Chapitre 33, partie 3

Jean-Kévin interrompit d'une main les révélations de Baku, avant de soupirer.

« – Ce que tu me racontes là est très, très inquiétant, je te l'accorde. Mais il y a beaucoup plus grave, pas vrai ? Papier.

– A ce propos. T'as des infos ? »

Jean-Kévin la regarda droit dans les yeux, avant de prendre une profonde inspiration.

« – Papier est le plus vieux royaume de l'univers de la Création, seulement cette dernière en est totalement absente. Vraisemblablement, ton Église a fait sécession de Papier, tout comme elle s'apprête à le faire avec Wattpadia. Mais Papier est bien plus vieux que Wattpadia. Bien plus vieux qu'aucune mémoire. Le Style qui y règne en ce moment est quelque chose comme le cinq millième. Mais même si il est ancien et d'une complexité telle que même un Papiénois ne pourrait connaître un centième des règles littéraires, il y a une constante immuable depuis des milliers d'années maintenant : C'est le clergé qui règne. La famille royale n'est que marionnette entre leurs mains. »

Lina plissa les yeux. La seule idée d'un royaume de la Création qui ne vivrait pas grâce à cette dernière lui semblait un bien pire blasphème qu'Optrik sur le trône à la place de son roi. Mais elle ne réagit pas, laissant Jean-Kévin continuer son récit. Ce dernier haussa les épaules, avant de soupirer :

« – Comme vous vous en doutez, ce n'est pas la Création qui règne. Il y a de très nombreuses religions à Papier, pourtant cette dernière en est entièrement absente. En ce moment et depuis plus d'un siècle, celle qui règne en ce moment est l'Église de la Lumière. Les chefs en sont le Conseil des Séraphins.

– Et tout ce joyeux petit monde souhaite donc mettre la main sur nos ressources ? »

Jean-Kévin garda le silence, avant de pouffer, un rire sans joie qui caractérisait une immense lassitude. Ses jambes se décroisèrent, et il darda un regard désabusé sur Lina, qui venait de parler. Cette dernière se crispa. Elle avait horreur qu'on la regarde comme ça. Surtout lui.

« – Vous allez rire. Mais en fait, ces gens se fichent totalement de Wattpadia. Nous sommes totalement insignifiants pour eux. À tel point que même l'armée que vous aviez constituée avec Corbeau et Erin ne représente pas un millième de la puissance de Papier dans ses meilleurs jours. Et même si nous étions à armes égales... La chef de leurs armées a une puissance suffisante pour nous flanquer la rouste de notre vie à elle toute seule. »

Il n'en fallait pas plus pour titiller la curiosité de Lina. Ses pupilles brillèrent d'amusement, et elle se redressa d'un coup dans son fauteuil, attirant l'attention de Baku. Son katana la démangeait. Elle voulait se battre, et l'idée d'un adversaire à sa hauteur autre qu'une divinité la réjouissait.

« – Flairerais-je le défi ? »

Un coup atterrit aussitôt sur le sommet de son crâne. Pas assez fort pour vraiment lui faire mal, mais suffisant pour lui arracher un geignement et la faire lever là tête, en direction d'un Baku qui la fixait froidement, le poing levé et les yeux plissés. Elle siffla, mais ce dernier balaya sa manifestation de colère d'un revers de la main et d'un grognement.

« – Générale Lina Blackheart, je peux t'assurer sur mon honneur de mage de soin que tu ne bougeras pas de la confrérie tant que tu ne seras pas entièrement rétablie, capice ? Même si je dois t'enfermer dans mon hôpital et te mettre des chaînes aux pieds ! »

Lina grogna. Elle savait qu'il n'exécuterait jamais sa menace, c'était juste un moyen de lui manifester son mécontentement. Ce n'était pas la première fois qu'il lui faisait le coup. Mais elle ne put s'empêcher de marmonner pour elle-même, assez bas pour qu'un être doté d'une ouïe normale ne puisse l'entendre :

« – Flippé, va. »

Un autre coup s'abattit aussitôt sur le dessus de son crâne. Elle souffla. Évidemment, Baku était tout sauf doté d'une ouïe normale. Jean-Kévin eut un petit rire, mais regagna vite son sérieux.

« – Bon, trêve de bavardages. J'avais une question pour vous. Qu'est-ce que vous comptez faire, après ma mort ?

Lina le regarda avec des yeux ronds. Ce n'était pas suffisamment évident ?

« – Reconstruire le royaume, c'te question. M'entraîner, revenir à la tête des troupes en attendant Corbeau, aider à reconstruire le royaume, ce genre de choses quoi. »

Baku hocha la tête avec un grognement approbateur. Mais devant eux, Jean-Kévin, étrangement, semblait assez insatisfait de cette question. Il se mit à tousser, avant de reprendre, la diction alourdie par une étrange gêne :

« – Euh, en fait, hem, je parlais plus du plan, comment dire, du plan... Amoureux ? »

Silence se fit. La tension et la gêne grimpèrent dans la petite cellule, à tel point que Lina crut entendre ses oreilles crépiter. Elle avait très chaud, soudainement, et à en juger par la crispation des mains de Baku sur les poignées de son fauteuil, c'était pareil. Jean-Kévin aussi, semblait gêné. Il se tordait les mains, et ses os cliquetaient étrangement derrière l'illusion qui les dissimulait. Pourtant, il maintenait ses yeux bleu glacé sur Lina. Tentant d'attirer son regard de plus en plus fuyant.

Après une longue minute de cet insupportable silence, Lina se décida à tousser, tenter de détourner la conversation sur autre chose, avec toute la subtilité dont elle était capable en ayant l'impression de cuire. Derrière, le soigneur s'était changé en pure statue, immobile, immuable, muet. Mais Jean-Kévin refusa d'accepter le changement de sujet. Il continuait de les fixer du même air. L'air de celui qui veut savoir.

Lina finit par soupirer, avant de se lancer.

« – C'est très compliqué, okay ? Je n'ai pas de projets et Baku non plus. On va faire un truc qui s'appelle laisser faire le temps. Et.... Espérer qu'il aille dans notre sens. »

Voilà, c'était dit. Elle avait avoué à son premier amour qu'elle voulait en aimer un autre. Créateur que c'était difficile à lâcher, même devant un homme qui serait mort dans moins de deux heures ! Pourtant, il continuait de la regarder, avec le même sourire, sans rien dire de plus. Sans même ajouter un mot pour Lina. Ce qui la rassura. La température de son corps revint tout doucement à la normale. Et ses oreilles cessèrent de bourdonner. C'était lâché. Le sujet pouvait changer ; Et même Baku, derrière elle, s'était détendu. Elle pouvait lui faire confiance : Il ne dirait rien, lui. Pas une marque d'impatience, pas un seul message de regret. Cela faisait six ans qu'il attendait. Il pourrait bien patienter quelques mois de plus.

Jean-Kévin haussa les épaules.

« – Bah, soyez heureux. C'est tout ce que je vous demande. Baku, évite de mourir, tu veux ? Ça m'arrangerait. »

Ce dernier sourit.

« – Ça m'arrangeait aussi, en fait.

– Merci. Maintenant, parlons de sujets moins réjouissants. L'exécution. C'est vous qui devrez la faire. »

De brûlante, la pièce devint glaciale. Les poings de Lina se serrèrent. Elle ne s'attendait pas du tout à ce dernier point. Pourquoi une telle demande , Est-ce que cela avait un rapport avec le carnage qu'il avait soi-disant fait, et qu'elle avait oublié de le questionner à ce propos ? Et même alors...

« – Pourquoi ?

– Parce que Vocabulaire est en train d'acquérir la paranoïa de son père. Et pour lui, vous êtes suspects. Vous avez vu les prisonniers politiques. Ils vont eux aussi être exécutés, et si vous ne faites rien, vous allez suivre. »

Il poussa un profond soupir, et sortit une dague de sa manche. Elle avait une étonnante couleur noire. Sans même s'en rendre compte, Lina avait tendu le poignet. Et ses mains se refermèrent sur la dague avec un silence religieux, alors qu'elle la détaillait avec le plus grand soin. Lâchant le manche, il eut un petit sourire.

« – Je l'ai enchantée pour qu'elle outrepasse ma nature de liche. Avec ça, c'est ma mort assurée. Non pas que j'en meure d'envie. Mais bon. Si ça peut vous éviter une mort atroce...

– Comment ça va se passer, concrètement, l'exécution ? »

Jean-Kévin tourna son regard vers Lina. Son regard était neutre. Elle ne flancherait pas. Pas comme ça, pas maintenant. Il était temps de s'éviter l'échafaud, et d'offrir une mort digne à son vieil ennemi. Quitte à ressentir la souffrance de tuer elle-même un être cher.

« – L'Assemblée du Clergé va me déclarer coupable, et ensemble m'expédieront au fin fond du Néant, d'où je ne suis censé plus jamais revenir. Mais bon. J'avoue que je préfère de loin l'Autre Lieu. »

Il eut un petit rire. Personne ne le reprit. Alors il soupira, et acheva sur ces mots :

« – Ce qui va se passer à ce moment là est assez simple. Je vais outrepasser leurs protections et jouer mon rôle de grand méchant. Et là, vous me tuez, après un simulacre de combat de préférence.

– En jouant ainsi les héros de la ville.

– Exactement. »

Le silence s'installa dans la cellule. Vite interrompu par un bruit de choc sur la porte.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top