Chapitre 10, partie 3
Une clameur prenant sa source vers le fond du campement la sortit de ses pesées, et elle se dirigea d'un pas vif vers la source des cris, ravie qu'il y ait un peu d'action. Mater une révolte ou faire avancer les choses pourrait la distraire avec une bien meilleure efficacité que donner des coups dans les vulgaires bouts de bois qui servaient de mannequin d'entraînement.
Se laissant guider par l'odeur et les cris, elle passa entre les tentes en faisant craquer ses doigts dans un bruit sourd, grondant contre le vacarme qu'ils faisaient. À en croire les sons de plus en plus nets au fur et à mesure qu'elle s'approchait, il s'agissait d'une dispute, avec une personne qu'elle ne connaissait pas mais qui avait une voix très forte et semblait très en colère. Et puis, le cri baissa de volume, et elle put capter le ton sarcastique de quelqu'un qu'elle était ravie d'entendre : Azul se trouvait dans le coin, et visiblement il ne semblait pas de très bonne humeur. Un sourire fendit ses lèvres. On n'aurait pu rêver meilleure distraction.
Au bout de quelques secondes de recherche, derrière un tissu miteux qui devait probablement abriter les réserves d'armes les moins utilisées, elle trouva un Azul les bras croisés, serrant les dents, malgré un sourire sarcastique qui lui donnait l'impression de mener la conversation. À ses côtés, un homme de taille très moyenne, aux cheveux blonds coupés presque à ras sur son crâne et aux petits yeux plissés, formant les seules rides sur son visage, qui agitait le poing dans la direction de l'Empereur des Mers, un énervement empreint jusque dans ses traits fins. Et, en se rapprochant, Lina put voir une jeune femme appuyée sur un pilier derrière les deux hommes, fixant ses ongles avec décontraction sans se préoccuper des mèches de cheveux bruns courts lui recouvrant le visage. Entendant le bruit des pas de la métamorphe, elle releva la tête, et cette dernière put apercevoir ses yeux d'un bleu très pâle, presque gris, en accord avec le côté cadavérique de sa peau.
Azul, à son tour, sentit approcher Lina, et laissa en plan son compagnon en plein milieu d'une tirade enflammée pour se retourner vers elle et lui sourire avec amitié, sourire qu'elle lui rendit. Elle était contente de le revoir en personne, connaissant la longueur prévue pour ses expéditions elle doutait que cela n'arrive avant longtemps. Ce dernier, à la grande fureur de l'autre garçon, tendit la main.
« – Bonjour, Lina, je m'attendais à te voir aussi tôt mais pas à ce que tu sois la première à nous accueillir. Je t'ai ramené de la compagnie! »
La compagnie en question se mit à gronder.
« – Lorsque t'as décidé de me ramener ici sans me demander mon avis j'ai compris que t'étais un con, mais je m'attendais pas à ce que tu sois un salaud au point de m'ignorer quand je te parle! Oh! L'empereur des algues vertes! »
L'intéressé soupira, alors que derrière lui la fille se mit plus en évidence, à côté du capitaine, avant de se tourner vers Lina.
« – J'espère que parmi vous il y a moins de disputes qu'entre ces deux écervelés. Je me présente, Phila, demi élémentaire. Pour les questions, on verra plus tard. C'est Azul qui a tenu à nous ramener ici, le Sram et moi, lorsqu'il a entendu ce qu'on avait à dire, alors il faudra peut-être que j'en parle à votre chef. »
Le blondinet était donc un Sram, se dit Lina en le fixant s'énerver contre son ami. C'était bon à savoir. Et même si elle aimerait apprendre les raisons de leur visite à tous les deux au plus vite, ça pourrait bien attendre que Sky l'apprenne. Elle soupira d'agacement, alors que les voix agacées des deux hommes derrière elles se remettaient à chercher dans les sons les plus hauts possibles.
« – Bon, vous deux, vous vous calmez oui? Je ne présente pas des ouistitis enragés à ma générale!
– Dis au Sram de baisser d'un ton, pouffa Azul. Il génère suffisamment de sons pour couvrir tout le campement à lui tout seul.
– Demi Sram, s'il te plaît! Un peu de respect ! Je t'en cause, moi, de ta personnalité chiante à l'extrême, marin d'eau douce ? »
Lina grogna devant cette nouvelle amorce de dispute. Cette fois elle en avait marre. Il n'était pas dans ses habitudes de brutaliser les gens qu'elle venait de rencontrer mais cette fois trop, c'était trop, et elle refusait de perdre du temps pour de pareilles broutilles !
Sa main fusa, et ce n'est que lorsque les cris de colère du blond ne furent interrompus par un cri de douleur qu'elle se détendit un peu, resserrant ses doigts sur la peau fragile entourant le pavillon de son oreille. Phila, à ses côtés, ne put retenir un sourire amusé, et l'expression d'Azul semblait hésiter entre le rire et la gêne, son sourire se faisant plus crispé alors que ses yeux fixaient sa cadette avec une sorte d'inquiétude.
« – Tu devrais te calmer, le Sram. Lina n'est pas connue pour sa clémence.
– Tu m'ôtes les mots de la bouche, Cap'. Maintenant mon vieux, tu baisses d'un ton et tu viens avec moi, si tu ne veux pas que je te traîne jusqu'à notre tente par ton oreille. Et peut-être aurais-je la chance de savoir ton nom? »
Elle ponctuait chaque phrase d'une pression sur la chair, faisant grogner l'autre de douleur. Mais entre deux borborygmes, ce dernier finit par émettre un son intelligible, malgré la crispation de son corps, les yeux fixés avec colère sur Lina qui put admirer toutes les nuances de gris, allant de l'acier à l'anthracite, que recelaient ses iris.
« – M'appelle Chlorak. C'est bon, z'êtes contente, vous pouvez me lâcher maintenant? J'vous suis... »
Satisfaite, le métamorphe relâcha la pression, laissant sa victime se redresser en se frottant le pavillon droit. Sans attendre une réponse des deux autres, elle leur fit signe de les suivre, d'un mouvement empressé qui en disait long sur son état d'esprit. Azul sourit de nouveau, restant derrière, laissant Chlorak et Phila prendre le milieu de la file. Il avait les bras toujours croisés, mais dans une attitude bien plus amicale.
Arriver jusqu'à la tente de Sky ne fut pas chose aisée. Entre le réveil de Lina et l'arrivée des deux inconnus, le camp avait commencé à se réveiller et tout le monde fixait les intrus avec de grands yeux, ou interrompait la jeune femme pour lui demander le pourquoi du comment. Pressée, la jeune femme se montrait sans doute plus sèche qu'elle ne l'aurait dû, puisque des regards courroucés ne tardèrent pas à suivre le trajet du petit groupe. Mais cette dernière ne s'en préoccupait pas. Elle avait autre chose à penser que les egos blessés de ses subordonnés pour le moment.
La générale était dans sa tente, en compagnie de Corbeau et Erin qui visiblement avaient décidé de partager une friandise wakilienne de bon matin. Les deux morceaux d'un petit pain fourré à la confiture de mûres et recouvert d'amandes effilées dans leurs mains poisseuses de sucre témoignaient de leur soudaine envie de se faire plaisir. La jeune femme soupira en voyant leurs expressions de gamins pris en faute, puis écarté largement le pan de la tente servant d'entrée, afin de faire passer les deux nouveaux venus.
« – Ma générale, nous avons de la visite. Visiblement importante.
– Pas qu'un peu, renchérit la voix sèche d'Azul derrière eux. Si je puis me permettre, vous êtes dans le fumier jusqu'aux étoiles, générale Senerum. »
La métamorphe fronça les sourcils devant la phrase du capitaine, et fit signe aux deux autres de rentrer. Regardant partout autour d'elle, Phila fut la première à entrer, suivie d'un Chlorak qui vu la brusquerie de son mouvement venait d'être poussé dans le dos pour parer à son manque de coopération. Allant s'asseoir, la jeune femme fixa les deux nouveaux venus avec circonspection, espérant ne pas voir se confirmer ses craintes. Corbeau et Erin lui jetèrent un regard interrogateur, ce à quoi elle répondit pas un haussement d'épaules. Non. Elle n'en savait pas plus qu'eux.
Sky attendait, la première à parler fut donc Phila, qui sans broncher et avec une expression dénuée d'émotion, lança d'une voix claire :
« – Nous sommes en voyage dans l'arrière-pays, au niveau des montagnes au Nord, et depuis quelques temps il y a de plus en plus d'agitation dans le coin. D'après les taverniers des villages proches, du moins ceux qui existent encore, c'est le vrai branle-bas de combat chez ceux qu'ils appellent l'ennemi.
– Les clichés, sûrement, soupira Sky, on a pas de base dans le nord. Mais ça, Azul nous l'avait dit. Il y a autre chose? »
Lina se pencha vers elles, les poings serrés. Pitié, que cet autre chose ne soit pas trop grave...
« – Il ne nous aurait sûrement pas traînés ici si ce n'était que ça, fit Phila en jetant un regard vers son guide. Nan, en fait, j'ai été voir l'emplacement de leur campement, histoire de me faire une idée sur ce qu'il fallait éviter comme uniforme. Et j'ai entendu les soldats discuter d'un plan pour prendre une grande ville dont je n'ai pas entendu le nom, avec l'aide de troupes providentielles.
– J'étais à peu près soumis aux mêmes circonstances, » grogna Chlorak, sans faire attention à la bombe que venait de lâcher la femme et qui avait figé les visages des quatre chefs de l'armée dans une expression horrifiée.
Les nouvelles venaient de briser la fausse impression de sécurité qu'ils venaient de reconstruire, et Lina, tout juste soulagée, n'en était que plus atteinte. Cela n'en finirait donc jamais? Il lui paraissait évident, à elle, que la grande ville en question serait Wake'li. Quitte à mener une attaque de grande envergure alors qu'on est en train de perdre, autant tenter le tout pour le tout. Et cette histoire de troupes providentielles... Il ne manquait plus que ça!
La voix de Chlorak arracha la jeune femme à ses pensées. Il lui fallait des informations, vite. Pour se rassurer, contre-attaquer, n'importe quoi.
« D'après les chefs des camps que moi j'ai traversé, ils attendent que votre méfiance s'endorme en vous cédant les alentours de votre base. Mais les fameuses troupes dont parlait Phila s'accumulent aux plus importantes forteresses du Nord, préparant armes et magie. Et il n'y a presque plus âme qui vive autre qu'ennemie passé un certain point. Les habitants des villages du nord ont préféré s'allier avec les clichés que de se faire tuer, et plusieurs fois j'ai dû m'enfuir du coin à toutes jambes.
– Une chose est sûre, ce n'est pas de leur plein gré, grommela Azul. J'ai rencontré Phila et Chlorak car ils faisaient partie d'un groupe de fugitifs. Les villageois ont juste pu me parler d'une attaque sur leur population, et de chantage auquel ils ont refusé de se plier. Mais ces deux-là avaient des informations suffisamment intéressantes pour que je vous les ramène en personne. »
Les deux concernés plissèrent les yeux, et Chlorak grogna, pointant un doigt accusateur sur l'empereur des Mers.
« – Tu m'as surtout traîné de force, crétin! Je maintiens que tu pouvais transmettre ces renseignements sans moi, j'ai des choses à faire, moi! »
Sans se préoccuper du jeune Sram, Azul soupira, s'appuyant contre un des piliers de la tente en croisant les bras, l'air détendu. Seuls ses rides de souci témoignaient de son anxiété.
« – Vous pourrez les questionner plus tard, et en faire ce que vous voulez après, les recruter, les laisser tranquille, les remercier, qu'en sais-je. Mais en tout cas sachez qu'une chose est sûre, si on ne se grouille pas, il n'y aura pas que le Nord qui tombera entre les mains de l'ennemi. »
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top