Si Lina n'avait pas su que le portail l'emmenait tout droit chez les dieux, elle aurait cru s'être retrouvée dans la capitale d'une Wattpadia en paix. Tout y était, le style architectural typique avec le marbre blanc et les dorures, les larges fenêtres, la structure concentrique avec les immenses places à thème, décorée suivant leurs principes. La seule différence visible étant que les places avaient pour occupant des dieux, qui se promenaient dans les rues avec entrain et désinvolture, l'air détachés de tout. Rien que sur la place où elle avait atterri, elle pouvait en voir plus d'une dizaine. Dont une vieille connaissance.

Au grand désarroi de Lina, Amour, qui sirotait un verre de boisson étrange sur la place où ils se trouvaient, les avait repérés aussi. Et, un immense sourire sur le visage, elle s'était approchée, remettant en place ses longs cheveux roses, le visage étincelant d'une cruauté ravie. Se souvenant de sa situation actuelle, Lina grinça des dents, et ne put s'empêcher de s'éloigner de Baku et Kikoolol. Amour, voyant son mouvement, se mit à rire.

« – Mais qui voilà ? Ne serait-ce pas mes nouveaux tourtereaux ? »

Kikol jura dans sa barbe, alors que Baku vrillait sur Amour un regard de pure haine, les yeux embrumés par la colère.

« – Tiens tiens tiens, une vieille amie...

– Cette chère Amour, quelle bonne surprise, » maugréa Akai avec le maximum de mépris qu'elle pouvait.

Cette dernière pouffa, avant d'agiter la main, sous le regard glacial de Corbeau.

« – Allons allons, ne faites pas ces têtes. Je ne suis en rien responsable de la mort de ton amante... Nae, c'est ça ? Adresse tes complaintes à cette très chère Mort. Et je n'allais pas me priver de te rajouter à l'équation, Baku Claro. Tu es... Très intéressant. »

L'intéressé leva les yeux au ciel, alors qu'Akai faisait quelques pas vers Amour, les poings serrés, suivie par Phila. Kikoolol leur jeta un regard d'avertissement, mais Lina se contenta de hausser les épaules. La colère d'Akai était justifiée, et elle ne voulait pas louper Amour mise face à ses propres actions. Corbeau, à ses côtés, se mit à pouffer. Lui aussi voulait voir.

« – C'est par amour qu'elle m'a protégée de cette fichue lame, je crois bien que c'est en grande partie ta faute, Amour. Et pour considérer que la souffrance de ce pauvre Baku est intéressante, tu as une sacrée case en moins.

– Ton idée de faire tomber Lina amoureuse de Kikoolol a brisé beaucoup de cœurs, renchérit Corbeau. Ne va pas me dire que tu n'en es pas responsable. »

Amour pouffa, et tira avec amusement la joue de Corbeau, qui semblait se retenir avec une force mentale extraordinaire de lui mettre une claque. Mais la déesse, ne remarquant pas sa colère, continua de pincer le carré de peau pâle, avant de pouffer.

« – Je fais d'une pierre trois coups, mon pauvre Corbeau. Peut-être même bien plus. Toi et Kikoolol, Lina et Baku, et même Mairù à rajouter à ce joli tableau. N'ai-je pas le droit de créer des situations compliquées ?

– Tais toi. Tu m'insupportes. »

Corbeau avait plissé les yeux et s'était dégagé de la prise d'Amour. Lina ne pouvait qu'être d'accord avec lui. Chaque mot prononcé par Amour la faisait davantage haïr cette dernière, et les buts de Kikoolol devenaient toujours plus compréhensifs. Mais le sujet n'était pas sa mort hypothétique. Le sujet était Optrik. Et cette conclusion la conduit à se racler la gorge, attirant le regard de la divinité sur elle.

« – Passons, on n'est pas là pour ça. On vient chercher un moyen de tuer Optrik, t'as ça en réserve à tout hasard ?

– Ah oui, Optrik... tellement intéressant aussi, sourit Amour. Une affection sans limites proche de la dévotion, quelle meilleure forme d'Amour ? Malheureusement, ce n'est pas possible. Vous l'aurez sûrement deviné, mais la Flamme le protège, et se prépare à en faire son Avatar. »

Les poings de Lina se serrèrent sans même qu'elle ne se rende compte de son mouvement, ses ongles créant de profondes marques dans ses paumes. Elle était bien placée pour savoir que le type d'Amour qu'éprouvait Optrik était tout sauf sain. Et très loin de la « meilleure forme d'Amour » comme disait cette dernière. Mais ce qui l'inquiétait le plus, c'était ce qu'Amour venait de confirmer. Optrik était bien protégé par un dieu, et pas des moindres. Surtout s'il en était à présent l'Avatar.

« – Euh, dites, grommela Phila, je ne veux pas jouer les ignorantes, mais c'est quoi un Avatar ? »

Amour se tourna vers elle et ouvrit la bouche, mais Kikoolol lui coupa l'herbe sous le pied, la faisant grommeler devant « pareille impolitesse ». Lina sourit. Elle l'avait bien cherché.

« – L'Avatar est l'incarnation d'un dieu sur terre. Un humain accueille l'esprit d'un dieu, sa conscience et ses pouvoirs, lui donnant une invulnérabilité à toute mort affectant un mortel ordinaire. Même un maître de la magie ne peut tuer un Avatar. Il en faut un autre, obligatoirement. Et devenir Avatar permet aussi de se protéger des dieux, ce n'est donc pas anodin. »

Lina hocha la tête. Les Avatars, de ce qu'elle savait, était très utilisés dans les guerres de religion où les dieux décidaient de prendre part, ainsi que pour les prophètes. Il n'était pas rare de retrouver un Avatar à la tête des églises principales et même le Créateur, entité de conscience infinie, avait son propre rituel d'incarnation, l'Image. Affronter un Avatar était rare, alors si en plus l'Avatar se trouvait être Optrik... Bonjour les ennuis.

« – J'ai peut-être la solution à votre problème... »

La voix douce bien connue de Lina la fit se retourner, pour tomber sur la petite silhouette de Mort, les mains croisées dans le dos et souriante, sa longue robe noire flottant derrière elle dans un motif presque surnaturel. Kikoolol, voyant la divinité, s'inclina profondément, suivi de Phila, puis Lina. Akai et Baku, quant à eux, restèrent de marbre. Mort sourit, avant de jeter un regard torve à Amour, qui haussa les épaules, un grand sourire aux lèvres.

« – Et quelle est-elle ? » Demanda Phila.

Mort s'approcha du petit groupe, ignorant la grimace d'Amour, et soupira.

« – Une bonne partie de ce que j'ai pu faire durant cette guerre devait conduire à ce que l'un de vous devienne mon Avatar. Je vous prête ma force pour vaincre celui de Flamme. Et en échange, vous me rendez un petit service dont je vous parlerai en temps voulu.

– Qu'on devienne votre Avatar ? Et c'est quoi ce service ? »

Mort se tourna vers Akai.

« – Il s'agit d'affaires divines assez sérieuses, ma chère Akai. Rien de bien compliqué, rassurez-vous. Seulement, je n'ai le droit d'en parler qu'aux potentiels prétendants, et comme cinq d'entre vous ne seront sans doute jamais dans ce cas, il faudra attendre. »

Le petit groupe se regarda. Devenir un Avatar n'avait rien d'anodin : En plus de devoir rester en vie jusqu'à Optrik, il faudrait aussi se plier aux désirs de la divinité concernée, et Lina n'avait aucune idée de la force mentale nécessitée pour accueillir l'esprit d'un dieu, particulièrement un primordial comme Mort. Cette dernière les observa un long moment, alors qu'Amour se retirait dans un coin de la place. Puis, elle soupira.

« – Je suppose que vous êtes en train de réfléchir à qui pourrait supporter ma conscience. Pour devenir mon Avatar, il vous faut vivre votre première vie. Phila et Lina sont donc exclues, de même que toi, Kikoolol. Des réanimés n'auraient pas la capacité d'accueillir mon esprit. Ne reste donc qu'Akai, Baku et Corbeau... »

Ce dernier prit son menton entre ses mains, réfléchissant.

« – Expliquez-moi d'abord tout ce que cela implique d'être un Avatar. Je ne suis pas un religieux et je suppose que même Lina n'a pas la réponse, donc j'aimerais des détails. »

Mort hocha la tête et le regarda dans les yeux.

« – Ça implique d'avoir une portion de ma conscience avec soi, de supporter mes souvenirs et mon esprit, en échange de mes pouvoirs. Ah, et je dois vous prévenir qu'il est possible que vous ayez des changements physiques. Également, la seule manière de cesser d'être mon Avatar est de mourir, il n'y a pas d'autre moyen... »

Elle pouffa légèrement, remettant sa robe en place.

« Pour la culture générale, ça varie selon chaque dieu. Un Avatar d'Amour cessera de l'être si il tombe amoureux, un Avatar de Lune si il passe un an sans s'exposer à la lumière de l'astre, et ainsi de suite. Mais c'est assez rare et souvent cela finit avec la mort du corps d'accueil plutôt que ce genre de circonstances. »

Plus loin, Amour marmonna, tout en reprenant sa boisson. Les trois candidats restants, eux, se regardèrent avec une certaine appréhension, avant que Corbeau ne soupire :

« – Je ne pense pas être taillé pour accueillir l'esprit d'un dieu et j'ai toujours aimé conserver ma conscience à moi. Je passe mon tour.

– Je.... Je crois que je vais faire de même... »

Baku prenait une teinte de plus en plus rouge et se tordait les mains, mais avait le regard fixé sur Mort, sans ciller.

« Je suis très instable mentalement et j'ai peur que ça ne complique le processus, pour vous comme pour moi... Je suis désolé, Mort, Akai, mais, euh, je ne vois pas d'autre moyen... »

Akai sourit, avant d'ébouriffer avec amitié les cheveux du jeune garçon. Ce dernier se détendit un peu, et eut un léger sourire. Mort, de son côté, haussa les épaules.

« – Akai, donc ? Décide-toi, nous devons faire vite. La Flamme va très vite s'ennuyer et ce n'est jamais très bon pour les mortels.

– Avant ce processus, Mort, lança Lina. La Flamme, c'est quel genre de divinité, exactement ? »

La Mort soupira, et s'approcha d'Akai pour se poster juste devant elle.

« – Elle est semblable à son élément totem. Douce et gentille lorsqu'elle n'est que peu vénérée, de plus en plus destructrice au fur et à mesure que ses adeptes augmentent. De temps en temps, j'envoie mes propres prêtres nettoyer un peu son culte, mais, disons que depuis quelques années je n'en ai pas eu l'occasion, et rares sont les autres dieux qui s'en préoccupent au même point que moi. »

Elle se tourna ensuite vers Akai, un air sérieux détonant sur son visage enfantin. Cette dernière hocha la tête avec lenteur, et la Mort étendit la main pour la poser sur son épaule. Avant de disparaître, comme absorbée par le corps de la démone.