Chapitre 28, partie 1

Trouver Optrik dans le palais fut chose aisée. C'était la seule âme qui vive de tous les couloirs. Les serviteurs et les gardes étaient tous morts, et les Inquisiteurs en transe jonchaient les corridors, psalmodiant leur sinistre litanie d'un ton morne à en faire frémir Lina.

Du palais qui avait abrité les lois de la littérature durant toutes ces décennies, il ne restait plus que des ruines achevant de se consumer, et la fantastique magie que Lina avait senti provenir des rois et reines n'était plus que filet perverti, corrompu pour le bien des plans d'un psychopathe. Les princes et princesses encore en vie étaient introuvables. Et il ne restait plus de la vie et de la joie régnant dans le cœur de Wattpadia que du sang et des larmes jonchant le sol, au côté des Inquisiteurs qui sacrifiaient leur âme à un dieu que Lina n'aurait jamais pensé aussi destructeur.

Elle avait longtemps pensé que les autres divinités n'étaient que les incarnations des différents aspects de la Création sur Terre et que par cela même ils se devaient de se tenir à leur rôle, sans quoi le royaume risquait de s'effondrer et avec lui, le multivers qui lui était rattaché. Alors que la Flamme décide de régner sans partage avec ses confrères, ou même avec les élus de son dieu, cela la mettait en rogne à un point que seuls les prêtres du Créateur pouvaient imaginer. Même si elle pensait que les autres comprendraient aussi son point de vue. Comment pouvait-il en être autrement après tout ? C'était les lois qu'on lui avait apprises depuis qu'elle avait mis les pieds à Wattpadia. Les seules lois admissibles du monde.

Elle avait peut-être eu certains états d'âme, certaines réflexions au sujet des clichés, au cours de cette guerre. Les clichés, des êtres vivants, lui avaient dit Azul et Seiji. Les clichés versent leur sang aussi, lui avait fait comprendre son combat. Mais ce que Jean-Kévin lui avait dit au sujet de ses ennemis héréditaires lui avait ôté ces réflexions. Stupide, se disait-elle. Si on est prêt à aller aussi loin pour anéantir ces choses, surtout lorsqu'on est un mage comme lui, c'est qu'elles sont forcément nuisibles. Et les Grans Ortografeurs avaient achevé de la convaincre. Ces engeances ne devaient pas exister.

Baku, voyant qu'elle était de plus en plus crispée, lui glissa un regard en coin. Elle se contenta de hausser les épaules. Elle lui en parlerait plus tard. Au moins, elle pourrait toujours se confier à lui. Rien n'avait changé dans leur relation. Rien, si ce n'est leurs espoirs brisés à tous les deux.

L'Amour est une chienne, se dit-elle alors qu'une énième porte s'effondrait, comme érodée par les flammes. Le feu avait rattrapé l'intérieur du palais, et tout tentait de résister à sa capacité de destruction, alimenté par les maigres restes de la magie de deux piliers du royaume. Elle plissa les yeux à la vue du brasier. Il fallait faire vite, ou les milliers de vies perdues le seraient pour rien.

Enfin, une porte s'ouvrit sur la seule âme qui vive de tout ce palais. Optrik, recroquevillé dans un coin, des larmes plein les yeux et les joues rougies par les traces de ses pleurs. Contre lui, serré sur sa poitrine avec l'étroitesse des meilleurs étaux, le livre saint des Intrigues, gravé de leur nom en lettres d'argent. C'était de l'ouvrage qu'émanait les dernières traces de magie créationniste du palais. Celui de Style se trouvait plus loin, recouvert de flammes qui l'entouraient dans son ensemble, commençant à l'éroder avec une lenteur rendant la combustion presque indiscernable, mais suffisamment pour que Lina ait un frisson. Les livres saints étaient la clé du cycle, l'élément permettant de reconnaître quelle allégorie venait au monde. Elle ne voulait à aucun prix voir celui qui abritait les fondements des Styles brûler sous les flammes de l'ennemi. Jamais.

Erin, voyant le brasier, plissa les yeux, alors qu'Optrik, visiblement oublieux de toute présence vivante, continuait de sangloter et de marmonner des phrases inintelligibles. Baku grommela, mais ne dit rien, se contentant d'écouter l'elfe et les alentours.

« – C'est quoi ce livre ? Pourquoi Optrik le brûle ? »

Lina se préparait à répondre, mais Jean-Kévin la coupa dans son élan, le plus bas qu'il pouvait.

« – Ils renferment le pouvoir ancestral des allégories. Il est dit dans les textes qu'un enfant royal est automatiquement attiré par le livre qui lui correspond, et c'est ainsi qu'on les nomme. »

Baku hocha la tête, et montra du doigt Optrik, qui s'était retourné, les yeux plissés, une expression d'une neutralité presque fausse sur le visage. Le regard fixé sur Akai.

Cette dernière étouffa un cri. Il s'était relevé, et les vêtements qu'il portait, une armure de cuir brodée de flammes sur le plastron, laissaient entrevoir à sa ceinture une dague ornementée que Lina avait si souvent vu sur Style. Sa dague. Kikoolol plissa les yeux.

« – Il n'a pas perdu de temps pour s'approprier l'Artefact de Résurrection parfaite. »

Alors, c'était ça, l'Artefact ? Dans un sens, c'était assez évident. Style ne quittait jamais sa dague, il lui était fidèle jusqu'au bout. Mais elle n'avait jamais pu identifier l'objet, et ce même après son ascension au rang de Gardienne, qui l'avait visiblement dotée d'une affinité avec la Mort. Alors qu'Optrik l'ait reconnu, et pire encore, récupéré, cela ne présageait rien de bon. Rien de bon du tout.

Erin plissa les yeux et sortit son épée.

« – Donc, c'est lui, Optrik ? Je dois reconnaître que je ne l'ai jamais vu de près...

– Oui, c'est lui, soupira Phila. L'enculé en personne. »

Akai s'avança d'un pas lent, pour se placer en avant du groupe, la main tendue devant elle en une ancestrale position de défense des mages.

« – Faites attention à vous. »

Le groupe opina. Il n'était plus temps de bavarder autour d'un quelconque aspect du royaume. Devant eux se trouvait l'ennemi à détruire.

Ce dernier continuait de sangloter, émettant un constant borborygme inintelligible pour Lina. Baku se glissa à ses côtés, et murmura à son oreille :

« – Je crois qu'il dit qu'il regrette. Mais ce n'est pas à nous qu'il s'adresse. C'est assez évident. Il parle de sa déesse. »

Lina plissa les yeux. Optrik ne pouvait pas regretter. Pas après avoir détruit tous les fondements de sa religion. Pas après avoir assassiné les piliers du royaume. Pas après avoir détruit la vie de tant d'habitants innocents. Pas après tout ça.

Optrik soupira. Un profond soupir empli de mélancolie. Avant de se relever en grognant.

« – Vous voilà. Après tant d'obstacles, de murs à franchir, de péripéties, oserais-je dire. Vous êtes là. »

Un petit bruit de métal glissant dans son fourreau signala à Lina que quelqu'un avait sorti son épée. L'éclat de la lame se reflétait sur son visage, entre le reflet des flammes et celui de l'immense lustre pendant au plafond, et lui faisait plisser les yeux. Cependant, elle eut tout le loisir de voir approcher Erin, épée à la main et sourire sardonique sur le visage, jusqu'à se trouver en bonne vue d'Optrik tout en restant à distance.

« – Apparemment c'est toi la source de tout ce merdier ? »

Le concerné serra encore plus fort les mains sur le livre des Intrigues, les doigts refermés comme des serres sur sa couverture. Lina se crispa. Il fallait qu'elle résiste à la tentation de lui arracher des mains. Il le fallait. Optrik restait un mage très puissant et un Avatar, et elle était une guerrière métamorphe dont le style de combat donnait l'avantage à ce type d'adversaire. La main de Baku se glissa de nouveau dans la sienne, pressant la chair à intervalles réguliers comme s'il avait senti son trouble, mais c'était inutile : Elle saurait se contrôler.

Un grincement de dents retentit derrière elle dont elle ne se doutait que trop de celui l'ayant émis, et Optrik eut un léger sourire.

« – Que vous soyez là ou pas ne veut plus rien dire à présent. Non, plus rien. Vous ne pouvez pas me tuer. Cette Avatar ne peut pas me tuer. Je vais devenir Dieu. Je vais devenir ma déesse.

– Je vais tout de suite te prouver le contraire, Optrik, » siffla Akai en levant ses mains devant elle.

Le concerné sourit.

« – Non, tu ne peux pas. »

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