Chapitre 24, partie 2

Lina se figea. La main de Baku cessa de serrer la sienne. Il n'y avait plus dans son champ de perception que Kikoolol qui soupirait, qui la fixait, elle. Et dans sa tête, une unique question. Pourquoi. Pourquoi tout ça. Pourquoi avoir passé des années à les manipuler pour au final partager le même but qu'eux. Ça n'avait pas de sens. Plus rien n'avait de sens. Pourquoi Sky était morte. Pourquoi Mairù. Pourquoi Sretaz. Pourquoi l'Âme des Âmes. Pourquoi sa lame dans la gorge. Pourquoi tout.

« – C'est un peu tordu comme logique, fit Akai. Qu'est-ce qui t'empêchait de lutter aux côtés de l'armée wattpadienne ? Vous avez les mêmes buts, non ?

– Certes, soupira Kikoolol, nous avions les mêmes buts. Cependant, il y a plusieurs raisons à ce choix. Premièrement, jamais Style et Intrigue ne m'auraient laissé approcher de l'Âme des Âmes. Deuxièmement, mon but exige un sacrifice, un sacrifice de taille. L'Amour.

– Qu'est-ce que l'Amour vient faire là-dedans ? » marmonna un Baku dubitatif.

Kikoolol tourna ses yeux vers lui, et continua de le fixer avec une étrange compassion que Lina ne parvenait pas à comprendre. Même si elle ne comprenait plus grand-chose, désormais. La seule certitude admissible, c'était que rien n'était comme elle le pensait. Elle repensa aux paroles d'Optrik. Un plan, oui.... Et quel plan. Est-ce que tout ça était seulement vrai ? Et pourquoi l'Amour ? L'Amour était une part essentielle de la vie des hommes, aussi insupportable que soit sa déesse. Même aromantique, elle savait très bien qu'il retenait une bonne part de la morale des hommes. Sacrifier l'Amour reviendrait à sacrifier tant de choses. En plus de tout ce qu'elle avait déjà sacrifié jusqu'alors.

Elle soupira et tourna son regard vers les autres, pour remarquer le durcissement du regard de Corbeau et la mine incrédule de Phila. Akai, de son côté, semblait réfléchir. Et Baku restait toujours aussi sceptique, toujours aussi tendu, sans daigner la lâcher. Elle haussa les épaules et se tourna vers Kikoolol.

« – Tuer l'Amour ne valait sûrement pas la peine de faire tant de caprices. Ma générale, mon roi, ma reine et mon prince nourrissent les lombrics à l'heure qu'il est. Le royaume est détruit, le cycle brisé. Et tu es responsable.

– Style et Intrigue, souffla Kikoolol. Sky et Orthographe. Si tu savais comme je regrette. »

Il secoua doucement la tête, perdu dans ses réflexions, avant de finalement se remettre à fixer Lina, ignorant tous les autres. Corbeau toussota à ses côtés, mais il n'y fit pas attention.

« J'ai commis beaucoup d'erreurs dans cette guerre. À commencer par Optrik et Mairù. Mais le sacrifice en valait la peine. L'Amour, Lina. Il génère plus de deux tiers des clichés. Anéantir l'Amour revient surtout à priver ces horreurs de leur source. »

Akai se racla la gorge, détournant pendant un court instant l'attention de Kikoolol de Lina.

« – Effectivement, l'Amour est à l'origine de pas mal de choses. Mais si c'est pour le détruire, tu peux crever. »

Lina put voir Phila approuver légèrement, et Corbeau faire un signe de tête insistant, les yeux fixés sur Kikoolol. Baku de son côté, le fixait avec colère, l'air de plus en plus tendu. Ses yeux oscillant de Kikoolol vers derrière le trône. Lina commençait à se demander ce qu'il y avait de si perturbant à cet endroit. Mais son ennemi, qui au final ne l'était peut-être pas tant que ça, ne lui laissa pas le temps de poser la question.

« – Il y a une ironie assez flagrante dans toute cette histoire. Peut-être trop. »

Lina grogna. Ironie, ça, c'était clair. Elle pouvait sentir à quel point sa situation était ironique. Écouter parler son pire ennemi, que son pire ennemi ait les mêmes buts qu'elle, malgré tous ses actes, toute cette guerre. Mais, à en juger par le ton de Kikoolol, l'ironie ne résidait pas que là.

« ... Moi, chevalier contre l'amour... Moi, je me suis mis à aimer. »

Sa voix transpirait d'un tel mépris pour lui-même que Lina ne put s'empêcher de rire. Ce n'était après tout que juste rétribution. Et elle sentait derrière toute cette joyeuse histoire la patte d'Amour, vengeresse et sadique, prête à lui faire payer ses désirs. Après tout n'était-ce pas ainsi que les dieux fonctionnaient ?

Amour. Son pacte avec elle, sa survie. Ses paroles...

Oh, par tous les dieux.

Personne ne pouvait voir son trouble. Même pas Phila, emplie d'ironie, qui avait pourtant assisté à la scène. Même pas Baku, qui commençait à laisser entrevoir ses capacités au sarcasme, tout droit copiées d'elle-même. Même pas Corbeau, habituellement si observateur, qui avait les yeux vrillés sur Kikoolol avec une intensité que Lina ne lui avait jamais vue. Juste elle.

« – Tellement triste, siffla Phila, un léger sourire aux lèvres.

– C'est que notre amie Amour t'en veut de vouloir sa mort ! » Rebondit Akai, un sourire beaucoup plus large laissant entrevoir ses dents. « Bien fait pour toi. »

Lina soupira. Elle ne pouvait pas les laisser voir son trouble. Surtout Baku. Pas après les espoirs qui étaient nés en elle suite à ce pacte. Pas après les siens. Certainement pas. De plus, elle ne pouvait pas céder à ça comme ça, non ? L'amour n'avait-il pas un minimum de logique ?

Alors elle se laissa aller à un sourire, et à un petit commentaire sarcastique, qui dissimulait une question pleine de doutes.

« – Tiens tiens, Monsieur Kikoolol a une amoureuse. Et qui est la malheureuse élue ? »

Le concerné souffla.

« – Plus tard. Plus tard. D'abord, je finis d'expliquer. »

Lina gronda. C'était un échec. Et qu'aurait répondu la Lina habituelle, celle qui n'aurait pas été assaillie par le doute ?

« – De toute façon, je m'en fous. Bref. Continue. C'est quoi ce bordel avec Optrik ? »

Elle soupira. Elle avait plutôt bien réussi son esquive, Créateur merci. Personne ne la regardait avec des doutes, pas même Baku pourtant plutôt sensible à ses états d'âme. Personne ne se demandait pourquoi sa voix avait semblé si dure. Parce que non. Elle ne s'en foutait pas. Loin de là. Elle voulait comprendre. Elle voulait cesser de douter. Et Kikoolol s'était de toute façon éloigné d'elle, commençant à tourner en rond dans la salle du trône.

« – Optrik, oui. Ma plus grande erreur.

– Ça tu peux le dire, rit Phila. Voilà ce que c'est que de s'associer à d'autres salopards intelligents.

– C'est qu'on ne sait jamais ce que vont faire les autres après tout ! » Rajouta Akai. Un sourire moqueur ornait ses lèvres. Un sourire qui fit hausser les épaules à Kikoolol.

« – Oui, ça, il est intelligent. Je ne m'attendais pas à ce qu'il convertisse les Grans Ortografeurs à sa cause, et les force à tuer Style. C'était habile. Mais, leur donner le pouvoir de briser le cycle... Il y a forcément un autre dieu impliqué là-dedans. Et je crois avoir une petite idée du dieu concerné. Assez facile, vu la religion du bonhomme... »

Les têtes dubitatives de ses interlocuteurs durent le stopper dans sa litanie, car il garda le silence un petit moment avant de soupirer.

« Libre à vous de ne pas me croire. Ça reste la vérité. Le rôle d'Optrik était de poser les bombes. Les bombes qui ont manqué de vous tuer. J'ai appris tout ça grâce à mes espions. À un détail près. Vous n'étiez pas censées survivre à leur explosion. Alors comment ? »

Corbeau soupira.

« – Vu comment tu portes tes regards j'en conclus que ce n'est pas moi qui t'intéresse, mais soit. J'ai gelé ces saloperies et je les ai fait exploser avec un de mes sorts. Et pour Lina et Phila, elles m'ont parlé d'un pacte avec Amour.

– Amour ?!? S'exclama Kikoolol... Mais oui, évidemment... »

Il se mit à tourner en rond, marmonnant des phrases inintelligibles, alors que Baku se tournait vers Lina, les yeux pleins d'espoir.

« – Je n'avais pas entendu ce dernier détail...

– J'aimerais bien, Baku, souffla Lina. Mais Amour n'est pas une déesse compatissante. Mes sentiments envers toi sont inchangés. »

Le garçon soupira.

« – Oui, j'aurais dû m'en douter. »

Avant de reporter son regard sur Kikoolol, puis le trône, l'air de s'être soudainement davantage crispé. Lina suivit son regard. Oui, elle était bien là, cette aura bleue pulsante horriblement familière, qui avait brusquement augmenté de pression après les dernières paroles de Kikoolol. Ils n'étaient pas tous seuls dans leur pentacle protecteur.

Mais elle n'eut jamais le temps d'en faire la remarque. Kikoolol avait cessé son marmonnement, et avait de nouveau fixé son regard sur Lina.

« – Quels étaient les termes de votre pacte, précisément ?

– Alors ça, surprise ! Grogna Lina.

– Tout ce qu'on sait, c'est que c'est sur Lina sur qui ça va taper le plus fort. Amour, pour une raison inconnue, semble ne pas aimer les Blackheart. »

Baku détourna le regard, tandis que Kikoolol hochait la tête. Et Corbeau, se sentant un peu laissé en dehors de la discussion sans doute, fit un pas en avant, dissimulant légèrement Lina à la vue de Kikoolol, avant de grogner :

« – Et pourquoi ne pas tout simplement nous expliquer tes buts ? J'étais prêt à t'écouter. Ce n'était pas compliqué.

– Aussi, marmonna Baku. Pourquoi avoir tenté de nous massacrer, Lina et les nôtres ? Parce que le jour où ce cliché est venu, Lina s'est servie de sa forme la plus dangereuse pour elle et des tas de personnes sont mortes. »

Kikol soupira, avant de se décaler de Corbeau.

« – Le rôle. Sretaz m'avait entendu parler de Lina, il a cherché à... Prévenir. Et vous savez fort bien, au vu de votre réaction, que le monde ne voulait pas qu'Amour disparaisse. Je n'aurais eu le soutien de personne. Et je n'aurais pas pu prendre le contrôle des clichés si ça s'était ébruité.

– Attends une minute, marmonna Phila, ébahie. Pour un simple rôle, une mascarade, tu as fait tous ces morts ?!? Je ne connaissais pas ces gens, mais je savais très bien que leur mort affectait tout le monde ! As-tu seulement entendu parler de l'affliction de l'armée après la mort de la générale Sky Senerum ? »

L'aura bleue derrière le trône s'atténua un peu, alors que Kikol soupirait.

« – Ce rôle déterminait le destin de tout le royaume. Et je n'ai jamais voulu la mort de Sky. Ni celle de Style et Intrigue. Je n'ai juste pas su contrôler les armes à ma disposition.

– Mairù serait fou de rage de t'entendre le baptiser d'arme, ricana Baku. J'espère pour toi qu'il n'est pas dans la pièce. »

Lina eut un soudain frisson. Mairù dans la pièce, à quelques mètres d'elle, c'était la pire chose qu'il pouvait arriver maintenant. Elle ne voulait pas le revoir. Elle ne savait pas encore si elle devait céder à sa peur ou sa colère en le voyant. Et parler de ses sentiments envers n'importe quelle personne devant Mairù Claro était la meilleure façon de faire dégénérer la situation très, très vite.

« – Je me doute, marmonna Kikol. Et tu penses sérieusement que ça me plaît de devoir l'envisager comme ça ? Je joue un rôle, Baku. Un rôle horrible. Mais un rôle d'une importance cruciale. Tu pensais vraiment que ça me faisait plaisir ? »

Un soupir s'échappa, à l'unisson, des lèvres de Baku et Lina.

« – On y a...

– Tous cru. »

Leur coordination fit grincer des dents à Kikoolol, alors qu'Akai pouffait de rire derrière. Mais il ne se démonta pas. Il se contenta de croiser les mains derrière son dos.

« – Preuve que mon seul talent est de jouer un faux rôle... »

Corbeau eut un léger bruit de gorge, l'air dédaigneux au possible. Encore plus que d'habitude, se disait Lina. Mais ce n'était pas très important.

« – Il y a autre chose, marmonna Baku. Pourquoi cette main morte ? »

Un petit rire s'échappa des lèvres de Kikoolol, qui leva sa main gauche. La peau et la chair s'effacèrent, ne laissant plus derrière que la blancheur des os sous les yeux ébahis et assez dégoûtés de son public.

« – C'est simple. Je voulais être invulnérable. Optrik ne m'était plus loyal et j'avais ton frère sur le dos. Alors j'ai accompli un rituel très dangereux tout de suite après mon départ du temple du Créateur. Un rituel me changeant en une liche parfaite, immortelle, même face aux maîtres de la magie. Aujourd'hui plus que jamais, je sens que ça va m'être très utile... »

Son regard se porta au loin avant de revenir sur Lina. Ce qui commençait sérieusement à l'agacer. Elle en avait marre qu'il se fixe sur elle, même malgré leur passé commun elle était celle qui le connaissait le moins. Et le trouble qui l'agitait était toujours là, plus flou que jamais. Il ne manquait plus qu'une seule information pour que Lina puisse reconstituer son puzzle mental. Une information qui lui semblait capitale.

Akai haussa les épaules.

« – En attendant, je suis curieuse à propos de la vengeance d'Amour. »

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