Chapitre 14, partie 2
Ce ne fut qu'après une longue demi-heure de recherches qu'ils la trouvèrent, sortant de la tente où étaient stockées les armes, une expression attristée très loin de son engouement habituel sur son visage de madone. Ses cheveux attachés et la sueur qui coulait de son front témoignaient d'un entraînement récent, mais elle semblait toujours crispée, les poings serrés. Malgré tout, Lina soupira de soulagement, et la prise de Corbeau sur son épaule se détendit. Elle était là.
Les voyant, la femme eut un sursaut de surprise, et se reconstitua de nouveau un visage souriant. Mais c'était trop tard. Lina avait eu le temps de voir les larmes perler à son œil.
« – Ma générale ? Tout va bien ? »
Sky se rapprocha d'eux, agitant une main gantée. Mais il n'y avait rien à faire, tout semblait faux dans son attitude. Et Lina commençait sérieusement à se demander ce qui avait bien pu abattre pareille montagne de joie, alors qu'habituellement son aînée était si inébranlable. De son côté, Corbeau haussa les épaules.
« – On vous cherchait partout... Votre repas va être froid, vous savez. Venez, j'aimerais bien discuter de la dernière attaque avec vous. »
Le sourire de Sky se crispa un peu. De façon presque imperceptible, mais suffisante pour être perçue par la jeune femme.
« – Oui, la dernière attaque... Tu veux me voir pour analyser la stratégie clichée, c'est ça ? Tu me raconteras après...
– Vous êtes sûre que tout va bien ? »
Elle sourit de nouveau. Avant d'ébouriffer les cheveux de Lina avec énergie, et de sourire à Corbeau.
« – Mais oui, mais oui. Je me disais juste à quel point vous avez grandi. Et progressé. Et comment vous vous débrouilliez si bien tout seuls...
– Ma générale, pouffa Lina, on ne se connaît que depuis quatre mois ! »
La concernée retira sa main des cheveux de Lina.
« – C'est déjà largement suffisant pour moi. Bref, ou est ce repas ? Je vais me faire réchauffer tout ça ! »
Un peu plus alerte, elle se dirigea vers la tente des généraux d'un pas bondissant. Corbeau et Lina restèrent derrière, immobiles, la regardant s'éloigner, puis Corbeau se tourna vers Lina en se mordant la lèvre.
« – Elle ne t'a pas corrigée lorsque tu l'as désignée par son titre. »
La phrase tournait encore dans la tête de Lina, plusieurs jours après. Alors que Sky était introuvable.
Le camp semblait n'avoir rien remarqué, la vie quotidienne des soldats ne déviait pas d'un pouce. Des offensives, des changements de garde, des protections de bastions, mais aucune expédition de recherche. Lina avait même l'impression qu'ils savaient où elle était partie.
Devant pareille assurance elle se devait de donner le change. Que se passerait-il si il s'avérait que Sky était simplement partie en mission, prévenant tous ses soldats, sauf eux ? Les risques politiques étaient considérables, ne serait-ce que pour le coup porté à la confiance de leurs soldats. Un général, qui plus est le plus ancien, qui laisse les trois autres à l'écart, cela ne démonterait que de la méfiance, ou du mépris, ou toute autre émotion qui ferait perdre leur emprise sur l'armée aux trois camarades.
Alors Lina se contentait de prier, chaque soir, au pied de l'autel de fortune qu'elle avait bâti et béni, pour que sa générale lui revienne saine et sauve, qu'elle soit simplement partie en mission, et qu'elle lui explique enfin son trouble. Pour qu'ils gagnent la guerre à ses côtés, que tout redevienne comme avant, et qu'elle puisse présenter à ses nouveaux amis les anciens. Simplement prier pour la paix.
Une prière perdue dans le vent avec les murmures des fidèles et le brouhaha du campement, qui parfois rejoignait l'oreille de Corbeau agenouillé à ses côtés, silencieux comme au premier jour. Une simple prière égarée au milieu de tant d'autres. Mais Créateur comme cette prière comptait pour Lina.
Le soleil du matin s'étendait sur l'autel abandonné, occupé seulement, aujourd'hui, par les trois généraux. Même agnostique, Erin avait tenu à rester avec eux pendant leur prière, et Lina n'avait pas relevé le nez du sol de la nuit. Ses pressentiments revenaient avec le temps qui passait, et elle avait peur. On ne se débarrassait pas facilement de sa paranoïa.
Ce n'est que lorsque les rayons de l'astre atteignirent Lina que cette dernière se releva, révélant un visage cerné et plus pâle que jamais à la plume de pierre plantée dans le sol, symbole de sa religion. Elle n'avait pas dormi, s'était contentée d'honorer sa divinité dans le silence le plus profond. À côté d'elle, Corbeau grogna un peu, affaissé sur sa position de prière. Il avait dû s'assoupir, se dit Lina, sans relever le manque de respect. Il n'était pas temps de faire un esclandre.
Elle se releva et secoua son épaule, avec peut-être un peu plus de rudesse que nécessaire. Après quelques coups, le cryomancien finit par se réveiller complètement, baillant à qui mieux mieux, les yeux bleu glacé encore cerclés de cernes et de rides de souci. Lina soupira. Lui aussi s'inquiétait toujours.
Corbeau se redressa complètement, encore à genoux devant l'autel de fortune, et fixa le ciel teinté des couleurs de l'aube. Cependant, il n'eut pas le temps de détailler les diverses nuances de la voûte céleste. Il n'eut pas le temps, car la seule chose qu'il put discerner à peine la tête relevée, c'était une forme noire et ailée qui lui fonçait dessus à une allure vertigineuse, et l'envoya bouler sur le sol avec un grand cri.
Lina sursauta. La forme lui était étrangement familière. Et ce n'est que lorsqu'elle releva la tête que la jeune femme reconnut, sous la crasse, les blessures et le masque de peur, le visage rond de Farien. Un froid l'envahit à la vue de son état. Lui non plus, elle ne l'avait pas vu depuis très longtemps. Et même si il s'agissait d'une guerre, elle ne pensait pas le voir dans ces circonstances.
Elle se précipita vers lui et le pauvre Corbeau étalé au sol trois mètres plus loin, entraînant Erin à sa suite, et releva son ami avec rudesse. Ce dernier cligna des yeux, éclaircissant ses prunelles rubis affectées par ce qui semblait être une profonde fatigue, et se tourna vers Lina en toussant.
« – Li.... Lina, c'est... c'est toi ?
– Qu'est-ce qu'il t'est arrivé, sacré nom du Créateur ? Pourquoi t'es dans un état pareil ? »
Le ton d'urgence de sa voix sembla donner un coup de fouet au jeune Altarien, qui secoua la tête. Plus loin, Corbeau se redressa, grondant sous le coup d'un agacement qui semblait bien prononcé.
« – Je vais bien, Lina, merci... Et puis d'abord, que fabrique cet homme ici ? N'était-il pas censé être en mission, ou de garde ? »
Lina l'ignora, ne prenant même pas la peine de lui rappeler que « cet homme » n'avait que dix-huit ans. Elle se contenta de soutenir l'altarien du mieux qu'elle pouvait, constatant avec soulagement que ses blessures ne semblaient pas sérieuses.
« – Alors, Farien ? »
Il détourna le regard.
« – Lina, j'ai... D'assez horribles nouvelles. »
Il soupira. Et, alors qu'il se redressait sur ses genoux, l'air fatigué mais lucide, il commença à raconter, faisant écarquiller les yeux à Lina, et grincer des dents à Erin. Même Corbeau se rapprocha pour l'écouter, les paupières plissées.
Il était en mission avec Sky. Cette dernière avait décidé d'emmener un régiment d'environ deux mille soldats pour tenter leur toute première offensive directement sur le territoire de l'ennemi. Une broutille, disait Farien en remarquant l'air horrifié de Lina. Ils étaient juste censés repérer une place forte pour s'installer et ainsi réduire le territoire des clichés d'au moins la moitié de sa superficie. C'était un plan imparable, et personne ne comptait s'exposer. Rien ne pouvait vraiment aller mal.
Lina grinça des dents en l'écoutant. Bien sûr que si, tout pouvait aller mal. Une offensive en plein territoire ennemi, alors que le Rat ne transmettait plus rien, et en plus décidée uniquement par Sky ?!? En temps normal, elle aurait eu confiance en son jugement. Mais il suffisait de regarder la mine sombre de Farien, d'écouter sa voix teintée de tristesse et de l'observer baisser la tête pour comprendre que l'erreur avait été de conséquences incroyables. Irréversibles.
L'altarien interrompit son récit avec un toussotement, avant de reprendre d'une voix atone.
« – Du coup, nous étions dans les Plateaux, quelque part dans un défilé. On s'attendait pas à croiser un ennemi, mais cet homme était là, lui. Et croyez moi, vous ne voulez par croiser sa route... »
Lina se crispa. Son pressentiment qui la poursuivait depuis tant de jours revint la titiller, plus férocement maintenant que jamais auparavant. Son esprit envisageait diverses hypothèses dont aucune n'était bonne à réaliser. Et, alors qu'elle était plongée dans son mutisme, c'est Erin qui reprit la parole, poursuivant les questions.
« – Pourquoi ce type a l'air de te faire aussi peur ? »
L'altarien soupira. Avant de lâcher une bombe d'une voix atone, figeant net les trois personnes présentes.
« – Il a anéanti les deux mille soldats presque d'un claquement de doigts. Comme ça. Je suis, à ma connaissance, le seul survivant de l'équipée. »
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