'eux osa même lancer d'un ton horriblement narquois :

« – Eh bien alors, petite souris, on a peur du grand méchant loup? »

Lina sentit ses papilles s'envahir d'un atroce goût de bile, et en aurait même vomi sur la pierre fendue du sol si la stupéfiante bêtise du garçon ne lui avait pas ouvert une faille monumentale dans laquelle elle était prête à s'engouffrer. En effet, cet imbécile, croyant avoir affaire à une pauvre victime visiblement, avait baissé son arme, et avait fait rire les quatre autres avec sa plaisanterie assez grasse. On se demande pourquoi, se disait Lina alors qu'elle bondissait sur l'adolescent en soupirant. Ça n'avait un comique caché que pour les clichés, visiblement. Quel dommage que ce soit la dernière blague qu'ils ne pourraient jamais apprécier. C'en était presque triste. Presque. Car après tout, on ne peut ressentir de la tristesse à achever une abomination pareille, pas vrai?

Il ne suffit que quelques secondes à Lina et à sa phénoménale vitesse pour que les cinq clichés ricanants ne se retrouvent au sol, éventrés, décapités ou empalés à grand coup de katana, leurs tripes étalées sur le sol et une expression terrifiée sur leurs visages trop parfaits. Du menu fretin. Et même si elle avait manqué de se prendre une balle perdue à cause des réflexes impressionnants du chef, probablement un intérêt amoureux quelconque dans un univers en particulier, elle s'en était débarrassée avec une étonnante facilité. À présent, le sang recouvrait le sol, rouge sur le gris de la pierre, suintant entre les fissures et recouvrant les vêtements de Lina qui s'autorisa à froncer le nez de dégoût. Le liquide allait lui empester sa veste toute neuve avec ses relents de métal rouillé. Il faudrait qu'elle s'en débarrasse vite avant que le fluide vital de ses saloperies d'abominations ne s'incruste dans le tissu, donnant à ses vêtements des relents de cliché. Surtout pas. Rien que l'idée de sentir le bad boy la répugnait.

Mais il n'était pas temps de s'en soucier. Le centre de la ville l'attendait.

La métamorphe reprit sa course avec un petit sourire devant les fluides vitaux des cinq faux mauvais garçons souillant le sol, n'hésitant pas à les piétiner avec mépris alors qu'elle se dirigeait vers le temple. Pas de pitié pour les abominations clichées. Ça souillait déjà assez le monde pour qu'on se préoccupe de leur en donner.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top