Chapitre 16, partie 1

A peine l'aube s'était levée, le lendemain de la capture du Gran Ortografeur, il se tenait une réunion d'urgence dans la tente des généraux.Une réunion dont on pouvait très facilement deviner le sujet.

Le Gran Ortografeur avait été ramené dans sa gangue de glace et emprisonné derrière des barrières magiques spécialement construites par quelques prêtres. À en juger par leurs airs dégoûtés, Lina n'était pas la seule à souffrir de l'aura de la créature. Cependant, cette dernière avait préféré taire la véritable origine du cliché ultime, prétendant qu'il s'agissait d'une créature apparue après la mort d'Orthographe. Ce en quoi elle ne mentait pas vraiment.

Les runes de Corbeau avaient été efficaces, car l'être n'avait pas bougé de la nuit. Cependant, il restait tout de même un souci de taille à régler, selon Lina.

Elle était installée sur sa chaise, passant ses doigts dans ses cheveux avec une nonchalance apparente, ne laissant comme seule marque de ses doutes internes que les rides de souci autour de ses yeux, déformant sa cicatrice. Autour de la table, ses deux compagnons semblaient dans le même état. Du moins, c'est l'impression qu'elle avait en regardant leurs comportements, agités de tics, alors que Corbeau étalait sur la table ses plans et qu'Erin relisait ses papiers.

Finalement, le doyen de cette assemblée reposa sa masse de papiers et se racla la gorge, attirant l'attention d'Erin. Cette dernière releva la tête de sa propre paperasse avec un soupir, tandis que Lina, au prix de quelques mèches, sortait ses doigts de ses cheveux. Le cryomancien se prit le menton entre les mains.

« – Bon. Qu'est-ce qu'on fait de ça ?

– C'est la question que tout le monde se pose, Corbeau, grogna Lina. Sauf que c'est difficile de faire quelque chose d'un cliché ultime, qui inspire le dégoût même aux baptisés, et qui pour couronner le tout est littéralement l'antinomie d'Orthographe. ! »

Erin soupira.

« – C'est bien notre veine... Déjà que pas grand-monde est au courant de la vraie origine du gars... Je ne sais même pas si il faudrait en parler.

– Qui est au courant ? »

L'elfe réfléchit, comptant sur ses doigts à chaque fois qu'elle citait une nouvelle personne.

« – Alors... Il y a Corbeau, toi, moi, le caporal Marlon vu qu'elle vous a entendu discuter, le colonel Sardon à qui Corbeau a demandé des infos sur le rituel... A mon avis ça a dû se répandre un peu dans les officiers supérieurs, mais aucun des prêtres ou des soldats ne sont au courant.

– Je vois... »

Lina soupira. Révéler l'information risquait de provoquer un vent de panique et elle n'était même pas sûre de souhaiter en parler au roi maintenant. Mais, si la révélation avait fuité, il n'était pas impossible que cela remonte aux oreilles de Style via un officier ou même un citoyen qui demanderait audience. Il valait sans doute mieux récupérer les Grans Ortografeurs et en parler à Style, quitte à renfoncer un peu plus le malheureux roi dans sa paranoïa.

Le Gran Ortografeur avait été un ennemi dangereux, se remémora Lina alors que Corbeau expliquait à quoi s'attendre des deux autres. Il maîtrisait une version corrompue de la magie créationniste royale, ce qui le rendait extrêmement puissant en tant que mage en lui-même. Puissant comme une allégorie. Elle grinça des dents en se rappelant qu'Orthographe était réputé pour son talent en matière de sorts, allant jusqu'à atteindre le quatrième palier dans le domaine créationniste, le palier qu'habituellement seuls les Style et les Intrigue de naissance ne pouvaient maîtriser parfaitement. Évidemment, des fractions de son âme ne pouvaient qu'avoir son niveau. Corbeau lui-même, pourtant cryomancien de très haut niveau, avait eu de grandes difficultés contre lui.

À ça s'ajoutait le problème que ces choses provenaient d'un fantôme, plus que probablement vengeur. Et un fantôme était impossible à tuer, étant donner qu'il était déjà mort. Si on rajoutait la profonde altération de l'âme du prince décédé, Lina se demandait bien comment on allait se débarrasser de ces trois plaies. Décidément, Kikoolol avait bien calculé son coup, gronda la générale pour elle-même en écoutant d'une oreille distraite son camarade qui exposait les faits. Trois lieutenants intouchables et extrêmement dangereux pour la pureté de la Sainte Création, un autre complètement instable et déraillé, et pour finir, lui, un être qui dans ses souvenirs était un mage d'exception.

Elle écouta à peine la conclusion de Corbeau, qui ne semblait même pas avoir remarqué que son cerveau s'était éloigné de la conversation. Elle se contenta de sortir lorsque ce dernier reprit ses papiers, signe pour elle qu'il en avait terminé. Se promenant dans le froid caractéristique du mois de février, la jeune femme se contentait de réfléchir. Et ses réflexions n'aboutissaient à rien de bon. La seule conclusion qu'elle pouvait tirer était que Kikoolol s'était beaucoup trop bien joué de l'armée à son goût.

Un appel derrière elle la fit sursauter. C'était la voix de Phila. Elle se tourna vers la direction de l'appel avec un soupir, pour voir la caporale se tenir à quelques mètres, avec une expression vide, comme à son habitude. À côté d'elle, le Rat, enroulé dans un long manteau noir qui dissimulait son uniforme.

« – Votre espion voulait te voir. Il a dit toi spécifiquement, j'ai pas trop compris pourquoi, » soupira Phila en se tournant vers l'homme. Ce dernier soupira.

« – Ce que j'ai à vous montrer est réservé à quelques rares initiés, j'en ai peur. Après m'être renseigné sur votre monde, il m'est apparu que seule une représentante de la Création pourrait atteindre cet endroit sans problème...

– Et donc ? Si j'ai bien compris ce que vous êtes en train de me dire, vous voulez me montrer quelque chose, que je sois la seule à le voir et possiblement à en parler, et en plus que je vous suive seule sans rechigner, sans même savoir ce que vous avez en tête ? Non mais vous êtes pas bien ? »

Le Rat secoua la tête avec résignation, l'air de ne pas vouloir lutter. Ce qui tombait mal, car Lina aurait bien aimé comprendre sa logique. Il croyait quoi ? Qu'elle allait le suivre bien gentiment, alors que sa confiance en lui était encore fragile, et qu'en plus on était en temps de guerre ? Non mais sans déconner, pensa-t'elle. Elle ne bougerait pas d'ici si elle ne pouvait pas emmener au moins Corbeau ou Erin.

Elle croisa les bras, un grondement perdu entre ses lèvres. Hors de question qu'elle ne cède sur ce point. Le Rat, voyant son mouvement, haussa les épaules.

« – C'est urgent, générale Blackheart. Je ne vous laisserai pas dans un de vos énièmes parlementaires avec vos deux collègues. De plus, cela concerne ce que l'on pourrait faire du prince Orthographe. »

Là, il avait piqué son intérêt. Lina fronça les sourcils, mais resta néanmoins immobile, campée sur ses positions. À moins d'un excellent argument, elle ne partirait pas seule avec le Rat. Beaucoup trop risqué.

Ce dernier finit par grogner, exaspéré par la tournure des évènements à en croire ses yeux plissés :

« – Très bien ! Vous pouvez emmener votre soldate ici présente. Mais nous partons immédiatement. »

Et, avant même que Lina ou Phila n'aient pu émettre le moindre cri de protestation, il les attrapa toutes les deux par le bras, avant de réapparaître dans un immense couloir assombri, dans lequel même Lina, dotée d'une assez correcte vision nocturne, ne pouvait rien voir à des mètres devant elle. Ce qui la stressait beaucoup. Elle se mit à tordre ses doigts dans tous les sens, résistant à la tentation de faire apparaître son katana. Elle se sentait nue sans ses armes, mais elle n'avait également aucune idée de l'endroit où elle était et connaissant assez bien les bâtiments enchantés, elle savait que certains réagissaient mal aux armes.

Le Rat alluma une torche, avant de se tourner vers les deux femmes. Phila regarda Lina, l'air complètement perdue, la main sur le pommeau de son épée. Sa supérieure lui rendit son regard. Non, elle n'en savait pas plus. Sans doute maintenant, le Rat pourrait la renseigner.

Justement, celui-ci commençait à parler.

« – Quelques informations des plus basiques alors que nous avançons, mesdemoiselles : L'artefact que nous allons voir est probablement l'objet le plus précieux de tout Wattpadia. Il est capable de distordre le tissu même de l'univers si l'envie l'en prend. Il pourrait donc aisément reformer, voire ressusciter son Altesse Orthographe.

– Ressusciter Orthographe ?!? Autrement que par la voie habituelle ? Mais.... Comment ? »

Lina ne pouvait pas en croire ses oreilles. Une telle puissance dissimulée à ses yeux durant tout ce temps ? C'était encore plus gros qu'Orthographe encore sur cette terre. Et il y avait tellement de détails qui clochaient. Comme, comment le Rat pouvait le savoir, alors que par sa façon de parler de Wattpadia il y était manifestement étranger ? Alors qu'elle n'était même pas au courant et manifestement la famille royale non plus ?

Remarquant son air interrogateur, le Rat soupira.

« – Avançons, je vous expliquerai en chemin. Il n'y a pour l'instant aucun danger dans ce couloir. Ah, et j'aimerais signaler à votre attention que nous nous trouvons en ce moment même dans les sous-sols du palais. »

Cela ne suffisait en rien à diminuer l'étonnement de Lina. Mais elle ne se sentait pas suffisamment à l'aise dans cet endroit pour se risquer à provoquer quelqu'un qui semblait bien connaître les lieux. Alors, suivie de Phila qui restait silencieuse, elle s'avança dans le couloir et écouta ce que voulait bien dire le Rat.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top