Chapitre 20, partie 2
Lina n'eut pas le temps de faire quoi que ce soit. Erin s'était déjà interposée, bloquant le flambeau, annonçant avec toute l'autorité dont elle était capable, que personne ne tuerait personne. Lina approuva. Surtout pas aux ordres d'un inconnu, probablement un chef de religion quelconque, le genre de personne qu'elle ne voulait surtout pas voir marcher sur les plates-bandes de la famille royale. Mais les gardes se mirent à rire.
« – Mesdames, le Grand Inquisiteur Optrik est le chef de la sainte église de la Flamme, et l'héritier légitime de dame Intrigue de par le testament qu'elle nous a laissé ! Il a toute autorité pour faire exécuter le prince félon ! »
Lina se mit à grogner, alors que Phila s'exclamait, incrédule :
« – Héritier ? Mais il y a toujours des membres de la famille royale en vie !
– Exact, fit Corbeau de son ton neutre. Que je sache, Vocabulaire est toujours en vie ! »
Orthographe, sous les Inquisiteurs, acquiesça, et leur hurla de se dépêcher, les bombes allaient exploser dans moins de vingt minutes, il ne fallait pas se préoccuper de lui. Mais l'un des gardes leva un papier, qui de loin semblait officiel, et le lut d'un ton docte, comme si il expliquait les additions à des petits enfants. Ce qui fit voir rouge Lina. Mais elle écouté, sans pouvoir y croire, les mots du garde. L'annonce que d'après le testament de feu la reine Intrigue, le Grand Inquisiteur Optrik Sin était devenu l'héritier légitime du royaume.
C'était probablement une des plus horribles nouvelles de la journée pour elle, femme de foi qui haïssait la manie des autres religions à se mêler d'affaires qui les dépassaient. Mais elle ne pouvait rien faire contre un papier qui semblait légitime. Et elle n'avait plus le temps de prouver le contraire. Les bombes allaient exploser, Orthographe allait mourir. Tant pis pour ces ordures d'Inquisiteurs.
Elle grogna, avant de triturer sa montre, ouvrant un portail. Corbeau fit de même, de son côté, avec un léger soupir. Phila se rapprocha de Lina, et Erin de Corbeau, tandis que la Cardinale lançait un dernier juron à l'encontre des gardes. Ces derniers ricanèrent, les regardant partir avec satisfaction. Mais elle n'avait pas le temps de s'en préoccuper.
Elle était déjà sur la Place Roman d'Amour. Corbeau et Erin avaient convenu de s'occuper des deux autres, le cryomancien étant bien plus efficace pour les opérations de déminage. Il ne restait plus à Lina qu'à détruire la bombe sur la place la plus atteinte de toutes, et ce, avant qu'elle n'explose.
Le compteur indiquait qu'il ne restait que cinq minutes.
Et Lina s'aperçut avec horreur que la bombe était indestructible.
Phila, derrière elle, laissa échapper un juron, avant de lever son épée et de frapper le détonateur. Aucun effet, si ce n'est un bruit de métal, un dong sonore qui glaça le sang de Lina. Elle reconnaissait le bruit. Ce métal avait de fortes chances d'être de l'ithridium, protégeant ainsi le détonateur de toute attaque. Magique comme physique. Ce métal serait probablement le seul objet à survivre à l'explosion.
Quatre minutes.
Phila se mit à bombarder la charge de la bombe de lames d'air, cherchant désespérément à en séparer le détonateur. Mais, à sa plus grande horreur, une protection magique entourait cette partie de la bombe, et un deuxième compteur sur le détonateur, précédant le premier d'un millième de seconde, indiquait le temps de sa durée. Lina hurla et frappa la protection de son katana. Aucun effet.
Trois minutes.
Lina se changea en la créature la plus violente qu'elle pouvait, un orang-outan, et se mit à marteler la protection avec ses poings, puis le détonateur, puis tout ce qu'elle pouvait. Phila tenta de l'aider avec son épée. La protection ne bougea pas. Le détonateur n'avait même pas une égratignure.
Deux minutes.
Lina se recula, se retransforma, avant de prendre une profonde inspiration et de débiter la formule de sanctification la plus puissante qu'elle pouvait maîtriser en solo, dans l'espoir qu'elle annule la protection magique. Mais ses mots n'eurent pour seul effet que d'accélérer le compteur. Phila jura et l'interrompit avant que les chiffres ne deviennent incontrôlables. La panique montait. Lina hurla.
« On est foutues ! »
Il ne restait plus que dix secondes au compteur.
Lina ne pouvait plus que prier.
Elle n'arrivait pas à croire que son temps de vie allait encore s'interrompre, ici et maintenant, et pour de bon. La Mort n'était sans doute pas femme à accorder des troisièmes chances.
C'était fini.
Il ne restait plus qu'une seconde. Lina ferma les yeux. Et attendit.
Et attendit.
Et attendit.
Mais rien ne venait.
Ses yeux s'entrouvrirent légèrement, avant de s'écarquiller. Le compteur s'était figé à un centième de seconde, juste avant le zéro fatal. Et Phila, à ses côtés, était elle aussi intacte, paralysée par la surprise. Quoique non, se rendit compte Lina en tentant de bouger. Le temps s'était figé pour son corps aussi. Elle n'arrivait pas à bouger le moindre muscle.
Elle cherchait l'explication à ce soudain miracle lorsqu'une voix bien connue retentit dans son cerveau, poussant un profond soupir avant de lancer :
« – Désolée, Phila, Lina. Je n'ai pas pu faire plus. »
Lina ne s'était jamais sentie aussi soulagée d'entendre la Voix. Phila, à ses côtés, sembla tenter d'ouvrir la bouche, avant de renoncer, et sa voix retentit dans l'esprit de Lina :
« – Merci, la Voix, Dis moi, qu'est-ce que tu as fait ? Et pourquoi tu es encore là ? »
La Voix eut un petit rire triste.
« – Comme Kikoolol avait scellé l'Âme des Âmes, j'étais encore dans l'esprit de Phila lorsque vous êtes parties de ce temple. Je ne pouvais pas rentrer, et mes réserves d'énergie allaient s'épuiser. Alors j'ai décidé de toutes les utiliser pour vous aider. Mais ça n'a pas suffi... Et dès que je remettrai le temps en marche, avant de m'effacer pour de bon... »
La Voix n'eut pas besoin de finir sa phrase. Lina avait compris. Elle ne pourrait empêcher l'explosion, même en y mettant toutes ses capacités. Et elle mourrait là, déchiquetée par une bombe, quelques heures à peine après avoir reçu un sursis. Quelle ironie... A croire qu'on échappait jamais bien longtemps à la Mort.
Un soupir s'échappa de ses lèvres. Cette manière de mourir était encore plus désuète que la blessure que lui avait infligé Kikoolol, surtout maintenant qu'elle en avait réchappé. Elle pouvait sentir l'incroyable ironie de la situation dans toute la place. La Mort devait bien rire, là haut dans la dimension divine... Où s'en mordre les doigts, peut-être. Elle ne savait pas trop.
Phila, de son côté, émit un grognement.
« – Après tout ce que j'ai vécu et tout ce à quoi j'ai échappé, crever comme ça est presque décevant. »
Oh, comme Lina aurait aimé hocher la tête. Acquiescer sans rien dire, sans rien laisser échapper de ses pensées. Mais elle ne pouvait pas. Seul son esprit était sous son contrôle. Alors elle marmonna.
« – Donc ça y est, c'est la fin... On meurt comme ça, bêtement emportés par un piège de Kikoolol, ou de ce type, Optrik, qui va pouvoir faire ses conneries tranquilles...
– Dis moi, Lina. Sin, ce n'est pas le nom que nous avait donné le prince Orthographe ? Que les clichés avaient été envoyés par le Grand Inquisiteur Sin ? »
Lina réfléchit. Et en effet, maintenant qu'elle le disait, c'était bien là qu'elle avait entendu le nom de Sin. Optrik Sin. Alors c'était lui qui avait ordonné l'assassinat d'Orthographe... Un mystère se levait. Pour laisser place à tellement d'autres. Car au final, quel était le rôle de Kikoolol dans cette affaire ? Pourquoi tuer le roi et la reine maintenant, alors que jusqu'à présent ils ne semblaient viser que l'Âme des Âmes ? Et surtout, pourquoi la Flamme s'était battue à leurs côtés si leur chef avait déclenché tout ça ?
Tant de nouvelles questions qu'elle ne pourrait pas résoudre.
Phila soupira.
« – Dire que l'élémentaire me garantissait un millénaire et qu'au final, je n'ai eu droit qu'à treize ans de plus. Les sursis de la Mort sont bien étranges, tu ne trouves pas, Lina ? »
Est-ce que prononcer le nom de la Mort suffit à la faire apparaître ? Sans doute est-ce le cas pour les personnes au soir de leur vie. Car la Mort, toujours avec cette même aura de peur, toujours avec cette même apparence enfantine. Mais cette fois, une pointe de colère perçait sur son visage, et elle pointa du doigt la bombe en marmonnant.
« – Je n'avais pas prévu ça... Ça rentre en conflit avec tous mes plans ! »
Lina haussa un sourcil, du moins essaya. Ce qui attira l'attention de la divinité, qui se tourna vers eux d'un mouvement brusque. Ses traits étaient crispés.
« – Évidemment... Vous vous mettez dans une situation inextricable alors que je vous ai déjà accordé à chacune un pacte pour déjouer mes lois ! Je commencerais presque à croire que c'était prévu de la part de ce maudit Kikoolol... Moi qui espérais ne pas avoir à rayer d'autres noms aujourd'hui, me voilà obligée de revenir collecter les âmes de deux personnes qui ne devaient pas mourir ! »
L'attention de Lina, en recherche désespérée de moyens de survie, fut attirée par un mot en particulier dans la phrase de Mort. Le mot « pacte ». Il y avait peut-être moyen...
« – Dis moi, Mort, ce genre de pactes, c'est possible de les nouer avec les autres dieux ? »
La Mort fit virevolter sa robe noire, avant de se pencher sur la bombe et de soupirer.
« – Tu ne souhaites sans doute pas échanger ta vie contre un triste destin, Lina Blackheart. Actuellement, je ne vois qu'une seule divinité capable de vous aider, et qui en aurait l'envie. Et ce n'est vraiment pas ma favorite...
– Laquelle ? Au point ou on en est, on ne va pas chipoter, » lança Phila.
La Mort soupira, avant d'annoncer d'un ton lugubre :
« – Il s'agit d'Amour, déesse de l'Amour. La seule assez facétieuse pour aider les mortels parmi les divinités qui ont du pouvoir ici. Nous sommes sur la place Romance, après tout. »
Un grognement se forma dans le cerveau de Lina. Amour, il ne manquait plus que ça. Elle, elle était aromantique. Elle ne pouvait pas ressentir l'amour. Elle ne voulait pas ressentir l'amour. Et de ce fait, l'incarnation de ce sentiment n'était vraiment, mais alors vraiment pas, sa divinité favorite. La Mort, sentant son agacement, secoua la tête.
« – Je sais très bien, Lina Blackheart, je sais très bien. Mais c'est la seule option que je voie. Et Amour ne pourra que sauter sur l'occasion de t'inspirer des sentiments amoureux. Elle déteste les aromantiques. Elle ne comprend pas pourquoi Sentiment les a créés.
– Super, manquait plus que ça, marmonna Phila. Des sentiments romantiques. Quelle connerie. »
La Mort eut un léger sourire.
« – Je suis bien d'accord avec vous. Mais bon. C'est vos vies ou vos cœurs. Choisissez. »
Lina prit un instant pour réfléchir. Peu de temps. Elle savait déjà ce qu'elle allait faire. Elle ne pouvait pas laisser passer cette chance. Tant pis pour la fierté qu'elle avait de ne pas tomber amoureuse. Qui sait, elle aurait même une chance de tomber amoureuse de la personne qu'elle voulait. Allez savoir comment fonctionnaient les pactes avec Amour.
« – On prend Amour. Je préfère. »
Phila, à ses côtés, hocha la tête avec résignation. La Mort sourit, avant de disparaître d'un coup, laissant les deux femmes seules. Dans leur cerveau, la Voix se remit à s'agiter.
« – Bon sang ! Impossible de parler avec l'aura de peur de la Mort ! »
Lina se sentit surprise. Elle l'avait assez peu ressentie, cette fois, pour une raison qu'elle ignorait. Mais ce n'était pas le plus important dans leur situation. L'important était surtout d'imaginer comment allaient se dérouler les négociations avec l'Amour en personne.
Elle soupira. Elle n'aurait jamais imaginé rencontrer cette déesse en personne, surtout elle, aromantique, qui ne croyait pas en ce concept. Phila, de son côté, se mit à marmonner.
« – Au moins visiblement, on a toutes les deux un truc à négocier, et de taille, pas vrai Lina ? »
Cette dernière tenta de sourire, ce qui fut un échec cuisant. Le temps l'immobilisait toujours.
« – Tu l'as dit. Une chance qu'on soit toutes les deux aro... »
Phila n'eut pas le temps de répondre. Un petit bruit retentit dans la zone figée, et la Mort réapparut, en compagnie d'une petite femme à la peau rosée et aux longs cheveux fuschia, qui souriait derrière une bonne tonne de maquillage censé adoucir ses traits. Mais Lina, en fixant ses yeux, vit toute la dureté qui se dissimulait dans son regard alors qu'elle fixait les deux femmes de ses grands yeux. Mort souffla, et la femme se mit une main sous son menton pointu, avec un léger sourire souligné par son rouge à lèvres rose bonbon.
« – Ah ben ça... Deux aromantiques qui me demandent de l'aide, à moi, la déesse de l'Amour, quelle douce ironie... Ça ne m'honore pas et ça veut me demander des services ?
– Eh, grogna Phila, on y peut rien, on naît ainsi. »
Amour soupira, sous le regard réprobateur de Mort, avant de se mettre à jouer avec ses mèches roses.
« – Moui, je sais, je sais. Les mortels ne sont jamais responsables, blablabla. Bref, qu'est-ce que vous voulez ? Que j'use de mon pouvoir sur cette place pour faire disparaître cette bombe, c'est ça ? »
Lina murmura un assentiment, préférant ne pas s'étendre. La manière d'être de la déesse de l'Amour lui inspiraient une profonde répulsion, et elle avait peur de gâcher ses seules chances de survie.
De nouveau, la déesse prit son menton entre ses mains.
« – Vous voulez un pacte... Et j'ai déjà une bonne idée de prix... Oui, ce sera grandiose ! »
Elle se mit à rire, un rire glaçant le sang de Lina, qui retint un chapelet d'insultes dans son cerveau. Phila, elle, décida de demander des précisions, ce à quoi Amour répondit, toujours en train de rire :
« – Mais je vous réserve la surprise, mes très chères, c'est mieux comme ça ! Ce sera juste... Magnifique ! »
A côté d'elle, la Mort se figea, avant de s'exclamer :
« – Attends Amour, tu ne vas pas faire ça ?!? »
La petite femme croisa les bras, avant de fixer Mort avec le maximum de mépris qu'elle pouvait.
« – Oh si, Mort, je vais faire ça. Au diable ton affection pour la petite Blackheart que je ne comprends toujours pas. Il est hors de question que tu me prives d'une occasion pour m'amuser. »
La Mort serra les poings, et les deux déesses se fixèrent en chien de faïence avant que Lina, au summum de l'agacement, ne toussote, et grogne, toutes barrières mentales tombées :
« – Bon, vous allez nous dire ce qu'est ce foutu prix, oui ou merde ? C'est pas comme si j'avais un Kikoolol à tuer et une malédiction à briser moi, noooooon !
– Je suis d'accord, renchérit Phila. J'aimerais bien savoir à quelle sauce je vais être mangée. »
Amour se mit à rire. À rire toujours plus, un rire hystérique, qui se renforça davantage en voyant l'air de plus en plus renfrogné de Lina, qui n'en pouvait plus du caractère de cette maudite déesse. Qu'elle lui annonce son prix, qu'on en finisse. Elle en avait marre de rester figée, à la merci de cette capricieuse divinité.
Le rire finit par cesser, et Amour fixa Lina dans les yeux, avec toute la méchanceté dont elle était capable.
« – Tu es bien une Blackheart toi, à râler et négocier. Comme ton idiot de père. »
Ce fut à cet instant que Lina craqua.
« – Mais qu'est-ce que vous avez toutes à me parler de mon père ? Il est censé être mort, bordel de merde ! J'en ai marre, moi, à la fin ! J'ai compris, c'est bon, j'accepte ta connerie de prix, maintenant enlève cette bombe et fous nous la paix ! »
Phila lui murmura quelques mots d'avertissement, mais c'était trop tard, les paroles étaient lancées. La Mort fixait Lina avec compassion, tandis qu'Amour, elle... Riait. Riait encore. Mais ce rire était teinté de haine, de mépris, de méchanceté. Ce n'était pas un rire que l'on voulait retrouver dans la bouche de la déesse de l'Amour. Ce n'était pas un rire qu'on pensait retrouver dans la bouche de la déesse de l'Amour. Ce rire n'avait rien de bon, rien de joueur. Amour était juste une boule de haine.
« – Très bien, très bien, Lina Blackheart. Inutile de te dire je crois que c'est toi qui souffriras le plus ? À une prochaine fois, mesdemoiselles, j'espère vous retrouver en larmes. »
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