Chapitre 60
J'ai atterri la tête la première dans l'eau et j'ai senti mon corps geler. Nous avions beau être en plein été, l'eau était froide, et même si mon corps et mes vêtements n'étaient pas mouillés, j'étais frigorifiée.
Je crois que j'aurais bien pu me laisser couler, et rester sous l'eau jusqu'à ce que je me transforme en écume – était-ce possible, pour un enfant de Poséidon ? –, mais le visage de Leo s'est imprimé sur ma rétine avec la luminosité maximum.
Avec les forces qui me restaient dans les jambes, j'ai battu des pieds pour remonter à la surface. L'air chaud a claqué mon visage, et l'odeur des champs de fraises en été m'a indiqué que j'étais enfin rentrée chez moi.
Tout autour de moi, la guerre faisait rage. Les demi-dieux de la Colonie des Sang-Mêlés et du Camp Jupiter ne semblait qu'une seule armée, qui se battait à corps et à cris contre une horde de monstres. Je savais que c'était l'oeuvre d'Octave, que c'était lui qui avait réuni tous ces monstres pour en faire des alliés du Camp Jupiter contre la Colonie. Mais à présent, ils s'étaient retournés contre leur pseudo-chef, ce que tout le monde aurait pu prévoir.
J'ai nagé jusqu'à la rive – heureusement assez proche – et j'ai aussitôt dégainé Alétheia. Puis, rassemblant le peu de courage que j'avais, j'ai plongé dans la bataille.
J'ai aussitôt été assaillie par deux telchines, ces monstres moitié humains, moitié chiens, moitié phoques. Comment ça, trois moitiés ça fait pas un être entier ?
Avec un cri féroce, j'ai décapité le premier telchine d'un coup de lame, puis je me suis tournée vers le deuxième. Il était plus grand, et plus monstrueux. Ses yeux globuleux et noirs me fixaient avec avidité, comme s'il se demandait quel goût pourrait avoir une fille de Poséidon.
J'ai fait un pas en avant, mais le monstre a reculé et mon épée n'a tranché que de l'air. Deuxième pas, deuxième échec. J'allais en faire encore un autre lorsque le telchine a chargé. Trop éberluée pour réagir, je ne l'ai esquivé qu'à la dernière minute, et une de ses griffes pointues m'a égratigné le bras.
D'un mouvement circulaire contrôlé, j'ai tranché la taille du monstre, qui est tombé en poussière. Mais il restait encore beaucoup d'ennemis, et j'avais l'impression que la boue aspirait mes baskets, ce qui n'avait rien d'étonnant puisque Gaia était réveillée. Je m'étonnais d'ailleurs de ne pas la voir tout détruire.
Une vague de chaleur m'a traversée, et en me retournant vers sa source j'ai compris pourquoi la déesse de la terre n'intervenait pas. L'Athéna Parthénos reposait sur le sommet de la colline de la Colonie, étincelant sous le soleil. Elle semblait étrangement sereine, mais aussi sévère, comme si elle regardait l'étendue face à elle pour savoir qui elle allait piétiner.
La statue rayonnait, littéralement, aussi j'en ai déduit que c'était son pouvoir qui tenait Gaia à distance. Mais que pouvait Athéna et sa statue face au pouvoir millénaire d'une déesse aussi vieille que Gaia elle-même ?
Je m'apprêtais à retourner dans la bataille quand une tâche rousse a attiré mon attention. Un sourire a éclairé mon visage et je me suis précipitée vers la plage.
– Moana !, ai-je crié.
La jument a henni en secouant sa tête.
Enfin ! Je me demandais quand tu me verrais, et même si tu me verrais.
J'ai ri. Je n'aurais jamais pensé rire au beau milieu d'une guerre, mais la présence du pégase me remplissait vraiment de joie.
– Je pensais que tu aurais eu plus de jugeote, ai-je répondu en haussant les épaules. Que tu te serais cachée en attendant la fin du monde.
Le pégase a soufflé par les naseaux.
Me cacher ? Pendant que tu te bats et risques ta vie ? Je suis là pour te protéger, tu te souviens ?
J'ai souri. Je ne savais toujours pas qui exactement m'avait envoyé Moana, mais je soupçonnais fortement mon père. Peut-être qu'au fond, même si je n'étais pas aussi puissante que Percy, mon père m'aimait.
J'allais répondre au pégase, mais un coup de museau m'en a empêché.
Dépêche-toi, monte, a dit la jument en hennissant d'un air moqueur.
Je me suis exécutée, comme je l'avais fait si souvent à la Colonie, lors des cours d'équitation à dos de pégase, et j'ai passé une jambe de chaque côté de la jument. De ma main libre, j'ai empoigné la crinière couleur de feu de Moana, et j'ai brandi Alétheia.
– Prête ? On y va !
Moana a décollé, ses ailles puissantes battant l'air avec force, et nous avons survolé la bataille.
L'avantage d'être en vol sur un pégase, c'est qu'elle pouvait descendre à basse altitude le temps que je tue quelques ennemis là où il y en avait le plus besoin, et remonter en flèche pour échapper à la colère des monstres.
L'inconvénient, c'est que le ciel était le terrain de jeu des monstres volants tels que les griffons. Il n'y en avait peut-être pas beaucoup, et j'avais peut-être la chance de ne pas avoir été encore repérée, mais dès qu'ils m'auraient aperçue, ils fondraient sur moi sans hésitation.
En bas, les romains, en parfaite formation, suivaient les ordres de Reyna et de Frank. La prêteur était vêtue d'une étrange cape pourpre, ressemblant fortement à l'égide d'Athéna. Quant aux grecs, cette famille désordonnée, ils avaient attaqué en parfaite non formation les monstres, au cri de ralliement de Percy :
– Grecs ! Allons, euh, casser du monstre !
Mon frère était stupide, mais son appel a résonné dans le champ avec force. Les grecs ont déboulé, heureusement pour se battre aux côtés des romains et par contre.
Malheureusement, la voix de Gaia a empli l'espace également :
JE SUIS RÉVEILLÉE !
La terre a bougé, et j'en ai senti la vibration même depuis l'air. Toute la boue s'est rassemblée sur la colline, formant une silhouette de géante aux allures de forêt ambulante.
Petits imbéciles, a ragé Gaia. La magie dérisoire de votre statue ne peut pas me contenir.
J'avais donc bien deviné, concernant l'Athéna Parthénos. Elle nous protégeait du mieux qu'elle pouvait de la colère de la déesse de la terre.
– Tenez bon !, a crié Piper à la foule de demi-dieux qui attendait sans bouger, sidérée. Grecs et romains, nous pouvons la battre ensemble !
Je sentais son enjôlement agir. J'avais envie de me jeter dans la bataille et de tailler Gaia en pièces.
– La terre tout entière est mon corps, a rappelé la Terre-Mère avecun rire moqueur. Comment voudriez-vous combattre la déesse de...
Il y a eu un grand bruit qui a englouti la fin de la phrase de Gaia, et une créature métallique l'a attrapée dans ses griffes de bronze. Avec un sursaut, j'ai reconnu Festus. Ce qui voulait dire que...
– Pip's ! Jason ! Vous venez ?, a crié Leo Valdez, perché sur le dos de son dragon et bien vivant. C'est là-haut que ça se passe !
Les deux se sont exécutés, montant derrière Leo, et j'ai demandé à Moana de s'approcher du dragon de bronze.
– Leo !, ai-je dit. Qu'est-ce que...
– Il faut que tu me fasses confiance, Mila, a répondu Leo.
De son côté, Jason essayait de convaincre Percy qu'il fallait que ce soit eux trois qui s'occupent de Gaia, et que le reste de l'Argo II devait rester à terre.
Alors, comme si le monde lui donnait raison, les monstres se sont comme remis en marche et ont fondu sur les troupes de demi-dieux. Percy a foncé dans le tas, avec Annabeth, et Hazel et Frank ont fait de même après avoir adressé un salut romain à Jason.
– Mila, est-ce que tu me fais confiance ?, a demandé Leo, l'air totalement sérieux.
J'ai soupiré. Je ne savais pas ce qu'il avait prévu, et ça ne me plaisait pas du tout. Mais je le connaissais assez pour savoir qu'il était vraiment sérieux.
– Je te fais confiance, ai-je dit.
Il a souri et, sans rien dire de plus, il a fait signe à Festus de s'élever. Le dragon de métal a obéi, Gaia toujours entre ses pattes. Quant à moi, j'ai plongé dans le combat.
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