Sky se redressa dans sa chaise avec brusquerie, les dents serrées, s'attirant le regard de toutes les personnes présentes.

« – Le Nord est tombé sans qu'on s'en doute... J'aurais dû me douter qu'ils assureraient leurs arrières !

– Et maintenant on fait quoi, bon sang ?!? Grogna Lina. Si ce qu'ils disent est vrai, il suffit d'une erreur pour qu'on perde cette fichue guerre ! »

Erin lui posa une main sur l'épaule, l'aidant à se décrisper progressivement, alors que Corbeau relevait la tête.

« – Pour commencer, on va essayer de savoir qui sont nos fameux donneurs d'informations. Alors donc, vous deux, vous pouvez nous expliquer ce que vous faites ici, qui vous êtes, et éventuellement vos buts ? Ça serait génial. »

Sous le regard des quatre chefs de guerre, Phila soupira, et Chlorak grogna. Cependant, ce dernier fut le premier à prendre la parole.

« – M'appelle Chlorak, demi-Sram de mon état, originaire d'une contrée dans un autre univers que Wattpadia. Je suis à la recherche de quelqu'un, et quant à savoir ce que je fous ici, comme je suppose que se faire traîner par un marin patibulaire ne répondra pas à votre question, c'est grâce à un livre de sorts de portails de mon monde laissé par ce fameux quelqu'un. Ça vous suffit ? »

Un hochement de tête de Sky lui apporta la réponse qu'il désirait, et il alla s'installer sans la moindre gêne sur le bord du lit de Lina qui grogna. Celui-ci, il y avait peu de chance qu'elle l'apprécie. Phila prit le relais.

« – Phila, originaire de Malysh. Je suis arrivée grâce au portail reliant mon monde à Wattpadia, autant vous dire que cela n'a pas été de la tarte de l'atteindre. Je suis une simple voyageuse, demi-élémentaire, sans autres buts qu'avoir la paix, ce qui me semble mal barré si je ne m'abuse. »

Lina ne put retenir un petit ricanement ironique. Avoir la paix dans un monde en guerre, quelle idée paradoxale. Et Sky semblait bien de cet avis, si on en croyait son sourire compatissant.

« – Cela risque d'être difficile actuellement, surtout si des troupes marchent en plein sur la capitale. Je vous propose de rester là en attendant que cela se calme, dans la meilleure hypothèse qu'on ait gagné. Et pour vous remercier des informations, c'est avec plaisir qu'on vous aidera si besoin. »

Phila croisa les bras et se mit à tourner dans la tente, le visage inexpressif uniquement marqué par ses yeux braqués vers le sol, alors qu'elle semblait réfléchir. La métamorphe la suivit du regard, se demandant à quoi elle pouvait bien penser.

« – Pour l'instant j'ai pas trop besoin de grand-chose, marmonnait-elle. Mais lorsque tout cela sera fini, vous pourriez m'aider à retrouver mon amie ? En passant le portail on a été séparées. Elle est plutôt résistante donc je m'en fais pas pour elle, mais ça serait bien qu'on continue ensemble, voyez ?

– Et pour moi, renchérit Chlorak, si vous pouviez m'aider à retrouver le type que je recherche ce serait pas trop mal. En espérant qu'il ne se soit pas fait buter par ces choses que vous appelez clichés, faudrait pas que je loupe l'occasion de lui faire la peau. »

Sky hocha la tête aux deux concernés, sans leur poser la moindre question supplémentaire, ce qui étonna Lina. Elle aurait aimé en savoir davantage sur les deux personnes concernées, tant pour avoir moins de raisons de se méfier que pour en apprendre plus sur leurs deux... Pouvait-on dire invités ? Oui, sûrement, grogna la métamorphe. Après tout, ils n'étaient pas prisonniers et ne comptaient certainement pas se battre de suite. Voire pas du tout, si on en croyait leurs discours neutres sur ces saloperies de clichés.

Au bout de deux secondes, Erin, sentant l'attention dévier du principal problème de cette assemblée, se racla la gorge avec force, attirant l'attention de Sky qui se tourna vers ses assistants, délaissant les deux autres. Ces derniers, se sentant congédiés, sortirent de la tente, et des éclats de voix retentirent de nouveau à travers l'épaisse toile, signes d'une nouvelle dispute entre Azul et Chlorak. Lina leva les yeux au ciel. Si Azul ne comptait pas repartir, ce qui était fort peu probable, cela allait être coton pour gérer leurs explosives interactions...

Mais en attendant, Erin voulait clarifier quelque chose, quelque chose qui préoccupait beaucoup Lina aussi. Une simple question, mais qui allait déterminer leur avenir et le cours de la guerre, cinq petits mots tout banals qui pesaient très lourds dans la balance.

« – Et maintenant, on fait quoi ? »

Ressentant l'urgence du ton de la jeune elfe, Sky plissa les yeux, son sourire habituel refoulé dans les limbes, remplacé par des lèvres pincées et deux doigts pinçant l'arête de son nez. Un petit temps de réflexion s'écoula avant qu'elle ne lâche, d'un ton dissimulant tout le stress provoqué par la situation :

« – Je vais parler au roi pour accélérer vos promotions. Pendant ce temps-là, vous, vous mobiliserez toute l'armée et vous les préparerez selon un schéma que je vais vous indiquer. J'ignore quand est prévue leur offensive, mais il est hors de question qu'on les laisse atteindre Wake'li. Plus vite on agira, moins on aura de chances de se battre en terrain inconnu, ce qui restera un avantage indéniable si l'armée ennemie a bel et bien l'avantage du nombre. Vous avez compris ? »

Sans attendre leurs réponses, elle sortit de sa sacoche une immense carte et des figurines de différentes couleurs, et commença à les disposer selon certains schémas en marmonnant. Se sentant congédiées, Lina et Erin se levèrent et se préparèrent à sortir, mais lorsqu'elles se tournèrent vers Corbeau, ce dernier remua doucement la tête, les yeux fixés sur la carte que Sky était en train d'étudier inlassablement. Les deux filles sourirent. Qu'il fasse ce qu'il veut, de toute façon un peu d'apprentissage en stratégie ne pourrait pas lui faire de mal.

Refermant le pan de la tente derrière elle, Lina tourna les yeux vers le ciel. Le soleil commençait à se lever, et sa montre indiquait sept heures. Il était encore très tôt, la plupart des officiers devaient dormir. Elle pouffa, un son légèrement amer. L'enchaînement de victoires ne les avait que trop ramollis, il faudrait y remédier, vite.

Erin lui fit un signe, et sa compagne la rejoint, distraite de ses noires pensées par la mine détendue de l'elfe. Cette dernière lui sourit.

« – Détends toi, on est en guerre, pas sous domination clichée.

– J'aimerais bien éviter ça, si tu permets, soupira la jeune femme. Allons réveiller ces flemmards d'officiers avant que ta prédiction ne se réalise. »

Son amie haussa les épaules, se dirigeant machinalement vers les tentes des concernés, d'où s'échappaient pour certaines un énorme ronflement.

« – T'as raison. De toute façon ils dorment encore plus que nous, c'est quand même dingue ça. Même dans pareille période de transition, on devrait être sans cesse en pleine activité et eux ils ronflent... »

Elle écarta le pan de tissu de l'entrée d'une tente d'où n'émanait aucun bruit, si ce n'est d'étranges frottements de tissu qui faisaient se poser de sérieuses questions à Lina. Avant de le refermer aussitôt.

« ... Où ils baisent. »

Lina ne put s'empêcher d'éclater de rire. Elle connaissait mieux que personne cette situation où la porte s'ouvrait sur un couple surpris en plein ébat, figés dans des positions pour le moins étranges. Erin grommela et posa ses mains sur ses oreilles rouges, tentant de conserver un minimum de neutralité, mais son visage se disputait entre la gêne et l'hilarité contenue à un point étonnant. Ce qui fit, bien entendu, encore plus rire Lina.

Les rires attirèrent l'attention de l'officier concerné, une femme brune très maigre au visage anguleux, qui sortit la tête de la tente et se confondit en excuses, alors que son amante émettait des insultes d'une voix très aiguë qui ne pouvait tromper sur son sexe. Le visage rouge et la peau perlant de sueur de la jeune femme, qui d'après la veste d'uniforme enfilée à la hâte était capitaine des chevaliers Larrouxe, alors qu'elle balbutiait ses excuses et ses demandes de ne surtout pas en parler aux autres, finirent par briser les barrières d'Erin et cette dernière rejoignit Lina dans son hilarité.

Il leur fallut un temps avant de se calmer, de rassurer la jeune femme affreusement gênée qu'elles garderaient ça pour elles de finalement expliquer la situation. Apprenant ça, elle se mordit la lèvre avec force, tentant de se séparer de sa gêne, et rentra aussitôt dans sa tente en remerciant « ses générales » de l'avoir prévenue. Lina n'eut même pas le temps de lui dire qu'elles n'étaient pas encore promues qu'Erin la traînait déjà vers une autre tente en retenant un nouvel accès d'hilarité.

Ce fut uniquement lorsqu'elles eurent prévenu chaque officier et que les troupes commencèrent à se rassembler par unité et légion, préparant l'entraînement, aiguisant leurs armes, des mines inquiètes ou patibulaires presque reflétées les unes sur le visage des autres, que les deux jeunes femmes prirent un moment de pause pour évacuer une bonne fois pour toutes leurs rires.

« – Décidément, souffla Erin alors que leurs gloussements s'évanouissaient dans l'air, il y a beaucoup plus d'officiers qui sont actifs de bon matin que je ne le pensais ! Quels menteurs ! »

Elles avaient surpris, en plus de la jeune femme, quelques autres soldats en plein milieu d'une partie de jambes en l'air, au point d'être face à un certains nombres de situations d'acte. Lina pourrait presque illustrer un livre sur la sexualité avec des photos des officiers pris en faute, pour chaque position, orientation, sans oublier les pratiques. Elle rit de nouveau.

« – Quelle bande de pervers, tu veux dire ! Moi qui croyais avoir tout vu !

– Ma pauvre, tu t'es retrouvée dans des situations comme ça ? J'ose pas imaginer, moi, j'ai la chance de n'avoir que peu d'expérience dans le domaine du voyeurisme accidentel... »

La métamorphe tiqua à la question. Mais l'hilarité et l'amitié partagée avec l'elfe aidant, elle répondit de bon cœur, sans rechigner, ni même buter sur les mots.

« – A la confrérie où j'étais, il y avait le pire baiseur de compétition du multivers. Crois-moi, ce n'était pas rare de le voir sur les tables ou les canapés avec sa conquête du jour... À force, on est même plus gêné de le voir, on se contente juste de le prendre par son oreille de loup et de le jeter dehors, ou de calmer ses ardeurs avec un seau d'eau... Ce genre de trucs, quoi ! »

Le souvenir lui arracha un nouveau rire, et son sourire s'élargit. Un des meilleurs moments de sa vie. La tête du concerné alors qu'elle et son meilleur ami lui avaient balancé une bassine remplie de glaçons sur le dos, tandis qu'il faisait son affaire avec une pauvre fille sur la table, faisait partie du top dix des choses à ne pas oublier. Tout juste suivie par le cri qu'il avait poussé.

Devant le sourire de son amie, Erin ne put s'empêcher de poser une question qui, à en croire son air sérieux, lui trottait dans la tête depuis longtemps.

« – Tu ne m'as jamais raconté pourquoi tu avais quitté ta confrérie... Il y a une raison particulière ? »

La jeune femme grogna. Oui, il y en avait une. Une qui lui faisait assez honte, mais bon. Rien que sa compagne ne devait pas savoir. Et puis, elle était censée plus s'ouvrir aux autres, et expliquer le pourquoi du comment à une personne qu'elle appréciait ne devait pas constituer un énorme effort, n'est-ce pas ?

« – Une histoire bête. Des clichés sont venus il y a environ deux ans, et ont tenté de m'enlever, ou de me tuer, je ne sais pas trop encore ce qu'ils voulaient. Juste qu'ils étaient à la solde de Kikoolol, vu qu'ils ont dit son nom. Ce faisant, ils ont massacré quelques-uns des miens, d'autres ont manqué de péter un plomb, les enfants ont été traumatisés. J'ai préféré éviter que cela ne se reproduise. »

Le grand avantage d'en parler avec quelqu'un comme Erin, c'est qu'elle sait quand la compassion est inutile. Elle se contenta de sourire et de hausser les épaules, en lâchant sur un ton adapté à une conversation normale :

« – Je vois. Je comprends mieux pas mal de trucs, maintenant. Bref, tu viens ? Faut qu'on aille voir si Sky et Corbeau ont fini de jouer aux échecs version unités de l'armée. »

Lina sourit, et lui emboîta le pas, se sentant un peu mieux. Même si elle ne le montrait pas, la réaction de son amie lui avait fait plaisir.