Chapitre 17, partie 3

Les escaliers furent aisés à gravir. Malgré l'absence du Rat, plus rien ne revint les déranger durant leur parcours dans le couloir, ou leur ascension pour sortir du sous-sol. Même le troll, que Lina avait un moment redouté, les laissa en paix. Et pendant tout le temps où elles remontaient le prince, le Voix ne cessa son babillage. Impossible pour Phila et Lina de discuter de ce qu'il s'était passé.

« – ... Et donc moi, la Voix, je ne peux me faire entendre que par les Gardiens, sauf en puisant dans l'énergie de l'Âme des Âmes pour connecter vos cerveaux aux autres ! Je suis un peu le petit cadeau des Gardiens, vous allez voir, les connexions mentales, ça sert beaucoup ! Et puis...

– Eh bah là tu n'es pas vraiment un cadeau, la Voix ! Finit par crier Lina, exaspérée. On essaie de discuter, Phila et moi ! »

Visiblement, sa crise eut de l'effet. Car la Voix finit par faire silence, laissant Phila et Lina remonter le prince dans le calme. Il leur fallut du temps avant d'atteindre la sortie des souterrains. Mais déboucher directement dans la cour du palais, alors que le soir tombait, alors qu'Originalité se trouvait sur place en train de jouer aux osselets, ça, Lina ne l'avait pas prévu.

La petite princesse se retourna au bruit de Phila qui soufflait, et aperçut Orthographe sur le dos des deux femmes. Une exclamation de surprise s'étouffa entre ses lèvres, et elle se précipita sur Lina, les larmes aux yeux, sans prendre la peine de ramasser ses osselets. Lina soupira. Elle aurait préféré que la princesse ne voie pas son frère maintenant, et pas comme ça, pas alors qu'elle-même ne comprenait que peu les tenants et les aboutissants de cette histoire. Mais il était trop tard pour empêcher ça. Alors elle se contenta de secouer l'altesse royale avachie sur son dos, dans l'espoir de le réveiller pour qu'il explique lui-même.

Le prince émit un grognement au moment même où Originalité arrivait devant les deux soldates, retenant ses larmes, gémissant le nom de son frère. Entendant sa voix, il releva la tête avec douceur de l'épaule de Lina, et marmonna :

« – ...Originalité...? »

La princesse se mit franchement à pleurer, alors que Lina déchargeait le spectre de son épaule et le forçait à s'asseoir sur un banc à l'abri. Phila la suivit, vérifiant qu'il n'y avait personne dans ce coin de la cour. Il ne manquerait plus que Style voie Orthographe. Ce serait la fin pour ce pauvre roi, de découvrir son fils en ''vie'', et de voir que Lina avait pour but de le renvoyer dans l'autre Lieu.

Originalité se cramponna de toutes ses forces à la manche de Lina, sanglotant, incapable de poser la moindre question à son frère. Ce fut donc Lina qui le fit.

« – Vous pouvez me raconter comment vous vous êtes fichu dans cette situation, prince Orthographe ? »

Le concerné la regarda avec de grands yeux bleus écarquillés, avant de secouer la tête et de prendre son manteau entre ses doigts, tournant un pan de tissu, essayant de rassembler tous ses souvenirs.

« – Les clichés, donc... Je ne sais pas comment ils se sont infiltrés dans le palais, mais je ne les ai pas vu venir. Ils m'ont tué... Et puis, alors qu'ils ricanaient de leur victoire, je les ai entendus parler... Du commanditaire de leur mission.

– Le commanditaire. Kikoolol ? » Questionna Lina, ignorant les pleurs de plus en plus marqués de la princesse à ses côtés. Elle la consolerait plus tard.

Mais Orthographe, contrairement à ce à quoi elle s'attendait, secoua la tête.

« – Sans doute, mais je l'ai appris plus tard. Lors de ma mort, je n'ai entendu que le nom d'un Grand Inquisiteur. C'est tout ce que je savais. Et le nom m'était atrocement familier, alors... J'ai été pris de colère. Une colère noire, qui luttait contre ma léthargie fatale... Et je suis sorti de mon corps. J'étais un fantôme... »

Originalité se serra un peu plus contre Lina, alors que Phila, ayant fini son tour d'observation, se rapprochait du groupe, curieuse. Lina se pencha un peu plus, entourant le corps de la petite d'un bras, absorbée par le récit d'Orthographe.

« – Et ensuite ?

– Ensuite ? Ensuite... J'ai cherché à me venger, je ne pensais plus qu'à ça... et comme je savais que maman faisait confiance en ce type, je suis allé chercher ailleurs. Chez... Chez Kikoolol. »

Lina se figea net. De son côté, Originalité cessa de pleurer, pour fixer un regard empli de réprobation sur son frère, alors que Phila se rapprochait encore un peu plus, avant de demander :

« – Chez Kikoolol ? Ou plutôt l'ennemi du royaume, le chef des clichés ? Pourquoi ?

– Je n'en suis pas très fier, souffla Orthographe. Mais je ne pensais qu'à me venger. Et Kikoolol semblait innocent dans cette histoire. J'aurais dû me douter que les clichés venaient forcément de quelque part... Mais non, j'y suis allé quand même. Je voulais de la puissance. Et c'est le Rat qui m'en a donné. Dans le but de gagner la confiance de Kikoolol sans doute, c'est lui qui a créé les Grans Ortografeurs. »

Aux côtés de Lina, Originalité hocha la tête et marmonna qu'elle lui avait dit d'être le plus discret possible. Mais sans doute ne s'attendait-elle pas à ce que cette solution entraîne son frère dans la boucle. Et surtout pas de cette manière. Et Orthographe, comme emporté par les mots, à deux doigts de craquer, continuait.

« Je... Je n'avais aucune idée de ce qu'il comptait me faire ! Lorsque j'ai vu les Grans Ortografeurs, c'est comme si j'avais retrouvé ma conscience. J'étais horrifié... Et ensuite, j'ai appris que le commanditaire de mon assassinat travaillait pour Kikoolol... Je ne me suis jamais senti aussi mal de ma vie ! Et... Et ensuite, mort de honte, j'ai essayé d'aller demander de l'aide à cet artefact dont maman s'était servie pour pouvoir épouser Papa... l'Âme des Âmes, je crois... Mais à peine ai-je mis le pied dans sa salle que j'ai commencé à être absorbé ! Je ne pouvais plus rien faire ! »

Lina soupira. Ça suffisait pour aujourd'hui. Maintenant, ce n'était plus à Orthographe qu'elle voulait poser des questions.

« – Phila, est-ce que tu peux amener Orthographe au campement, dans la tente des généraux, en essayant de te faire le moins remarquer possible ? On pourra l'installer sur l'ancien couchage de... De Sky. »

Un énorme pincement au cœur la traversa à ces mots. Sa générale lui manquait toujours autant. Mais l'heure n'était pas à pleurer. L'heure était à décider quoi faire d'Orthographe, et que faire ensuite. Phila, sans voir les réflexions de sa supérieure, récupéra doucement le prince, l'aidant à se relever, et se dirigea vers la sortie du palais la plus proche. Originalité, voyant ça, se dirigea vers elle, et ouvrit un portail en silence avec la seule force de son esprit, y propulsant Phila avant même que cette dernière eut le temps de dire quoi que ce soit. Avant de retourner vers Lina. Qui se pencha vers elle.

« – Nous avons beaucoup de choses à dire, votre Altesse.

– Sans doute, Lina, sans doute... Tu veux que je te parle du Rat, c'est ça, dis ? »

Lina hocha la tête. Malgré les larmes qui recouvraient ses joues et le choc auquel elle venait d'être confrontée, Originalité n'avait rien perdu de sa vivacité d'esprit. Elle s'assit, à son tour, sur le banc, alors que la petite princesse s'installait sur ses genoux, et commençait à raconter son histoire, avec le ton des meilleurs conteurs. Et, au fur et à mesure qu'elle se laissait perdre dans ses mots, elle reprenait un peu de couleur, et ses yeux d'un améthyste perçant leur lueur de santé. Raconter restait le meilleur moyen pour une allégorie de récupérer, se dit Lina, tout en écoutant, captivée par les talents de cette toute petite fille de huit ans.

Elle avait rencontré le Rat peu avant l'assassinat de son frère. Il fouillait dans la bibliothèque, à la recherche d'informations sur l'âme des Âmes. Il lui avait fait très peur, à consulter des livres par la seule force de son ombre, se détachant dans la clarté de l'aube, et elle avait senti qu'il n'hésiterait pas à la tuer. Mais elle avait réussi à négocier une faveur contre le livre qui relatait l'histoire de l'Artefact. La suite des Contes d'un Dieu, écrite par le tout premier roi Style de Wattpadia, gardée secrète au public car elle contenait trop d'informations sur les rituels de la famille royale.

Lina n'eut pas le temps de s'offusquer de pareil secret. Originalité continuait de parler. Elle racontait qu'elle l'avait revu la nuit suivant l'assassinat de son frère, et l'avait pris pour le coupable. Elle avait senti qu'il était devenu le Gardien de l'Âme des Âmes, et que tout semblait se précipiter. Alors elle avait décidé de faire agir sa faveur. Elle l'avait lié à elle par une promesse qui l'obligeait à aller recueillir des informations jusque chez l'ennemi, et à les mettre au service de la famille royale, elles, comme sa personne. Elle avait tellement bien formulé sa phrase, souffla-t-elle avec un air de fierté indicible, que le Rat s'était retrouvé contraint d'endosser le rôle d'espion. Et de lui transmettre toutes les informations qu'elle pouvait.

« – C'est comme ça que j'ai découvert, moi, que Kikoolol avait pris la tête des clichés. J'étais assez surprise, il ne me semblait pas capable de le faire lorsque j'ai analysé son aura... Mais bon. Lorsque je l'ai dit à maman, elle semblait déjà le savoir, donc je suppose que j'étais trop petite pour m'en rendre compte... »

Elle soupira.

« – Bien sûr, je me doutais qu'il transmettait aussi des infos de chez nous à Kikoolol. Votre implication, notamment. J'ai sans doute mal formulé mon injonction... Est-ce que j'étais trop petite pour ça ? »

Un léger sourire dansait sur les lèvres de Lina alors qu'elle rapprochait la petite d'elle.

« – Vous avez déjà accompli un tour de force pour votre âge, votre Altesse. Toutes les filles de huit ans ne sont pas forcément capables de soumettre un être vieux de plusieurs siècles. »

La princesse sourit à son tour. Avant de relever la tête vers Lina.

« – Dis, tu vas faire quoi maintenant ? Papa est au courant pour les Grans Ortografeurs... »

Un marmonnement s'échappa des lèvres de la générale alors qu'Originalité se serrait un peu plus contre elle, l'air d'avoir envie de câlins. En temps normal, la générale l'aurait gentiment repoussée. Toute gamine qu'elle fut, Originalité n'était pas assez proche d'elle pour se permettre ce genre de rapprochements. Mais sa révélation venait de confirmer une autre de ses principales craintes, et ne laissait plus qu'une seule solution devant elle.

Avant de régler le problème d'Orthographe, et pour garder la confiance du roi qui comptait énormément à ses yeux, elle devrait lui révéler l'état de son fils. Elle devrait réduire à néant ce qu'il avait reconstruit.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top