Chapitre 13, partie 1
L'aube se levait sur l'immense plaine, lieu de bataille finale par excellence, teintant de couleurs pâle la végétation putréfiée par l'assaut de l'hiver. À l'orée de la forêt où les soldats avaient installé leur campement, la première vague d'offensives organisée par Sky attendait son heure, immobile, silencieuse, plongée dans une aura de paix illusoire. Dans leurs rangs, les généraux nouvellement nommés, leurs étoiles resplendissant sur leur torse, avec des expressions plus crispée que jamais.
Ils étaient là, tous les quatre. Sky avait décidé, une fois n'est pas coutume, de se rendre à son tour sur les lieux, pour mener l'assaut. Et à ses côtés, les néophytes, les mains serrées sur leurs armes ou un objet quelconque dans le cas de Corbeau, sentaient des frissons les agiter, entre le vent du petit matit et l'appréhension du moment.
Lina se sentait moins prête que jamais. Reprendre des points stratégiques peu préparés à une offensive de grande envergure était une chose, repousser une pareille attaque sur leur propre territoire, une attaque qui pourrait anéantir tous leurs progrès, en était une autre. Derrière elle, les soldats s'agitaient, et Phila et Chlorak, qui avaient tous deux décidé de rejoindre les rangs de l'armée plus ou moins officiellement, tentaient d'apaiser les murmures terrifiés. Mais personne n'écoutait un tout nouveau soldat, ou un étranger comme Chlorak dont le seul coup d'éclat fut de provoquer la colère d'Azul.
La générale soupira. Il n'était pas temps de céder à la panique. C'était la seule pensée qui la raccrochait à son calme habituel. Ils étaient là depuis une bonne vingtaine de jours, et ce n'était qu'hier que les éclaireurs, une troupe d'élite constituée parmi les altariens, leur avaient signalés l'arrivée d'une immense garnison, constituée de clichés parmi les pires à en croire le prêtre qui les accompagnaient. Lina s'était empressée de le signer, compatissante, et avait demandé à Sky d'ordonner la préparation de la formation.
Et maintenant ils étaient là, prêts à repousser l'offensive clichée, et qui sait, à sauver le royaume pour de bon cette fois. Une chose est sûre, se disait la générale. Une fois la bataille terminée, rien ne serait plus jamais pareil. Un ancien pressentiment revint la titiller alors qu'un nuage de poussière surgit dans son champ de vision, et elle l'ignora, avant d'alerter Sky. Cette dernière plissa les yeux, et Corbeau créa des jumelles de glace qu'il braqua sur la direction indiquée par sa camarade. Avant de se crisper.
« – Ils sont là. De là, je vois un certain nombre de Mary-Sue, elles sont assez reconnaissables. Il y a aussi quelques Gary-Stu, mais quasiment pas de bad boys ou de Barbie girls. Juste une énorme troupe sur le devant.
– Ils veulent sûrement les envoyer se faire massacrer avant de nous tomber dessus par surprise, marmonna Erin. C'est une tactique commune chez les généraux pas très respectueux de la vie de leurs soldats.
– Eh bien ils vont avoir une drôle de surprise ! »
Le sourire de Sky en devenait presque communicatif, mais aucun des trois nouveaux chefs de guerre ne se détendit. Corbeau continua de fixer l'horizon, avant de soupirer.
« – Sretaz est là aussi. Avec toutes les parures possibles et inimaginables, et c'est lui qui est dans le cortège le plus pompeux. Je crois qu'on ne verra pas Kikoolol cette fois. »
Lina grogna. Comme elle pensait, la victoire définitive était remise à plus tard. Mais il serait toujours temps. Aujourd'hui, la seule chose qui importait était de mettre à terre cette face de lézard, et accessoirement de récupérer un maximum d'informations.
Sky se redressa.
« – Ils nous ont sûrement vus. Préparez-vous pour la stratégie. Dès qu'ils s'arrêteront, l'armée grammaticale, la légion Spectre et les Augmentés vampires leur tomberont dessus. Les unités aériennes comme les Altariens, menées par Corbeau, vous interviendrez lorsqu'ils seront piégés. Erin, Lina, vous mènerez les offensives en cisailles. Corbeau vous donnera le signal lorsque le gros de l'armée combattra nos troupes.
– Ils ont l'air d'être en infériorité numérique, remarqua Corbeau. Soit une autre troupe progresse ailleurs, soit Sretaz a été trop con pour emmener tous ses soldats.
– Ça, c'est autre chose. De toute façon, les confréries sont averties et surveillent la capitale. En attendant, je compte sur toi pour avoir une vision aérienne maximale et nous transmettre tout ce que tu peux, via les radios. »
Lina écouta tranquillement, et se mit à prier le Créateur pour que son pressentiment ne soit pas ce qu'elle pensait. Et puis, la troupe clichée arriva à vue d'œil humain. Et se stoppa.
Sky ne perdit pas de temps. Elle leva sa hache le plus haut possible, sortant des buissons où elle s'était dissimulée. Avant de pousser un immense cri de guerre et de se précipiter à découvert, bouclier bien levé devant elle pour parer d'éventuelles flèches, entraînant à sa suite toute l'armée à pied.
Lina ne distingua bientôt plus rien dans le chaos provoqué par le combat. Elle avait rejoint ses positions une fois sa générale lancée, devant la garnison chargée d'attaquer le côté droit de l'ennemi. Il y avait parmi elle des chevaliers Larrouxe, des voyageurs indépendants dotés d'une immense rapidité et quelques créatures de diverses univers, toutes sélectionnées pour leur vitesse. Ils devaient, avec la garnison de gauche dirigée par Erin, prendre l'ennemi en tenaille alors que les unités volantes leur fonceraient dessus. Pas si facile, soupira Lina. Il fallait vraiment que chaque élément de leur stratégie soit huilé pour que la machine fonctionne. Sans ça, personne ne pourrait arrêter l'avancée de Sretaz. Et la bataille risquait de se finir sur une amère défaite.
L'armée clichée ne tarda pas à rejoindre la mêlée dans son entièreté, profitant de ce qu'elle croyait être une supériorité numérique, et bientôt plus aucun soldat des deux camps en présence n'était en retrait. Sauf les troupes de Lina et Erin bien sûr, guettant le signal de Corbeau qui s'était envolé, d'immenses ailes de glace déployées dans son dos, laissant quelques plumes opalines, victimes de flèches, sur le champ de bataille. Lina l'observa virevolter dans les airs, effleurer le champ de bataille en en profitant pour geler quelques ennemis au passage, sans doute en train d'examiner chaque recoin de la scène. Jusqu'à, finalement, remonter dans les airs. Et qu'un feu d'artifice de paillettes de glace n'éclate dans le ciel, recouvrant la mêlée et faisant sourire Lina. Le signal. Il était temps d'y aller.
Elle leva bien haut son katana et hurla de toute la puissance de sa voix :
« – Chargeeeeeeez ! »
L'écho retentit sur le champ de bataille, vite recouvert par les bruits de botte et ceux de sabots sur le sol à moitié gelé. Lina, avec son ouïe pointue, eut le temps de discerner les battements d'aile des unités volantes, puis, ce ne fut plus que cris et désolation.
Le sang volait dans tous les sens au milieu du champ de bataille. Il n'y avait plus dans le champ de perception de Lina que mort et dégoût. Laissant la cavalerie encercler la zone de guerre, elle s'était laissée guider par son instinct et ses perceptions des clichés, et avait bondi en plein milieu du carnage pour y semer sa part de destruction. Oubliées, ces belles réflexions sur la vie qu'elle portait depuis son adoubement. Oublié, le début de compassion qu'elle croyait avoir eu pour l'autre camp. Là, au milieu de tant de répugnance, de ses soldats qui tombaient, du sang qui coulait, des débris d'être vivants qui volaient, Lina Blackheart n'était plus que mort et destruction, semant le malheur derrière elle dans des traînées de rouge.
Les clichés lui sautaient dessus, un a un, dix à dix, parfois en groupes entiers. Et toujours, elle tranchait dans le tas, écopant de quelques blessures, tout juste ralentie par les plus sérieuses. Elle n'avait même pas le temps de soupirer ou de réfléchir à des moyens d'améliorer son style de combat qu'une autre horde lui tombait dessus, arme au poing et bave aux lèvres, et que de nouveau elle laissait son instinct de destruction la posséder.
De temps en temps, une explosion de glace ou une pluie de flèches la distrayait de sa tâche. Un carreau se planta dans son mollet, et l'arracher attira l'attention du seul infirmier de l'équipe médicale qu'elle ne verrait jamais sur ce champ de bataille. Ce fut tout juste si elle eut le temps de discerner son visage alors qu'il lui soignait sa plaie, lui enlevait la pointe de flèche de sa jambe et désinfectait le tout avant qu'il ne disparaisse, la laissant à sa marée vivante. Et elle reprit sa danse mortelle, un pas de côté par ci, un entrechat par là. Esquivant avec grâce, tranchant avec précision. Laissant derrière elle des flots de sang dans des motifs d'une harmonie étonnante. Rien ne pouvait briser son enchaînement mortel, pas même les attaques de clichés qui interrompaient sa progression. Un pas, puis un autre, puis encore un autre. Les blessures n'étaient que part de la représentation.
Perdue dans sa danse macabre, la dernière trace de conscience qu'il lui restait cherchait désespérément une trace de Sretaz sur le champ de bataille. Trouver la face de lézard, se disait-elle. Mettre fin à son règne, puis attaquer Kikoolol. Franchir une étape. Avancer dans la guerre de la même manière qu'elle avançait au milieu des cadavres, le noir de ses vêtements teinté de rouge et l'hémoglobine se reflétant dans ses étoiles de générale. Mais Sretaz était introuvable. La seule tête connue qu'elle repéra fut celle d'Erin, qui s'était laissée submergée par les clichés, épée à la main, une expression paniquée sur le visage.
Lina n'hésita pas. Ni une ni deux, elle bondit en avant et se cala aux côtés de l'elfe, la soutenant et l'aidant à esquiver, tournoyant à son côté. Son ballet solitaire devient un duo. Et les deux femmes se soutinrent mutuellement dans la danse, Erin traînant la patte, et Lina commençant à fatiguer. Le murmure d'une prière au Créateur vint accompagner chaque mouvement, si incongru au milieu de la symphonie des cris et du cliquetis des armes. Erin et Lina tenaient bon, résistant autant que possible à la marée qui les entourait. Mais Lina recevait des coups de plus en plus violents et une large balafre marquait le flanc droit d'Erin, les laissant à la merci de l'ennemi. Et, alors que la fatigue, l'envahissait, la générale nouvellement nommée émit un dernier marmonnement, une insulte bien sentie à l'égard de Sretaz qui ne s'était même pas donné la peine de venir en personne... Étonnant pour un cliché, sans doute, surtout un qui avait une dent contre la jeune femme. Mais bon, tant pis. D'autres sauraient gérer, sans doute.
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