Chapitre 29, partie 1
Il n'y avait plus autour d'eux que mort et désolation. Le sang imbibait le sol d'un champ de bataille visiblement tout récent, teintant la poussière d'un rouge carmin identique à celui du ciel. Le soleil descendait, vents chauds et froid glacial s'alternaient sur le terrain dévasté, et il n'y avait plus pour compagnie qu'une marée de cadavres étalés sur le sol. Tous tordus par cette même déformation qui avait pris place dans la chambre des nobles.
Le sang imbiba les bottes de Lina avant que cette dernière ne puisse s'habituer à la vision. Elle baissa les yeux, et vit qu'elle avait atterrit au milieu de la plus importante des mers de cadavres de tout ce champ de bataille. Ses mains étaient recouvertes du liquide poisseux, et elle ne pouvait plus flairer que ça. Autour d'elle, ses camarades retinrent une exclamation. Un bruit de régurgitation à côté d'elle lui apprit que Baku n'avait pu résister au spectacle et recraché ce qu'il avait avalé le matin même, à genoux au sol, les mains crispées sur le ventre. Son teint était presque de la couleur de ses cheveux.
Lina s'agenouilla à côté de lui et lui caressa doucement le dos, tentant d'afficher un sourire rassurant. Sa tentative fut probablement une réussite, vu que Baku, relevant la tête, se détendit un peu et se laissa aller contre elle.
« – Tout va bien ? »
Sa question était stupide, sans doute. Il était évident que Baku n'allait pas bien. Mais le petit rire qui s'échappa des lèvres de ce dernier acheva de le détendre, et il se redressa doucement, s'essuyant les mains pleines de sang sur son vêtement.
« – Juste un... Un mauvais souvenir qui remonte. Ce n'est rien. »
Lina lui sourit, et pinça sa joue avec amitié avant de se tourner vers le groupe.
« Bon. On est où là ? »
Jean-Kévin regarda autour de lui, essuyant à son tour ses mains pleines de sang sur son vêtement. Les autres, constatant leur tenue, firent de même. Baku se serra un peu contre Lina, et cette dernière se laissa faire, consciente qu'il n'était pas tout à fait remis des deux traumatismes successifs. Et ils attendirent le verdict de leur... de leur quoi, en fait ? Ennemi ? Camarade ? Ami ? Non.... Sans doute pas ami.
Ce dernier se tourna vers eux, les mains croisées dans le dos.
« – C'est un carnage comme ceux qu'on a l'habitude de voir à Wattpadia, mais jugeant du fait qu'il s'agit d'une création d'Optrik, je pense qu'il s'agit d'une bataille de son monde. Reste à savoir laquelle. »
Ses mots furent ponctués par un immense vent glacial, qui secoua les cadavres les plus hauts placés et fit tourbillonner le sang. Le liquide se mit à former des images, des scènes de guerre, des gens qui se faisaient enfoncer une lance dans le dos, des visages déformés par la douleur. Des pleurs d'enfants, le crépitement des flammes. Et puis, une clameur gigantesque se fit entendre de sous terre, au point d'en faire trembler le sol, et une immense ombre traversa le ciel, essaimant des débris de chair pourrissants derrière lui, avant qu'un gigantesque jet de feu ne consume tous les cadavres sur son passage. Le ciel s'obscurcit, et l'entièreté du champ de bataille se vit recouvert de cette ombre cachant le soleil, à forme de dragon, tellement immense qu'il était impossible d'en distinguer les contours. Le groupe ne dut son salut qu'à la rapidité d'action d'Akai, qui écarta les flammes d'un mouvement de bras tandis que Corbeau érigeait des murs de glace.
Le hurlement d'un dragon répondit à la clameur, suivi d'un nouveau jet de feu. Et Lina se sentit envahie d'un courage qu'elle ne connaissait pas. Elle mourait d'envie de suivre ce dragon. Il dégageait une telle aura, une telle prestance... Elle pouvait le voir déformer le monde autour de lui, et les cadavres le suivaient avec une ferveur toute droit tirée de leur réanimation. Il semblait à même de tout faire. Il semblait à même de tout détruire...
Corbeau lui tapa sur l'épaule, la distrayant de sa contemplation. Elle se tourna vers lui, pour constater qu'il avait la bouche pleine de sang. Une marque de morsure se distinguait clairement sur sa lèvre. Elle plissa les yeux. Il lui répondit par un hochement de tête. Ces sentiments n'étaient pas normaux. Il y avait même très fort à parier qu'ils n'étaient pas les siens.
Phila et Akai se rapprochèrent d'eux en levant leurs armes, et le groupe se forma en position de défense, chacun se tournant le dos, tous en garde, prêts à attaquer comme il le faudrait. Ils étaient sur un champ de bataille, après tout. Il y aurait forcément des adversaires. Et avec eux, un moyen de se sortir de ces visions.
La voix désincarnée que Lina avait identifiée comme étant celle d'Optrik se remit à parler dans l'espace, accompagnant une horde de cris de douleur et de crépitements de flammes. Elle se crispa en l'entendant, avant de lever son katana. Les autres firent de même. Les yeux se tournant dans toutes les directions, les poings plus serrés que n'importe quel étau. Tous concentrés sur la voix sans corps.
« – Mon seigneur... Mon maître... Vaincu.... »
L'immense dragon dans les airs se fit atteindre d'un jet de lumière, et chuta au sol dans un fracas immense. Une vague de sang se souleva sur son passage, de même qu'une déferlante de colère. Les morts hurlaient, chutaient, se lamentaient dans un cliquetis d'ossements. Une armée au loin émit une immense ovation. Et trois personnes s'avançaient, escaladant le corps du dragon. Se dirigeant droit vers eux.
La première impression que Lina eut en voyant ces personnes, c'est qu'elles avaient dû être belles, en dehors de la vision. La femme elfe qui menait le groupe avaient des cheveux roux flamboyants, bouclés dans tous les sens, qui dansaient à chaque mouvement qu'elle faisaient. Elle était très sèche, bien loin de la musculature qu'arborait Lina, mais elle sentait dans ses mouvements une force toute particulière. Ses habits étaient riches, mais pratiques. Une tunique ornementée d'un blason et des chausses de tissu fin, quelque peu déchirées par la bataille qui venait de se livrer. Dans ses mains, un livre. Mais c'était tout ce que Lina pouvait lui trouver de joli. Car son visage était tordu comme celui de la nonne, un sourire sadique qui ne lui allait pas sur ses traits, les yeux verts brillant de haine et sortant presque de ses orbites. La chair fondant sur son corps, ses mains semblables à des serres dotées d'ongles crochus. Même ses oreilles d'elfe n'étaient pas épargnées, attaquées par l'acide et percées de trous. Elle était recouverte de sang qui n'était assurément pas le sien.
À ses côtés, il y avait une autre elfe, aux cheveux noirs cette fois, et à la même expression de sadisme sur des traits qui avaient dû être enjôleurs autrefois. Elle portait la même tunique, se tenait dans la même position. Comme une copie de la première, en plus jeune et plus puissante. Et l'être qui complétait la marche était un humain, serrant entre ses mains une épée en os de dragon. Sa barbe et une capuche lui recouvraient le visage, elle n'arrivait donc pas à discerner ses traits. Mais sans doute étaient-ils déformés de la même manière, atteints par cette horreur, changés en monstruosité. Il semblait être le plus normal des trois, apparence humaine, armes humaines, aucune magie n'émanant de lui. Il semblait être le plus faible. Pourtant, il émanait de lui cette impression de force que possédaient les plus grands guerriers,bien qu'entachée par une soudaine colère.
Phila se rapprocha d'elle et lui chuchota doucement à l'oreille :
« – L'homme en gris, à la capuche. Il dégage la même chose que toi. »
Et malgré la nouvelle déformation de colère qui vint brouiller leur perception, Lina se sentie touchée par ce qui ne pouvait être qu'un compliment.
Ça ne dura pas longtemps.
Le rouge envahit de nouveau sa vision, et les silhouettes devant elles furent entachées d'une immense colère qui ne lui avait jamais semblé aussi juste. La beauté des elfes et la prestance de l'homme disparurent. Il ne restait plus que les monstres. Plus que les êtres à éliminer pour pouvoir passer.
« – Je crois que si on les tue, on pourra se tirer de là, fit un Baku tendu. Je ne sens presque plus l'influence de la magie. Optrik doit se concentrer sur autre chose. Il a peut-être repris ses esprits ? »
Lina ne se demanda pas comment son ami pouvait sentir pareille déformation. Elle avait déjà une hypothèse en tête. Et en attendant, il avait raison. Visions finies ou pas, ils devraient tuer ces créatures pour avancer. Dans d'autres temps, ils avaient été les ennemis d'Optrik. Maintenant, ils étaient les siens.
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