Chapitre 30, partie 1
Ils couraient dans le palais depuis cinq bonnes minutes, ne se guidant qu'avec l'aide de Lina et de l'aura du Livre des Intrigues. Jean-Kévin restait persuadé qu'un portail droit dans la salle du trône aurait été plus pratique, mais alors qu'ils couraient, les trois voyageurs yürhamah s'étaient consultés du regard : oui, le rituel avait bien verrouillé leurs capacités de voyage spatiotemporel. Il y avait fort à parier que même les plus puissants ne pourraient s'approcher de la salle du trône. Ils étaient donc réduits à s'y rendre à pied, guidés uniquement par l'aura qui se dégageait encore du plus important artefact du royaume entier.
La salle du trône était proche. Lina pouvait sentir toute la magie qui s'en dégageait : La royale, certes, mais aussi celle plus brûlante et active de la Flamme, qui augmentait d'intensité à chaque pas qu'elle faisait. Plus que quelques pas et ils déboucheraient sur probablement leur ultime bataille. Le combat qui mettrait fin à cette guerre, le dernier chapitre de leur histoire.
Et il aurait lieu là, derrière les immenses portes qu'ils avaient franchies des mois auparavant, à une époque qui lui semblait tellement lointaine. Elle se souvenait de l'elfe inconnue, du voyageur taciturne, et d'elle-même, la prêtresse dévouée. Est-ce qu'ils avaient changé durant cette aventure ? Qui saurait le dire ? Elle-même ne parvenait plus à se souvenir de la dernière fois où elle avait prié. Ses jours heureux de Cardinale lui paraissaient si loin....
Corbeau et Erin échangèrent un regard avec elle, les yeux emplis d'une détermination ancienne qui la ramenait loin auparavant. Si, sans doute, ils avaient changé depuis cette période. À commencer par le lien qu'ils avaient tissé. Ils avaient franchi cette porte en inconnus animés par le même but. Aujourd'hui, ils la repasseraient en amis animés par la même rage.
Jean-Kévin s'avança, et posa ses deux mains sur la porte. Les battants s'écartèrent d'eux-mêmes. Ils étaient prêts.
La salle du trône était consumée par les flammes. Partout, des braises crépitaient, et l'odeur charbonnée remplaçait les parfums fleuris que Style entretenait avec tant d'amour. Lina sentit son estomac se tordre. Son roi aurait été tellement furieux qu'on touche à ses jardins...
Et devant le trône envahi de flammes, les yeux tournés vers le vitrail qui surplombait l'alcôve royale, Optrik, serrant toujours entre ses mains le livre d'Intrigue. Mais cette fois, il se tenait droit, et avait cessé de sangloter. La dague de Style était serrée dans sa main gauche, et le livre des Rois crépitait dans un coin, la couverture à moitié brûlée. Lina se sentit envahie d'une rage immense à la vue de l'antique magie qui se consumait. Il fallait faire vite. Car cycle littéraire brisé ou pas, elle ne permettrait pas de laisser un des trésors les plus précieux de Wattpadia se faire consumer par un homme que la raison avait délaissé.
Les entendant arriver, sûrement, Optrik posa le livre des Intrigues devant le trône, avant de se tourner vers eux en souriant. Il n'y avait plus trace d'une quelconque tristesse ou désorientation sur son visage mat. Seulement une indicible cruauté, et des traces d'une étrange adoration dont Lina se doutait bien qu'elle n'était pas dirigée vers eux. Le poing qui tenait l'Artefact se serra.
« – Nous voici de nouveau à la croisée des chemins, semble-t-il. »
Sa voix était bizarre. À la fois grave et masculine, la voix d'Optrik telle que tous la connaissaient. Et à la fois féminine, crépitante de flammes et chargée de chaleur. Une voix que Lina attribuerait sans aucun doute à la Flamme, si elle n'avait pas émané du corps de son ennemi. Mais l'ennemi était un Avatar, et un Avatar prêt à sacrifier sa conscience pour rendre sa déesse invaincue. Alors sans doute, le processus avait commencé.
Jean-Kévin se crispa, et les autres se mirent en position de combat, prêt à attaquer. Ce fut à ce moment-là que Lina remarqua la forme sombre, de taille enfantine, qui se tenait à côté du trône. Elle bougeait à peine, mais il suffit d'un mouvement de lumière pour que tous puissent entrevoir, à travers les colonnes de flammes, des reflets plus flamboyants encore que ceux du feu sacrificiel. Des reflets que Lina ne pouvait attribuer qu'à une seule personne.
Corbeau, à ses côtés, se crispa, et la voix incrédule de Phila retentit dans la pièce, faisant sourire Optrik.
« – Originalité ?!? »
La petite forme se mit à bouger, et des sanglots retentirent dans l'air. Le sourire d'Optrik s'élargit.
« – Elle-même. La petite la plus puissante de tout ce royaume. Vous vous doutiez bien que je n'allais pas la tuer de suite. Elle m'est trop utile. La Flamme pourra consumer son pouvoir pour acquérir toujours plus de puissance, surpasser chaque dieu existant, et prendre enfin la place qui lui est due dans ce royaume, dans cet univers ! Tout ça grâce à moi, son fidèle serviteur !
– Arrête ton baratin, grogna Baku. On ne va certainement pas laisser faire ça. »
Optrik cessa de sourire. Avant d'écarter les bras largement, exposant l'Artefact à la lumière du feu sacrificiel, et de s'avancer de trois pas.
« – Allons allons. Quelle que soit l'issue, je mourrai ce soir. N'êtes-vous pas heureux ? »
Lina eut un petit rire. La perspective était plaisante. Si seulement tout ce qu'elle connaissait n'était pas consumé par les flammes. Si seulement elle avait eu un espoir de vivre dans un monde que la Flamme aurait envahi. Si seulement la simple idée de dieux transcendant leur rôle pour semer la destruction n'était pas contraire à tous ses principes.
Phila leva son épée devant elle, avant de la pointer sur Optrik.
« – Tu nous as détruit ce royaume, et j'me doute bien qu'on ne va pas être plus heureux que ça si la Flamme réussit son coup. T'as ta réponse, je crois ? »
Un petit rire s'échappa des lèvres d'Optrik, et il avança encore d'un pas. Lina entendit Jean-Kévin marmonner en wattpadien ancien, sans doute un sortilège. Baku leva un couteau devant lui, prêt à attaquer. Et un rapide regard apprit à la générale que tous les autres se préparaient de la même manière. Optrik, lui, ne semblait pas le remarquer. Il fallait simplement espérer qu'il garde pareille imprudence pour toute la durée du combat, ça les arrangerait bien.
« – Détruit, le royaume ? Bien au contraire. Il renaîtra de ses cendres, purifié et renforcé, et de la sorte je pourrai lutter contre nos ennemis ancestraux, ceux que vous refusez de reconnaître ! Le royaume de Papier, l'intemporel, l'immortel, le tout-puissant ! N'avez-vous jamais rêvé d'être délivré de son joug ? »
Lina plissa les yeux. Elle n'avait que vaguement entendu parler de Papier, en ignorait tout, de leurs lois à la taille du royaume. Mais à en croire le glapissement surpris de Jean-Kévin, c'était quelque chose à redouter. De leur côté, les autres se regardèrent, l'air tout autant perdus que Lina. Celle-ci plissa les yeux. Que Phila, Akai ou Erin n'aient jamais entendu parler de Papier, c'était une chose. Que Baku et Corbeau soient tout autant ignorants en la matière en était une autre. Les deux étaient natifs de Wattpadia, contrairement à Optrik. Et même le Patriarche ne lui avait jamais vraiment parlé de Papier jusqu'alors. C'était bizarre.
Akai, de son côté, plissa les yeux.
« – L'Artefact semble quasiment vide... Tu l'as utilisé, pauvre abruti ? »
Optrik sourit.
« – Pas encore. Sans doute ne le ferai-je jamais. J'avais prévu de ramener ma reine... Mais est-ce que ça a une quelconque importance après ça ? Que les royaux brûlent, la Flamme ne s'en portera que mieux !
– Ah ça oui, les royaux ont cramé, connard, marmonna Baku. On l'a bien vu, le bûcher de Conjugaison. »
Lina se tourna vers lui, pour froncer les sourcils devant ses traits emplis de colère. Mais elle devait reconnaître en avoir moins peur maintenant. Elle-même était consumée par la rage, la rage de voir Optrik parader, la rage de voir le peu d'importance qu'il accordait à la vie, la rage de voir qu'encore aujourd'hui il en savait plus qu'elle. Que Baku s'énerve. Sa colère était le reflet de la sienne, et elle se fichait bien qu'Optrik meure dans d'atroces souffrances.
« – Ah, elle ? Il fallait donner des cendres au peuple.
– Le peuple en a rien à foutre de tes cendres ! Cracha Erin. Tu es en train de prendre tes désirs pour des réalités ! »
De nouveau, Optrik sourit, et cala la dague dans sa ceinture. Il était désormais à distance suffisante pour attaquer. Lina se ramassa sur elle-même. L'autre écarta les bras.
« – Peu importe que je prenne mes désirs pour des réalités. Je suis le Roi. Je suis l'Avatar de la plus grande des déesses. Mes désirs doivent devenir des réalités. »
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