Chapitre 21, partie 1

Noires et empestant la pourriture, les prisons wattpadiennes n'avaient rien d'accueillant, que ce soit pour le plus petit des voleurs ou le pire des criminels. Mais pour une générale et une caporale injustement accusées et tout ce qu'il y a de plus innocente, se retrouver enfermées dans une de ces cellules, aux cachots du palais, avait tout du cauchemar éveillé. Et ce n'était pas faute de protester de la part de Lina, qui sur le chemin vers sa nouvelle cellule n'avait cessé de jurer et d'insulter les Inquisiteurs qui la retenaient, Optrik, et parfois même Kikoolol. Phila, à ses côtés, se contentait d'observer les yeux, ne pouvant se retenir de plisser le nez de dégoût devant l'horrible décor.

Mais rien de ce qu'elles ne pouvaient faire ne put empêcher les deux femmes de se faire projeter dans une cellule aux barreaux et aux parois d'ithridium, trop solides pour être brisés et trop serrés pour que Lina ne puisse passer à travers. Et l'ithridium ayant la faculté de figer les flux magiques de n'importe quelle créature douée de pouvoir qui entrait dans son périmètre, autant dire qu'une transformation était exclue.

Lina grogna, et, dès qu'on lui eut ôté ses menottes et ses objets magiques, se mit à examiner les alentours, flairant et écoutant tout ce qu'elle pouvait. Ce qui n'avait rien de rassurant. Une effroyable odeur de pisse étonnamment récente imprégnait l'air, surpassant même celle du sang. L'air était chaud, étouffant presque. Et tout ce qu'elle pouvait entendre, c'était les pleurs des autres prisonniers, et les insultes de certains. Rien de bien réjouissant. Pourtant, dans ses souvenirs, ses souverains traitaient mieux leurs prisonniers... Optrik avait-il eu le temps de tout changer, ou bien le cliché avait-il atteint les bas-fonds du palais, changeant la vie des captifs sans se soucier de justification ?

Un rapide regard dans la cellule lui apprit que Phila avait été enfermée avec elle. Il y avait quatre lits de bois, quatre couvertures et, un grognement s'échappa de ses lèvres face à ce constat, quatre pots de chambre. Et, sur un des lits, étendue autant que l'inconfort du couchage le lui permettait, une femme rousse aux formes voluptueuses, les yeux fermés et laissant échapper un léger ronflement.

Phila, voyant la femme, écarquilla les yeux de surprise, et se précipita vers elle, avant de la secouer par l'épaule. L'inconnue émit un léger grognement, avant de se réveiller franchement et de se redresser en position assise, l'air agacée.

« – Qui est-ce qu'on m'a assignée comme compagnon de cellule pénible... Phila ? Phila c'est toi ? »

Curieuse, Lina s'approcha, et la femme se tourna vers elle. Phila eut un léger sourire et fit un signe en direction de Lina, avant de présenter l'inconnue, qui malgré le scénario peu sympathique dans lequel elle se trouvait, souriait, ses yeux marron pétillant de sympathie.

« – Lina, je te présente Akai Hato, mon amie dont je te parlais. Akai, voici Lina Blackheart, générale de l'armée de Wattpadia et ma compagne de galère, si j'en crois cet Inquisiteur... »

Lina fit un signe de tête amical, ce à quoi la femme répondit par un sourire. Elle lui semblait sympathique, quoiqu'un peu trop souriante pour quelqu'un qui vient d'atterir dans une prison digne de celles de Kikoolol. Un détachement des préoccupations du monde où elle une habitude de ce genre de scènes moisies ? Lina ne savait pas, et n'avait pas envie de savoir. De toute façon, au rythme où ça allait, elle ne tarderait sûrement pas à l'apprendre. Il y avait sans doute une raison pour que l'amie de Phila se retrouve dans la même cellule qu'elles. Que ce soit à cause d'une facétie d'Optrik ou d'un acte particulier d'Akai, rien ne se passait jamais sans raison.

Phila, assise sur l'un des bancs, avait la tête entre les mains et un ait interrogateur.

« Ce que j'aimerais bien comprendre, c'est ce que tu fiches là, Akai. Tu as carbonisé des Inquisiteurs de la Flamme ou quoi ? »

La concernée secoua la tête, l'air de ne pas plus comprendre que Phila. Sans doute, se dit Lina, que l'hypothèse de la facétie d'Optrik était la plus probable.

« – Non, je t'assure. J'étais en ville en train de chercher une auberge avant de reprendre mes recherches pour l'objet dont je t'ai parlé, et j'ai vu cette affiche annonçant la mort du roi... Je suppose que j'ai dû laisser voir ma nature démoniaque d'une manière ou d'une autre, parce que les Inquisiteurs se sont aussitôt jetés sur moi en me traitant d'aberration ou de pas mal d'autres idioties avant de me balancer dans cette cellule. Je m'étais résignée à dormir sur ces horribles bancs de bois lorsque vous êtes arrivées... »

Lina plissa les yeux. Une démone, les êtres les moins appréciés de pas mal de cultes. Personnellement, elle ne s'en préoccupait pas, après tout le Créateur les avait façonnés pour une raison. Mais ça expliquait sans doute sa présence dans la cellule, même si la coïncidence était trop grande pour qu'elle se retrouve avec elle par hasard. Elle avait dû prononcer le nom de Phila, ou quelque chose du genre. Ou bien le cliché avait déjà atteint le mode de réflexion d'Optrik.

Un bruit de chaîne et un sifflement de rage que Lina connaissait bien retentit dans le couloir, et elle se précipita au bord de sa cellule pour voir les Inquisiteurs traîner un Corbeau en très mauvais état, brûlé sur une bonne partie du corps, mais de façon assez légère, comme si ses plaies avaient commencé à cicatriser au moment même ou la flamme avait touché sa peau. Il semblait d'un calme olympien, malgré la manifestation de fureur qui venait incontestablement de lui, mais son regard brillait de colère froide. Il se crispa en apercevant Lina et son pas se ralentit, mais les Inquisiteurs le poussèrent violemment dans le dos, et le firent entrer, bon gré mal gré, dans sa cellule. Un d'entre eux se mit à ricaner.

« – Au panier, les traîtres ! Il ne nous manque plus que la dernière ex-générale ! »

Lina gronda, et l'Inquisiteur sourit avant de tenter de lui cracher dessus. Son collègue le détourna cependant de la cellule avant qu'il ne puisse arriver à ses fins et l'éloigna, recentrant toute l'attention de Lina sur Corbeau.

Ce dernier grogna, semblant se retenir avec de grandes difficultés de faire les cents pas, ou de s'énerver franchement. Son sang-froid légendaire semblait bien atteint.

« – Toi aussi, tu t'es fait avoir, pas vrai Lina ? Ils ont réussi à tout nous mettre sur le dos, ces enflures...

– Je suis quasiment certaine que si on avait tué le prince, ils nous auraient imputé la mort de tout le monde, marmonna Lina avant d'aller s'asseoir sur son lit. Enfin, on est ensemble et vivants, c'est le principal. Erin va bien ? »

Derrière eux, Akai toussota, et Phila soupira avant de reprendre :

« – Akai, voici le chevalier Corbeau, le deuxième général. Général Corbeau, voici Akai, mon amie dont je vous ai déjà probablement parlé.

– Laissez tomber les titres, grogna le concerné. Après ce qu'il vient de se passer, il est évident que nous ne sommes plus généraux aux yeux du royaume. Et pour Erin, eh bien, c'est en couvrant sa fuite que je me suis fait attraper. J'avais réussi à geler les deux bombes place Fanfiction et Roman pour Adolescents, et ces imbéciles d'Inquisiteurs nous sont tombés dessus... »

Lina soupira de soulagement. Erin allait bien. Si elle avait réussi à s'enfuir, elle aurait probablement la présence d'esprit de se cacher, d'éviter l'armée pendant un certain temps. Son armée... Quelle ironie que de devoir se cacher de ses propres soldats. Elle espérait qu'il y en aurait au moins dans le lot qui comprendraient qu'elle n'était pas fautive. Elle ne voulait pas garder l'image d'un traître pour son dernier mois de vie.

Un bruit de chaîne attira son attention, et les deux généraux se dirigèrent vers les barreaux de leur cellule, curieux de savoir si on allait leur amener un nouveau compagnon de cellule. Il n'y avait certes que quatre lits dans leur espace réservé, mais on était jamais trop prudent, surtout avec les Inquisiteurs. Mais ce fut un homme entièrement recouvert de chaînes, avec une immense barbe qui frôlait ses pieds chaussés de sandales, et les yeux bandés par du tissu sali de sang, qui se dirigeait vers eux, entouré de plusieurs Inquisiteurs. Il souriait à travers sa barbe et, malgré son aveuglement, avait clairement la tête tournée vers les quatre compagnons de cellules.

Lina marmonna.

« – Qui c'est, celui-là ? J'ai l'impression qu'il nous fixe.

– Il n'a pas d'yeux, Lina, soupira Corbeau. Regarde le sang qui imprègne ses bandages.

– La vision des auras, tu connais ? Ça se voit que tu n'as pas vécu avec Mairù pendant trois ans toi... »

Corbeau leva les yeux au ciel, mais s'abstint de répondre. Akai, de son côté, fixait l'homme avec un air assez curieux, avant de lancer :

« – En tout cas, je dois dire qu'il est plutôt impressionnant. »

L'homme eut un léger sourire, et s'arrêta devant leur cellule, sous les airs surpris et agacés des Inquisiteurs qui se mirent à protester. Mais il n'en eut cure. Il continuait de fixer les quatre protagonistes, en tendant une main putréfiée et tâchée de fluides et de crasse devant lui. Cette même main s'illumina. Et son sourire s'élargit.

Lina n'eut même pas le temps de se demander le pourquoi du comment avant de voir la poussière tomber du plafond. Puis, avec la poussière, une avalanche de pierres aux bords érodés, creusant un énorme trou dans la voûte de la pièce et écrasant tous les Inquisiteurs dans un concert de cris et de chair broyée, les tuant sur le coup. Le sang gicla, et aspergea Lina et Corbeau qui reculèrent avec un cri dégoûté. Lina marmonna. Elle avait assez de liquide sur ses vêtements comme ça. Surtout en considérant qu'il était rare que les prisonniers puissent se changer.

L'homme s'approcha davantage de la cellule, et fit passer ses mains à travers les barreaux de cette dernière, les tendant devant les quatre protagonistes. Lina les fixa avec méfiance, s'attendant à ce qu'il tente de réduire en bouillie aussi les murs de la cellule, mais rien ne se passa. Tout juste la puanteur que dégageait la chair putréfiée lui fit froncer le nez.

« – Bonjour, » fit l'homme en souriant.

Lina plissa le nez. Sa voix était rauque, et elle aurait presque pu croire que ses cordes vocales étaient dans le même état que ses mains. Mais le pire, c'était sans doute l'haleine. Une odeur de vieux cadavre, de sang et de chair, de pourriture et de maladie. Une odeur que l'on sent habituellement chez les morts-vivants. Qui sait, cet homme en était peut-être un. Un bien étrange, certes, mais un mort-vivant quand même. Ou une liche, un de ces sorciers morts-vivants capable de réfléchir au-delà de leur décès, les rendant invulnérables aux dangers pesant sur les mortels.

« – Et tu es qui, d'abord ?

– Je n'ai pas d'importance. J'accomplis simplement la volonté des dieux. Prenez mes mains, vite. Rassurez vous, je n'ai pas le pouvoir de vous faire évader. »

Cela n'avait rien de rassurant pour Lina qui aurait bien aimé se tirer de là, innocente ou pas. Phila, elle, secoua la tête, avant de grogner :

« – Pourquoi on te ferait confiance ? Qu'est-ce que nous veulent les dieux ? »

Sans se préoccuper des regards dubitatifs des quatre, l'homme se remit à agiter sa main, l'air de plus en plus pressé. Son visage se tourna vers Lina, puis Phila, et enfin Corbeau.

« – Prenez ma main. Allez.

– Et, ça fera quoi ? Soupira Corbeau. Si on ne s'évade pas, pourquoi tu tiens tant à ce qu'on prenne ta main ? »

L'homme sourit, dévoilant quatre dents en moins et empestant de nouveau la pièce de ses relents de pourriture.

« – Ça montrera ce que les dieux veulent vous montrer. Un avertissement divin, si je ne m'abuse.

– Ils nous ont bien à la bonne, les dieux, ces temps-ci ! C'est rare de les voir se mêler à ce point de nos histoires ! »

Phila pouffa à l'entente de la phrase de Lina, avant de lancer d'un ton narquois :

« – Enfin, bien à la bonne, si on exclut notre bonne vieille amie Amour, pas vrai Lina ? »

Akai haussa un sourcil, Corbeau plissa les yeux. Mais Lina se mit à pouffer, légèrement plus détendue, avant de fixer la main de l'homme et de soupirer.

« – Je suppose qu'on tente le coup, Phila, Corbeau ? »

Les deux hochèrent la tête, et Phila ajouta :

« – On ne peut pas faire grand-chose d'autre, pas vrai ? »

Les trois s'avancèrent, sous le regard d'Akai qui avait préféré s'abstenir. Et Lina referma sa main sur la paume de l'homme, avant de fermer les yeux, frissonnant devant la sensation de la chair putréfiée. La paume de l'homme était froide et poisseuse, et elle pouvait presque sentir la peau tomber en poussière entre ses doigts. Mais malgré son dégoût, elle tint bon.

Un flash. Et, devant ses yeux, jaillirent des centaines de destinées, des milliers d'années, des dizaines de morts, des dizaines de naissance. Elle se vit porter une couronne, puis elle se vit se traîner dans le sang et la boue. Elle se vit seule, puis une bague au doigt. Elle vit tout ses amis autour d'elle mourir, vivre, être heureux, être malheureux, elle vit la guerre, elle vit la paix. Mais toutes les images filèrent dans son cerveau sans le marquer. Seule une resta plus longtemps, une s'imprima dans son esprit comme marqué au fer rouge. L'image de Kikoolol de dos, son manteau et sa tignasse brune flottant dans un vent inexistant, les mains croisées dans son dos. Avec, au dessus de lui, un crâne brillant, sans la moindre fioriture.

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