Chapitre 3, partie 3
Devant elle s'étendaient les couloirs vides et en état déplorable d'un immense collège qui semblait très ancien à ses yeux, mais l'était probablement bien plus pour les habitants de cette ligne temporelle.
Terre, 3655. telle était l'endroit où elle avait atterri. Une chronologie dévastée par la guerre et la maladie, où les rares personnes à reprendre les choses en main, les enfants, étaient cloîtrés par leurs parents guerroyeurs pour avoir osé se soulever contre le système. Sans doute pas des combattants d'exception, se disait Lina, mais surtout des mutations génétiques, avec un don inscrit jusque dans leur caryotype.
La voyant arriver, les quelques gamins qui traînaient dans les couloirs sombres s'empressèrent de se cacher avec des gémissements apeurés. Un se dirigea même vers le boîtier de l'alarme, bien visible, rouge sur le mur blanc écaillé du papier peint des couloirs. Pour se faire bloquer instantanément par Lina, qui avait eu le réflexe de bondir et d'attraper le poignet du garçon paniqué d'un geste brusque juste avant que son doigt n'appuie sur l'interrupteur. Ce dernier se mit à hurler de terreur ; personne qu'il ne connaissait ne pouvait atteindre une telle vitesse, pas même les adultes, se dit une Lina agacée, grognant devant les cris. Et le pire, c'est qu'il avait de la voix. Les tympans sensibles de son aînée commençaient à la faire souffrir. Avant de ne pouvoir se retenir de frapper le pauvre gamin sous le coup de l'énervement, la métamorphe plaqua sa main libre sur la bouche du gosse, tout en soupirant de soulagement devant l'atténuation des cris. Une fois certaine que ses oreilles ne se feraient plus agresser, elle se tourna vers les autres enfants, dissimulés derrière les portes abîmées des couloirs, qui menaient à des classes d'où s'échappait une répugnante odeur de renfermé.
« – Je ne suis pas un adulte, pas plus qu'une ennemie. Je veux parler à Noor. Où elle est?
– Dans la cuisine. »
La voix venait de derrière Lina, qui se retourna pour voir une petite fille à la peau sombre et aux yeux marron chocolat la fixer avec un air inexpressif. La jeune femme se détendit et reposa le garçon en lui souriant. Ce dernier s'enfuit à toutes jambes, et ses pas résonnaient dans le couloir quasiment vide longtemps après qu'il ait tourné à un angle. Les autres enfants ne tardèrent pas à le suivre, sauf la petite fille aux yeux vides, qui fixait la jeune femme sans laisser passer la moindre trace d'expression.
« – Merci petite.
– Je suis pas petite. Je suis Gabrielle. »
Lina sourit encore plus, mais cette fois un sourire teinté de tristesse. Cette fillette, treize ans tout au plus, lui rappelait une de ses anciennes camarades. Elle avait le même air innocent. À la différence près qu'elle vivait dans un monde bien plus cruel que son amie. Un monde qui détruit l'innocence enfantine.
La métamorphe prit la direction de la cuisine avec sur ses talons la gamine, qui ne disait pas un mot, se contentant de la scruter avec des yeux vides de toute émotion. Sur le chemin, ils croisèrent plusieurs enfants de son âge. Tous la saluèrent. Elle ne répondit pas.
Lina allait lui demander pourquoi tant de froideur lorsque la fillette leva les yeux vers elle et dit avec une colère contenue:
« – Tu as une apparence d'adulte. Je n'aime pas les adultes. Ils nous ont pris tous les nôtres.
– Tu sais gamine, je ne suis pas une adulte, du moins pas de ton monde.
– Je m'en fiche. Je ne vous aime pas. Vous êtes des monstres.»
La franchise de la petite étonna son aînée, avant qu'elle ne se rappelle que Gabrielle, qui d'après ce dont elle se souvenait était la sœur cadette de l'ex-chef de la compagnie, était connue pour son franc-parler et son manque total de tact. Alors elle se contenta de l'écouter, tandis qu'elle expliquait avec une lueur haineuse dans ses yeux marron vides et un nombre minimal de mots la situation désastreuse dans laquelle ils se trouvaient. Vingt-cinq personnes restantes sur plus de deux cents, l'ex-chef disparue, Noor qui avait dû reprendre la compagnie sur le tard. Ça suffisait à la compréhension de Lina. Juste quelques mots qui exsudaient de tant de reproches implicites, comme si elle cherchait à faire comprendre à la voyageuse que c'était de sa faute aussi. Jusqu'à ce que se profile devant eux la porte des cuisines, que Lina passa en coup de vent sans même prendre la peine de toquer.
Noor était bien dans la cuisine, penchée sur les dernières réserves de nourriture du lycée. C'était une petite jeune femme qui sur Terre serait typée marocaine, aux cheveux noirs et lisses, un peu boulotte mais très agréable à regarder. Entendant le bruit de la porte qui s'ouvrait, cette dernière se leva, et regarda son invitée surprise avec son visage tordu par la tristesse et la seule chose qui semblait pouvoir gâcher son physique, à savoir une cicatrice qui lui traversait la joue en diagonale et se stoppait sur un nez légèrement tordu.
La cardinale prit un temps pour la détailler. La leader par remplacement avait maigri, laissant pendre autour de sa taille des sacs de peau à peine visible marquant un ancien léger surpoids. Ses yeux noirs, dont Lina se souvenait autrefois pétillants de bonne humeur, n'avaient plus la moindre lueur en eux. Juste le poids de ses nouvelles responsabilités et de la disparition de sa chef. La voyageuse pouvait sentir que la jeune femme n'était pas taillée pour ça. Malgré un génie informatique se disputant à celui de Turing, elle n'était pas taillée pour diriger.
« – Qu'est ce que vous voulez? »
En réponse à la voix rauque de la jeune femme, Lina s'avança dans la lumière, décidant cette fois d'aller droit au but. Même si les gosses ne pouvaient se battre la concentration de génies dans ce lycée pouvait devenir un élément clé pour renverser le cours de la guerre, ne serait-ce qu'en créant des nouvelles armes, des nouvelles stratégies, des nouveaux moyens médicaux.
« – T'offrir une occasion de sortir de ce lycée. À toi et à tous les autres. »
De nouveau, Lina expliqua, le plus détaillé qu'elle pouvait. Wattpadia, les clichés, le royaume en danger, l'armée. Et Noor écoutait, en silence, de même que Gabrielle derrière les deux femmes. Jusqu'à la fin, la demande d'aide, où la leader interrompit d'un geste le discours de son invitée.
« – Je suis très flattée par la proposition mais je ne peux pas. Luna, Laure et Austin sont encore perdus. Je refuse de bouger de là avant d'avoir de leurs nouvelles. »
La voyageuse soupira à la mention de ceux qu'elle savait être les trois piliers du groupe, ceux qui semblaient diriger à sa dernière visite. Elle savait que tout le groupe les tenait en très haute estime, mais elle ne pouvait pas se permettre de perdre tout un groupe pour attendre trois personnes probablement mortes ou subissant un sort horrible, enlevées par leurs ennemis pour une raison que même elle ignorait.
« – Noor, c'est sérieux. Je ne vous demande pas de vous battre. Juste de nous aider. On aura besoin de vos génies pour les armes et le combat. Et ça vous permettra de sortir. »
Elle continua longtemps comme ça, à déballer tous les avantages de sa proposition pour un groupe d'enfants exsangues et épuisés, aux réserves vidées et incapables de lutter. Mais son interlocutrice continuait de secouer la tête, un air de plus en plus triste sur son visage.
« – Ce n'est pas seulement une question d'intérêts, Lina Blackheart. J'ai vu la guerre. La guerre m'a pris mon visage et mon innocence. Je ne veux pas imposer ça aux loupiots. Quoi que tu me promettes de faire pour les épargner, quoi que vous fassiez pour les tenir à l'écart, ils finiront par voir un combat, du sang, de la mort, où à y être confrontés. Les médecins verrons les blessures, les scientifiques les dégâts de leurs armes. Je ne veux pas qu'ils deviennent comme moi. Marqués à vie par ce qu'on cherche à défendre. »
Il n'était pas difficile de comprendre les arguments d'une survivante de guerre. Personne d'autres qu'eux ne pouvait mieux comprendre l'horreur qui habitait la croisade, le sang qui souillait les mains des soldats alors que leur entraînement passé les forçait à tuer, tuer, tuer, prendre des vies pour sauver la leur. Lina poussa un profond soupir avant de baisser la tête, déçue mais compréhensive. C'était un échec qu'elle ne pouvait sans doute pas éviter, à bien y réfléchir.
« – Comme tu voudras. »
La leader inclina la tête, un profond soulagement sur son visage défiguré, avant de sourire très légèrement à Lina. Il lui manquait trois dents, et les trous dans sa mâchoire exprimaient presque autant que la zébrure sur son visage ce que la guerre nous prenait. La métamorphe trouvait presque ça dommage, que le seul moyen de rétablir la paix n'oblige les gens à faire des sacrifices. Mais elle n'en connaissait pas d'autre. Le bonheur exige pour être durable d'éliminer toutes sources de malheur. Même des vies clichées. Surtout des vies aussi répugnantes que les clichés.
« – Merci. Merci infiniment de comprendre. »
Noor serra avec force les pans de son vêtement abîmé en tremblant un peu, avant de faire un signe à Gabrielle qui se tenait derrière Lina. La petite fille prit la parole, d'une voix toujours atone et triste, courbée par le regret et les souvenirs.
« – Je vais vous accompagner jusqu'au téléporteur, mademoiselle.
– Inutile. Je rentrerai très bien de moi-même. Et j'ai encore du travail à faire. »
La gamine hocha la tête, se remettant une mèche derrière l'oreille avec un air toujours aussi vidé d'émotions. Lina en venait presque à compatir avec cette petite fille seule, sans famille ni souvenirs heureux à quoi se raccrocher, habitée par tout juste un filet de vie prêt à disparaître à tout moment.
Il suffit de quelques secondes pour que la métamorphe disparaisse de nouveau, laissant derrière elle la compagnie des enfants et le visage fermé de la fillette de treize ans.
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Chapitre trois bouclé!
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