Chapitre 33, partie 4

Jean-Kévin soupira, et les deux autres restèrent silencieux. Ils savaient ce qu'ils avaient à faire. Ils se mirent en position de garde, et le visage de Jean-Kévin se transforma, comme si il avait mis un masque. Un masque horriblement haineux et provocateur. Et enfin, la couche orange de protection auditive se dissipa, et la porte s'ouvrit en grand, laissant passer les trois gardes de tout à l'heure et un Inquisiteur en robe de prêtre orange-rouge. Ce dernier sourit en voyant Jean-Kévin.

« – Nous nous retrouvons, Kikoolol.

– Tiens donc, grogna ce dernier. Pru en personne.

– Vous vous connaissez ? » Demanda Lina à l'Inquisiteur qui recula de deux pas en la voyant.

Jean-Kévin eut un rire sans joie.

« – Un de mes anciens partisans.

– Cesse donc avec tes mensonges ! » S'exclama le dénommé Pru.

Lina le regarda de plus près. L'homme avait été virulent, les yeux pleins de haine fixés sur Jean-Kévin. Pourtant, ses mains tremblaient, et une fine pellicule de sueur recouvrait sa peau pâle. La générale haussa les épaules. Entre Jean-Kévin et un Inquisiteur de la Flamme, il était facile de deviner à qui elle ferait le plus confiance.

Baku actionna le fauteuil et les deux voyageurs suivirent Pru et les trois gardes, le premier paradant d'un air triomphant et se permettant même de cracher devant la cellule du maréchal enfermé, les trois autres entourant Jean-Kévin avec appréhension, armes levées, comme si ils craignaient à tout moment un soulèvement. Mais il ne bougea pas. Tout juste se contenta t'il de grogner sur Pru à chaque fois que ce dernier paradait.

Lina était pleine de rage, plus en colère que jamais. Une colère qui atteint son paroxysme lorsque Pru cracha devant la cellule du maréchal. Pourtant, consciente de ce qu'une simple bourde pouvait apporter à sa vie déjà sur le fil du rasoir, elle préféra se taire. Elle poussa même le vice jusqu'à bavarder aimablement avec Pru sur le chemin du peloton d'exécution, priant pour que son aversion ne transparaisse pas trop dans ses paroles. Cependant, à en croire l'air ravi de l'Inquisiteur, il ne se préoccuperait pas d'elle même si elle lui avait craché au visage. Ce qu'elle se garda bien de tester.

L'exécution devait avoir lieu sur la place Fantasy, la place principale de Wake'li. Et alors même que le principal acteur de cette grossière mise en scène n'était pas arrivé sur place, l'endroit était noir de foule, suffisamment dense pour que Lina se crispe depuis son fauteuil roulant. Tous les regards étaient tournés vers la porte de la muraille principale du palais, d'où allait surgir le condamné et ses glorieux bourreaux. Même si, pensa Lina amèrement, le bourreau ne serait sûrement pas celui que pensaient les gens.

Au centre de la place Fantasy, l'air construite pour l'occasion, une immense plate-forme de pierre, sur laquelle attendaient onze personnes en robes de couleur différentes. Les onze autres prêtres qui devraient exécuter le criminel Kikoolol, devina Lina en discernant, même de loin, leurs airs ravis. Son estomac se retourna, la nausée l'envahit. Tant d'hypocrisie et de pédanterie rassemblés en un seul endroit...

« – C'est la première fois que je vois une exécution, souffla Baku à son oreille. Est-ce qu'ils sont toujours aussi joyeux ?

– Tu n'en avais jamais vu auparavant ? » Fit une Lina surprise en relevant la tête.

Baku eut un rire sans joie.

« – Je ne voulais pas me faire peur pour le jour où ce serait mon tour. »

Lina soupira, et lui tapota la joue à l'aveugle avant de se frayer un passage dans la foule, tentant d'atteindre le premier rang aux prix des pieds des quelques personnes sur lesquels elle avait roulé.

Une main gantée lui tapa sur l'épaule, et elle eut la surprise de voir Vald à ses côtés, le heaume relevé, dévoilant un visage qui aurait semblé avenant sans d'énormes cicatrices. Il avait les yeux plissés et la bouche tordue de dégoût, les yeux fixés sur la foule qui hurlait son mépris envers l'avancée de Kikoolol.

« – Ils ont déjà oublié leur haine envers Vocabulaire... Pathétique...

– Rebonjour, soupira Baku. Le peuple est ainsi fait. Jetez-lui un bouc émissaire en pâture et ils le boufferont comme des chiens affamés. »

Vald hocha doucement la tête, avant de tourner son regard vers l'échafaud.

« – Vous savez, je suis surpris de ne pas être le prochain. Honnêtement, je n'avais rien contre Kikoolol. C'était un mage de talent comme on en voit que peu. Et un ennemi de mon père. Ça suffisait.

– Ton père ? »

Vald éclata de rire, un bon gros rire qui aurait paru franc si il n'avait pas été autant teinté d'ironie.

« – Mon père, oui. L'immense saloperie que votre Avatar a embroché juste comme il fallait, Optrik en personne. Merci, à ce propos. »

Hochant doucement la tête, Lina reporta son regard vers l'échafaud. Jean-Kévin y était monté, et fixait la foule avec de grands yeux emplis de rage et de mépris. Son regard se porta sur elle, au premier rang. Et ce fut fugace, mais Lina aurait juré voir dans ses yeux, juste pour une seconde, l'expression d'un amour véritable et d'une confiance absolue. Mais cela ne dura pas. Pru s'était raclé la gorge, et il avait tourné la tête vers lui, de nouveau dans son rôle de méchant du jour. Le bouc émissaire. Baku avait eu la main sûre dans le choix des mots.

Le long discours de Pru sur la nécessité de conserver une Wattpadia forte et nettoyée des criminel commença, et les vivats du peuple augmentèrent encore d'intensité. Vald, lui, se mit à grogner.

« – C'est l'heure du spectacle, on dirait, » lança Lina avec une pointe d'ironie.

Vald se tourna vers elle avec incrédulité, l'air de ne pas avoir saisi la vraie signification de ses paroles, mais Baku lui mit discrètement une main sur l'épaule, avant de soupirer sur un ton très bas :

« – Ni Lina ni moi n'apprécions vraiment ces pratiques. Mais notre sort se joue sur l'apparence qu'on donne aujourd'hui. Notamment à cause du salopard embroché. »

Sur ces paroles, Vald se détendit, et hocha doucement la tête. Mais ne put s'empêcher de marmonner :

« – Z'avez pas de chance, vous. Moi, c'est terminé. Une fois cette mascarade terminée, direction Papier.

– Tu es originaire de là-bas ? »

Il secoua la tête, avant de reporter son regard sur l'échafaud, ou Pru paradait encore devant Jean-Kévin.

« – Non. Mais je suis banni, maintenant. »

Baku lui fit un petit sourire d'encouragement. Et lui et Lina reportèrent leurs yeux vers l'échafaud ou on organisait la mort d'un homme.

Le moins qu'on puisse dire, c'était que là haut, les prêtres en faisaient des tonnes et des tonnes. Pru attirait l'attention du public avec ses grands gestes et son ton théâtral jusqu'à ce que le silence se fasse, avant de présenter le condamné du jour, et de lui réciter à la figure une longue liste de crimes dont les trois quarts étaient attribuables à Optrik. Lina se tendit d'elle- même, le visage tordu par un immense mépris. De toute évidence, ce Pru n'avait pas vraiment admis la culpabilité de son ancien Grand Inquisiteur.

Et le pire, c'était que chacun des prêtres approuvait son geste. Un à un, les religieux s'approchaient, se penchaient sur Jean-Kévin, et le condamnaient au nom de leur dieu respectif. Même la Mort, que Lina avait appris à respecter, n'eut pas un seul regard pour l'homme qu'elle précipiterait dans un lieu ou nul ne pourrait revenir. Car nul n'était jamais sorti du Néant. Qui pourrait s'échapper de l'antinomie de l'existence ?

Jean-Kévin eut un léger sourire. Et enfin, lorsque Pru se pencha vers lui avec un sourire d'une suffisance extrême, lui demandant ses dernières paroles, il eut un regard discret vers Lina. Discret, mais suffisamment long pour qu'elle comprenne. Ses muscles se tendirent, Baku leva doucement une main devant lui. Et les chaînes de Kikoolol, ennemi du royaume numéro un, éclatèrent en mille morceaux.

Les hurlements de terreur ne tardèrent pas à résonner dans la foule, alors qu'une aura de pouvoir se formait autour de Jean-Kévin, projetant au loin tous les prêtres. Et le rire magiquement amplifié de l'ancien condamné retentit sur toute la place Fantasy, créant une débandade monstre et le signal qu'attendait Lina.

Cette dernière se leva de son fauteuil, bras tendu, prête à invoquer son katana dans un antique réflexe de combat, avant de se souvenir de la dague et de la dégainer. Sur la pierre, le déchaîné Jean-Kévin eut un fin sourire ironique, et elle se sentit se remplir d'énergie, l'énergie qui lui avait manqué durant le dernier mois, depuis l'utilisation de sa forme Berserker. Elle sourit à son tour, et échangea un regard de connivence avec Baku, avant de sauter sur l'estrade.

« – Tu essaies de nous faire quoi, là, Kikoolol ? Échapper à ton juste châtiment ? Pas de ça, mon bonhomme ! »

Plus bas, elle entendit Vald rire doucement, sans doute conscient de la comédie qu'elle jouait. Elle n'avait jamais été très douée pour ça. Son ton tremblait, les larmes lui montaient aux yeux, même sa réplique manquait de tonus. Mais elle n'avait pas le choix. Et elle aurait Jean-Kévin pour jouer sa part. Jean-Kévin qui éclata d'un rire encore plus gros, encore plus diabolique. Encore plus faux aux oreilles de Lina.

« – Mais qui voilà ? Lina Blackheart en personne ! »

Cette dernière sourit, avant de lever la dague.

« – Tes très chers accusateurs ont commis l'erreur de m'oublier en prononçant ta liste de crimes. Je viens comme qui dirait réparer ce petit oubli. »

Le rire de Jean-Kévin perdit un peu de ses intonations diaboliques. Un léger bâillement lui échappa. En bas, Baku faisait agir ses pouvoirs : Qu'importe que ce soit joué ou pas, pour la foule il aurait endormi l'ennemi pour laisser à Lina le temps de frapper ; Ce dont elle ne se priverait pas, penserait le peuple. Ils auraient raison, certes. Mais la signification de cette dernière attaque serait tout autre que ce qu'ils s'imagineraient.

Elle leva la dague, avant de se ramasser en position de garde. Elle était prête.

« Kikoolol, roi des clichés, tu es accusé d'atteinte à la Création, de renforcement de virus clichés, de l'utilisation des magies les plus obscures de Wattpadia pour tes bienfaits personnels, d'atteinte aux trésors royaux, à la vie de mes soldats, et à moi-même, et de la mort de la générale Sky Senerum, ma prédécesseure, par sbire interposé. Et je suppose que tu n'as rien à dire pour ta défense, pas vrai ? »

Les bras largement écartés, il sourit de nouveau, avant de lancer de sa grosse voix :

« – Oh non, Lina. Appelons ça un requiem. »

Les éclairs tonnèrent dans le ciel, malgré les bâillements que Baku semblait lui arracher. La foule se dispersa en piaillant, et même Vald, en bas, armait une épée à deux mains. Mais Lina ne s'en préoccupait que peu. C'était son combat. Son ultime mission.

Elle puisa dans les ressources d'énergie que Jean-Kévin lui avait offertes. Et le Berserker bondit sur l'ennemi, le faisant basculer au sol en profitant d'un de ses moments d'inattention. Un de ses éclairs détruisit une place au loin, mais elle avait le dessus, et était prête à achever pour de bon ces six mois de guerre.

Il suffisait d'un geste. Qu'elle suspendit au dessus du torse de sa future victime.

« – J'ai oublié un détail. »

Il sourit, lui faisant signe de continuer. D'apparence, la magie faisait encore rage dehors, mais aucune attaque ne semblait toucher Lina. Vald et Baku aidaient la foule à évacuer, limitaient les dommages collatéraux de la mise en scène. Il ne restait plus qu'à Lina de remplir son rôle.

« Par la volonté de mon seigneur le Créateur, moi, Lina Blackheart, Cardinale de la Création... »

Ses traits se détendirent, et un sourire dénué de toute ironie, de toute comédie, se forma sur ses lèvres. Un sourire empreint d'une affection toute amoureuse, le dernier cadeau qu'elle offrait à l'homme qu'elle aimait, à l'homme qu'elle allait tuer. Son bras se leva encore plus haut dans le ciel.

« ... Je te condamne. »

La dague s'enfonça dans le torse de la liche. Et les derniers vestiges que Lina conserverait à jamais de lui furent un léger murmure, un tout petit mot, pourtant empreint d'un tel poids, d'un tel pouvoir pour son cœur et son esprit, un mot qui valait un millier de discours, un mot imprégné de tout ce qu'il avait voulu faire passer, un simple :

« – Merci. »

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