Chapitre 22, partie 1

Les jours passèrent, dans l'inconfort et la mauvaise humeur. Et finalement, alors que Lina était proche de craquer, qu'elle mourait de faim et que le nombre sur son poignet avait fait la place au vingt-six, la porte de la cellule s'ouvrit, et un Inquisiteur leur passa, à tous les cinq, des menottes en ithridium, fronçant le nez devant l'odeur. Lina soupira.

« – Oui, mon bonhomme, lorsqu'on ne permet pas à des jeunes adultes de se laver, ils transpirent et sentent mauvais. Il fallait y penser et ajouter une douche intégrée si tu voulais qu'on soit présentables. »

L'Inquisiteur soupira, mais ne répondit rien. Il se contenta de tous les traîner dehors, s'efforçant de les toucher le moins possible, sous les regards des autres prisonniers et les huées de certains. Baku baissa les yeux en recevant quelques insultes, tandis que Corbeau lui fixait les prisonniers avec calme et une once de dédain. Quant à Phila et Akai, elles se regardèrent, avant d'essayer de faire le moins attention possible aux quolibets et aux insultes. Un exercice auquel Akai semblait très douée. Lina enviait son détachement. Elle avait suffisamment de mal à rester calme devant des gens qui ne savaient rien, alors devant le chef d'orchestre de cette énorme mascarade...

Sortant des cachots, l'Inquisiteur sembla se détendre, avant d'adresser un sourire sadique aux cinq prisonniers et de lancer, l'air ravi :

« – Les traîtres vont enfin être jugés... »

Lina se mit à marmonner. Oser la traiter de traître, elle. Elle commençait à en avoir marre de cette mascarade inquisitoriale. Mais le contact de la main de Baku, qui s'était contorsionné pour réussir à lui attraper le poignet, la retint de lancer un mot de plus. Ce dernier lui chuchota un avertissement à l'oreille, et elle soupira, mécontente. Bien sûr, elle savait qu'elle jouait sa vie dans ce procès. Mais elle n'allait pas pouvoir se contenir de hurler sur les véritables traîtres très longtemps. La voix d'Akai lui parvint de derrière elle, demandant en quoi elle pouvait bien être une traîtresse. Et la dernière chose qu'elle entendit avant de rentrer dans la salle qui accueillerait leur procès fut un commentaire ironique de Phila sur leur propre traîtrise, lui arrachant un sourire alors que l'Inquisiteur ouvrait les portes.

Corbeau fut le premier à entrer dans la salle, suivi de Baku, puis Lina. Cette dernière écarquilla les yeux. Loin du tribunal en huis clos auquel elle s'attendait, la salle de jugement qui lui faisait face était immense, claire et lumineuse, presque autant que la salle du trône. Sur les murs des côtés, d'innombrables gradins noirs de monde entouraient une zone au centre où se dressait la tribune du juge, collée au mur le plus au fond de la salle. Devant la fresque représentant une scène de l'histoire de Wattpadia, ou une femme aux vêtements et cheveux turquoise menait une armée à la victoire, le trône royal, sur lequel se tenait, droit comme un I et un sourire satisfait sur le visage, Optrik, lissant sa longue robe orange désormais bordée d'hermine. La couronne que Lina avait si souvent vu sur la tête d'Intrigue ceignait son front, animant la rage de la jeune femme. Il n'avait pas le droit de la porter. Il n'avait pas le droit de s'asseoir à la place qui était due à sa défunte reine. Il n'avait pas le droit de parader comme si il était dans son droit.

Les Inquisiteurs présents prirent le relais les traînèrent sur le banc réservé aux accusés, en bas de la tribune du juge, avant de retourner s'asseoir sur ceux du public. La jeune femme prit un moment pour fixer les témoins de cette grossière pièce de théâtre, et grinça des dents en constatant qu'ils étaient tous bien habillés et haut placés dans la hiérarchie. Il y avait beaucoup d'Inquisiteurs de la Flamme, certes, mais aussi quelques bourgeois, nobles et même un chef de confrérique qu'elle connaissait de loin. À côté, les cinq accusés, recouverts de saleté et dans leurs vêtements en lambeaux et tâchés de sang, faisaient tâche, et malgré la société évoluée dans laquelle il se trouvaient, Lina savait très bien que l'apparence jouait beaucoup dans l'image des accusés, surtout auprès des nobles. Et sa maigreur, les barbes de trois jours de Corbeau et Baku, les joues creusées de Phila et l'air lassé d'Akai n'allaient pas jouer en leur faveur dans ce public enrubanné. Lina sembla même apercevoir dans le public la colombe blanche que Baku lui avait décrite comme l'écusson de sa famille, en ornement sur la tête d'une vieille femme à l'air sévère. Elle donna un coup de coude à Baku et lui montra l'ornement d'un signe de tête, uniquement pour voir le visage déjà pâle de ce dernier perdre toute trace de couleur.

La famille royale au grand complet, et pas en meilleur état qu'eux, les attendait sur le banc des accusés, et chacun d'entre eux tourna vers eux un regard emprunt de panique, qui serra le cœur de Lina. Ce n'était que des enfants. Le plus âgé, Vocabulaire, avait tout juste seize ans. Et pourtant ils étaient sur le banc, prêts à être jugés comme des adultes, recroquevillés dans leurs vêtements qui avaient été autrefois riches. Lina soupçonnait les Inquisiteurs de les avoir enfermés dans une chambre au hasard ou une pièce du palais, sans tenir compte du respect dû à leur nature. Pareil constat la révulsait. Phila, à ses côtés, soupira, et Akai, ignorant les autres, regarda autour d'elle et siffla.

« – Eh bien. Sacré tribunal. »

Lina était bien d'accord avec elle, mais pour le moment, toute sa concentration était fixée sur Optrik et sur le reste de sang-froid qu'il lui restait. Elle ne devait pas s'énerver. Elle ne devait pas ruiner les chances des autres de s'en tirer. Originalité, la seule des princesses qui semblait conserver un minimum de sang-froid, se rapprocha d'elle autant que ses chaînes et ses frères et sœurs le lui permettaient, et lui jeta un regard triste et désolé, que Lina n'eut ni le cœur ni la concentration de lui rendre.

Optrik se leva, avant de se pencher par dessus son bureau, un sourire satisfait sur son visage dur, laissant son regard glisser sur tous les accusés tandis qu'il prenait la parole.

« – Parfait.... Nous sommes donc réunis en ce jour afin de juger devant la Flamme des traîtres à la Couronne de Wattpadia. »

Lina siffla. Elle n'en pouvait plus d'entendre ce mot. Surtout dans la bouche du vrai traître, du vrai assassin.

La voix d'Akai interrompit la litanie d'Optrik, qui listait les crimes qu'il cherchait à leur imputer. L'assistance fit silence et observa la démone se lever, un air agacé sur le visage.

« – On m'explique pourquoi je suis là aussi ? Je n'ai rien fait contre ce royaume, moi.

– Et moi alors, marmonna un Baku renfrogné. C'est un crime d'aller se renseigner en ville maintenant ? »

La foule se mit à s'agiter dans les tribunes, et des bribes de conversation empreintes de doute parvinrent à Lina. Mais Optrik se contenta de sourire.

« – Vous êtes une démone, et votre ami aux cheveux blancs un tueur en série. En tant qu'amis des traîtres, j'ai tout à fait le pouvoir de vous juger en même temps qu'eux. »

Lina, qui était assise à côté de Baku, sentit la crispation de tous les muscles de son corps, et un regard sur son visage renfermé indiquait qu'elle devait intervenir pour calmer le jeu, et vite, avant que son ami n'aggrave son propre cas. Elle se leva à son tour, et lança, à la cantonade :

« – Avec ce type de raisonnement, vous allez devoir arrêter la moitié du royaume ! »

L'absurdité de sa propre remarque la fit rire, de même que Corbeau, qui n'avait pas réagi de tout ce début de procès, se contentant sans doute d'analyser les lieux. Un léger sourire se glissa sur les lèvres de Baku, qui se détendit. Lina soupira de soulagement. La crise était passée.

Optrik fit taire d'un coup de marteau la salle partagée entre rires et huées, avant de grogner et de se rasseoir sèchement sur son trône, le visage appuyé sur une main et les yeux fixés sur Lina. Cette dernière maintint son regard.

« – Peu importe. Nous avons plusieurs preuves de votre culpabilité. Comme le sang qui vous recouvrait lorsque mes Inquisiteurs vous ont trouvé, générale Blackheart.

– C'était le mien ! S'exclama une Lina ulcérée. Je venais d'être blessée et je n'ai réchappé à la mort qu'en me faisant maudire ! »

Furieuse, elle leva son bras, et tourna le poignet, exhibant à Optrik son poignet marqué du chiffre vingt-six, allant jusqu'à le tourner en direction de toute la foule.

« – Voyez ça ? C'est la marque de la Mort, la preuve que j'ai été blessée mortellement et en ai réchappé ! Si vous voulez une autre preuve, je peux vous montrer la cicatrice que j'ai à la gorge ? Où demander à mes camarades ici présents combien de temps la Mort m'a donné, si vous tenez vraiment à un témoignage ?!? »

Baku sursauta et la fixa avec de grands yeux, mais elle n'en avait cure. Elle se contentait d'exprimer toute la rage qu'elle avait en elle, fixant Optrik avec des éclairs dans les yeux. Ce dernier se contenta de hausser les épaules, avant d'abandonner le sujet. Lina sourit en voyant qu'il ne trouvait pas d'argument, mais la suite de sa phrase la fit serrer les dents avec une telle force qu'elle manqua de s'en déboîter la mâchoire.

« – Accessoirement, nos services ont prouvé que vous et le général Corbeau avaient un lien avec Kikoolol avant que la guerre ne débute. Vous avez très bien pu en profiter pour reprendre contact avec lui, pas vrai, généraux ?

– Kikoolol. Marmonna Akai. C'est qui déjà ? Ah oui, celui qui détruit les règles de la littérature ?

– C'est ça, souffla Phila. Et aussi le gars qui a blessé Lina. Optrik cherche la petite bête. »

Lina ne les écoutait plus.

Trop, c'était trop.

Elle pouvait admettre n'importe quoi, des arguments sensés, les provocations d'Optrik, les regards méprisants des Inquisiteurs. Mais pas ça. Pas l'accusation de s'être allié à son ennemi, à l'ennemi des siens, à celui qui voulait et la mort du royaume et celle de son église. C'était la pire insulte qu'on pouvait lui faire.

À côté d'elle, Corbeau s'était levé, sous le coup de la colère ou dans une vaine tentative de calmer son amie. Mais elle n'y faisait plus attention. Elle se contentait de déverser toute sa rage sur Optrik, coupant net aux murmures de la foule, attirant tous les regards sur elle dans un silence qu'on aurait pu couper au couteau si elle ne s'était pas mise à hurler. Les jurés la fixaient avec crainte, voire pour certains, admiration. Même son juge en était impressionné. Mais elle s'en fichait.

« – Tu OSES m'accuser, moi, Lina Blackheart, de m'être alliée à un homme qui a détruit la vie de dizaines de gens, a mis en péril mon église, a tué ou ordonné de tuer mes proches, mes amis ?!? Alors qu'il a tenté plusieurs fois de me tuer, que c'est à cause de lui qu'il ne me reste plus qu'un mois à vivre ? Belle façon de traiter ses alliés, hein ! »

Son coup de colère faisait trembler Baku à ses côtés et Corbeau tenta de la faire se rasseoir, mais rien ne la détourna de sa tirade. Elle en avait assez de cette mascarade. Elle en avait assez de la comédie d'Optrik. Il voulait des arguments ? Elle allait lui en donner.

« Ses troupes ont enlevé mon amie ! Son lieutenant a tué mon mentor ! Ses créations ont assassiné le roi, bordel de merde ! Tu me prends pour la dernières des putes, à m'allier ainsi avec l'homme qui a décidé de tout m'arracher, de tout détruire ?!? Et toi, tu es quoi, dans toute cette histoire ? L'agneau blanc qui arrive après les combats et se ramène toute la gloire à lui, innocent comme le chaton qui vient de naître ! Mon cul ! Tout ce que tu essaies de cacher, c'est que c'est ton cul bordé d'épines qui a assassiné d'abord le prince, puis le roi !Allez avoue, vulgaire putois dégénéré, avoue ton crime et ôte nous ces menottes qu'on en finisse ! »

Corbeau finit par lui attraper les épaules et la forcer à s'asseoir, aidé de Baku de l'autre côté. Leur air paniqué réveilla Lina de sa transe enragée, et une profonde honte l'envahit, suivi de culpabilité. Elle avait craqué, elle avait tout largué, et maintenant les siens étaient encore plus en danger. Un grognement s'échappa de ses lèvres. Elle venait de se condamner elle-même, sans aucun doute, pourtant elle ne s'était jamais sentie aussi libérée.

Enfin calmée dans la mesure du possible, elle leva des yeux emplis de mépris vers Optrik, qui se contentait de la fixer en souriant. Son sourire la fit grincer des dents. Mais cette fois, elle se contint, et l'écouta aussi calmement que possible.

« – Que des mots que tout ça, générale Blackheart. C'est la corruption de votre armée qui a causé la mort du roi. Si on avait eu plus de pouvoir...

– Vous ne l'auriez sûrement pas empêchée non plus, siffla Phila, les yeux plissés. Visiblement vous pouviez, vu que vous avez revendiqué devant moi vous être battus pour ce royaume. Mais Style est mort quand même, que je sache !

– Calme toi, Phila, murmura Akai. Tu vas finir par péter un câble, comme Lina. »

Optrik soupira. Avant de frapper sur la table et de se relever.

« – Faites sortir le public. »

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