Chapitre 1, partie 1
Les hurlements de douleur et les pleurs étouffés des villageois ne tardèrent pas à attirer l'attention des passants de l'une des places principales encerclant le palais royal, la place du Roman d'amour. La vue de l'édit, tamponné du sceau du roi Style et encadré de noir, posté sur tous les murs de cette place, détonant sur les murs roses et les guirlandes de fleurs, faisait s'interrompre chaque couple qui passait, main dans la main, pour regarder l'incongruité du paysage pourtant si innocent. Les autres places étaient probablement elles aussi recouvertes de ces annonces solennelles, mais ici, sur le lieu de l'Amour, les mauvaises nouvelles étaient les moins bienvenues. Et alors que chaque habitant lisait l'écrit, agité par des émotions diverses, certaines réactions se détachaient plus que d'autres au milieu de l'atmosphère d'incrédulité de la population d'apparence si joyeuse. Certains pleuraient. D'autres priaient. Et certains, plus rares, se contentaient de dissimuler un fin sourire derrière un masque de douleur très crédible.
L'écriture élégante et solennelle de l'édit transmettait ceci à la population Wattpadienne en émoi:
Wattpadiens, Wattpadiennes,
Moi, le roi Style de Wattpadia, vous invite aux funérailles de son Altesse le prince Orthographe, qui je pense aura été pour beaucoup d'entre vous un prince et un ami fidèle jusqu'au bout.
Il était toujours là pour vous rappeler la présence de vos erreurs, répondait toujours présent lors de ces moments ou vous appreniez à orthographier, l'honorant de vos progrès, et était sans cesse présent telle une ombre rassurante lorsque vous souhaitiez écrire un message ou faire un quelconque tag sur les murs de notre capitale, histoire de faire, comme nos ennemis les clichés le disent si bien, le «thug».
Mon fils, votre prince, a été assassiné le 13 Octobre 3654 par un de ces virus qui empoisonnent notre beau royaume de Wattpadia, probablement l'un des héros d'une de ces fictions qui créent des univers clichés et peuplés de gens qui ne reconnaissent pas sa nécessité.
Suite à cet acte, que je n'hésiterai pas à qualifier de barbarie pure, après les funérailles se tiendra un appel à témoin pour retrouver le ou les assassins.
J'espère vous y voir nombreux.
Le roi Syle de Wattpadia
Annoncée de la sorte, ajoutée aux drapeaux en berne de l'immense bâtisse que tous croyaient si sécuritaire, la nouvelle remplissait d'effroi le cœur de tout bon Wattpadien et même ceux qui n'étaient là que de passage, issus d'univers rattachés au royaume, ne pouvaient s'empêcher de craindre pour eux.
Orthographe mort, le pouvoir de la famille royale s'atténuait dans la pire période pour le faire, en plein milieu d'une guerre déjà à moitié perdue. Pire encore, il avait été tué par les clichés. Alors que les clichés n'étaient pas censés pouvoir s'approcher de leurs ennemis héréditaires, les allégories littéraires. Aujourd'hui, cet acte avait brisé dans le cœur des Wattpadiens de la capitale ce faux sentiment de sécurité qui les habitait depuis tant d'années, et avec les sourires sur les visages du peuple disparaissait leur totale confiance en leurs souverains. Car après tout, si l'héritier du trône avait pu être tué en plein cœur du palais, pourquoi le roi, pilier doux et incassable, ne pourrait il pas être aussi ciblé? Pourquoi la reine, leur bien-aimée reine, indomptable et généreuse, ne pourrait elle pas se retrouver, un jour ou nul ne s'y attendait, baignant dans son sang et le visage dénué de toutes ses belles couleurs, simple cadavre vidé de la plus belle âme que n'avait jamais servi un wattpadien? Tous aimaient leurs suzerains, et tous désormais ne pouvaient plus que prier pour que leurs vies soient épargnées.
Cependant, quelque chose d'autre remplit d'effroi le cœur du peuple paniqué.
Le rire.
Le rire horriblement aigu de plusieurs des habitants, de superbes filles blondes ou brunes à la plastique parfaite, d'une beauté à tel point surnaturelle qu'elle en devenait presque effrayante, qui remuaient leurs doigts manucurés avec une excitation qui semblait croissante et qu'aucune ne cherchait à dissimuler. Un rire empli de jubilation à la vue de l'édit, accompagné de gestes presque trop gracieux pour être réels, et d'expressions du visages si belles que cela en devenait terrifiant.
« Orthographe est enfin mort? Voilà une excellente nouvelle!
– Nous allons bientôt regagner le pouvoir qui nous est dû! »
La bande de jeunes filles qui prononçait ces horribles paroles sur un ton aigu qui se voulait chantant, terrifiant les habitants qui se tenaient à bonne distance, ne tarda pas à attirer l'attention d'une femme d'apparence très juvénile, qui aiguisait un fin couteau d'argent non loin, l'air de ne pas être concernée par toute cette agitation. Un relent de parfum qui semblait très cher lui fit froncer le nez et cette dernière releva la tête, remettant en place une de ses longues mèches noir corbeau qui avait glissé sur son visage pointu pour écouter ce que disait l'étrange groupe.
Et au fur et à mesure que les filles parlaient, elle se sentait agitée d'une colère de plus en plus grande, prête à ouvrir la gorge de ces choses qui ne pouvaient être que des clichées. Des clichées ici, en pleine capitale, empuantissant les lieux sacrés de leur répugnante aura. Sans compter leurs produits de toutes sortes. La mort d'Orthographe commençait déjà à se ressentir au sein du royaume et ce qui les attendait l'horrifiait.
Bientôt, la petite brune n'en put plus. Serrant les dents avec forces, les doigts serrés en un poing, elle se releva et se dirigea vers les filles avec détermination, prête à faire son travail de purification par carnage de ces aberrations. Mais une main posée sur son épaule avec fermeté la retient, l'immobilisant avant que les clichées ne la voient, couteau en main, cet air fou sur le visage, avide de verser leur sang.
La fille se retourna vers celui qui avait osé la retenir, prête à lui couper la main en guise de punition. Son visage tordu de dégoût et de colère affichait une répulsion du contact physique qui allait loin, très loin. Surtout lorsque ce contact l'empêchait de faire subir à une bande d'anomalies leur juste châtiment. Mais elle se stoppa en s'apercevant que le visage du jeune homme qui l'avait retenue, probablement quelqu'un de son âge ou environ, était lui aussi crispé par les mêmes émotions qu'elle, tourné vers les clichées qui riaient de plus en plus fort. Ces dernières continuaient à répandre leur venin aux alentours, riant d'une mort innocente, s'attirant des regards apeurés de la part des habitants qui commençaient à se cacher dans des coins divers et variés. Derrière un banc recouvert d'échardes rosées, sous un bouquet de fleurs, à côté d'un pilier de marbre blanc gravé. Tout plutôt que de s'approcher des clichés.
L'importun se pencha vers celle qu'il retenait, bien plus petite que lui, afin d'être à sa hauteur, faisant fi de son mouvement de recul instinctif. Sa paume se desserra légèrement sur l'épaule de la jeune fille, relâchant le tissu de sa veste en cuir noir.
« Faire ça ne te vaudra rien. Ces choses sont partout et même l'abolition des châtiments décrétée par Sa Grâce Intrigue si la victime de sévices est un cliché ne les empêche pas de proliférer. »
La jeune femme grinça des dents à l'entente de ce qui était pourtant un sage conseil. Elle se stoppa malgré tout dans son avancée, des insultes prêtes à s'échapper d'entre ses lèvres fines. Et se dégagea de la poigne de celui qui la retenait. Ce dernier soupira et remit sa main dans les poches de son manteau blanc, tout en haussant les épaules avec une lassitude agacée, le regard tourné vers les filles qui tentaient à présent de se recoiffer.
« Je comprends ta colère, mais il faut une opération de grande ampleur pour déstabiliser ces choses. De plus, il paraît qu'elles commencent à s'organiser...
– Lorsqu'on est poli, on se présente. Je suis tout à fait d'accord avec toi mais les discours passent après la bienséance. »
L'homme sourit devant le ton rude de son interlocutrice et son expression empreinte de brutalité, un ton qui prouvait qu'elle ne devait pas utiliser ces fameuses règles de bienséance tous les jours. Malgré tout, il s'exécuta avec une galanterie amusée, triturant la plume noire piquée dans ses cheveux tout aussi foncés.
« – Enchanté. Moi, c'est le Chevalier Corbeau, voyageur de mon état et Archimage glacial. Et toi?
– Lina Blackheart, marmonna la jeune femme. Voyageuse aussi et cardinale de l'Église de le Création. En pèlerinage. Même si je ne m'attendais pas à tomber là-dessus en pleine capitale. »
Les deux se serrèrent la main, avec une légère grimace de la part de Lina qui s'empressa de retirer ses doigts dès que ça lui parut approprié avant de ranger le couteau qu'elle aiguisait dans un fourreau accroché à sa jambe gauche. Son interlocuteur quant à lui semblait avoir peu envie d'entretenir une quelconque conversation badine, puisqu'il en vint directement au vif du sujet.
« – Ces trucs prolifèrent depuis quelques temps, et ça va être pire avec l'assassinat de l'héritier du trône. Mais Sa Majesté Style ne peut rien faire de plus que ce qu'il fait déjà. À savoir lever son armée à laquelle personne ne veut se joindre. Ils ont tous peur.
– Personne ne veut s'engager?!? S'exclama la jeune femme. Mais c'est insensé! C'est de l'avenir du royaume dont on parle là!
– Je sais bien, fit Corbeau. Mais on peut rien y faire. À moins que tu n'arrives à convaincre Style de former une nouvelle armée avec les habitants des autres univers, c'est impossible de faire quoi que ce soit.»
Cette assertion prononcée sur un ton de regret fit jurer la jeune femme, qui se mordit l'ongle avec violence, grognant contre l'impuissance qu'elle ressentait en cet instant précis. Avant qu'elle fixe son interlocuteur avec de grands yeux brillant de détermination, l'air d'avoir trouvé de quoi se débarrasser de ce ressenti.
« Eh bien c'est exactement ce que je vais faire. »
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