Chapitre 25, partie 2

Les couloirs de l'École des Fous n'étaient pas endroit à fréquenter, même pour quelqu'un qui avait le cœur bien accroché. Le bâtiment portait bien son nom : Le sang et les âmes s'y côtoyaient dans la pire des noirceurs, et chaque pas de Lina était ponctué par un hurlement de douleur. Elle y voyait des âmes qu'elle ne connaissait que de ses livres d'histoire, et parfois même de ses romans, qu'elle lisait sur sa Terre natale. Tous des gens réputés pour une maladie mentale plus ou moins meurtrière, des tueurs, des psychopathes, des psychotiques.

Elle mit un long moment à trouver le fameux Professeur Kathlina. Cette dernière, une fois n'est pas coutume, avait quitté son bureau, et se promenait dans les couloirs en compagnie d'un homme avec de courts cheveux noirs et une jeune fille au visage enfantin, jouant avec sa longue tresse en souriant. Ils encadraient le Professeur comme deux soldats autour de leur général. Ou deux enfants autour de leur maman.

Avisant Lina, le Professeur fit signe à ses pupilles de s'éloigner, et se dirigea vers elle, les yeux rouges fixés sur elle. Son visage restait inexpressif, ce qui rassura la jeune femme. Elle avait déjà entendu parler des crises de la femme, démone hybride très redoutée dans le milieu. Elle ne voulait pas en subir une.

Convaincre le Professeur Kathlina d'aller chercher le Directeur ne fut pas chose aisée. Elle ne l'aimait que peu, et tout le talent de persuasion de Lina ne la fit que foncer les sourcils avec scepticisme. La métamorphe commençait presque à en avoir marre.

Il fallut une longue demi-heure de débats pour que la Professeure ne se rende aux arguments de Lina, et lui fasse signe de partir avec agacement. Lina soupira. La démone n'était vraiment pas aimable, même alors qu'elle la connaissait depuis un certain temps. Mais elle était contente de pouvoir quitter les lieux, enfin. L'atmosphère sombre de l'Ecole des Fous commençait à lui taper sur les nerfs.

Son nouveau portail la mena droit dans la salle du trône de Kikoolol, tombant tout droit sur Baku qui n'avait visiblement pas perdu son temps pour insulter son frère. Il avait encore son nom à la bouche lorsqu'elle atterrit sur le sol, faisant sursauter toute l'assemblée. Akai se tourna vers elle avec un petit sourire.

« – Tu ne nous avais pas dit que tu avais une entité surpuissante comme prétendant !

– Oui bah c'est pas un cadeau. Les maîtres de la magie sont réputés pour être instables plutôt que pour leur puissance. Pas franchement cool d'en avoir un sur le dos, surtout celui-ci. »

Akai pouffa, mais n'ajouta rien de plus. Phila se contenta de souffler. Et Corbeau soupira.

« – Alors, les négociations ?

– Normalement, le Directeur ne devrait pas tarder à arriver. D'ailleurs, Kikoolol, apparemment son véritable nom, c'est le Chambellan. Juste au cas où.

– Exact, fit une voix gutturale de juste derrière Baku. C'est mon nom. »

Ce dernier sursauta, et se retourna, un couteau à lancer dans la main, pour écarquiller les yeux devant l'immense créature qui se tenait derrière lui. Revêtu d'un simple manteau noir qui lui tombait sur les pieds, et qui ondoyait comme des ombres, le Chambellan était une immense créature chauve à la peau d'un blanc translucide, avec pour seules marques sur son visage un immense sourire fendu et des yeux violets et globuleux. Il se tordait doucement les mains, le regard tourné vers le sol. Fixé sur Baku qui tremblait.

Phila posa doucement sa main sur son épée, tandis qu'Akai se reculait doucement. Kikoolol, lui, s'avança, suivi de Corbeau. Avant de lever les yeux vers le Chambellan.

« – Mes salutations, Chambellan. Je suppose que vous savez déjà ce que nous cherchons.

– En effet, fit le Chambellan de sa voix si particulière. Vous voulez un accès chez les dieux. Ce que je peux vous offrir. Je les ai côtoyés. Mais tout a un prix...

– Quel prix ? » Demanda un Baku curieux. Le Chambellan sourit.

« – Pas grand-chose en vérité. Je veux la part folle de ton âme. Je reste le Directeur d'une École des Fous, n'est-il pas ? »

Baku se figea net. Et Lina écarquilla les yeux. La créature semblait drôlement bien renseignée si elle savait que l'âme de Baku était séparée en deux parties... Et dans le cas présent, le prix était énorme.

Elle leva la fiole attachée à son cou à hauteur de son visage. La part folle de l'âme de Baku. La portion qui avait tué tant de gens, causé tant de malheurs. Enfermée dans sa fiole pour plus de sécurité. Sans aucun doute, la donner au Chambellan allait causer sa libération, chambouler la guérison de Baku, et provoquer tout un tas d'évènements néfastes sur Wattpadia. Mais c'était une hypothèse contre une vérité. Et Optrik était bien réel, comparé au risque de larguer ce dingue sur le multivers.

Son ami, avisant la fiole, se mit à trembler encore plus.

« – Lina ! Ne le sors pas de là, pitié ! Il doit y avoir un autre moyen...

– Si tu sais créer des portails chez les dieux, Baku, toi ou un autre, préviens-moi, soupira Akai. La proposition du Chambellan est vraiment si terrible ? »

Le jeune homme se tourna vers Akai, le visage fermé et les poings serrés. Derrière lui, Corbeau semblait plongé dans une profonde réflexion, et murmurait à Kikoolol des mots que Lina ne pouvait entendre. Ce dernier secoua la tête avec regret, faisant se focaliser Lina sur l'échange avec le Chambellan et Baku. Qui avait poussé un profond soupir.

« – C'est difficile de comprendre lorsqu'on ne l'a pas vécu, Akai. Dans cette fiole, il y a ma deuxième personnalité. La relâcher pourrait causer un chaos monstre sur Terre, ou me précipiter dans la folie. Tu comprends que je ne sois pas emballé ?

– En attendant, fit Phila, on n'a effectivement pas d'autre solution. Alors bon. Je suppose qu'on va bien le regretter plus tard, mais Lina, donne-lui cette fiole. »

Le sourire du Chambellan s'élargit, et sa voix gutturale résonna une fois encore dans la salle du trône.

« – N'ayez crainte, je n'ai aucun intérêt à le lâcher sur Wattpadia. Il vivra dans ma dimension. Cependant, si c'est bien une partie de ton âme, je ne pourrai complètement effacer vos liens. S'il meurt, tu meurs aussi. »

Baku poussa un profond soupir, mais n'ajouta rien de plus. Lina le prit pour un assentiment, et lança la fiole au Chambellan sous le regard intrigué de Phila et Akai et celui, plus désapprobateur, de Corbeau et Kikoolol. Mais aucun ne dit mot, et à peine la fiole eut effleuré le manteau du Chambellan, elle disparut, laissant place à un immense portail aux nuances bleutées. Et le Chambellan disparut, laissant derrière lui le portail.

Lina haussa les épaules.

« – Eh bien, une bonne chose de faite.

– Je n'ai pas envie d'en rigoler, Lina, marmonna Baku. Tu as balancé à une entité inconnue l'un des pires tueurs du multivers, et j'ai bien l'impression que tu n'y as pas réfléchi à deux fois.

– Je suis d'accord avec Baku, fit Corbeau, les bras croisés. Imagine que la vigilance du Chambellan se relâche et qu'il revienne ? Ou pire, qu'il exploite les lois des âmes pour s'emparer de Baku. On ne t'a jamais expliqué les règles d'une âme siamoise ?

– Bien sûr que si, soupira Lina. Mais tu voyais une autre solution, toi ? »

Corbeau se tut, mécontent. Baku marmonna une insulte de cible inconnue. Et l'atmosphère s'était déjà bien refroidie lorsqu'Akai lança :

« – Bon ! Et si on allait voir ces chers dieux ? »

Phila hocha la tête, et Kikoolol se dirigea vers le portail avant de passer sa main dedans.

« – Voyons, ça semble fonctionner... Vous pouvez y aller, la magie opère dans ce lieu. »

Akai hocha la tête, avant de se diriger vers le portail, un sourire aux lèvres. Phila la suivit, l'air un peu plus réticente. Et les deux passèrent le portail dans un saut remarquablement synchronisé, rapidement suivies par Baku. Ne restait plus dans la pièce que Lina et Kikoolol. Cette dernière soupira.

« – Que les choses soient bien claires. Les magouilles d'Amour ne m'empêcheront pas de te considérer comme l'ancien ennemi. Tu payeras pour tes crimes et ce n'est pas moi qui vais empêcher ta punition. »

Kikoolol hocha la tête avec douceur.

« – Je ne voyais pas les choses autrement. »

Satisfaite, Lina eut un léger sourire. Avant de sauter dans le portail. Il ne restait plus dans la pièce que Kikoolol.

Ce dernier désactiva son pentacle avant de pousser un très profond soupir.

« – Je sais que tu es là, Mairù. Tu n'as jamais su te rendre discret très longtemps. Très habile d'avoir réussi à rentrer dans mon pentacle d'isolement, au fait. Je vais partir, je te laisse libre de tes mouvements dans les Plateaux, comme d'habitude, si tu gardes le silence sur cette conversation. Je me demandais juste de ce que tu penses de tout ça.

– Ce que je pense de tout ça ? »

L'entité derrière le fauteuil n'avait pas bougé, sa magie n'avait pas vibré, seule sa voix, grave et douce, marquait son mouvement. Une voix empreinte de rage et de haine à l'état pur, à un niveau que jamais Kikoolol n'avait ressenti. Même provenant de Mairù Claro, l'être incontrôlable, boule de fureur et bête de combat. Il soupira et attendit la suite.

« Je pense que je vais chercher un moyen de réduire une liche à néant avant qu'Optrik ne s'en charge pour moi. »

Kikoolol soupira, ce qui ne fit que davantage enrager l'entité. C'était comme s'il s'y attendait. Était-il si prévisible ? Il n'y avait rien de plus énervant pour lui. Mais il se contenta de serrer les poings, montant la tension magique de la pièce, signalant à Kikoolol qu'il devrait partir, vite, avant que son dernier lieutenant ne lui fasse la même trahison qu'à Sretaz. Et ce dernier comprit le message. Il passa le portail. Qui se referma derrière lui, ne laissant plus dans la pièce que l'être surpuissant.

Ce dernier, laissé seul, sortit de sa cachette, derrière le trône, et se dirigea lentement vers la porte, sa longue blouse flottant derrière lui. Réfléchissant.

Il ne lui avait pas fallu beaucoup de temps, après avoir rejoint Kikoolol, pour découvrir son véritable but. Et, ayant souffert à cause de l'Amour, il y avait adhéré. Et avait décidé de rester là, à s'entraîner, supportant la cause. Tant pis s'il lui fallait supporter les clichés. Tant pis s'il lui fallait supporter la présence de Sretaz, celle d'Optrik, l'horrible voix des Grans Ortografeurs. Tant pis pour la limitation de mouvements qu'on lui avait tant de fois imposée.

Il soupira, alors que les portes se dressaient devant lui. Un maître de la magie. Qu'est-ce que c'était au final ? Une créature surpuissante, une entité classique qui s'incarnait régulièrement, oui. Mais surtout un outil entre les mains des souverains. Pas un quelconque héros de prophétie, pas un être facilement vénérable. Non. Juste un outil malade ou un monstre redoutable. De tous les textes qu'il avait lus, aucun n'avait coupé à ce terrible schéma. Utilisé, exploité au point parfois de pousser un corps à la mort prématurée.

Même lui n'avait pas coupé à ce scénario.

Il lui avait suffi d'entendre les mots de Kikoolol pour comprendre. Il s'était changé en arme. Arme forgée, puis utilisée pour diverses causes. Sans pouvoir exercer son libre arbitre. Contrôlé autant qu'il était possible.

Il caressa le sceau sur sa main gauche, qui l'empêchait de bouger à l'extérieur des plateaux. Une simple précaution, prise depuis que Sky avait été tuée. Inutile selon lui. Elle était morte au cœur des Plateaux, et il avait éliminé ensuite quantité d'espions de l'armée ennemie. Y compris son propre père. Mais il n'allait pas s'en plaindre. Cela n'aurait fait que le priver de l'air frais dont il avait tant besoin. Même aujourd'hui, alors que son patron avait décidé de mener sa dernière mission, il se sentait toujours aussi prisonnier. Et tout ce qu'il avait appris était loin de l'aider à rester détendu. Il fallait qu'il calme ses nerfs.

Il poussa la porte de la salle du trône. Il était grand temps de faire une petite purge.

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