Chapitre 3 : Rencontres
Le premier obstacle se dressant entre la capitale royale, Lumen, et le manoir d'Auralis était la forêt d'Incarnadin. Sous cette étendue que la civilisation n'avait pas encore domptée se trouvait un gisement de roches des plus étranges : en effet, cette roche, communément nommée Foraminis, comprenait de larges « trous » dans sa structure. Parfois, le sol s'effondrait sous la pression et de malheureux voyageurs tombaient dans un de ces « trous ». C'était la raison pour lesquelles ceux qui traversaient ces bois ne s'écartaient jamais du chemin, à la grande joie des nombreux bandits du coin, qui ne manquaient pas de délester tous ceux qui tombaient dans leurs filets sans escorte suffisante.
Le Foraminis était encore bien mystérieux aux yeux des géologues d'Arcaen, car il avait de nombreuses propriétés scientifiques dont nombre n'avaient pas encore été découvertes, et encore moins démontrées. Ainsi, la végétation qui poussait au dessus de ce gisement, notamment les oliviers de cette forêt, présentait des caractéristiques uniques, la plus remarquable étant la teinte rosée que prenaient ses feuilles en toute saison. De loin, on pourrait presque prendre ces arbres pour le moins particuliers pour des cerisiers en fleurs au printemps.
Mais ni la géologie ni le paysage enchanteur n'occupaient l'esprit de Wilhem. Ce qu'il voulait, lui, c'était de l'action. Un défouloir. Cela faisait déjà deux ou trois heures qu'il avait quitté le palais et pas le moindre brigand en vue. Irrité, il commença à jouer avec sa chevalière.
...Sa chevalière ?
"Coprolithe," grogna-t-il. "J'avais oublié."
Avant qu'il n'aie le temps de songer plus en détail à ce problème, la voiture s'arrêta brutalement, accompagnée d'un hennissement des chevaux.
Immédiatement, Wilhem se précipita dehors en s'écriant :
"Des bandits ?!"
A son grand dépit, il n'y avait visiblement pas de horde de malfaiteurs l'encerclant. Par contre, il distinguait un corps recroquevillé au sol au devant de la voiture. Toujours déçu, il s'avança tranquillement et demanda au chauffeur, qui été resté figé, en désignant le jeune homme à terre :
"Il est mort, ou... ?"
"Dieux, non ! ...N'est-ce pas ?"
Wilhem soupira avec exaspération et commençait à se pencher lorsque le garçon gémit.
"Dommage," lâcha cyniquement le prince.
"Eh, cette voiture est à vous ? Vous devriez faire plus attention, cette forêt n'est pas déserte, vous savez ?" protesta l'accidenté avec peu de véhémence tout en se relevant avec difficulté.
"Euuuuh... Désolé. Pas de blessures grave ou quelque chose du genre ?" tenta Wilhem.
"Apparemment, non. C'est vraiment un miracle. Bon, je devrais partir d'ici, avant que...
"Lukas Rohan !!!" hurla une voix.
"Avant que ça," compléta le jeune homme avec un sourire qui se voulait narquois. Cependant, ses yeux verts paniqués semblaient conter une autre histoire.
La voiture était encerclée par une douzaine de voyous. L'un d'entre eux, un homme robuste à la peau tannée et aux cheveux blancs qui semblait être le chef, pointa son doigt vers celui qu'il venait de nommer "Lukas".
"Tu as été l'un des nôtres. Je te laisserai mourir une mort honorable si tu rends le caillou que tu as volé au boss sans histoires !"
"J-j-je n'ai absolument aucune idée de ce dont vous parlez."
Wilhem haussa un sourcil. Lui qui avait grandi au milieu d'hypocrites, il n'avait jamais vu quelqu'un mentir aussi mal.
"Vu qu'ils veulent vous tuer, je suppose que ces messieurs..."
Un bruit de toux se fit entendre.
"...et ces dames ne sont pas vos amis ?"
"On... on peut dire ça comme ça ?" répondit Lukas.
"Donc, ce sont des bandits et ils vous attaquent ?"
"...Oui ?"
Un large sourire fendit les lèvres de celui que l'on surnommait la Terreur de Lumen. Il retira sa cape et la balança sur le siège du cocher.
"Tout le monde dans la voiture. Je vais faire une carnage."
Il détacha son sabre de sa ceinture sans le dégainer alors que le chauffeur rentrait à l'intérieur sans en demander son reste.
"Hum..." fit Lukas. "Ils sont une douzaine, armés, et éventuellement prêts à tuer. Je doute que même un guerrier aguerri puisse s'en sortir sans égratignure..."
"Tant pis pour les blessures ! C'est la seule occasion de me défouler réellement que j'aie depuis un moment, et je n'en aurais probablement pas d'autre avant longtemps !"
Une lueur d'exaltation dangereuse brillait dans les yeux du prince.
"Je... vois. Il n'empêche qu'ils sont après moi et que je ne voudrais pas que quelqu'un soit blessé par ma faute..."
"Faites ce que vous voulez ! Essayez simplement de ne pas vous mettre en travers de mon chemin."
"Euh... ne les tuez pas, si possible."
"Tuer ? Je ne suis pas une bête sauvage. Je ne vais certainement pas m'abaisser à leur niveau."
"Vous avez assez bavardé ?" grogna celui aux cheveux blancs qui semblait être leur chef. "Vous avez raté votre dernière chance. Préparez-vous à mourir ! Pour le boss !"
"Pour le boss !" firent ses sbires en écho avant de se lancer sur les deux garçons.
Wilhem pressa une sorte de bouton sur la poignée son sabre et des étincelles crépitèrent le long du fourreau.
"Qu'est-ce que..." marmonna Lukas.
"On y va."
Wilhem bondit. Littéralement. Son saut prodigieux lui permit d'atterrir sur les épaules du premier guerrier sur lequel il appuya le bout de son épée. Le bandit s'effondra avec des spasmes, mais Wilhem était déjà au dessus d'un deuxième, puis d'un troisième.
"Ne le laissez pas vous toucher avec son épée !" cria le chef.
Profitant de l'effet de surprise, Lukas lança son grappin sur la ceinture d'une femme et la tira vers lui, l'accueillant d'un coup de genou dans l'entrejambe. Sans attendre un instant, il la déséquilibra d'un coup de pied et lui envoya son poing dans la figure, l'assommant net.
"Pas mal," commenta Wilhem avant de se jeter au milieu d'un groupe de quatre bandits armés.
Sa perception était améliorée. Il sentait chaque mouvement de ses adversaires. Il parait et repoussait avec aisance ses ennemis en se déplaçant avec une vitesse incroyable. Coups de sabre, de poing, de pied, mouvements inconventionnels qu'il enchaînait avec une agilité spectaculaire et une force pleine de rage : le prince se sentait dans son élément. Les hypocrites, leur stupide fête, sa mère, le mariage, ses obligations, rien de tout ça n'existait dans l'instant présent. Seuls son corps qui bougeait systématiquement, son arme fermement ancrée à son bras, les mouvements de ses opposants et le son des lames fendant l'air existaient à cet instant.
Lukas, de son côté, était toujours en vie. Il se servait de son grappin pour s'accrocher aux branches des arbres et rester hors de la portée des brigands restants, mais il ne pouvait pas se contenter de fuir. Il fit tournoyer son grappin au bout de sa chaîne avant de l'envoyer violemment au visage de l'ennemi le plus proche, qui lâcha son arme sous le choc. Lukas en profita pour lui attraper le bras et le tordre jusqu'à entendre un craquement. Un coup de pied dans l'estomac l'envoya au loin et le blessé se recroquevilla au sol en hurlant. Le jeune homme se baissa lorsque deux autres se jetèrent sur lui avec leur battes et ils se frappèrent l'un l'autre, s'assommant net.
"C'est vieux comme coup, mais ça fonctionne toujours avec les idiots," fit Lukas.
Pendant ce temps, Wilhem faucha la jambe d'un épéiste et électrisa ce dernier en lui plaçant son arme dans le cou tout en esquivant les coups des trois autres. Il en chargea un deuxième à la poitrine, effectua une glissade pour passer entre les deux derniers et en frappa un dans le dos. Celui qui restait rugit en attaquant de haut en bas avec son épée. Wilhem bloqua le coup et augmenta la pression en se rapprochant. La lame de l'adversaire glissa le long de la sienne jusqu'à se coincer dans l'interstice entre la garde et le fourreau. Fourreau que Wilhem saisit de sa main libre et fit glisser afin de le détacher de la lame. Sans interrompre son mouvement, il l'enfonça dans le coté de son opposant qui ne tarda pas à s'effondrer lui aussi.
Wilhem se tourna vers Lukas, qui semblait lui aussi en avoir fini. Le jeune homme fronça les sourcils en rengainant son épée. Il avait l'impression d'avoir oublié quelque chose.
"Où est passé leur chef ?!"
Un rugissement de plein de rage se chargea de répondre à cette question :
"Lukas Rohaaaaann !!!!"
Lukas ne put retenir un sursaut qu'il contint bien vite et ne perdit pas de temps avant de tirer son grappin sur le chef des brigands. Celui-ci saisit le crochet qui filait vers lui à mains nues.
"Oh, punaise," eut simplement le temps de soupirer Lukas avant de se faire propulser dans les airs. Il percuta Wilhem qui avait à peine eu le temps de comprendre ce qu'il se passait et les deux garçons allèrent s'écraser contre un arbre.
Alors que Lukas se débarrassait fébrilement de son grappin, Wilhem se releva en gémissant, un peu sonné. Il plissa les yeux, tentant de distinguer quelque chose entre les points noirs et les lumières clignotantes, mais la seule chose qu'il vit fut une main qui se rapprochait de sa tête.
Le bandit se saisit du crâne du jeune prince et le fracassa contre le tronc dans un bruit peu rassurant.
"Je sais pas qui t'es, mais j'espère que tu te souviendras de ne pas te mettre en travers du chemin de Jean-Charles Péllé !" rugit-il. Il s'apprêta à écraser le visage de sa victime contre le bois une nouvelle fois, mais un cri l'interrompit.
"Attends !"
Le brigand se tourna vers Lukas, toujours à terre et désarmé, qui déglutit péniblement.
"Je... je connais pas ce type, il a rien à voir avec moi. Il m'avait juste renversé avec sa voiture. Je veux pas avoir sa mort sur la conscience. Écoute, JC, je te connais, t'es un quelqu'un de raisonnable, tu vas comprendre, j'ai pas vraiment volé la Soliera, j'ai juste..."
Un grand coup de pied dans l'entrejambe de JC vint achever ce discours des plus éloquents. Sous le choc, le bandit lâcha Wilhem qui s'étala sur le sol de la forêt. Lukas en profita pour se relever, se retourner et fuir à toutes jambes, mais JC le rattrapa par le col avant qu'il n'aie pu effectuer un seul pas. L'adversaire de Lukas le projeta au sol, avec qui il avait déjà quelques familiarités, avant d'aller sceller les mouvements du jeune homme en appuyant son avant-bras entre le coup et la poitrine de sa victime, faisant pression de tout son poids.
"Gah !" laissa échapper Lukas. JC faisait au moins deux fois sa taille. Il arrivait à peine à mieux respirer en repoussant le bras de toutes ses forces, sans même parler de se dégager. Il envoya une rafale de coups de pieds dans les parties du corps de son opposant qu'il pouvait atteindre, mais celui-ci ne bougeait pas d'un pouce.
Lukas sortit finalement une dague de nulle part et la pressa contre le cou de JC.
"Si tu me lâches pas, je te tranche la gorge," réussit-il à lâcher entre deux respirations paniquées.
"T'auras jamais le cran," rétorqua JC.
"C'est... vrai..." fit Lukas, à bout de souffle.
Il planta sa dague dans l'épaule de JC et la retira immédiatement tout en se dégageant d'un nouveau coup de pied. Il se releva et recula de quelques pas, lâchant sa dague.
Il tenta de reprendre sa respiration et ravala son envie de vomir à la vue du sang.
JC se releva. Il était encore d'attaque.
Pas Lukas. Il recula jusqu'à ce qu'il sente qu'il avait marché sur un objet dur, puis il s'arrêta, incertain quant à ses prochaines actions.
JC avança vers Lukas qui restait planté là, incapable de faire de l'ordre dans ses pensées.
Le bruit de deux objets creux s'entrechoquant le tira brutalement de cette torpeur. JC se retourna pour voir Wilhem qui semblait avoir réussi à viser juste avec le grappin de Lukas, même assis.
Ce dernier ne se fit pas attendre. Il se baissa pour ramasser le sabre à terre et l'enfonça entre les côtes de JC.
Le courant électrique se répandit dans tout son corps et il finit enfin par tomber au sol, vaincu et inconscient.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top