Chapitre 18, partie 3

Ce dernier se mit à rire.

« – Lina Blackheart... Ça pour une surprise... »

Il fit tourner le katana entre ses doigts avant de refermer ses mains sur la poignée, le braquant devant lui, pointe vers le ventre de sa propriétaire légitime qui se débattit de toutes ses forces. Mais le sort était trop fort et même la contraction de ses muscles à l'extrême ne parvenait pas à briser l'étau de magie. Elle était piégée. Piégée, et à la merci de l'ennemi, qui la fixait toujours avec ce même sourire, toujours avec ces mêmes yeux bleus. La peur envahit son corps entier, la crispant de nouveau, se mêlant à la colère. Elle allait mourir ? Comme ça ?

Devant elle, Kikoolol soupira.

« – Dire que c'est toi la Gardienne de l'artefact que je voulais, quelle ironie... Je n'aurai même pas à forcer, au final, il me suffira de te tuer. Rien de personnel, d'accord Lina ? »

Les hurlements de cette dernière s'intensifièrent, agités par sa terreur autant que sa haine, alors que Phila continuait de jurer.

« – Rien de personnel mon CUL ! Lâche-moi tout de suite et bats-toi correctement, t'entends ? Quoi, c'est une manie de clichés que de toujours empêcher l'ennemi de bouger ? »

Le concerné haussa les épaules et s'avança, touchant le ventre de Lina avec la pointe du katana, piquant les plis de son habillement, tentant de percer la couche de protection.

« – Non, c'est une manie de gens intelligents. Adieu, Lina. »

Il ne fallut qu'un simple mouvement pour que l'arme traverse la maigre protection qu'étaient les vêtements de Lina et ne déchire ses chairs, faisant jaillir le sang de son ventre. Un simple mouvement pour que la vie ne commence à s'échapper par la plaie, alors que l'emprise se relâchait sur son corps, la laissant tomber sur les pierres de la salle de l'Âme comme une poupée de chiffon usagée. Un simple mouvement pour qu'un sifflement de douleur envahisse l'air, au rythme du sang qui pulsait et de la souffrance qui irradiait de son ventre. Un simple mouvement pour que Lina s'écrase au sol sous le cri de rage de Phila, le sang coulant à un rythme lent de son ventre.

Kikoolol lâcha la katana, le laissant dans le ventre de Lina qui lutta contre son réflexe de le retirer. Avant de se tourner vers les flammes et de tendre de nouveau les mains.

Une main sur l'épaule de Lina la détourna du sang qui coulait de son ventre. Phila, qui visiblement avait été libérée du sort, la plaçait en position allongée, sur son côté droit. Lina gémit de douleur, l'arme ayant bougé dans sa plaie, mais Phila eut la présence d'esprit de ne pas toucher à l'arme tout de suite. Elle se contenta de chercher dans ses poches.

« – Accroche toi, Lina, Erin aura sûrement des potions de soin, elle en a toujours. Tu peux tenir encore cinq minutes ? Bordel, l'immortalité sert à rien dans ce genre de conditions... »

Lina n'avait même plus la force de hocher la tête, se contentant de retenir l'arme dans sa plaie pour faire sortir le moins de sang. Si elle en jugeait par la position de l'arme, la blessure en elle-même lui avait percé l'estomac, rien qu'une potion de soin ne pourrait pas réparer. À condition de ne pas trop saigner. Et le métal de son arme retenait son sang en elle, retardant la venue de la Mort. Elle ne pouvait plus compter que sur Phila, qui avait dégainé son épée et se dirigeait le plus discrètement qu'elle pouvait vers Kikoolol, entourée d'un halo bleuté.

Ce dernier soupira.

« – Deux Gardiennes... Le Rat doit bien rigoler, en cet instant... Inutile de m'approcher, mademoiselle la deuxième Gardienne, ce n'est pas une épée bénie qui viendra à bout de moi.

– Tu parles trop, crétin, grommela Phila, baissant néanmoins son arme. Et si les épées ne fonctionnent pas, on va essayer autre chose ? »

L'air qui l'entourait s'intensifia, faisant flotter ses cheveux et repoussant Lina au loin, arrachant un cri de douleur à la blessée. Cette dernière tenta de se retenir à quelque chose, mais les pierres étaient trop glissantes. Et sa course ne fut interrompue que lorsque son dos rencontra une paire de bottes, qui s'immobilisèrent sous son contact. Une voix masculine parvint aux oreilles de la jeune femme, et deux mains gantées se refermèrent sur le pommeau de l'arme tandis que deux autres la maintenaient immobile, alors que leur propriétaire dictait des consignes sur un ton calme.

« – Je vais enlever ce katana et Erin va te faire boire une potion de soin, tu m'as bien comprise, Lina ? Ça risque de faire mal, mais on n'a pas le choix. »

Un sourire s'étira sur ses lèvres alors que la torpeur commençait à l'envahir. Elle n'avait jamais été aussi contente d'entendre la voix de Corbeau.

Ce dernier se plaça devant elle, main sur la poignée du katana, tandis qu'Erin faisait sauter le bouchon d'une bouteille et posait une main sur l'épaule de Lina.

« – Vas-y, Corbeau, à trois. Un. Deux. Trois ! »

Tout se passa alors très vite. Un coup sec suffit à retirer le katana alors que Lina hurlait de douleur, distraite du combat par ses sensations, et un liquide poisseux lui coula dans la gorge, envahissant ses papilles d'une acidité reconnaissable. Lina s'empressa de déglutir, ignorant l'horrible goût de la potion de soin, et soupira de soulagement en sentant, petit à petit, sa blessure se refermer. Finalement, elle put se redresser sur ses coudes, encore épuisée mais hors de danger, sous les sourires de ses deux compagnons. Un petit rire s'échappa de ses lèvres.

« – Pourquoi j'ai l'impression d'avoir déjà vu ça quelque part ? »

Un énorme courant d'air lui faisait voler ses cheveux dans tous les sens et son ventre la faisait horriblement souffrir, mais elle n'en avait cure. Elle était fixée sur les visages souriants de ses amis devant elle. Ses amis... Voilà un terme qu'elle était contente d'utiliser, surtout maintenant, dans cette salle, alors qu'elle venait à peine de réchapper d'une blessure mortelle. Erin lui sourit encore davantage, la bouteille vide encore dans les mains.

« – Ce n'était pas passé loin, Lina, encore un peu et la potion de soin devenait inefficace. Tu as eu le bon réflexe en te mettant de côté et en laissant l'arme ?

– Ce n'est pas moi, c'est Phila. Comment elle s'en sort, d'ailleurs ? »

Corbeau se tourna vers la flamme de l'Âme des Âmes, et eut une moue un peu pensive.

« – Tu devrais voir par toi-même. »

Obéissant à son injonction, Lina tourna la tête, avant de fixer la scène qui se déroulait devant ses yeux.

Il n'y avait plus de Phila dans la pièce. Kikoolol se battait, à grand renforts de sorts étonnamment inefficaces, contre une énorme forme humanoïde entourée de courants d'air tellement puissants que Lina pouvait presque la comparer à un cyclone vivant. Un cri guttural s'échappait de ce qui ressemblait à la gorge de la créature alors que son énorme bras se balançait vers son ennemi, heurtant un bouclier runique avec un son métallique. Et les courants d'air que Lina avait ressenti, qui lui faisaient voler ses cheveux et variaient la température de la pièce à une vitesse affolante, émanaient tous du corps de la créature, qui cherchait à atteindre Kikoolol par tous les moyens.

Un sourire en coin tordit les lèvres de Lina. Ce n'était pas tous les jours qu'on voyait une élémentaire de l'air en action.

« – Phila s'est transformée en cette créature pendant qu'on te soignait, histoire de tenir Kikoolol à l'écart, sourit Erin. Et je dois dire que c'est efficace. Même ce con de Kikoolol a l'air d'en baver. »

Lina se tourna vers Kikoolol à l'entente de la dernière phrase d'Erin. Cette dernière disait vrai : le mage, aussi doué qu'il était, semblait paniqué. Il lançait des dizaines de sorts, tentant d'atteindre la flamme, de blesser Phila, ou de frapper les généraux, le tout à la fois. Mais l'Âme des Âmes se défendait bien, elle aussi. Derrière, le feu violet crépitait, entourait Kikoolol qui, pris entre deux feux, commençait à exprimer de plus en plus sa terreur. Le sourire en coin de Lina s'élargit. Elle se tourna vers Erin, toujours assise sur le dallage, et murmura :

« – C'est pas le grand moment où le méchant meurt, là ?

– Ce serait bien, rit Erin, mais regarde. Je sais pas ce qu'il fait, mais c'est évident que ses sorts ne nous visent plus. »

Au grand dam de Lina, Erin avait raison. Phila abattit son poing dans la direction de l'ennemi, cependant, lorsqu'elle le retira, il n'y avait plus l'aura de Kikoolol. Juste les débris d'un corps mort qui ne dégageait plus rien, plus aucune magie. Un corps que Lina identifia comme un humain d'environ quarante ans, avec les mêmes caractéristiques que Kikoolol. Mais la tête qui avait roulé à ses pieds, elle, n'avait plus rien de l'ennemi. Même ses yeux avaient viré au marron. Elle soupira.

« – Il a probablement utilisé un sort de possession, c'est pour ça que je ne l'ai pas reconnu de suite... Ce gars est un humain, enfin, était.

– Regardez sa marque sur son front, soupira Erin. Il ne voulait pas venir en personne, donc il a inséré sa conscience dans un innocent, cet imbécile. »

Lina pesta, avant de se redresser avec difficulté.

« – Nom du Créateur, il manquait plus que ça... C'est bon, Phila, tu peux te calmer, maintenant, c'est réglé. »

Mais Phila ne se calmait pas. Au contraire. Elle commençait même à hurler encore plus fort, se déplaçant dans toute la pièce d'un pas qui pour une élémentaire de l'air était très lourd. Et même son nom ne la fit pas réagir. C'était tout juste si l'air ne rugissait pas encore plus dans la pièce.

Lina porta ses mains à ses oreilles devant le cri de la créature, agacée par la tournure des évènements. Quoi, elle ne pouvait même pas espérer un moment de calme après avoir frôlé la mort ? Il fallait que maintenant que Kikoolol ait fui, elle doive calmer une élémentaire en colère ? Elle en avait marre, elle ! Son lit lui manquait, elle n'avait pas encore mangé et en plus elle était sûre qu'il lui faudrait passer à l'infirmerie pour son ventre ! Alors non, il était hors de question que ses problèmes continuent !

« – Phila ! hurla-t-elle avec le plus d'agacement qu'elle pouvait ! Tu vas te calmer tout de suite, okay ? J'en ai marre, à la fin !

– Elle n'y arrive pas. »

Lina leva les yeux au ciel.

« – Tiens, la Voix, ça faisait longtemps ! Comment tu vas, dis donc ?

– Pas fort, l'Âme des Âmes a été très touchée par les agissements de Kikoolol. Il a quand même forcé notre esprit avant que vous arriviez... Mais ce n'est pas le plus important. Phila n'a actuellement qu'un filet de conscience, elle ne t'entend pas. Je peux peut-être essayer de la calmer, avec une manipulation télépathique ? Par contre, ça peut faire mal...

– Alors autant je préférerais éviter ce qui fait mal à mes subordonnées, autant je n'ai pas envie de lâcher une élémentaire en colère sur le palais royal ! Fais ce que tu veux la Voix, mais fais vite ! »

Erin et Corbeau la fixèrent avec des yeux ronds. Lina souffla en se rappelant qu'eux ne pouvaient pas entendre la Voix, et que la conversation qu'elle avait en ce moment se déroulant entièrement dans sa tête, ils ne devaient pas y comprendre grand-chose. Mais elle n'en avait cure. Le plus important était de calmer la créature qui se déchaînait devant elle, projetant du vent dans tous les sens, cherchant une cible du regard, fixant, Erin, puis Corbeau, enfin Lina.

Son regard resta fixé sur cette dernière, et un nouveau cri s'échappa de sa gorge, mais plus doux, plus paisible. Le vent sembla se calmer, et cessa de hurler autour d'eux. Et les courants d'air qui envahissaient la pièce semblèrent se réunir autour de l'élémentaire, comme s'ils étaient absorbés par son corps. Lina, de plus en plus agacée, continua de fixer la tête de l'élémentaire, la main sur son katana au cas où elle devrait se défendre. À ses côtés, Erin leva sa rapière, et Corbeau une main. Et ils continuèrent de fixer la créature qu'était devenue Phila.

Mais cette dernière ne semblait plus du tout agressive. Elle continuait de gémir, mais le bruit qu'elle émettait était doux, comme celui d'un vent d'automne, et très loin des hurlements du cyclone qu'elle formait il y a quelques minutes. Le vent baissa en intensité. La créature rétrécit, de plus en plus. L'air se dissipa avec lenteur autour de son corps. Et finalement, la créature disparut, toujours tournée vers Lina, ne laissant plus au niveau de ce qui était sa tête qu'une Phila inconsciente, les vêtements déchirés, qui tomba au sol avec un craquement sourd. Aussitôt, Erin se releva et se dirigea vers elle, une potion de soin à la main. Il ne lui fallut que quelques secondes pour la faire boire à Phila et la tirer de sa léthargie, et cette dernière cligna des yeux, les iris encore embrumés. Lina soupira de soulagement.

« – Eh bah ma vieille, il était temps !

– Je... Je suis où ? » Marmonna Phila en réponse, avant de se frotter les yeux. Lina haussa les épaules.

« – Salle de l'Âme des Âmes, tu sors tout juste d'une transformation en élémentaire de l'air et Kikoolol s'est échappé, en te laissant détruire le gars que tu vois ici. Joli coup de poing, au fait ! »

Corbeau se laissa aller à pouffer, alors qu'Erin aidait Phila à se relever avec précaution, la remettant sur ses pieds et se servant de toute sa concentration pour lui créer une veste à enfiler. La caporale la passa avec un léger sourire de contentement, avant de se tourner vers Lina.

« – Je suppose que si je suis revenue à moi, c'est qu'il y a dans cette pièce quelqu'un que j'apprécie suffisamment pour ne pas vouloir le blesser. Alors, qui j'ai regardé en dernier ?

– Euh, moi, fit Lina, mais quel rapport ? »

Phila haussa les épaules.

« – Pour me calmer, il faut soit me manipuler la conscience, soit que j'aie dans mon champ de perception une personne que je ne voudrais surtout pas blesser. Une amie, si on peut dire. Alors je suppose que ça veut dire ce que ça veut dire, Lina. »

Un léger sourire se forma sur les lèvres de Lina. Qui soupira intérieurement. C'était assez ironique, mais elle avait décidément rencontré beaucoup plus d'amis de valeur en ces temps troublés que durant tout son temps passé dans la paix.

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