Chapitre 12, partie 3

Lina se releva.

« – Veuillez pardonner ma question mais qui est cette homme, votre Altesse?

– C'est le Rat, marmonna Originalité. Votre fameux espion inconnu. »

La princesse se tourna vers le concerné, faisant fi des yeux écarquillés de Lina. Et de sa soudaine inquiétude. Son aura de magie était sombre et entachée de ressentiment, et malgré sa puissance elle donnait des frissons à la jeune femme. Elle se souvint de l'hypothèse de Sky et trembla encore plus. La possibilité du rat s'étant trouvé sur les lieux le jour de l'enlèvement de Suzu venait d'être éliminée net.

Remarquant son trouble, le Rat haussa les épaules.

« – Inutile de vous braquer autant, Lina Blackheart, je ne compte pas vous attaquer. Je suis lié par une promesse divine à son Altesse Originalité, qui m'oblige à vous aider. »

La princesse confirma d'un signe de tête et Lina eut un petit sourire pâle, évitant de préciser que ce n'était pas la cause de son trouble, avant de demander :

« – Puis-je savoir ce que vous fichez ici, dans ce cas? Vous, comme son Altesse. Je croyais que Sa Majesté ne vous laissait pas sortir du palais ?

– Oui mais j'aime pas être enfermée d'abord. Et puis le Rat, officiellement, c'est l'espion de Kikoolol. Il faut pas qu'il soit trop vu avec moi, ou près de papa. Bon en attendant, le soleil se couche, faudrait peut-être rentrer ? Vous expliquerai tout ça après votre adoubement. »

Lina haussa un sourcil, dubitative, mais n'ajouta rien de plus. De toute façon, le Rat avait déjà disparu dans les ombres, ne laissant derrière lui qu'une légère trace de magie étrange. Après son départ, Originalité attrapa sa main avec vivacité, et Lina se retrouva dans la cour intérieure du palais en moins de temps qu'il ne fallut pour le dire, la main toujours dans celle de la petite fille.

Tout le monde était là. La seule lueur du lieu, émise par les lampadaires de métal sombre répartis autour des portes, se reflétait sur le visage d'un Style marqué par l'inquiétude. À ses côtés, sa reine, qui se tordait les mains en tentant de sourire. Et, en regardant tout autour d'elle, Lina vit que toute la fratrie littéraire était réunie dans la cour intérieure. Enfin, toute. L'absence d'Orthographe se faisait cruellement sentir, et était marquée jusque dans les yeux plissés et les joues creusées des adolescents.

À n'en pas douter, Style et Intrigue étaient très amoureux. Les allégories littéraires secondaires de cette période étaient toutes leurs enfants. Vocabulaire, le plus grand d'entre eux et tout juste nommé héritier, fixait Lina avec des yeux écarquillés tout en tenant dans ses bras malingres un énorme livre de cuir usé. En plissant les yeux, la jeune femme pouvait voir le titre de l'ouvrage, un seul mot. Orthographe. Elle soupira. Sans doute son aîné lui manquait-il beaucoup.

À côté de lui, en train de lui serrer le bras, il y avait les jumelles, Conjugaison et Grammaire, que la cardinale estimait tout juste sorties de l'enfance. Elles avaient tous les deux les cheveux auburn de leur mère, arrangés en un chignon lâche, et ce même air inquiet s'imprimait sur leur visage. Originalité plissa les yeux en les voyant si perturbées et serra la main de la jeune femme. La peur avait fait son œuvre au sein des allégories, et il n'y avait plus dans leur cœur que le deuil.

Style s'avança, coupant court à la contemplation de Lina. Mais pas vers cette dernière, vers Originalité, qu'il prit dans ses bras avec délicatesse, décrochant sa petite main du bras de son accompagnatrice. Sans se préoccuper de cette dernière, il sermonna sa fille d'un ton pressant, les traits tirés et les coins des yeux tremblants. Lina baissa les yeux devant l'ombre de tristesse et de peur qu'était devenu son souverain. Avant de les relever vers Intrigue.

La reine la fixait elle, directement, avec un air bien plus calme que le reste de sa famille. Si elle avait quelque tourment, elle ne le montra pas. Elle se contenta de s'avancer vers Lina pour lui demander d'un ton égal :

« – Cardinale Blackheart, vos amis ne sont toujours pas ici ? Tout va bien ?

– Ne vous en faites pas, Votre Majesté, soupira cette dernière. Ils vont bien. Je les ai simplement perdus en chemin et je suppose que Corbeau n'a pas pensé à ouvrir un portail. »

Intrigue haussa les épaules.

« – Sans doute. Navrée pour notre accueil si glacial. C'est un jour très dur pour nous. Comme tous depuis la mort de mon fils. »

Lina ne pouvait qu'acquiescer. Elle n'oubliait pas ce qui se tenait derrière son adoubement. La guerre créait des nécessités tout comme elle brisait des vies. C'était une réalité universelle, une loi inébranlable. Au final, qu'est-ce qu'était la guerre, si ce n'était un prétexte pour répandre le sang ? Lina se demandait bien. Même en prenant en compte ses principes et sa mission, elle ne pouvait ignorer que les clichés versaient leur sang aussi. Des vies, lui avaient dit un jour Azul et Seiji. À l'époque, elle avait écarté cette hypothèse. Aujourd'hui, alors que le danger et la mort planait sur son armée, alors que les réminiscences des batailles presque journalières qu'elle menait s'imprimaient dans son cerveau, qu'elle comptait les cadavres de soldats et les blessés à l'infirmerie, elle venait à douter de ses propres opinions.

Durant le courant de ce mois, elle avait plus vu la mort et le sang qu'à l'époque où elle allait prêcher la bénédiction du Créateur, au cours de toutes ses années dans les ordres. Elle avait vu les soldats tomber et les vivants pleurer à leur chevet, elle avait vu les larmes dans les yeux des familles qui allaient identifier les restes. Elle était restée à l'écart alors qu'une Sky éplorée rendait les derniers honneurs aux guerriers disparus, à observer. Elle avait même cru se sentir touchée par la tristesse générale de gens qu'elle ne connaissait pas. Elle, perpétuelle insensible qui ne se préoccupait que de ses proches, avait versé une larme à la mort d'inconnus. Mais était-ce réellement des inconnus, au final ? Est-ce qu'elle n'en était pas venue à s'attacher à ses soldats ? Elle ne savait pas. Et si la mort de personnes qui ne la touchaient pas affectait quelqu'un, est-ce que c'était aussi le cas dans le camp ennemi ? C'était le genre de choses qu'un soldat ne devait pas se demander, sans doute. Mais elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer les clichés qu'elle avait tués entourés d'une famille semblable à celles à qui elle avait remis la dernière demeure de leur enfant.

Corbeau et Erin arrivèrent alors que leur acolyte, perdue dans ses pensées, commençait à remettre toute sa vie en question. Soulagée d'être tirée de réflexions pour le moins dérangeantes, elle se tourna vers eux avec un sourire railleur, prête à leur rappeler qu'ils l'avaient laissée derrière pour rien. Mais la mine stressée d'Erin et celle, fermée, de Corbeau la coupa dans son élan.

Intrigue leur fit signe à tous deux de se rapprocher, et les princes et princesses formèrent un cercle tout autour d'eux. Conjugaison lâcha le bras de Vocabulaire et alla se placer à la droite de Logique, qui fixait les trois concernés en faisant tourner entre ses doigts une longue mèche de cheveux blonds. Émotion, petite fille pourtant si volubile, alla attraper la main de sa grande sœur en reniflant un peu, tandis que Raison, la jumelle de Logique, portait sur le groupe un regard presque aussi calme que celui de sa mère. Les trois restants, Respect, Grammaire et Originalité, fermèrent le cercle derrière eux en silence. Enfin, Style s'avança, et se racla la gorge.

« – Mes enfants, c'est une bien noire période pour nous tous. Une promotion au rang de général peut être un signe de joie pour quiconque reçoit cet honneur, mais le roi lui n'oublie jamais qu'il nomme une personne pour entretenir la guerre. La guerre est une très mauvaise chose, un désastre même dirais-je. Un bon régnant ne doit jamais chercher à provoquer la guerre. J'aimerais que chacun d'entre vous retienne ceci lorsque je remettrai mes étoiles et ma confiance à ceux que je jugerai dignes de mettre fin à cette abomination. »

Par pur réflexe, Lina mit un genou en terre. Derrière elle, elle sentit Corbeau faire de même, puis Erin à ses côtés. Et Intrigue s'avança à côté de son mari, faisant apparaître entre ses doigts fins une boîte ouvragée, en bois de santal semblait-il à Lina. Avant de prendre, à son tout, la parole.

« – Lina Blackheart, chevalier Corbeau, Erin, je vais vous demander de prêter serment devant nous tous, et sur les Contes d'un Dieu sacrés transmis par le Créateur. Jurez vous, devant nos enseignements sacrés, de toujours protéger Wattpadia, de faire passer les intérêts du royaume et ceux de la vie avant les vôtres, de respecter vos directives et d'en délivrer de justes ? Jurez vous de vous battre pour la paix et non pour la guerre, et de n'avoir pour seul objectif que d'y mettre fin ? »

Raison, un peu derrière son père, s'avança pour lui tendre un très, très vieux livre de parchemin corné qui arracha un frisson à Lina. Cet ouvrage, bien loin des copies des Contes qu'elle lisait à chaque Récitation, était l'authentique livre laissé au tout premier roi Style il y a des générations de cela. Il était imprégné de toute la divine présence du Créateur, et l'encre qui traçait les anciens commandements et l'histoire du monde n'avait jamais été contemplée d'un œil de yürhamah. Pour elle, Cardinale, c'était un véritable honneur que de voir cet ouvrage en vrai, et elle dut résister à sa furieuse envie de le parcourir.

Au lieu de ça, elle posa sa main sur la couverture, que Style avait placée devant elle, avant de lancer d'une voix claire :

« – Je le jure. »

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