Il ne leur fallut que quelques secondes pour arriver devant les portes du palais. Le bois de ces dernières achevait de se consumer, ne laissant qu'une pluie de cendres dans la voûte et une affreuse odeur de bois carbonisé. Et, devant la porte, trois silhouettes encapuchonnées. Une rouge. Une bleue. Une noire. Dégageant une horrible aura clichée et une pression magique incroyable.

Corbeau et Erin jurèrent. Lina serra les poings. Évidemment. Il était inutile d'espérer que les Grans Ortografeurs avaient suivi Orthographe dans la mort définitive. Optrik les avait forcément placés sur leur chemin. Et maintenant, ils devaient achever ces foutus clichés avant de continuer, et perdre et un temps fou, et une bonne part de leur réserve...

Les compagnons levèrent tous leurs armes, l'un après l'autre. L'épée de Phila luisait sous le soleil rouge d'une lueur étrange, tandis que les armes de Lina et Baku reflétaient sa lueur dans des motifs irréels. Même la rapière de glace de Corbeau avait pris une teinte flamboyante. Et Erin, elle, avait serré les mains sur la poignée de son épée, qui, bien que recouverte de rouille sanglante, semblait toujours tranchante au besoin. Les trois créatures, voyant l'attitude de leurs ennemis, ricanèrent.

« – Voo voalah... »

Baku porta ses mains à ses oreilles, une soudaine grimace tordant ses traits fins. Lina le comprenait. Même après tout ce qu'elle avait pu vivre, la voix des Grans Ortografeurs restait une des pires choses qu'elle ait jamais entendu. Tentant de faire abstraction de la voix, Corbeau leva les yeux au ciel.

« – Encore vous ? Décidément on ne s'en débarrasse jamais...

– C'est quoi ces choses ? Et c'est quoi cette voix ? »

Lina se tourna vers Akai, les traits empreints d'un pur dégoût.

« – Ces choses, ce sont les Grans Ortografeurs. Clichés ultimes, créatures répugnantes et portions de l'âme du défunt prince Orthographe. J'aurais aimé qu'elles meurent avec l...

– Lina attention ! »

L'avertissement vint trop tard. La gerbe d'éclairs atteignit Lina en pleine poitrine, sous les yeux effarés de Kikoolol et Baku. Ce dernier se précipita à ses côtés pour soigner, sa blessure, alors que Corbeau levait sa rapière.

« – Pas le temps de discuter, il faut choper ces saloperies ! »

Un cri de guerre lui répondit. Et les trois autres se précipitèrent à sa suite alors que Kikoolol s'agenouillait et que Baku soignait la blessure de Lina.

Cette dernière avait, heureusement, fait peu de mal. La marque sacrée de l'Église brûlait dans son dos, mais le coup avait été atténué par sa tenue, ouvrant un immense trou dans son T-shirt d'où le sang suintait. Mais la douleur restait supportable, et Lina put admirer les jets de glace, de feu, de vent, et les coups d'épée donnés par ses quatre camarades aux créatures alors que Baku refermait la plaie. La scène avait quelque chose de magnifique. Si on exceptait les esquives impeccables des Grans Ortografeurs, qui psalmodiaient une formule dans un wattpadien ancien horriblement détourné. Les éclairs et les pentacles noirs fusaient de leur côté, sans parvenir à trouver une cible correcte.

Baku releva doucement Lina et acheva de refermer la plaie d'un effleurement de doigt, avant de l'aider à se relever. Cette dernière soupira.

« – Saloperie de Grans Ortografeurs... Optrik a dû leur redonner du pouvoir entre-temps.

– Va falloir que tu m'expliques d'ailleurs comment ces créatures ont pu atteindre une telle puissance. Même Orthographe, et que le Créateur reconnaisse son talent, n'était pas aussi doué en magie et je doute qu'Optrik ait pu booster leurs pouvoirs vu qu'il ne maîtrise pas la Création. »

Réfléchissant, Lina s'empressa de se créer un nouveau haut, avant de retirer le sien et le jeter au loin. Baku avait raison : Optrik était tout sauf un manipulateur de magie créationniste. Il avait probablement donné à ses nouveaux pions une partie des pouvoirs de la Flamme. Allez savoir comment. Rituels ou faveurs. Elle ignorait comment fonctionnait cette église après tout.

Baku lui tendit son katana, avant de lui faire signe d'y aller, qu'il resterait en arrière. Lina obéit. Elle ne voulait pas qu'il s'énerve. Elle aurait trop besoin de ses dons de soin.

La bataille faisait toujours rage devant les portes. Corbeau, qui s'en donnait à cœur joie avec les piliers de glace, fit signe à Lina de ne pas s'approcher de trop près. Ce n'était qu'un signe de tête, mais sa camarade comprit instantanément le message, et recula d'un bond, au moment où un nouvel éclair noir crépitait vers elle. Erin poussa un cri de rage, et Phila un juron. Akai, elle, restait détachée. Elle se contentait de tirer des gerbes de feu vers le Gran Ortografeur rouge, qui continuait de psalmodier. Lina tenta de se concentrer sur sa formule. Mais rien à faire, le wattpadien était trop horriblement déformé à ses oreilles, et elle était déjà ravie de résister à leur aura clichée. Elle aurait tout le temps de se demander plus tard pourquoi.

Un mot claqua dans l'air, faisant se crisper les combattants. Et le sol se mit à trembler et à se déformer, se soulevant sous les pieds des trois créatures qui ricanèrent. Lina n'eut même pas le temps de hurler aux autres de se mettre à l'abri. Déjà, une bouche s'ouvrait dans le sol. Puis, des yeux. Puis, des bras en sortirent. Et un torse. Jusqu'à former un immense géant de terre et de roche, renforcé avec l'aide des débris de la muraille extérieure du palais. Qui se pencha vers les autres combattants, dardant sur chacun d'eux ses orbites de boue.

Un juron d'une rare violence s'échappa des lèvres de Lina, au point que même Corbeau la fixa d'un air scandalisé. Mais elle n'en avait cure. Ces saloperies venaient de créer un golem. Un immense golem chargé de leur magie et de celle des murailles, formant un mélange qui vrillait ses nerfs de femme d'Église. Et si un golem n'avait rien de facilement abattable au premier abord, un golem chargé en magie sainte de Wattpadia était bien pire. Elle ne pourrait même pas le sanctifier comme les autres prêtres faisaient parfois aux clichés. Et il allait, de toute évidence, les tenir à très grande distance de ses créateurs, les Grans Ortografeurs.

Les doux psaumes provenant de derrière elle lui apprirent que Kikoolol avait commencé un sort. Elle grogna. Pour abattre ces trucs, même un sort de grande ampleur ne suffirait pas. Il lui faudrait tenir la chose à distance, et empêcher les trois autres de faire des leurs. Complexe. Mais elle n'avait probablement pas d'autre choix que de couvrir le mage derrière elle. L'homme qu'elle aimait, lui souffla son esprit. Elle repoussa immédiatement la pensée. Non. Elle ne l'aimerait jamais comme ça. Elle ne devait pas.

À son tour, Corbeau entonna une formule, et des piliers de glace entourèrent l'immense créature de terre. Lina et Erin se regardèrent. Les deux se précipitèrent entre les piliers, évitant les attaques du golem et la terre qui tombait de ses bras à grand renfort de roulades. Leur objectif était d'empêcher cette chose d'approcher. Kikoolol pouvait garder les Grans Ortografeurs. Elles, elles se concentreraient sur le golem.

L'immense hache de la créature, formée de débris et de pierres de la voûte, se leva et fendit l'air dans un sifflement effrayant. Un pilier de glace se fracassa, avant de se reformer sous l'action de Corbeau. Le gémissement de douleur d'Akai lui parvint de la position qu'elle avait réussi à atteindre, mais Lina ne s'en préoccupa pas. Elle savait que Baku veillait derrière, prêt à intervenir pour soigner les blessés à tout moment. Son rôle à elle n'était pas de s'inquiéter.

Elle grimpa sur le golem à grands renforts de coups de katana, suivie par Erin qui semblait avoir quelques difficultés à retenir son équilibre. Une gerbe de feu passa à quelques centimètres d'elle, la manquant de peu, mais elle reprit son ascension, concentrée sur son objectif, la tête du golem. De là, elle trouverait sûrement un point faible.

Un tremblement la déséquilibra, et elle manqua de tomber, se rattrapant de justesse au bras d'Erin. Akai poussa un nouveau cri de douleur, suivi par un juron de Phila. Lina grogna. Elle ne voyait pas le combat de sa position sur le dos du golem, mais elle se doutait bien que ce dernier avait pris Akai pour cible, et uniquement Akai. Pour lui causer de profonds dommages avant son combat contre Optrik, sans doute. Après tout, c'était le seul Avatar dont ils disposaient. Sa mort entraînerait leur défaite assurée.

« – C'est un vrai combat contre des titans, » marmonna Erin en s'agrippant aux pierres qui composaient le bas du dos du golem. « Tu crois qu'ils ont un point faible à la base de la nuque ?

– Aucune idée, fit Lina. Mais c'est le moment de tester. Allez, grimpe. »

Erin eut un faible sourire et obéit, se hissant jusqu'à la position de Lina, qui continua à escalader le dos de la créature. Elle devait bien faire six mètres, à présent. Un monstre de puissance.

Mais les Grans Ortografeurs n'étaient pas les seuls à disposer d'un colosse.

Un très violent courant d'air manqua de désarçonner Lina, qui se rattrapa de justesse à l'omoplate du golem avant de se hisser sur son épaule. Un sourire lui déchira le visage devant le spectacle qui se présentait à elle : Phila, dans la forme élémentaire complète qu'elle lui avait vue devant l'Âme des Âmes, bloquait la hache du golem dans une main constituée de vents tourbillonnant dans une forme vague. Deux lumières bleues pâles brillaient à l'emplacement où auraient dû se trouver ses yeux, et son hurlement se mêlait à celui du vent, empêchant de golem d'avancer. Bloqué, ce dernier gémissait de colère, un gémissement d'outre-tombe qui fit frémir la jeune femme. Erin, ayant enfin réussi à monter sur l'autre épaule du golem, fit un grand signe à Lina, et lui montra, en bas, Akai paniquée, Baku qui levait une de ses dagues, et Corbeau entouré d'une lumière bleue, qui faisait grandir ses piliers de glace à chaque nouvelle seconde qui passait. Lina sourit. Ils se battaient bien, en bas. À elle de jouer.

Son katana disparut, et elle bondit sur la tête du golem avant d'y peser de tout son poids, puis de se concentrer. La forme la plus lourde qu'elle possédait, qui lui ferait le moins de mal possible. Bien sûr, il y avait le pachyderme, mais il était trop encombrant. Un dragon nain était également exclu, il résistait trop mal à la magie. Et les griffons et autres dragons étaient des créatures magiques, qui consommaient des réserves monstrueuses. Il ne lui restait plus qu'une seule possibilité. Une créature que les gens baptisaient de fantastique, mais non magique.

Elle bondit dans les airs, et c'est un immense lion de métal qui atterrit sur la tête du golem, le faisant ployer sous le choc. Les babines du félin se tordirent en un simili de sourire. Les animaux des plaines minières. Une faune absolument incroyable, mais aussi une vraie source d'imagination pour le métamorphe le plus puissant. Et, à en juger par la pluie de pierres tombée de la tête du golem, son initiative avait été efficace. Un regard sur Erin lui apprit qu'elle avait planté son épée dans le creux de la nuque du golem, et tentait de faire levier, détachant quelques cailloux. Mais malheureusement, le golem restait complet. Pire, il parvint même à retirer sa hache de la main de Phila. Et un violent coup de poing envoyé sur le sol déséquilibra tout le monde, et réduisit les piliers de glace de Corbeau en morceaux. Ce dernier jura.

« – Par Glace, cette chose commence à m'agacer...

– Recommence ! Je ne sais pas ce que fout Kikoolol mais il a l'air d'en avoir pour longtemps ! »

Corbeau hocha la tête en direction de Baku, avant de se concentrer de nouveau et d'ériger les piliers dans une autre formation. Lina, entendant ce dernier, se tourna vers lui avec une pointe d'inquiétude, pour voir qu'il était entouré d'une lueur bleue vive, rappelant étrangement la cape de l'un des Grans Ortografeurs. Il était à bonne distance du golem, pourtant de nombreux débris l'entouraient, certains à moitié pulvérisés. Elle soupira. Elle s'inquiéterait plus tard, la priorité restait le golem. Surtout que les autres continuaient de lutter contre la créature. Le bras de Phila s'abattait sur le torse du golem, enfonçant la pierre qui le recouvrait. Et une gerbe de flammes suivait les chocs, passant à travers les fissures. Cependant, aucune des attaques n'avait d'effet visible conséquent. La terre reformait le golem à chaque fissure, et si la magie créationniste wattpadienne qui émanait de lui diminuait au fur et à mesure que Phila attaquait les murailles, la créature, elle, restait intacte.