Chapitre 15, partie 3

Surprise, Lina tendit l'oreille. Son camarade avait raison : Elle pouvait entendre un marmonnement à la limite du perceptible se répandre dans les rues, se mêler au vent et se fondre dans la ville. Elle se crispa avant de s'arrêter pour tenter de discerner la langue. Et porta aussitôt ses mains à ses oreilles.

C'était la goutte d'eau qui fit déborder le vase pour Corbeau et Erin. Ces derniers se tournèrent vers elle et se mirent à chuchoter avec frénésie, l'air paniqués, les yeux fixés sur le visage crispé par la douleur de Lina. Leur voix la sortit un peu de sa soudaine torpeur, mais elle se sentait encore agitée par le dégoût. La voix qui marmonnait les prières... Elle lui blessait les tympans, lui agitait la chair, lui donnait la nausée à un point inimaginable. Elle avait juste envie de vomir, son estomac la tourmentait, elle en avait la migraine. Et ce n'était qu'un chuchotement.

Elle s'enfonça dans les oreilles les deux bouchons qu'elle avait pensé à prendre avant de relever la tête et de marmonner :

« – Je ne sais pas ce qu'il y a devant, mais j'ai jamais eu aussi envie de vomir. Je crois que ces foutus Grans Ortografeurs sont encore pire que prévu. »

Corbeau plissa les yeux, mais se contenta de se diriger vers la direction qu'indiquait Lina, qui avait encore les mains sur les oreilles. Erin le suivit, les pointes de ses lobes auriculaires tremblant sous la caresse du vent, épée à la main. Ne restait plus derrière que Lina, qui fermait la marche en tentant de retenir ses accès de vomissements.

Les prières les guidèrent jusqu'à la place centrale de la ville, plantée d'un immense autel orné de hiéroglyphes. Le brouillard s'était intensifié, entourant le sommet de la construction d'un manteau grisâtre cachant toute trace de soleil. Le pavement de la place suintait d'une matière noire que Lina assimilerait volontiers à de la magie corrompue par le corps si elle l'avait vu suinter d'un être vivant. Et, sur l'autel, un être enveloppé dans une immense cape rouge, les bras écartés, en train de psalmodier des formules sur un ton bas, presque imperceptible pour Lina, mais qui lui retourna néanmoins l'estomac.

Erin retint une exclamation à la vue de la scène, et montra du doigt à Lina un coin de la place, où la matière noire s'était rassemblée en un amas compact. Cette dernière se tourna vers l'endroit indiqué pour détailler la forme, et jura entre ses dents. Dans la matière noire se dessinait une forme humanoïde, recouverte d'un habit classiquement égyptien et pourrissant jusqu'à l'os, qui sortait tout doucement de sa gangue poisseuse.

Le juron attira l'attention de la forme encapuchonnée, qui tourna sa tête dissimulée par les ombres vers eux en abaissant les bras, interrompant la création de la matière noire. Quelques-uns des morts-vivants se firent éjecter de leur cocon noir et tombèrent au sol, avant de se relever par gestes saccadés. Erin pointa son épée vers l'un des cadavres, Corbeau créa une rapière de glace. Quant à Lina, elle fixa la forme encapuchonnée.

Il était plutôt petit, même si la générale ne pouvait malgré tout pas le regarder de haut. La cape rouge qui le recouvrait dissimulait tous les détails de son corps, mais Lina put néanmoins distinguer quelques boucles brunes et un sourire d'adolescent sous sa capuche. Un sourire perverti par une horrible cruauté. L'homme redressa la tête, et se mit à susurrer d'une voix aussi douce que possible :

« – Lé troa gaineereau deu l'aremaie an pèrçaune, qaile herreuze çurprize... »

Lina manqua de régurgiter son déjeuner, et un sifflement de douleur s'échappa d'entre ses lèvres alors qu'elle se pliait en deux. Ces quelques mots venaient de lui briser sa résistance en quelques secondes, et elle n'avait jamais eu autant envie de vomir de toute sa vie. Elle était même certaine que la voix de cette créature était aussi horriblement pervertie à l'écrit qu'à ses oreilles. Elle pouvait ressentir jusqu'aux fautes de langage rouler sur ses tympans. Et à en croire les mouvements de recul de Corbeau et d'Erin, eux aussi pouvaient ressentir cette abomination.

Il ne faisait aucun doute que ce qu'elle avait devant elle était l'opposé, la version pervertie au possible de son prince décédé. Orthographe et tous ceux qui l'avaient précédé devaient ressentir un profond dégoût devant cette version détournée de leur valeur. En tout cas, Lina, elle, le ressentait. Et elle n'avait pas la moindre envie d'avoir de la sympathie pour ce qui fut autrefois Orthographe de Wattpadia.

Son katana apparut presque par instinct dans son poing serré, et le contact de l'arme la rassura. Elle se concentra pour faire abstraction de tout son inconfort, prenant de profondes inspirations, avant de lever l'arme vers l'ennemi qui pouffa, de son horrible voix adoucie au possible. Elle ne voulait pas l'entendre parler. Elle ne voulait pas ressentir ses fautes d'orthographe.

Erin lui mit la main sur l'épaule et chuchota :

« – Lina, toi et moi allons nous débarrasser des morts. Tu risques de ne pas faire le poids face à ce type, surtout si tu vomis à chaque fois qu'il parle. »

Malgré sa frustration, la jeune femme put reconnaître la justesse du raisonnement. Et se tourna vers les quelques cadavres qui se dirigeaient vers elle, tandis que Corbeau s'avançait vers l'être en se créant une deuxième rapière de glace.

« – Que fais-tu ici, toi ?

– Mowa ? Sourit l'être. Jeu suy leu Gran Ortografeur, liyeuteunent deu Kikoolol. Ait seu qe jeu viant fèr issi ? Raçamblair dé troope poorre le chaife. »

Le cryomancien marmonna.

« – Même ton discours est plat. »

Avant de se lancer à l'attaque, donnant du même coup le signal à Erin et Lina de se jeter sur les morts-vivants.

Le duel fut rude. Même si les macchabées ne semblaient pour la plupart pas suffisamment achevés pour utiliser la magie, Lina avait cessé de compter le nombre de fois où ils s'étaient eux-mêmes renfoncés la tête sur les épaules. Elle avait beau les blesser d'une manière censée être mortelle avec une facilité presque déconcertante, à chaque tête qui tombait un autre la remettait en place. Elle ne voyait aucun moyen de les éliminer pour de bon, et s'en voyait réduite à les distraire, pour les empêcher d'approcher de Corbeau. Tâche qui la faisait beaucoup grogner sous le coup de la rage.

Un juron s'échappa d'entre ses lèvres lors que le sceptre d'un zombie atteignit son ventre déjà bien malmené par la nausée du Gran ortografeur. Erin, qui se battait près d'elle, envoya un coup d'épée au macchabée pour l'éloigner de Lina avant de hurler :

« – Tu ne connaîtrais pas un moyen de se débarrasser définitivement de ces trucs par hasard ? »

Un rayon de glace traversa l'espace entre les deux femmes et alla frapper un macchabée qui traînait non loin, forçant Erin à reculer. Le zombie, à moitié congelé, se mit à se tordre dans tous les sens pour tenter de se dégager, toujours bien alerte, et Erin fonça vers lui dans le but de l'achever avant qu'une gerbe d'éclairs d'un noir d'encre lui coupe de nouveau sa trajectoire, suivis par un cri de guerre de Corbeau.

Trouver un moyen de se débarrasser des macchabées. Plus facile à dire qu'à faire, se dit Lina. Leur couper la tête ne servait à rien si à chaque fois il se la remettaient sur la colonne vertébrale. Elle ne pouvait pas leur réduire en bouillie la cervelle avec des armes au près sans risquer de se faire blesser ou mordre, et elle n'avait aucune idée de la possible transmission du caractère zombifié. Même si elle était très rapide, elle n'avait aucun moyen de les déchiqueter en même temps. Et, sur le plan physique, ses solutions étaient très limitées. Maugréant contre Corbeau, le seul mage de la troupe, et contre ce satané Gran Ortografeur, Lina passa rapidement ses options en revue.

« – Erin ! Tu maîtriserais pas la magie par hasard ?

– Seulement des sorts de portail ! S'écria cette dernière. Ça suffira pas je pense ! »

Lina jura. Il lui restait juste une dernière option, mais épuiser ses réserves n'avait rien de stratégique. Et il lui faudrait compter sur Corbeau.

Tant pis. Elle n'avait plus le choix.

Une immense gerbe de feu recouvrit la place, alors qu'une aura flamboyante entourait la métamorphe, la dotant de cheveux aux reflets enflammés et d'yeux rougeoyants. Ses vêtements firent place à un tourbillon de feu alors que de la fumée s'échappait de ses articulations. Erin s'empressa de s'écarter, alors que la forme d'élémentale du feu que venait de revêtir Lina projetait une gerbe de flammes sur tous les zombies, les carbonisant jusqu'aux os et ne laissant plus que de la cendre dans les airs.

Le cri de rage du Gran Ortografeur lui aurait presque paru doux aux oreilles si la brusque dépense d'énergie ne venait pas de lui annihiler toutes ses réserves. Avec un hurlement de douleur, la jeune femme perdit sa forme d'élémentale avant de tomber au sol, vomissant ses tripes, en proie à une horrible nausée. Maintenant qu'elle était considérablement affaiblie, la voix de la créature découpait sa belle résistance comme un couteau, la rendant vulnérable à tous types d'attaque.

Lina n'eut pas le temps de voir l'éclair noir fuser vers elle. Elle était déjà inconsciente.

Il s'écoula sans aucun doute un peu de temps avant que Lina n'émerge de sa léthargie, pour voir à quelques centimètres d'elle les visages de Corbeau et d'Erin qui la fixaient avec inquiétude. Un poids sur son estomac lui fit comprendre qu'ils l'avaient nourrie, probablement avec une potion de soin, pour la remettre sur pied. Et un regard vers le décor derrière eux lui fit voir que le Gran Ortografeur était immobilisé, recouvert de runes brillant d'une lueur bleutée. Corbeau, remarquant son regard, sourit.

« – Je ne connais pas trente-six-mille moyens d'immobiliser les spectres. Ça fait déjà un de moins. Comment tu te sens ? »

Lina fit une rapide inspection de son corps. Sa nausée était toujours là, sans doute à cause de la présence du cliché ultime. Mais elle pouvait se lever, et ses muscles répondaient bien. Mis à part la réaction de son corps à la corruption, elle se sentait bien.

Elle eut un fin sourire.

« – Un de moins. Maintenant, il faut qu'on décide ce qu'on en fait. »

Erin hocha la tête.

« – Ouais. Mais d'abord, on se repose un peu. Cette saloperie n'ira pas bien loin, de toute façon. Et il va falloir qu'on récupère si on veut tenir face à Kikoolol. »

Lina n'avait jamais été autant d'accord.

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J'espère que je ne vous ai pas trop assassiné les globes oculaires avec la manière de parler des Grans Ortografeurs. Si ça peut vous rassurer, c'était absolument horrible à écrire.

Le chapitre vous a plu ?

On entre dans la phase finale des événements du tome un ! A partir de maintenant, dites adieu aux pauses... Tout va s'enchaîner ! XD

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