Chapitre 58

Lorsque j'ai vu les dieux ouvrir le ciel, découvrant une nuit étoilée devant laquelle brillait le Mont Olympe, et descendre jusqu'à l'Acropole, j'ai eu un regain de courage.

Que faisais-je toujours à bord du bateau ? J'étais inutile ! Il devait y avoir une raison pour que les Parques me désignent comme la Huitième. Je faisais partie de cette quête, et il était hors de question que je laisse mes amis seuls en bas. Leo pourrait se débrouiller aux commandes de l'Argo II, mais je ne laisserais pas tomber mon frère et le reste de l'équipage.

– J'ai recouvré mes esprits !, a hurlé Niké en sortant de l'écurie, enfin relâchée. Victoire aux dieux !

Ça ne pouvait vouloir dire qu'une seule chose : Reyna, Nico et Monsieur Hedge avaient réussi à amener l'Athéna Parthénos à la Colonie des Sang-Mêlés, mettant fin au schisme entre grecs et romains.

Les dieux étaient venus nous prêter main forte. Nous avions peut-être une chance de vaincre les géants, finalement.

Avec un cri de colère, j'ai fait une chose que je ne m'explique pas. Peut-être que la vue des dieux m'avait donné assez de courage pour ça, peut-être même que ce n'était pas totalement volontaire mais que je l'ai fait à cause de l'aura de pouvoir de ces derniers. Cependant, j'ai sauté par-dessus bord, Alétheia dégainée.

J'aurais pu m'écraser sur l'asphalte, en bas. J'aurais eu l'air maligne, en crêpe de demi-dieux aplatie. Pourtant, la gravité a semblé diminuer et j'ai atterri en douceur, pile poil au milieu du petit groupe composé de mes amis.

J'avais atterri avant les dieux, de sorte que l'ennemi était encore trop sous le choc pour me faire exploser en plein vol. Quand, enfin, les dieux olympiens ont mis pied à terre, ils ont repris une taille normale, et l'assaut a commencé.

Comme tout bon chef qui se respecte, Zeus a attaqué Porphyrion, avec l'aide de son fils Jason Grace. Des éclairs faisaient rage tout autour d'eux, menaçant quiconque se trouvait à proximité.

Derrière, Piper McLean et sa mère Aphrodite s'en prenaient à la géante Périboée, Piper à l'épée et sa mère lançant des colombes dans les yeux de la géante à chaque assaut qu'elle faisait.

Annabeth Chase, en compagnie d'une femme élégante aux cheveux blonds et aux yeux gris – Athéna, déesse de la sagesse et de la stratégie militaire –, se battait contre Encélade. J'aurais presque eu de la peine pour le géant, tant il se faisait anéantir. Presque.

De l'autre côté de l'Acropole, Hazel Levesque pourfendait les géants depuis le dos d'Arion. Derrière elle, Hécate assurait sa protection avec sa Brume, l'aidant à échapper aux géants qui s'approchaient trop. De plus, chaque ennemi abattu était aussitôt avalé par la terre. J'ai deviné qu'Hadès aidait, à sa façon.

Frank Zhang se battait comme un diable, transformé en éléphant. Chaque fois qu'il renversait un géant, Arès le transperçait de sa lance redoutable. Je n'avais jamais aimé Arès, le trouvant trop violent, mais pour une fois j'étais heureuse qu'il soit là. Les géants méritaient leur sort.

Percy, quant à lui, se battait sans conteste avec notre père. J'ai d'abord été prise de jalousie – pourquoi Poséidon favorisait-il mon frère ? –, avant de secouer mentalement la tête. Percy était beaucoup plus puissant que moi, et l'aide de notre père lui était plus utile qu'à moi. À eux deux, ils avaient pris d'assaut les géants jumeaux du Colisée, Otos et Éphialtès.

Trois vieilles dames que je n'avais jamais vues mais que j'ai soupçonné être les Parques – les Parques, par tous les dieux ! –, assommaient à coup de gourdins en laiton le géant rabougri contre qui se battait Percy auparavant.

D'autres dieux se battaient seuls, essayant d'affaiblir les géants pour que les groupes ainsi formés puissent les tuer. J'ai reconnu Déméter, Apollon, Héra, Dionysos, ainsi que d'autres dont les noms ne me revenaient pas à l'esprit.

Une déflagration a retenti et un projectile a réduit en fumée le géant le plus proche de moi. Levant les yeux vers l'Argo II, j'ai remarqué que Leo n'était plus seul sur le pont. Un homme barbu et trapu lui était venu en aide, et j'ai deviné qu'il s'agissait d'Héphaïstos.

Un détail m'a frappée avec violence : chaque demi-dieu se battait au côté de son parent divin, mais moi, avec qui allais-je me battre ? Poséidon était occupé avec Percy.

– Besoin d'aide, demi-déesse ?, a fait une voix derrière moi, me faisant sursauter.

Je me suis tournée pour me trouver nez à nez avec une fillette d'environ douze ou treize ans, aux longs cheveux bruns relevés en une queue-de-cheval haute. Elle avait des yeux argentés, une couronne d'argent tressé dans les cheveux, et elle était vêtue à la mode de l'antiquité : une robe blanche resserrée à la taille.

– Dame Artémis, ai-je dit en m'inclinant légèrement.

La déesse a souri, d'un vrai sourire franc et chaleureux. Je n'avais jamais rencontré Artémis auparavant, mais le fait qu'elle me sourie de la sorte et décide de se battre à mes côtés m'emplissait de fierté. Je savais qu'elle ne se battait qu'au côté des plus valeureuses guerrières.

À nous deux, nous avons chargé vers le géant le plus proche. Il ressemblait à ses confrères, des pattes de dragon aux cheveux entremêlés d'armes des demi-dieux tués au cours des millénaires. Sa peau couleur caramel et ses yeux noirs semblaient luire.

Pour une fillette de douze ans, Artémis savait redoutablement se servir d'un arc. Bien sûr, je savais qu'elle était âgée de plusieurs milliers d'année, mais voir une enfant plus jeune que moi en apparence se battre avec tant de hargne m'a redonné espoir.

Pour la première fois de ma vie, je n'avais plus peur. Cronos était un lointain souvenir, tout comme Luke et mes cicatrices. Je les sentais toujours dans mon dos, parcourant ma peau, mais elles me démangeaient comme pour me signifier que je pouvais en tirer mon courage, ma force.

J'ai poussé un rugissement, et deux geysers ont jailli à mes côtés, en même temps qu'une traction dans mon ventre. Suivant mes ordres, les deux ont encerclé le géant en le maintenant immobile.

Il s'est débattu, vraiment. Une jambe aux écailles couleur chair est sortie du cocon d'eau et m'a fauché les jambes, mais je me suis relevée. J'ai tranché la patte qui dépassait en hurlant, et le géant a hurlé de plus belle.

J'ai fait le geste d'écarter les mains, et les deux geysers se sont écartés à leur tour. Le géant anonyme contre qui je me battais est tombé au sol, de l'ichor dégoulinant de sa jambe blessée.

Alors, j'ai sauté. Je ne sais pas comment j'ai fait, peut-être que je tirais ma force de l'eau des geysers, peut-être que c'était une aptitude de demi-dieux, mais j'ai fait un saut de plusieurs mètres de haut. Je suis retombée pile sur le front du géant, qui a crié et a tenté d'abattre sa grosse main velue sur moi.

– Raté, ai-je raillé en évitant ladite main d'un saut latéral.

J'ai planté mon épée pile entre ses deux yeux. Au même moment, Artémis a décoché sa flèche, qui est allée se ficher dans le ventre du géant. Avec un hurlement de colère et de douleur, il s'est désintégré, et j'ai dû faire une roulade pour ne pas m'écraser par terre.

Simultanément, Zeus et Jason se sont élevés dans les airs, emportant Porphyrion avec eux. J'ai levé les yeux et contemplé, bouche bée, le seigneur du ciel et son fils pulvériser le roi géant en pleine chute du ciel.

Enfin, les combats cessèrent. Il ne restait plus aucun géant, plus aucun ennemi. L'Acropole était en ruines – plus qu'avant, je veux dire –, des flammes crépitaient ça et là. La poussière de monstre et de géant collait à nos chaussures, en trop grande quantité pour être totalement éliminée. Mais nous étions tous vivants. Épuisés, amochés, mais vivants.

Avec un bruit de bouchon qui saute, Héphaïstos et Leo sont apparus au milieu de l'Acropole. Pendant que Zeus et Jason redescendaient sur la terre ferme, nous nous sommes tous réunis, dieux et demi-dieux.

C'était un étrange assemblage, les sept plus grands héros et leurs parents divins. Un étrange groupe composé d'auras divines et dorées, mélangées à celles, beaucoup plus mortelles, de mes amis et moi. C'était presque comme si la chose était contre nature, ce qui était en fait un peu le cas.

– Tu t'es bien battue, demi-déesse, a dit Artémis en sortant un papier de la poche de sa doudoune argentée. Si un jour tu en as marre des garçons...

Elle m'a tendu le papier, l'air persuadée que c'était nécessaire, et je n'ai pu m'empêcher de couler un regard vers Leo. Nous avions tant traversé ensemble, lui et moi. Tous ces baisers échangés, ces moments d'intimité volés, ces quelques instants partagés avant la fin du monde...

J'ai néanmoins pris le papier et l'ai glissé dans la poche arrière de mon jean, comme si mes doigts étaient dotés d'une volonté propre.

– Mes frères, a alors tonné Zeus, et tous les visages se sont tournés vers lui. Nous sommes guéris, grâce au travail de ces demi-dieux. L'Athéna Parthénos, qui trônait jadis dans ce temple, se dresse maintenant sur la colline des Sang-Mêlés. Elle a uni notre progéniture, et uni ainsi nos propres essences.

– Seigneur Zeus, a alors lancé Piper, Reyna va-t-elle bien ? Et Nico, et Gleeson Hedge ?

– Ils ont mené leur mission à bien, a répondu le roi des dieux en fronçant les sourcils. À l'heure qu'il est, ils sont vivants. Quant à savoir s'ils vont bien...

– Il reste du travail à faire, a coupé Héra. Mes héros, vous avez triomphé des géants, ainsi que je l'attendais de vous. Mon plan a merveilleusement bien réussi.

– Héra, comment oses-tu te féliciter ?, a tonné Zeus en faisant crépiter un éclair. Tu as causé au moins autant de problème que tu en as résolu !

J'ai soudain eu envie de partir en courant le plus loin d'ici, ou de me cacher, au choix. Tout courage semblait m'avoir abandonnée, face à la colère du dieu du ciel.

– Mon époux, a bafouillé la déesse, tu comprends certainement que c'était le seul moyen.

Zeus a piqué une colère noire. Il a d'abord crié sur sa femme, avant de se tourner vers son fils Apollon, dieu du soleil. Il lui a reproché d'avoir succomber à la flatterie d'Octave, mais également d'avoir révélé la Prophétie des Sept trop tôt. J'avais beau être d'accord sur le premier point, je ne comprenais pas le second. Si la Prophétie des Sept n'avait pas été donnée l'été dernier, personne n'aurait su que les géants allaient se lever, et nous n'aurions jamais pu partir en quête pour sauver le monde. Quant à Gaia, elle se serait réveillée et aurait tout détruit.

Une seconde... Le souffle s'est coupé dans ma gorge. Gaia ne s'était-elle pas réveillée ? Ça m'a fait brutalement revenir à la réalité.

– Apollon n'était pas le problème, disait Jason. Le punir pour le réveil de Gaia, c'est déraisonnable.

J'ai retenu mon souffle. Si on apprenait une chose à la Colonie des Sang-Mêlés, avant toute autre, c'était qu'il ne fallait jamais, ô grand jamais, dire qu'un dieu avait tort. Encore moins s'il s'agissait de Zeus, le roi des cieux.

– Déraisonnable, a marmonné Zeus. Tu trouves le moyen de me traiter de déraisonnable devant l'assemblée des dieux.

J'ai serré Alétheia dans ma main. J'ai remarqué que mes amis en faisaient autant. Si le dieu se retournait contre son fils, je crois que nous étions tous prêts à nous battre.

Artémis a alors avancé, passant à côté de moi d'une démarche digne mais craintive. Je savais que Zeus la blâmait pour avoir gardé le contact avec ses Chasseresses.

– Père, a-t-elle dit en lançant un regard lourd de sous-entendus à Jason. Ce héros s'est battu longtemps et de toutes ses forces pour notre cause. Ses nerfs sont ébranlés. Nous devrions prendre ce facteur en compte. Comme tu l'as fait remarquer, Père, nous devrions certainement nous occuper de nos problèmes les plus pressants.

– Gaia, a enchaîné Annabeth, ses cheveux blonds retombant comme des spaghettis sur ses épaules. Est-elle éveillée ?

– C'est exact, a répondu Zeus. Le sang de l'Olympe a été versé. Elle est pleinement consciente.

Pour la deuxième fois en quelques minutes, ma respiration est restée bloquée et j'ai manqué d'air. Nous avions lamentablement échoué, et nous n'allions pas tarder à tous mourir, dieux comme demi-dieux.

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