Chapitre 16, partie 2

Les révélations tombèrent, pesantes dans la noirceur du sous-sol. Lina arrivait à peine à croire ce qu'elle entendait. Un artefact d'une puissance infinie, l'Âme des Âmes, gardien de la stabilité de Wattpadia, que le Rat avait découvert, à l'entendre, par hasard, et qui d'une certaine manière l'avait lié à Originalité par une promesse ? Le récit semblait peu clair et biaisé, tout particulièrement sur la façon dont l'homme avait entendu parler de cet artefact. Mais elle ne remit pas ouvertement sa parole en doute, se contentant d'écouter la manière dont il s'était retrouvé lié à Originalité. À l'en croire, c'était le gardiennage de cet artefact et ses pouvoirs contre un dévouement sans faille à la princesse et par extension à Wattpadia.

Elle parvenait à peine à croire à ses paroles. Elle pouvait presque sentir qu'il manquait d'énormes morceaux à son histoire. Mais elle n'eut pas le temps de le questionner d'une quelconque manière ; Au moment même où elle ouvrait la bouche, il s'immobilisa et étendit les bras devant lui, bloquant la trajectoire des deux femmes.

« – Faites attention. À partir d'ici, l'Âme des Âmes n'est pas sans protections.

– Bien sûr, ç'aurait été trop facile, sinon, grommela Phila. Rappelez moi ce que je fous ici d'abord. »

Lina se sentait complètement en accord avec la pensée de sa caporale. Elle-même arrivait encore peu à comprendre pourquoi elle, et pourquoi elle n'avait pas pu emmener Corbeau et Erin avec qui elle était désormais inséparable. Mais elle se concentrait surtout sur les pièges éventuels, en cet instant, que sur le pourquoi du comment. Il était évident qu'un artefact de cette puissance n'était pas sans protections.

Ils marchèrent avec un maximum de précautions dans le couloir exempté de lumière, Lina de plus en plus tendue devant l'absence de lumière. Elle avait horreur du noir qu'elle ne pouvait pas percer. Il était impossible de prévoir quoi que ce soit dans un environnement imperceptible, et surtout pas des pièges éventuels. Regrettant de ne pas avoir la capacité de Corbeau de prévoir les coups fourrés, elle continua d'avancer, un pas après l'autre, dans les pieds du Rat. Et se sentir dépendante n'aidait pas à régler son mal-être.

Un effleurement dans son dos la fit sursauter, et elle se mit à rouspéter, dans le but de calmer sa tension croissante :

« – Qui a décidé que ce serait une bonne idée de me toucher le dos ! Je déteste ça, okay ? Arrêtez de me coller ou je vous bute !

– Du calme, Lina, » soupira Phila derrière elle, probablement l'auteure du mouvement. « Je ne te touchais pas, et je te collais encore moins. J'y vois encore suffisamment, tu sais ? »

La jeune femme grogna, mais ne répondit rien. De son côté, le Rat ralentit.

« – Vous risquez d'activer les pièges avec vos chamailleries. Dans cette zone, nous risquons à tout moment d'être brûlés vifs. »

C'était presque la goutte d'eau qui faisait déborder le vase. Ce n'était pas trop demander que de maintenir un espace vital, nom du Créateur ?!? Lina en venait même à se demander, de nouveau, ce qu'elle faisait là. Le noir la stressait, le Rat l'énervait, et ne parlons pas du but de cette expédition qui restait très flou. Plus que jamais, elle se sentait marionnette, futile jouet entre les mains de puissances supérieures. Mais un soudain rai de lumière dans son champ de vision lui fit oublier ses pensées sombres, balayées par la clarté soudaine. Enfin, elle se retrouverait dans un environnement familier.

Elle dépassa le Rat, restant prudente mais avec la hâte de retrouver un de ses sens, un de ceux dont elle dépendait le plus. Cependant, la vue de la portion du couloir éclairé la fit stopper net. La pierre n'était pas la seule à refléter la lueur des torches au mur. Il y avait aussi les débris blancs qui tapissaient le sol, parsemés de reflets de flamme, que Lina put aisément reconnaître comme des bouts d'os. Il y avait même un crâne qui traînait non loin. Et la pierre du sol qu'elle parvenait à voir sous la poussière macabre était tachée de rouille, d'une rouille brunâtre caractéristique du sang.

Les bruits de pas s'interrompirent derrière elle, et Phila émit un grognement étouffé. Le Rat, quant à lui, resta silencieux. Lina se mit à marmonner.

« – Génial, niveau ambiance glauque on est servis. Alors, qu'est-ce qui risque de nous bouffer ?

– Oh, une broutille, générale Blackheart. Juste un troll de dix mètres de haut. »

Les deux femmes s'étranglèrent de concert, avant de se regarder, anxieuses. Un troll. Une des créatures à la fois les plus bêtes et les plus dangereuses du bestiaire du multivers entier, souvent représentées comme des créatures mangeuses d'homme, ou mangeuses de n'importe quoi, en règle générale. De ce qu'elle savait des trolls Wattpadiens, souvent, ils pouvaient se repaître des récoltes agricoles jusqu'aux technologies les plus fines, et ne réfléchissaient que pour trouver des sources de nourriture inédite. Mais, à en juger par l'état de certains des squelettes, celui-ci semblait adorer la viande de créature humanoïde.

Le sol se mit à trembler, arrachant un juron à Phila et tout un chapelet à Lina. Et une ombre sortit des tréfonds du couloir, dissimulée par un jeu de lumière des plus savants, mais aussi par les torches qu'elle éteignait sur son passage. La générale ne put s'empêcher de laisser échapper un couinement de surprise. Si il s'agissait bien du troll, il avait l'air tout sauf commode.

« – Sacré morceau, grommela Phila en se mettant en garde.

– Tu l'as dit. »

Lina, cette fois, ne put résister à son instinct. Son katana surgit dans sa main, émettant une lumière diffuse dans le couloir, réagissant à sa magie. Elle mobilisa tous ses flux, prête à se battre contre la créature, mais une main se posa sur son épaule. Poussant un grognement dégoûté, elle se dégagea, et se tourna vers le Rat, qui avait levé la main vers le troll.

« – Paix, générale. Je le connais bien. Il me sera facile de le calmer. »

Quelques mots dans une langue gutturale et le troll s'éloigna d'un pas pesant, reniflant autour de lui d'un air que Lina aurait presque pu qualifier de déçu. Cependant, cette dernière ne s'autorisa à se détendre que lorsque l'énorme carcasse disparut dans le couloir et qu'un gros bruit retentit, signe qu'il venait de s'étaler au sol. Elle soupira. Une chance que le Rat soit le gardien de l'endroit, cela lui évitait de devoir se battre. À côté d'elle, Phila baissa son épée, l'air abasourdie.

« – Eh ben ça, je dois dire que je l'ai jamais vu. C'est parce que tu es le Gardien ou parce que tu connais bien les trolls ?

– Un peu des deux, je pense, sourit le Rat. Ce troll est un vieil ami. Je dois le connaître depuis trois bons siècles. »

Lina tiqua. Trois siècles ? La durée de vie d'un voyageur yürhamah de base était de deux cents ans, et celle des humains et de la plupart des espèces humanoïdes de cent. Rares étaient ceux qui dépassaient cette durée de vie, sauf certaines espèces particulières de vampires. Pour que le Rat connaisse ce troll depuis trois bons siècles, il devait appartenir à une race de l'ordre du supérieur. Ce qui la faisait encore plus douter de son si mystérieux allié. Pour quelle raison l'être restait attaché à une promesse tissée par Originalité ? L'attrait de l'Âme des Âmes devait être immense pour lui...

« Si vous voulez savoir, fit le Rat, distrayant Lina de ses réflexions, il voulait savoir si il avait le droit de manger. Je lui ai répondu non.

– Euuuh... Manger ? Nous ? J'espère bien que non ! » S'exclama Lina.

Le Rat pouffa, mais ne répondit rien de plus. Grognant contre son interlocuteur, la jeune femme se contenta de marmonner une phrase sur ses éventuelles capacités à se changer en créature empoisonnée, avant de se remettre à progresser.

« – Pratique en cas de dernier recours, » fit Phila, qui avait de toute évidence entendu le commentaire de sa supérieure. « Mais, dites, mon gars, c'est quoi cette salle ou vous nous avez amenés ? »

Lina, distraite, releva la tête. Phila avait raison : Le couloir avait laissé place à une grande salle éclairée. Dans un coin, le troll dormait, roulé en boule comme un chat épuisé. Un immense chat à la peau grise et rabougrie et vêtu de peaux, certes. Mais la présence du troll n'était pas ce qui importait à Lina. Non, ce qui la préoccupait surtout, c'était celle des spectres.

D'innombrables fantômes avaient surgi dans la salle aussitôt que les deux femmes avaient mis un pied dedans. Ils se contentaient de leur tourner autour, avec des attitudes que l'on pourrait qualifier de curieuses chez des spectres, mais leurs façon de se rapprocher de Lina en tournant autour d'elle, la séparant de ses compagnons dans un tourbillon de transparence, alors que cette dernière peinait à se fixer un point de repère, faisait tout sauf la rassurer. Elle entendit distinctement le Rat annoncer qu'elle et Phila devraient se débrouiller seules, et cette dernière exprimer son manque d'assurance, avant qu'un des spectres, un très vieil homme en ce qui semblait être une robe blanche ne se plante juste devant Lina, un air sévère imprimé sur ses traits. Cette dernière plissa les yeux. Le visage lui semblait familier, mais elle ne parvenait pas à se rappeler où elle l'avait vu. Sur les vieilles photos de sa confrérie ? Ou alors c'était peut-être le directeur de l'orphelinat terrien où elle avait vécu, mort peu après son arrivée... Elle ne parvenait pas à savoir.

Le fantôme étendit sa main devant lui. Et Lina, hypnotisée malgré elle, ne pouvait faire autrement que de faire de même. Elle ne savait même plus pourquoi elle faisait de même. Soudaine curiosité, envie d'en savoir plus, contrôle sur son corps. Les trois à la fois, peut-être. Mais le spectre, ignorant sa main tendue, la posa sur son front, en silence. Lina s'étonna de la sentir, comme une main humaine. Elle était tangible. Et glaciale, bien plus froide que la paume gauche du Chevalier, avec cette vieille blessure magique. Aussi froide que la Mort elle-même.

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