Chapitre 4 : Première soirée*

« Et ainsi, lorsque la place Fantasy se retrouva envahie de clichés, je me souvins de l'exode massif en provenance de tant de mondes différents... Je suis descendue dans la rue pour interroger quelques-uns de ces pauvres diables, et il s'était avéré qu'à la seconde où j'eus laissé ma chère ville s'infecter, les mondes reliés à la place Fantasy se sont effondrés sur eux-mêmes. Les amours se brisaient et se reconstruisaient sur des bases fragiles, le royaume atteignait des sommets en cruauté ou en naïveté, tant de gens mouraient pour le bien de l'illogisme... Je me souviens de la honte qui s'était emparée de moi lorsque j'ai eu sous les yeux les conséquences de mon extraordinaire négligence. J'écris ces mots aujourd'hui dans l'espoir que les générations futures trouvent mon journal et comprennent cette chose essentielle : Les clichés sont un danger pas seulement pour Wattpadia, mais aussi pour les mondes dont notre royaume a la garde. »

Journal de la reine Originalité la 33e de Wattpadia, 16 Mars 1527

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Vingt-quatre heures, cela passait très vite lorsqu'on cherchait dans plusieurs mondes de quoi démultiplier la taille d'une armée déjà conséquente. Zélée, Lina n'avait pas dormi de ces vingt-quatre heures, trop occupée à négocier, rassembler des soldats, des cerveaux, des médecins, dans des mondes qui prenaient leurs bases dans des mondes de fantaisie, de futurs possibles, et tellement d'autres possibilités. Elle y avait mis tous les efforts qu'elle pouvait, mais, selon elle, ça avait payé : Sur les sept univers qu'elle avait visité, cinq offraient quelque chose à la guerre en cours. Avec toutefois une condition de taille pour trois d'entre eux. Elle devait leur rendre leurs troupes à l'issue de la guerre, quelle qu'elle soit. La clause ne l'avait pas surprise, elle l'avait acceptée sans broncher ; de toute façon, si tout allait bien, la principale menace serait annihilée, et il serait toujours temps de motiver le patriotisme des Wattpadiens si autre chose se présentait. En espérant que ce ne soit pas le cas.

Vingt-quatre heures sans dormir, c'était long, même pour une voyageuse yürhamah. Elle tombait de fatigue et ses yeux semblaient prêts à se fermer à tout moment. Mais, malheureusement pour elle, sa tâche n'était pas terminée : ce n'était rien d'arracher des promesses à des royaumes différents, il fallait encore s'occuper de préparer leur arriver et les installer. Heureusement que la plupart d'entre eux avaient des portails officiels, se dit-elle, alors que la plaine où ils devaient se retrouver était en vue. Sinon, elle n'osait imaginer sa dépense d'énergie et la perte de temps occasionnée par un transport par montre de voyageur.

Et ce n'était que le début.

Un énième bâillement s'échappa de ses lèvres, alors qu'enfin, elle apercevait une trace de campement sur la plaine. Pas trop tôt, se dit-elle en émettant un grognement de fatigue. Le gros inconvénient, lorsqu'on choisissait un lieu de rendez-vous comme une plaine, c'était qu'il n'était pas facile de trouver le point exact. Et évidemment, il lui avait fallu remuer une bonne partie du lieu pour dénicher ce satané campement ! Elle maudissait son impatience de l'avoir fait oublier de demander plus de précisions, et qui la forçait désormais à se traîner à moitié sur le sol, épuisée et en quête d'un lit, depuis une bonne heure.

Elle soupira en se rapprochant de ce qu'elle avait repéré, et sentit le soulagement l'envahir en constatant qu'effectivement, c'était bien le campement. Sky avait bien travaillé, se dit-elle en observant l'étendue orange qui se présentait devant elle : Il y avait au moins mille tentes dans son champ de vision, toutes aux couleurs de Wattpadia, et du léger surplomb sur lequel elle se trouvait, elle pouvait voir qu'elles étaient déjà gardées par des soldats en uniforme, probablement les anciens de l'armée grammaticale. Un petit sourire se dessina sur ses lèvres en remarquant l'organisation dont ils faisaient preuve. Ils lui facilitaient la tâche à un point fou, avec une telle discipline derrière elle il lui serait tellement plus aisé d'assumer ses nouvelles responsabilités... Et surtout d'y être crédible.

Cette dernière pensée lui arracha un petit rire. La crédibilité, c'était bien ce dont elle aurait le plus besoin à partir de maintenant. Et la première étape, évidente mais ô combien difficile, c'était de rejoindre Sky sans avoir l'air d'un zombi sorti de la crypte de la Mort.

Elle s'étira, se redressa, prit une profonde inspiration et se dirigea, la tête le plus haut possible, vers le campement, cherchant à accoster un soldat. Plus vite elle trouverait Sky, plus vite elle serait déchargée de ses fonctions et seraient rendue à ses besoins d'être vivant. A savoir, manger et dormir. Même les icônes avaient droit au repos, non ? Du moins elle espérait.

Sa recherche de soldat ne tarda pas à être fructueuse. L'une des gardes du campement l'accosta alors qu'elle allait dépasser la première tente, une mine patibulaire sur le visage. Mine qui se détendit alors qu'elle repérait le pendentif de Lina, bien en évidence sur son vêtement.

« — Excusez-moi, mademoiselle, pouvez-vous déclinez votre identité s'il vous plaît ? J'ai ordre de ne laisser passer que les soldats ! »

Lina releva la tête vers elle. Un rapide examen de l'uniforme lui apprit qu'il s'agissait d'un membre des chevaliers Larrouxe, une unité spécialisée dans la protection des personnes haut placées. Du moins, uniquement le roi et la reine, vu que la plupart des nobles refusaient qu'ils les approchent. La tente de Sky devait être tout proche, si celle-ci se baladait en uniforme et exécutait des ordres précis.

La femme la regardait de haut, ce qui était facile de par leur différence de taille, mais elle ne se démonta pas, et soupira :

« — Cardinale Lina Frosilæn, chargée de collecter les troupes, je viens faire mon rapport à la générale Senerum et j'aimerais le faire vite, si ça ne vous dérange pas ! »

Elle avait mis un énorme poids dans ces derniers mots, espérant que cela prouverait une marque d'autorité sur cette espèce de géante en armure. Et, conformément à ses pronostics, l'autre se décala de quelques pas, avant d'incliner la tête, la mine patibulaire laissant place à un certain respect.

« — Désolée, Cardinale, je ne vous avais pas reconnue ! La tente de notre générale est un peu plus loin à gauche. Vous la reconnaîtrez facilement, elle est la seule à avoir l'écusson de Wattpadia sur l'entrée ! »

Satisfaite, Lina remercia la femme d'un signe de tête, avant de se diriger vers la tente en question. Elle était contente que cela n'ait pas pris plus de temps : Habituellement, elle devait crier sur les soldats pour les calmer. La plupart de ceux qu'elle faisait se confesser après les batailles n'écoutaient déjà pas les archevêques, alors une Cardinale fille ayant une taille de crevette... Lorsqu'on la voyait comme ça, elle n'imposait pas immédiatement le respect. Ce statut d'icône risquait de lui faire beaucoup de bien, tout compte fait.

Enfin, si le respect que lui avait témoigné la chevalière venait bien de son statut. Cela l'étonnerait quand même assez qu'on la vénère déjà au sein de l'armée, même au bout de vingt-quatre heures de certaine propagande par Sky. L'armée ne voulait pas de belles paroles, elle voulait du concret. Et Lina ne s'était même pas montrée, comment pouvaient-ils lui montrer du respect ?

Elle secoua la tête. Seigneur Créateur, même pas une journée avec ses nouvelles responsabilités et elle réfléchissait déjà à comment les exploiter au maximum. Elle avait horreur de ce genre de méthodes, ce n'était pas celles que lui avait apprise la Sainte Eglise. Elle préférait encore s'en remettre à plus expérimenté qu'elle pour s'éviter de faire trop de gaffes. Une place au sommet absolu, très peu pour elle, impossible de gérer correctement !

Ses réflexions s'interrompirent lorsqu'elle vit, dans le coin de son œil, sortir de la tente qu'elle cherchait, la silhouette imposante de sa générale qui faisait de grands signes dans sa direction. Sans perdre de temps, elle se dirigea vers elle, tentant encore de maintenir sa tête droite et retenant ses bâillements, sans manquer de remarquer que Sky avait visiblement suffisamment confiance pour avoir retiré son armure, révélant un haut qui retombait bizarrement au niveau de la poitrine et un pantalon de toile sombre. Et comme à son habitude, elle souriait.

« — Ah, Lina, tu tombes bien ! Corbeau est rentré il y a une heure, je crois bien. Il a réussi à nous ramener quelques bonus intéressants ! »

La voix agacée de ce dernier retentit dans la tente, marmonnant des mots que Lina ne put comprendre de suite. Et avant qu'elle ne puisse se pencher dessus, Sky lui avait pris le bras, et l'avait traînée à l'intérieur.

La tente de la générale était assez sommaire comparé à ce à quoi Lina s'attendait. Un lit de camp recouvert d'un drap qui semblait grossier, une carte accrochée sur un chevalet, une table et quatre chaises. Rien de plus, rien de moins. C'en était presque surprenant. Et puis, Lina aperçut l'étrange courbure d'un des pieds de table, et les fissures sur une des chaises. Ces objets, vraisemblablement créés à l'aide de la Création, étaient dans un état surprenant, compte tenu de la proximité de Wake'li. D'habitude, se trouver à une telle distance de la reine était suffisant pour produire des objets solides et sans imperfections... Elle émit un petit grognement. Les clichés avaient décidément pris trop de terrain.

Corbeau, qui lisait un livre assis sur une des chaises, releva la tête et fit un léger signe à Lina, qui ne put manquer de remarquer ses énormes cernes. Lui non plus ne devait pas avoir dormi. Mais visiblement, Sky ne l'avait pas envoyé se reposer après son rapport. Ce qui n'était pas très rassurant.

Voyant que Lina ne s'asseyait pas, la générale la prit par le bras sans aucune autre forme de cérémonie et la força à se poser sur une des chaises, lui arrachant un grognement de colère. Dont, évidemment, Sky ne se préoccupa pas. Elle conservait toujours son sourire, même alors qu'elle s'asseyait sur une autre des chaises en face d'elle, attendant son rapport. Lina laissa un court instant dériver son regard sur l'étrange asymétrie de sa poitrine. Qu'est-ce qui avait bien pu lui arriver pour que son sein gauche se retrouve, de toute évidence, inexistant ? Blessure de guerre, maladie, coutume quelconque ? Ça la rendait presque curieuse.

Un raclement de gorge de Corbeau l'arracha à sa contemplation, qu'elle avait crue rapide, et elle toussota avant de lancer :

« — Bon. Dans tous les univers où je suis allée, j'ai réussi à récupérer : Cinq unités, dont deux d'êtres surnaturels dont il faudra gérer les besoins, trois fournisseurs d'armement, quelques médecins confirmés et leurs apprentis, et un ou deux officiers. Deux des univers ont refusé de fournir quoi que ce soit, et dans le cas de trois unités dont je vais te donner les noms, leurs dirigeants exigent qu'elles lui soient rendues à la fin de la guerre clichée. Ça suffira ?

—Parfait ! » Sourit Sky, avant de s'enfoncer dans sa chaise. « Est-ce que tu as eu des problèmes pendant cette opération ?

—Non, pas vraiment. Par contre, je n'ai eu le temps, ni de manger, ni de dormir, alors si tu pouvais... »

Corbeau redressa la tête, l'air prêt à s'intégrer dans les négociations pour le bien du repos, mais Sky balaya sa réplique d'un revers de la main et un sourire au visage.

« — Mais oui, mais oui, vos tentes sont prêtes et j'ai demandé à faire préparer un repas. Comme ça, on pourra discuter tous ensemble, ça fera une chouette façon d'apprendre à se connaître non ? Oh, attendez, j'entends du bruit dehors. C'est peut-être Erin, je vais aller voir ! »

Et elle se leva, aussitôt dit, pour se diriger vers l'extérieur de la tente et les planter là, faisant pousser un très profond soupir à Lina qui venait de voir son précieux temps de sommeil décalé d'encore quelques heures. Corbeau émit un léger grognement, avant de lancer, d'un ton neutre :

« — Elle est comme ça depuis mon retour. A tout hasard, il n'y a pas quelque chose dans sa légende qui dit qu'elle a passé trois nuits sans dormir ou quelque chose comme ça ? Ça expliquerait sa faible reconnaissance de notre fatigue à nous autres, pauvres voyageurs.

—Pas que je sache, soupira Lina. Mais ça expliquerait pas mal de choses, oui. »

Les deux poussèrent un soupir un peu désespéré, que la fatigue n'incitait pas à retenir. Lina était trop épuisée pour lui trouver des excuses. Même si c'était l'héroïne de la nation, elle n'avait pas à l'éloigner de son précieux sommeil, surtout après tant de temps passé à réunir des troupes pour elle !

Sky surgit dans la tente juste après ce témoignage de profonde fatigue, avec sur ses talons une Erin crispée, qui semblait faire de gros efforts pour conserver son calme. Le sourire de la générale n'avait pas terni, mais elle fixait les oreilles frémissantes de sa compagne avec une légère lueur d'inquiétude, sans dire quoi que ce soit. En même temps, il y avait de quoi, se dit Lina en voyant les poings serrés de l'elfe. Erin semblait être très contrariée de sa propre expédition.

« — Personne ! Personne n'a pris la peine de soulever son arrière-train de leurs fauteuils pour nous fournir quoi que ce soit ! Sous prétexte que « une nation d'elfes ne se mêle pas des affaires des étrangers » ! J'ai passé plusieurs heures sur le trajet et j'ai fait des pactes douteux pour pouvoir aller jusqu'à la capitale, j'ai manqué de me faire tuer plusieurs fois dans le processus, et tout ce que j'ai tiré du Haut Conseil Elfique, c'est une centaine de potions de soin et un refus d'un dédain extrême ! »

Dès la première phrase, Lina sentit à quel point Erin fulminait. D'eux trois, c'était la seule à rentrer bredouille, malgré les efforts qu'elle avait fournis, et elle pouvait voir aux dents serrées de l'elfe à quel point ça devait être pénible. Sky émit un léger grognement de compassion, avant d'attraper Erin par les épaules et l'asseoir sur la seule chaise qui n'avait pas été occupée à un moment de cette histoire, celle à côté de Lina. La générale ne bougeait plus d'un poil, et se contentait de regarder Corbeau et Lina d'un air sans équivoque, qui voulait clairement dire « ne faites aucun commentaire ». Et Lina obéit, non sans émettre un grognement. Elle était plus en colère contre ce conseil que contre Erin, qui avait au final fait tout ce qu'elle pouvait.

Sans dire le moindre mot, Sky laissa l'elfe raconter l'entretien désastreux qu'elle avait eu avec son propre gouvernement, réduisant au silence les deux autres d'un regard empli d'une autorité que Lina n'aurait jamais pensé voir sur un visage aussi avenant. Cette dernière, de toute façon, n'avait pas l'intention de l'interrompre. Elle se contenta d'écouter Erin expliquer son fiasco avec forces insultes envers le fameux Haut Conseil, jusqu'à ce que cette dernière se calme, et que Sky ne quitte sa position pour aller se rasseoir.

« — Bon, on ne peut pas dire que ce soit très fructueux... Mais au moins, le bilan total est bon ! D'après ce que me disent Lina et Corbeau, nous avons largement atteint notre objectif de multiplier l'armée par cinq, sans même demander au conseil des chefs ou aux religions ! On fera avec ! »

Erin se crispa, mais n'ajouta pas un mot de plus, se contentant de rentrer la tête et de soupirer.

« — Oui, sans doute... Au moins vous n'aurez pas eu besoin des troupes que cette bande de vieux bigots pouvait fournir. Je vous jure, c'est à vous dégoûter de vivre chez les elfes. »

Sky eut un petit sourire, avant de se tourner vers Corbeau.

« — Tu es quand même allé voir le conseil des chefs ou tu t'es contenté des univers ?

—Il me restait un peu de temps, alors j'ai sollicité une audience. Mais les voyageurs ne semblaient pas décidés à se battre, apparemment notre idée va même leur ajouter du travail pour éviter les paradoxes. Alors je doute qu'on puisse compter sur eux. »

Lina ne put s'empêcher de pousser un petit soupir de soulagement, ce qui n'échappa pas à Corbeau. Elle sentait son regard peser sur elle. Mais elle ne s'en préoccupa pas. Plus tard, les explications. Voire jamais, si possible, elle n'allait pas se mettre à raconter sa vie non plus.

Une voix dehors cria le nom de Sky, et cette dernière se leva d'un bond, jurant entre ses dents. Elle promena un rapide regard sur les trois compères avant de soupirer, de se remettre à sourire et de lancer :

« — Je reviens tout de suite, je vais voir ce qu'on me veut ! Profitez-en pour discuter sans moi, d'accord ? »

Lina retint un grognement en voyant que son temps d'éveil était encore rallongé de force, mais ne protesta pas. Corbeau, par contre, ne se gêna pas pour soupirer avec une exagération qu'il était impossible de ne pas feindre, et Erin marmonna un juron fort peu aimable, que par chance Sky n'entendit pas. Elle s'était déjà précipitée dehors, laissant les trois nouveaux associés seuls ensemble. Ce qui, à en juger par les cernes sous leurs yeux, n'était vraiment, vraiment pas une bonne idée.

Corbeau fut le premier à céder à la tension instaurée par leurs humeurs à tous les trois, marmonnant dans sa barbe :

« — Héroïne ou pas, je trouve qu'elle exagère ! Nous avons besoin de dormir et je ne sais même pas où je vais être installé ! Elle a sûrement dormi cette nuit à en juger par son énergie incroyable, pourrait-elle considérer que ce n'est pas mon cas ?

—Eh, calme-toi un peu, tu n'en sais rien ! Si ça se trouve, elle a dormi autant que nous et tient juste mieux la distance ! Et puis tout le monde aimerait bien dormir, Corbeau, tu n'es pas le seul à être énervé ! »

Le chevalier siffla entre ses dents, avant de se tourner vers Lina, qui le fixait avec réprobation et cernes sous les yeux. Erin faisait la navette entre l'un et l'autre, silencieuse mais crispée, l'air de sentir la tension crépiter. Mais aucun des deux ne baissa les yeux. Du moins jusqu'à ce que Corbeau ne souffle :

« — J'ai du mal à comprendre comment tu peux la défendre alors que tu tombes de sommeil, justement ! Ou peut-être que l'explication se trouve dans le temps prolongé que tu as passé à regarder sa poitrine ? L'admiration trouverait-elle une autre source ? »

Ah non. Ça, c'était l'attaque de trop. Elle était juste curieuse de l'asymétrie que sa générale présentait, pas attirée d'une manière ou d'une autre par elle ! Ulcérée, Lina se redressa, la main portée à sa ceinture là ou un poignard attendait tranquillement d'être dégainé. Corbeau voulait se battre ? Comme il voulait, une bonne bataille, ça allait lui détendre les nerfs avant de dormir ! Et tant pis pour la supposée bonne entente !

« — Je ne vois pas ce que mon orientation sexuelle a à voir là-dedans, mais si tu veux vraiment le savoir, je suis peut-être bisexuelle, mais ça ne m'empêche pas de placer le bon sens en priorité par rapport à de stupides pulsions ! En plus, navrée de t'apprendre que je suis aromantique et que j'ai autre chose à faire que de tomber amoureuse de ma générale ! Est-ce que ça dissipe tes inquiétudes, chevalier ?!? »

Erin se leva d'un bond, tentant d'inciter au calme, tandis que l'intéressé la fixait d'un air absolument glacial, son air neutre presque terrifiant. Lui et Lina se fixèrent de nouveau avec une colère rentrée impressionnante. Mais avant qu'il n'ait eu le temps de lancer une seule réplique, un toussotement retentit derrière elle, un soudain courant froid la figea sur place et elle se sentit tomber sur le sol, vidée de toute l'énergie qu'il lui restait. Corbeau, l'air à peu près dans le même état, était avachi sur sa chaise, en sueur. Et une voix bien connue s'éleva dans la tente, à la différence que cette fois, elle n'était plus teintée de l'enjouement que Lina avait vu de Sky Senerum. Au contraire, son ton était dénué de la moindre émotion, un contraste tellement surprenant qu'il en devenait terrifiant.

« — Je peux savoir, les enfants, pourquoi j'assiste à une dispute dans ma tente ? »

Lina se retourna avec de grandes difficultés, pour repérer dans l'ouverture de la tente le visage de Sky, qui avait perdu son sourire et la fixait, elle et Corbeau, d'un œil froid et désapprobateur. La peur l'envahit lorsqu'elle remarqua que la générale avait sa hache sur l'épaule, une hache dont le tranchant brillait au soleil de midi, qui semblait n'attendre que d'être utilisée. Elle était tellement paniquée que pas un son ne sortit d'entre ses lèvres. Et mine de rien, la fatigue devait beaucoup jouer, aussi.

Erin fut la première à reprendre la parole, l'air la moins affectée par la soudaine aura de peur qui régnait dans la tente. Mais sa phrase fut lancée d'un ton précipité, elle semblait avoir hâte d'en avoir fini. Et Lina ne pouvait pas l'en blâmer.

« — C'est la fatigue ! Nous sommes debout depuis plus de vingt-quatre heures, ça commence à nous peser... Est-ce qu'on peut vite manger et dormir s'il vous plaît ? »

Sky ne bougea pas pendant quelques secondes, des secondes horribles pour Lina immobilisée au sol, avant qu'une décharge d'énergie ne l'envahisse et que le sourire habituel de la générale ne prenne de nouveau place sur son visage.

« — Oh, je suis désolée, je n'y avais pas pensé ! Vos tentes sont prêtes, elles sont juste à côté de la mienne ! Si vous voulez, je peux y faire amener votre repas ? »

Lina hocha la tête avec frénésie, ravie par la tournure que prenait la discussion. Elle en aurait presque béni Erin, même si le moment était mal choisi pour réciter une prière. Manger, dormir. C'était tout ce qu'elle voulait. Pas se disputer avec Corbeau ou encaisser un long dîner qu'elle n'aurait sûrement pas la force de mener jusqu'au bout.

Sky, constatant leur approbation, la laissa se relever, avant de sortir et de lui indiquer sa tente. Comme dit, elle était juste à côté. Les tentes de Corbeau et d'Erin en constituaient le voisinage, formant un carré parfait, mais leurs entrées étaient sur les faces extérieures de la même figure géométrique. Hasard ou stratégie, Lina ne savait pas et elle ne voulait pas savoir.

Entrant dans sa tente, elle laissa se dessiner sur ses lèvres un fin sourire en constatant la présence d'un lit de camp tout fait, qui, malgré son aspect rustre évident en temps de guerre, lui semblait soudainement être le summum du confort. Sa sensation de fatigue se fit plus profonde. Le repos lui tendait les bras.

Sans même saluer les autres, elle se précipita à l'intérieur et s'effondra sur le matelas. Une seconde lui suffit pour ensuite plonger dans un profond sommeil.

Le soleil frôlait l'horizon lorsque Lina émergea. Il lui fallut un peu de temps pour achever de se réveiller et se redresser sur son lit, avant de voir la lumière orangée de l'astre percer l'entrée de sa tente et de se demander si elle avait vraiment dormi jusqu'à l'aube ou si la nuit s'apprêtait à tomber. Elle haussa les épaules, avant de lever le poignet. Sa montre indiquait six heures trente selon l'heure wattpadienne, il était donc vraisemblable d'imaginer qu'elle avait dormi toute la nuit. Un grognement s'échappa d'entre ses lèvres. Ça lui apprendrait à rester debout vingt-quatre heures sans préparation.

Un regard vers la table lui apprit qu'on lui avait fait porter son repas, protégé par une cloche pour en garder la chaleur et en éloigner les insectes. Au bout d'au moins douze heures, elle doutait que ce soit toujours efficace, mais la vaisselle devait avoir été enchantée, puisqu'un nuage de vapeur s'échappa du plat au moment où elle en retirait la protection. Et bien sûr, l'odeur lui fit oublier toute préoccupation d'hygiène. Elle avait devant elle une pièce de viande aux airs bien tendres accompagnée d'une sauce à l'échalote et de pommes de terre au four, qui semblaient presque l'inviter à se repaître. Elle était à la limite de baver. Quiconque avait préparé ça devait connaître son amour des protéines. Parfait pour une Lina tirée du lit, qui avait l'impression que son estomac allait sortir de ses entrailles pour absorber la viande lui-même.

Le plat fut englouti en moins de cinq minutes, sans aucune considération pour les règles de l'hygiène. Lina avait trop faim pour penser au couteau et à la fourchette, et sa pitance lui laissa d'innombrables traces de sang et de graisse sur les doigts, mais un sentiment de satisfaction propre à l'ingestion de sa nourriture favorite. Elle s'essuya rapidement les doigts sur la serviette que ceux qui l'avaient servie avaient pensé à inclure dans le lot, avant de sortir de sa tente.

Elle ne savait pas trop ce qu'elle allait faire, et se préparait surtout à errer sans but en attendant qu'on lui confie une tâche. Mais elle n'eut pas le temps de mettre en application son maigre programme : Devant le carré de tentes se trouvait Corbeau, qui semblait l'attendre vu qu'il se dirigea vers elle à peine l'eut-il repérée. Il avait sur le visage toujours cette même expression neutre, mais la nuit et le repas semblait lui avoir été profitable, à lui aussi, et il avait même l'air plutôt avenant, enfin, aussi avenant qu'un visage inexpressif pouvait l'être.

Lina haussa un sourcil, s'attendant à être réprimandée pour avoir paressé, mais le chevalier baissa les yeux vers elle avant d'annoncer, sans même un salut :

« —Lina, Erin et moi pensons que nous sommes partis du mauvais pied hier, tous les trois. J'estime que chacun a ses torts et qu'il sera sans doute bon d'en discuter plus tard, mais en attendant, nous sommes tous les trois dans le même bateau. Donc à défaut de nous entendre, essayons de collaborer. Ça te va ? »

Un léger silence s'installa, que Lina mit à profit pour réfléchir. Elle n'appréciait pas spécialement la manière d'être du Chevalier Corbeau et ce dernier semblait bien lui rendre, mais, en plus de faire preuve de maturité pour venir lui parler lui-même au lieu de laisser traîner le ressentiment, il avait raison. Ils allaient être dans le même bateau. Et le peuple préférait une figure unie à trois individus qui se disputaient sans cesse, incapables de s'entendre. C'est donc ainsi qu'après quelques secondes de silence, elle décida de mettre ses ressentis de côté et tendit la main au chevalier, satisfaite de l'arrangement.

« —Okay, on peut donc parler d'un deal. Pas de disputes, mais vous m'obligez pas à vous apprécier. Et pour la discussion, je pense qu'on sera mieux dans une tente qu'ici. »

Le Chevalier hocha la tête avant de se diriger vers la tente de Sky, ce que Lina interpréta comme un message disant de le suivre. Elle obtempéra sans trop se faire prier, et écarta la toile de la tente pour y trouver, assise sur une des chaises, Erin, qui lisait un livre à la couverture de cuir. Lina plissa les yeux : Visiblement, celui-ci était en une langue elfique, elle ne saurait donc pas le déchiffrer. Elle parlait le wattpadien moderne et ancien et quelques langues terriennes, mais l'elfique était totalement inconnu pour elle. De toute façon, en les entendant arriver, Erin avait marqué et reposé son livre. Elle salua Lina d'un signe de tête. Lina lui répondit de la même manière avant de s'asseoir. Un rapide regard autour d'elle lui apprit qu'ils étaient seuls : Sky n'était pas dans la tente et son lit fait indiquait qu'elle était levée et sans doute au travail depuis un petit bout de temps.

Une fois les trois installés dans la tente, c'est Erin qui prit la parole, les yeux fixés sur Lina et Corbeau.

« —Bon. On s'est pas forcément rencontrés de la bonne manière, tous les trois, et sans même qu'on nous demande notre avis nous voilà embarqués dans une histoire ou personnellement, j'en comprends pas le premier mot. Même si on a des désaccords je pense qu'il faut qu'on mette ça à plat maintenant et qu'on mette en commun nos infos, pour au moins apprendre à se connaître et faire ça au mieux. Donc le temps que Sky aille faire les derniers préparatifs, je propose qu'on discute un peu de qui on est et pourquoi on est là, et surtout de ce qu'on a à gagner à s'associer. Tout le monde est bon pour ça ? »

Corbeau fit un geste approbateur, tandis que Lina, elle, hochait la tête. Le visage d'Erin se détendit un peu, et elle se renfonça dans sa chaise.

« Bon. Vous avez des choses à vous dire, déjà, tous les deux ? »

Corbeau resta muet, ce que Lina prit pour une invitation à parler. Ce dont elle ne se fit pas prier pour saisir.

« —J'vais être claire. J'aime pas beaucoup les types dans ton genre, Corbeau, je les trouve condescendants et ça me tape sur les nerfs. Mais je suis plus une ado non plus. Donc je dis ce que je pense et après on repart de zéro. Okay ? »

Corbeau hocha la tête, avant de soupirer.

« —C'est bien comme ça que je l'entendais. Pas de disputes stériles, et de mon côté je ferai un effort pour m'intégrer et ne pas réagir à ton caractère trop sanguin pour moi, je crois qu'il ne sera pas de trop. »

Erin sourit, un sourire bien plus amical maintenant que les cartes avaient été posées sur la table.

« —La deuxième chose maintenant qu'on a réglé le principal conflit qui pouvait miner, c'est de rassembler nos infos. Sur nous, nos univers, et nos buts autres que cette guerre. »

Elle prit une profonde inspiration avant de lever les yeux vers les deux autres compagnons, les yeux empreints de froideur.

« Je vais vous dire, très personnellement, que les batailles de Wattpadia ne me regardent absolument pas. Je suis une mercenaire étrangère sans loyauté nulle part et après la scène d'hier vous devez vous douter que je n'aime pas beaucoup mon pays. Sauf qu'à la tête de cette armée, il y a une personne que je connais depuis toute petite, et je crois qu'elle va sur le mauvais chemin. Donc pour sauver ma vie et possiblement celle de ma famille, je me dois de l'arrêter. »

Lina et Corbeau se regardèrent. Tous deux habitants voire originaires de Wattpadia, ils avaient du mal à comprendre comment on ne pouvait prendre parti, surtout au jugé des forces en présence. Mais au fond, Lina comprenait. Son statut de voyageur yürhamah l'avait fait s'inviter dans d'innombrables autres guerres dans lesquelles elle n'avait pas pris parti, et la situation d'Erin n'était pas très différente. Mais ce qui la fit tiquer, ce fut la mention de cette personne de son entourage. Dans la salle du trône, Erin avait parlé de Kikoolol, vraisemblablement à la tête des clichés. Or, Lina connaissait aussi Kikoolol. Et elle voulait savoir quel était le lien qui venait de se créer entre elle et sa nouvelle associée... Si on pouvait parler de lien. Elle grommela.

« —Cette personne dont tu parles, c'est Kikoolol, c'est ça ? Je devais t'interroger à son sujet justement. »

Une lueur s'alluma dans le regard bleu glacé de Corbeau alors qu'Erin hochait la tête, laissant Lina reprendre sans lui apporter de réponse. Celle-ci décida de reprendre depuis le début.

« —En ce qui concerne mes raisons je pense qu'elles sautent aux yeux. Je suis Cardinale de la Création, au service de ma religion et de mon roi. Je peux pas laisser les clichés approcher la famille royale. Kikoolol, qui est aussi une personne que je connais depuis longtemps, ne fait qu'ajouter une touche personnelle à ce combat.

—Moi, fit Corbeau, je suis simplement motivé par le désir de ne pas voir ce pays disparaître. Mais je vais devoir vous questionner à propos de Kikoolol, toutes les deux. Même en tant que chef, cet homme n'est pas suffisamment connu pour que nous soyons dans cette tente à deux personnes l'ayant personnellement rencontré. Donc ? »

Lina nota une hésitation dans les paroles de Corbeau, lorsque ce dernier fit le compte des personnes connaissant Kikoolol, mais elle laissa couler. De toute façon, si celui-ci lui sortait quoi que ce soit de personnel, elle allait se demander s'il n'était pas fiévreux ou drogué. En quelques heures, elle avait eu le temps de comprendre qu'il n'était pas homme à se confier. Autant qu'elle parle, ça l'inciterait peut-être à se dévoiler. Mais avant qu'elle ne puisse ouvrir la bouche, c'est Erin qui reprit, le menton entre les mains.

« —Je sais pas vous, mais moi, je le connais depuis que je suis toute gamine. Il a grandi dans mon village d'elfes et on était de bons amis, et puis un jour, pouf, plus de Kikoolol. J'imagine que c'est à ce moment qu'il est allé à Wattpadia, mais sur le moment, j'ai juste cru qu'il était parti du village. Au final, tout ce que je sais de lui, c'est que c'était un mage puissant avec des pouvoirs très étendus. Et vous ?

—Boff. Je l'ai rencontré quand j'avais treize ans. C'est lui qui m'a expliqué les lois wattpadiennes, donc si vraiment il venait pas d'ici c'est qu'il y était depuis un moment, marmonna Lina. Pas grand-chose de plus à dire. Il a tenté de me recruter pour son « grand projet » de j'sais-pas-quoi mais j'avais pas envie alors je l'ai laissé tomber et je suis allée à l'église, fin de l'histoire. »

Corbeau hocha la tête, mais n'ajouta rien de plus. Considérant la discussion close, Lina s'appuya sur le dossier de sa chaise, en proie à une profonde réflexion. Kikoolol, mage puissant, étranger, origines inconnues, mais aussi ami d'enfance d'Erin et un des premiers appuis de Lina lors de son arrivée à Wattpadia. Le fait qu'il s'associe aux clichés ne lui disait rien de bon, tant au niveau de la puissance que de celui de ses intérêts à faire ça. Lui-même, malgré le nom qu'il adoptait, n'était pas un cliché. Alors, qu'est-ce qu'il voulait ? La destruction de Wattpadia ? Sans doute, il n'y avait que cette explication. Et même s'il y avait un autre objectif derrière, Lina avait le devoir devant le Créateur de l'en empêcher. Elle haussa les épaules. Ce jour devait arriver, elle le savait depuis qu'elle l'avait laissé derrière elle. Autant laisser toute question en plan. Ce ne serait qu'une gêne au moment de lui trancher la gorge, après tout.

Lina réfléchissait, et Corbeau restait muet. Ce fut donc, encore une fois, Erin qui ouvrit la conversation.

« —Bon, tout Kikoolol mis à part, si on doit travailler ensemble, faut qu'on discute de choses et d'autres quand même. Corbeau est loin d'être causant, mais je doute que le silence soit par manque de sujets de conversation. Surtout vu que je suis une étrangère. Donc du coup si j'ai des questions, je m'adresse à vous, d'accord ? »

Lina émit un grognement d'approbation, mais n'eut pas le temps d'ajouter quoi que ce soit. Sky venait de rentrer dans la tente, habillée de pied en cap et son sourire accroché sur ses lèvres. Elle semblait déborder d'énergie, comme à son habitude. D'ailleurs, elle ne perdit pas de temps pour ébouriffer les cheveux de Corbeau, puis de Lina, qui n'eurent pas le temps de se décaler, avant de s'asseoir sur la table, juste en face d'Erin. Elle avait des papiers plein les mains.

« —Ah, vous êtes là, parfait ! Les univers ont fini d'envoyer leurs troupes, j'ai tous les relevés et j'ai fini de les installer par troupe et espèce. Je dois dire que ce fut long, j'y ai passé ma nuit ! Enfin, ce n'est pas le sujet. Je vais leur parler, est-ce que vous venez ? Faut vous montrer ! »

Lina écarquilla les yeux. En fait de repos, Sky n'avait carrément pas passé sa nuit à dormir ? C'en était à se demander comment elle faisait, et surtout comment elle pouvait avoir une telle énergie après une journée entière à s'activer. Mais la générale ne lui laissa pas le temps de poser la moindre question. Elle posa ses papiers sur la table avant de sortir en coup de vent de la tente, sans même attendre la réponse des trois autres. Trois autres qui échangèrent un regard absolument ébahi sur son passage. Un silence teinté de la plus profonde admiration s'installa, et ce fut Lina qui, la première, le brisa, les yeux écarquillés.

« —Je commence à me poser de sérieuses questions sur sa nature là. Et aussi sur son énergie pas croyable.

—De mon côté, renchérit Corbeau, j'en viens à me demander si vraiment, elle a dormi durant les vingt-quatre heures que nous avons prises pour négocier.

—Cette femme est dingue, acheva Erin. Elle a une énergie infinie, est capable de flanquer la frousse d'un seul regard et pourtant tout ce qu'elle fait c'est sourire. Franchement, je n'aimerais pas être à la place des clichés. »

Les trois échangèrent un regard, teinté d'exactement la même incrédulité. Puis une pensée incongrue vint à l'esprit de Lina, qui éclata de rire sur sa chaise, s'attirant le regard des deux autres.

Un regard d'Erin suffit pour comprendre le sujet de son interrogation, et Lina calma ses rires avant de prendre une profonde inspiration et de lancer, entre deux éclats d'hilarité :

« —Désolée les gens. C'est juste que je viens de réaliser que c'est la première fois qu'on est d'accord sur un truc. »

Il s'écoula un peu de temps avant que l'information ne fasse son chemin dans le cerveau des deux concernés. Puis un pouffement s'échappa d'entre les lèvres d'Erin, tandis que celles de Corbeau esquissèrent un fin sourire amusé, tandis qu'il hochait la tête et disait :

« —Notre situation n'est peut-être pas si désespérée, après tout. »

Ce qui fit repartir les rires de Lina et d'Erin.

Il fallut quelques dizaines de secondes pour que les deux femmes mettent un terme à leur hilarité et ne sortent de la tente en compagnie de Corbeau, mais Lina se sentait d'une humeur bien plus joyeuse que lors de ces dernières vingt-quatre heures. En fin de compte, cette mission démarrait sous de meilleurs auspices, et elle préférait ça à la tension de la veille. Pour l'heure, elle devait se contenter d'accomplir son rôle, et de regarder faire Sky.

Cette dernière s'était créé une estrade au cœur de la plaine, rassemblant la grande majorité des soldats sous le soleil levant. Lina pouvait y voir une population très hétéroclite mêlant les différentes divisions de l'armée grammaticale à des corps dotés d'une armure étrangère, constitués d'humains, d'elfes ou encore quelques légions de nains. Il semblait y en avoir des milliers, et où qu'elle regarde, elle voyait des êtres vivants. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Avec ça, les clichés n'avaient qu'à bien se tenir.

Sky, en les voyant approcher, leur fit signe de la rejoindre, mais aucun des trois ne jugea bon d'aller plus loin que le pied de l'estrade. Ils se mettraient en avant d'une autre manière. Là, surtout devant les divisions de l'arme grammaticale, ça semblerait présomptueux et inutile. Autant laisser la générale parler. Générale qui prit d'ailleurs une profonde inspiration, avant de lancer à la nuée vivante sous ses pieds :

« —Bien ! Est-ce que chacune des personnes ici présentes arrive à m'entendre ? »

Sa voix portait loin, très loin. Elle parvint même à faire le silence au niveau des légions plus éloignées. En tout cas, Lina n'entendait plus une mouche voler. Enfin si, vu l'odeur de certains des soldats. Mais même les mouches devaient être attentives au discours de la générale de Wattpadia, à ce niveau-là.

Indécises, les troupes restèrent silencieuses, l'air de ne pas savoir quelle attitude adopter. Mais l'armée grammaticale laissa échapper une immense clameur, portant sur toute l'étendue vivante, et chaque soldat, comprenant ce qu'il devait faire, fit de même, portant le volume sonore à un niveau assourdissant. Lina dut se mettre les mains sur les oreilles, et elle vit Erin grincer de douleur, ses doigts enfoncés dans les conduits ne cachant pas le sang coulant de ces derniers. Elle fit une grimace. Elle n'aimait pas beaucoup ce niveau de foule, alors une foule bruyante... Par chance, la clameur ne dura pas longtemps. Il suffit d'un signe autoritaire de Sky pour la calmer.

Cette femme portait, sans aucun doute, son titre de générale. A peine les cris retombés, elle entama un discours avec force grands gestes sur ce qui réunissait aujourd'hui les différents multivers. Son sourire était toujours accroché à ses lèvres, son ton enjoué bien que déterminé, et Lina pouvait voir tous les soldats de l'armée grammaticale littéralement pendus à ses lèvres. Son attitude inspirait confiance, sa manière de parler touchait le soldat. Elle savait ce qu'elle faisait.

« Et ainsi, nous, habitants d'un multivers immense qui jusqu'alors ne connaissions pas nos voisins, allons nous unir pour nous sauver tous ! Vous qui êtes soldats et avez, sans aucun doute, vu passer de très nombreuses guerres, on a dû vous apprendre que l'union faisait la force. Si c'est vraiment le cas, je vous demande d'imaginer la puissance combinée de tout un multivers ! »

Il y eut des huées, bien sûr. Mais surtout des applaudissements, des applaudissements majoritaires, qui dessinèrent un large sourire sur les lèvres de Lina. Elle avait eu raison, là n'était pas sa place. Elle attendrait son moment de gloire. Pour l'heure, elle s'en remettait à la femme qui allait les faire bénéficier de toute son expérience, la femme qui allait les mener à la victoire.

Profitant d'une accalmie dans le discours, Corbeau se pencha vers elle, avant de murmurer :

« —Tu avais raison, cette femme mérite son titre. J'aurai du mal à imaginer mieux pour mener une guerre civile de cette ampleur, ou pour nous mener au combat.

—Je doute qu'on se batte tout de suite, fit Erin, sur le même ton. Après tout, on est censés être des icônes, pas des soldats.

—Détrompe-toi. Pour s'attirer la confiance du peuple, il faudra plus que de la propagande royale. Dans ce genre de climats, le pays veut des preuves. On va donc être missionnés très vite pour leur en donner.

—En clair, Corbeau ? »

Ce dernier avait reporté son regard sur la marée humaine, le menton entre les mains, et ce fut donc Lina qui répondit :

« —En clair, attends-toi à te battre très prochainement. »

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Coucou c'est remoi, bibi is back ! J'ai un chap d'avance sans compter celui-ci donc bon, si ça se trouve vous aurez une publication pas trop espacée pendant quelques semaines... Si ça se trouve. :,)

Bon je suppose que je devrais prévenir mais ça sera probablement pas maintenant que vous verrez arriver la seconde version du tome un en entier. Je suis pas bien en forme ces temps-ci et ma mère traque actuellement les causes physiques de cette baisse de forme ; Moi, outre une baisse d'activité à cause du confinement, je pense plutôt à des causes mentales. Mais ça, ça sera pas possible de le résoudre avant juillet, lorsque j'aurai mon lieu d'études définitif me permettant de voir pour un psy dans les environs. (donc en gros, si j'ai PACES ou pas.)

Et en plus de la baisse de forme j'ai un concours à bosser. Il me reste tout pile deux mois avant le début de la nouba et ma mère me dit qu'il est temps de faire le planning précis de mes révisions. Ledit planning commence le 20 avril, vu qu'elle m'ordonne limite de prendre deux trois jours de repos avant de commencer... Autrement dit je n'aurai du temps pour écrire que cette semaine, ensuite c'est le retour du régime boulot tous les jours.

Voilà, c'était le racontage de vie de Louna !


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