Chapitre 65
Le lendemain, l'humeur générale de la Colonie des Sang-Mêlés était plus légère. Bien sûr, nous avions tous perdu des amis, des frères, des sœurs. Mais nous avions gagné la bataille contre Gaia, nous avions droit de fêter ça.
J'essayais tant bien que mal de me remettre de la mort de Leo. Je savais qu'il n'aurait jamais voulu que je me morfonde à cause de lui. Il aurait voulu que je continue ma vie, comme j'aurais voulu qu'il continue la sienne si j'étais morte avant lui.
La journée est passée vite, contrairement à celles des derniers mois. Entre les romains et les grecs qui montaient le camp de fortune des légions, les guérisseurs du bungalow d'Apollon qui s'évertuaient à soigner tout le monde – l'infirmerie était pleine –, nous n'avions que très peu de temps pour nous apitoyer sur notre sort.
Lorsqu'est venu le soir, nous nous sommes tous réunis autour du feu de camp, grecs et romains, anciens ennemis devenus amis. La Colonie avait toujours été bondée l'été, aujourd'hui cette impression était encore plus renforcée. Nous étions des centaines de pensionnaires, tous réunis, riant les uns avec les autres comme si nous nous connaissions tous depuis des années. Même moi, j'avais retrouvé le sourire. Je n'oubliais pas Leo, loin de là, mais la bonne humeur des demi-dieux était contagieuse.
Dans les rangs, l'entraîneur Gleeson Hedge criait à qui voulait l'entendre qu'il était fier de son petit garçon. Mellie, la nymphe de nuages, semblait fatiguée mais néanmoins satisfaite. J'étais étonnée de voir Clarisse Larue aux côtés de la famille Hedge, comme un garde du corps personnel. J'avais toujours pensé que cette fille était le diable incarné, alors pourquoi aurait-elle protégé quiconque que ce soit ?
Et puis est venu le temps des offrandes. Ça faisait une éternité que je n'en avais plus fait, à cause de mon voyage à bord de l'Argo II. Aussi, j'ai jeté une brochette dans le feu en priant non pas mon père mais Hadès, seigneur des Enfers.
– Hadès, mon oncle..., ai-je chuchoté. Aide-moi, je t'en prie... Si tu croises Leo aux Champs Élysées, dis-lui que je l'aime.
Lorsque tout le monde a eu jeté dans le feu ses offrandes et prononcé ses prières, nous nous sommes rassis. Chiron a porté un toast.
– De toute tragédie naît une force nouvelle. Aujourd'hui, nous remercions les dieux pour cette victoire. Aux dieux !
Nous avons repris en choeur :
– Aux dieux !
Mais je sentais que l'envie n'y étais pas. Nous avions perdu tant de proches pour sauver les dieux, pourquoi fallait-il les remercier ?
– Et aux nouvelles amitiés, a ajouté Chiron avec un sourire malin.
Cette fois, nous avons repris son toast avec beaucoup plus d'entrain, grecs comme romains.
Bien sûr, nous n'avons pas dérogé à la coutume. Il a fallu chanter les chansons du feu de camp, à commencer par Mamie met son armure, ainsi que toutes les autres. Je n'arrivais pas à mettre une autre émotion que de la tristesse dans mes paroles, car le souvenir de Leo se plaignant qu'il n'aimait pas chanter revenait sans cesse à ma mémoire.
À côté de moi, Percy posait sa main sur mon épaule à intervalles irréguliers, comme pour me prouver que quoi qu'il arrive, il était là. Ça me réchauffait le cœur, un peu.
Assis de l'autre côté, Nico se tenait à une distance raisonnable de moi, même si sa présence me rassurait. Il m'avait tant aidée, à me sociabiliser, à rester forte quand Percy avait disparu... Il était la première personne à qui j'avais parlé de mes doutes quant à mes sentiments envers Leo, juste avant le début du voyage. Je lui étais redevable, bien plus qu'il ne l'imaginait.
Enfin, les prêteurs romains ont été appelés pour parler. Frank et Reyna se sont donc avancés devant la foule de demi-dieux, applaudis par tous.
– Demain, a commencé la fille de Bellone, nous les romains devrons rentrer chez nous. Nous vous remercions de votre hospitalité, d'autant plus que nous avons failli vous tuer...
– Que vous avez failli vous faire tuer, a protesté Annabeth, assise à côté de Percy.
Il y a eu des huées, mais rien de méchant. On sentait bien que les demi-dieux, quels qu'ils soient, s'amusaient de ne pas savoir qui, du Camp Jupiter ou de la Colonie des Sang-Mêlés, aurait remporté la bataille.
– En tout cas, Reyna et moi sommes d'accord que cela marque le début d'une nouvelle ère d'amitié entre les camps.
Je me suis tournée vers Nico.
– Et Octave va laisser faire ça ?, ai-je chuchoté. Où est-il, d'ailleurs, cet imbécile d'augure ?
Le fils d'Hadès a écarquillé les yeux.
– Personne ne t'a dit... Ah, oui, tu es restée inconsciente longtemps. Octave s'est sacrifié pour éliminer Gaia. Il s'est mué en projectile de feu et a fondu droit sur la déesse de la terre, créant l'explosion qui l'a détruite.
Mon cœur s'est serré, non pas à l'idée de la mort du romain, mais plutôt à cause de ce que cela représentait. Alors le projectile hurlant qui avait percuté Leo, c'était l'augure ? Et s'il n'avait pas frappé Festus en plein vol, mon meilleur ami serait-il encore en vie ?
Nico a grimacé.
– Mila, je sais ce que tu penses. Je suis d'accord. Octave était loin d'être un héros, et il ne le sera jamais à mes yeux. Si ça peut te rassurer...
Il a hésité et s'est penché vers moi, comme pour murmurer quelque chose dans mon oreille.
– Ce n'était pas un sacrifice voulu par Octave. Il s'était accroché la toge dans l'onagre, et Will, Michael Kahale et moi-même l'avons laissé faire.
Nous sommes revenus à la réalité alors que la foule applaudissait une nouvelle fois. Je n'avais pas entendu ce qu'avaient dit les prêteurs, mais cela semblait combler de joie la totalité des demi-dieux présents.
– Vous êtes tous les bienvenus au Camp Jupiter, a dit Frank en souriant. Nous avons passé un accord avec Chiron : liberté d'échanges entre les camps – pour des week-ends, des séjours de formation et, bien sûr, une aide d'urgence en cas de besoin...
– Et des fêtes ?, a demandé un demi-dieu romain aux lèvres tâchées d'un liquide rouge.
– Oui !, a crié Connor Alatir, du bungalow d'Hermès. Oui !
– Ça va sans dire, a confirmé Reyna en souriant. C'est nous, les romains, qui avons inventé la fête.
Il y a eu une nouvelle vague de huées.
– Alors, merci. Merci à vous tous. Nous aurions pu opter pour la haine et la guerre. À la place, nous avons trouvé la voie de la tolérance et de l'amitié.
Sur ces mots, Reyna s'est tournée vers nous. Elle a marché à grands pas dans notre direction, a saisi Nico par la main et l'a forcé à se lever. Puis elle l'a entraîné avec elle, au beau milieu de la foule, et l'a serré dans ses bras.
– Nous avions une seule maison, a-t-elle déclaré. Désormais nous en avons deux.
J'ai été la première à applaudir, immédiatement suivie par le reste des gens présents. J'étais heureuse pour le fils d'Hadès. Il avait l'air plus sûr de lui, moins sombre, moins taciturne. Il venait de répondre à l'accolade de Reyna sans hésiter, devant les centaines de demi-dieux présents. Il avait changé. Nous avions tous changé.
Peu à peu, le calme est revenu autour du feu de camp. Puis il a fallu aller se coucher, chacun dans nos bungalows, mis à part les romains obstinés à dormir dans leur camp de fortune dressé dans le champ de fraises.
Percy et moi nous sommes trouvés seuls dans le bungalow trois, et à peine me suis-je assise sur mon lit que les larmes ont commencé à couler.
La journée, ça allait plus ou moins. Si j'étais occupée, je n'avais pas le temps de penser à Leo. Mais le soir...
Comme la veille, mon frère s'est assis sur mon lit et m'a bercée dans ses bras. Il ne disait rien, mais parfois le silence vaut mieux que les mots.
Comme la veille, j'ai fini par m'endormir dans cette position, rassurée par le contact de ce frère que j'avais perdu de vue pendant des mois entiers, avant d'être catapultée dans une guerre effroyable.
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