Chapitre 32, partie 3
Ce qui se passa ensuite fut très flou pour elle. Elle se souvint de la forme floue qu'elle aurait pu attribuer au Rat passer jute à côté d'elle, poser sa main sur une pierre, puis repartir en silence. Elle se souvint de ses pleurs, qui avaient duré, duré, duré, avant que sa tête ne se mette à tourner, et qu'elle ne perde conscience sur le sol ensanglanté de la salle du trône. Combien de temps s'était-il écoulé ensuite ? Des heures, des jours, des mois, elle ne savait plus. Elle ne voyait autour d'elle que le vide. Elle ne pensait plus à rien. Il n'y avait plus que la chaleur rassurante du noir tout autour d'elle.
De temps en temps, elle sentait une petite pointe de douleur. Ou alors son cerveau captait un son quelconque. Des fois, elle arrivait à le reconnaître comme une voix. Une voix... y avait-il des gens autour d'elle ? N'avait-elle pas demandé à être seule ? Dans ces moments-là, elle se rappelait qu'elle pouvait éprouver des émotions, et une pointe de rage lui faisait ressentir les limites de son enveloppe charnelle. Mais la douleur qui s'en dégageait était trop forte. Alors, elle se réfugiait dans le noir rassurant, et tout allait mieux. Elle ne ressentait plus rien. Elle ne se rappelait plus de rien. Elle cherchait qui elle était. Elle voulait oublier son être. Elle attendait.
Elle attendait que le noir cède sa place à la lumière.
Et le noir finit par s'effacer.
C'était un de ses moments de conscience les plus forts. Elle était Lina Blackheart. Elle avait vingt-et-un ans, vingt-deux en octobre prochain. Elle vivait à Wattpadia. Elle se raccrochait à ses bribes d'identité comme elle pouvait. C'était la seule chose qui existait dans le noir. Et puis, le noir s'éclaircit. Il devint gris. Puis blanc. Elle sentit ses poumons se contracter, son torse se tordre de lui-même. Elle avait une identité. Elle avait un corps. Elle était Lina Blackheart.
Le blanc se mua en formes, des formes floues et indistinctes. Elle sentait des piqûres dans tout son corps, mais ses jambes étaient comme ramollies, elle parvenait à peine à bouger. Et les formes se précisèrent. Pour former au dessus de sa tête un sourire éclatant, des prunelles bleu pâle, et une nuée de cheveux blancs qui cascadaient sur son front. Ses yeux s'ouvrirent un peu plus. Et elle vit les joues striées de larmes, la barbe d'une semaine et l'expression teintée de joie sur le visage de Baku.
Elle prit une inspiration brusque, se sentant s'emplir d'air jusqu'aux orteils. Et tout lui revint.
Baku, au dessus de sa tête, élargit encore son sourire.
« – Créateur merci, tu es enfin réveillée... »
Et c'est à cet instant qu'elle les vit. Tous, réunis autour de son lit, tous ses camarades.
Il y avait Baku, bien sûr, et un peu plus loin le visage ébène d'Akai était fendu par un très large sourire, dévoilant une dentition immaculée qui détonait avec son teint. Elle tenait la main d'une femme en armure de paladine, aux traits très fins et aux cheveux noirs cascadant sur ses épaules, détonant avec sa peau pâle. Elle et Akai formaient un couple d'opposées, mais le bonheur sur leurs visages était identique. Il s'agissait sûrement de Nae, se dit Lina en voyant à quel point elles étaient proches.
Et autour d'eux, des personnes qu'elle n'avait jamais pensé revoir un jour. Et encore moins dans ces circonstances.
Il y avait d'abord la grande femme au teint mat et aux longs cheveux rouges retenus au sommet de sa tête par un nœud. Lina pouvait reconnaître sa manière de se tenir, très droite, et la façon qu'elle avait de placer ses mains sur ses genoux, ce qui mettait inconsciemment en valeur sa poitrine. Ses yeux bleus brillaient de soulagement, et l'expression détendue de ses traits n'était en rien gâché par la cicatrice en forme de double griffe qui lui barrait l'œil gauche, reflet de celle que Lina arborait sur son droit. Elle souriait, assise sur une chaise au plus près de Lina.
À côté d'elle, le loup-garou torse nu, qui agitait sans cesse sa longue queue touffue au point de frapper les deux pauvres infortunés qui se tenaient à ses côtés. Il repassait sans cesse une main sur ses oreilles canines, un tic que Lina lui connaissait bien, et qu'elle voyait souvent lorsqu'il était heureux. Ses cicatrices, vestiges de combat avec d'autres gens de son espèce, lui barraient profondément chaque carré de peau nue, et son œil droit était recouvert d'un bandeau encore taché de sang séché. Mais son sourire était le plus éclatant de tous.
Et il y avait encore tellement de monde. Il y avait la petite fille aux longs cheveux noirs, attachés en deux queues de cheval, qui se tenait bien droite, tenant de se grandir au maximum. Il y avait l'elfe entièrement vêtu de rouge et de jaune, à l'image de sa tignasse écarlate et de ses iris topaze, qui lui faisait un signe de loin. La petite fille aux longs cheveux bleu mer, toute recroquevillée aux côtés d'une grande blonde. Cette dernière avait le bras autour de ses épaules. Et bien d'autres qu'elle ne pouvait voir, à moitié cachés derrière ceux qui se tenaient au premier rang, mais tous souriants. Lina avait l'impression de contempler une mer de sourires, de sourires tellement familiers. Et le sien s'ajouta, à son tour, à la marée qui l'entourait.
« – Les amis... Asura... Cyno... Vous êtes tous là... »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top