Chapitre 1 : Wilhem
"Le maréchal d'Ivergnon et sa famille !"
Pour la énième fois, Wilhem retint un soupir et afficha un sourire parfait.
"Bienvenue dans le Royaume d'Arcaen, messieurs. J'espère que votre séjour se déroule sans accroc et que vous prenez grand plaisir à découvrir notre merveilleux pays," déclara la reine. "Puissent l'alliance et la paix entre nos deux contrées durer encore de nombreuses années."
"C'est un honneur pour nous d'avoir été invités à la cérémonie d'ouverture de la Fête de la Paix," déclara le maréchal. "Puissent l'alliance et la paix entre nos deux contrées durer encore de nombreuses années."
Le prince d'Arcaen retint son souffle. Le prochain invité annoncé serait le dernier. Tant mieux, car il se sentait étouffer sous sa cape en hermine, enserré dans son col à la cravate bouffante et sous toutes ces épaisseurs de vêtements brodés. Le sabre cérémonial à sa ceinture lui semblait plus lourd que jamais et le haut de son dos lui envoyait des signaux de douleur assez inquiétants. Rien d'étonnant lorsque l'on savait que cela faisait quelque trois heures qu'il se tenait au même endroit sans bouger, raide comme un piquet, un sourire étincelant sur le visage alors même qu'il n'avait qu'une envie, se laisser tomber au sol face contre terre et rester là sans bouger pendant un long, long moment.
"La Grande-Duchesse de Rochecouard et sa fille !"
Wilhem tiqua en voyant l'immense perruque de la Grande-Duchesse, mais se reprit aussitôt.
"Ma chère amie ! J'ai cru ne jamais vous voir arriver. Quel plaisir de vous revoir, vous et votre ravissante fille ! Puissent les alliances et la paix d'Arcaen durer encore de nombreuses années."
"Puissent les alliances et la paix d'Arcaen durer encore de nombreuses années. Vous nous honorez trop, Votre Majesté. Séraphine et moi-même sommes à votre humble service."
"Il me semble que Séraphine a l'âge de Wilhem, n'est-ce pas ? Et elle n'a toujours pas de fiancé ? Quel dommage, une jeune femme d'une beauté si éclatante mériterait ce qu'il se trouve de mieux !"
Le prince avait un très mauvais pressentiment.
"En effet, ma fille a de nombreux prétendants, mais aucun ne se montre digne de notre rang. Il est difficile, lorsque l'on occupe une place telle que la nôtre dans l'échelle sociale, de trouver un jeune homme distingué et d'une lignée honorable qui ne soit pas déjà marié..."
"Comme je vous comprends," compatit la reine.
Wilhem serra les dents. Il n'appréciait pas beaucoup la petite comédie que sa mère jouait devant ses yeux.
"Pourquoi ne passerait-elle pas un peu de temps avec mon fils ? Je suis certaine qu'il sera ravi de passer la soirée en si charmante compagnie !"
Cette fois-ci, Wilhem dût fournir un effort colossal pour repousser les protestations qui allaient franchir ses lèvres. Lui qui comptait souffler quelques minutes et se passer de l'eau sur le visage avant d'aller rejoindre Ariane dans la salle de réception, il voyait ses espoirs fondre comme neige au soleil.
"C'est trop d'honneur," minauda la Grande-Duchesse.
Il y eut un instant de silence et Wilhem comprit que c'était son tour de parler.
"Ce sera avec un immense plaisir que j'emmènerai mademoiselle Séraphine à la salle de réception," fit-il avec un sourire parfait.
"Ça devrait aller..." se raisonna-t-il intérieurement. "Et puis, elle ne semble pas si mal."
En jeune homme galant, il descendit les marches et proposa son bras à sa nouvelle "compagne".
Celle-ci rougit et baissa son visage avant de prendre le bras de Wilhem. À ce moment, il se sentit agressé par le parfum acre et bien trop puissant de la jeune fille. Surpris, il fut pris d'une quinte de toux et détourna le visage pour tousser dans sa main gantée.
"Votre Altesse, vous allez bien?"
Surpris par sa voix aussi aiguë que si Séraphine avait eu 6 ans, Wilhem prit une soudaine inspiration qui lui valut une nouvelle quinte de toux.
"Veuillez m'excuser. Je devrais aller changer de gants. Je vous rejoindrai dans la grande salle aussi vite que possible."
"Je vous en prie, faites. Nous ne voudrions pas que Votre Altesse soit indisposé," souffla Séraphine.
Après une révérence, Wilhem s'éclipsa.
Le prince retira ses gants en laissant s'échapper une flopée de jurons. Maintenant qu'il était seul, il pouvait laisser aller ses pensées inconvenantes et laisser sa rage exploser.
"Orchidoclaste ! Mais pourquoi elle fait ça, cordieu ?! Elle veut ma mort ?! Non, sérieusement, elle s'appelle Séraphine ! Séraphine ! Je ne savais même pas que ce prénom existait ! Et elle veut que je passe ma soirée avec une... chose qui agresse déjà deux de mes sens ? Comme si cette soirée ne promettait pas déjà d'être un enfer ! Et elle le sait très bien, en plus !"
Il regarda son reflet dans le miroir de la loge royale. Rien dans son apparence n'était désordonné, à part bien sûr, l"expression de son visage. Son regard fulminant, ses iris rétrécis, ses pupilles dilatées, sa mâchoire serrée, ses muscles crispés. Sa bouche se fendit en un sourire et il explosa de rire. Un rire malsain, toxique, dérangé. Il ne savait pas pourquoi il riait, mais il se sentait mieux. Puis il s'arrêta et frappa son front contre le mur.
Il inspira et expira lentement plusieurs fois. Lorsqu'il regarda le miroir à nouveau, son expression était redevenue normale. Il se passa de l'eau sur le visage, remit une paire de gants propres et ressortit.
Il fallait avoir l'air de chercher Séraphine tout en l'évitant. Wilhem se faufila entre les invités en observant avec attention autour de lui.
"Votre Altesse !" appela une voix.
Craignant que la Grande-Duchesse ou tout autre personne dépêchée par sa mère se soit mise à sa recherche, le jeune fit semblant de ne pas avoir entendu et pressa le pas.
"Votre Altesse, attendez !"
Il fut forcé de se retourner. Si cette voix était aussi forte, il ne pouvait pas simplement prétendre de ne pas avoir entendu.
"Votre Altesse, c'est moi. Ariane."
"Que... Ariane ?"
La marquise Ariane d'Aymon était la scientifique royale. Ses talents en physique, chimie et biologie l'avaient propulsée au sommet. Elle maîtrisait même les bases de l'alchimie, pratique extrêmement difficile qui se perdait et que peu étaient capable de maîtriser. Elle les enseignait d'ailleurs à Wilhem, étant la seule personne du royaume qualifiée pour cette tâche.
Wilhem n'avait pas d'amis, mais Ariane était ce qui s'en rapprochait le plus.
"Je suis soulagé de vous voir," avoua-t-il.
"Laissez-moi deviner. Votre mère vous a demandé de passer la soirée avec je ne sais quelle jeune fille de haut rang ?"
"Il serait prudent de ne pas en parler ici et maintenant," fit le jeune homme.
"Oh, désolée. Je n'ai pas l'habitude de ce genre de... célébration."
"C'est la première fois que je vous vois à une réception, maintenant que vous le dites. Je ne vous avais pas reconnue, je n'ai pas l'habitude de vous voir accoutrée ainsi."
D'ordinaire, ses cheveux formaient de larges boucles anglaises et des mèches lui tombaient devant le visage. Elle portait en général une blouse blanche et un pantalon, et il n'était pas rare de la voir avec des traces de suie ou de... quoi que ce soit d'autre sur le visage. Lorsque Wilhem l'avait vue avec le front et la nuque dégagés et portant une robe de bal, il avait eu du mal à comprendre qu'il connaissait la personne qui s'adressait à lui.
"Ça ne lui va pas du tout," songea-t-il.
"Hum... Votre Altesse ?"
Wilhem retint sa respiration et se retourna.
Séraphine l'avait retrouvé.
Ariane s'inclina profondément. Wilhem nota intérieurement de lui expliquer que la révérence masculine ne convenait pas forcément à toutes les situations, même si elle la maîtrisait parfaitement.
"Mademoiselle de Rochecouard, je vous cherchais," mentit le jeune homme.
"Veuillez accepter mes excuses. Solliciter Son Altesse alors qu'il cherchait mademoiselle..." dit Ariane.
"Ce n'est rien," fit Séraphine. La marquise tiqua légèrement au son de sa voix.
"Vous êtes... très maquillée," remarqua-t-elle.
"Euh... merci."
"Veuillez excusez l'inconvenance de la marquise d'Aymon," rattrapa immédiatement Wilhem. "C'est la première fois qu'elle assiste à ce genre de réception, mais je suis sûr qu'elle voulait vous faire un compliment."
En y regardant de plus près, c'était vrai qu'elle était très maquillée. Trop. Beaucoup trop, même. Son visage était couvert de couleurs criardes qui le mettaient mal à l'aise. Il se dépêcha de détourner le visage.
"Et si nous allions prendre des boissons et des petits fours ?" proposa Ariane. Les règles de convenance auraient voulu qu'elle laisse le prince et Séraphine entre eux, mais Wilhem était reconnaissant à la scientifique royale de ne pas le laisser subir ce supplice seul.
"Excellente idée !" approuva Wilhem en proposant, une fois de plus, son bras à Séraphine qui s'y agrippa comme si sa vie en dépendait.
C'est en se dirigeant vers le buffet qu'il se rendit compte qu'il était presque impossible de marcher aux côtés de Séraphine tant sa robe était large. Les quelques mètres qui les séparaient de la table étaient devenus un obstacle quasiment infranchissable.
"Elle porte... des bottes ?" souffla Séraphine à l'oreille de Wilhem en désignant Ariane qui marchait devant eux.
En effet, sous sa robe blanche qui descendait jusqu'à mi-mollet, la jeune femme portait une paire de bottes de chasses noires brodées. Malgré leur élégance, ce n'étaient pas le genre de chaussures qu'il fallait porter à une réception royale.
Wilhem poussa un soupir. "En effet."
"On ne devrait pas permettre à des gens comme cela d'entrer ici..."
"Je suis d'accord avec vous."
Cependant, ce n'était certainement pas lui qui allait s'en plaindre.
Après une heure passée à tenter d'engager une conversation avec Séraphine sous le regard indéchiffrable d'Ariane, la jeune femme déclara qu'elle allait prendre un peu l'air, au grand désarroi de Wilhem.
"Nous sommes enfin seuls..." soupira Séraphine.
"Pas réellement, il y a encore les autres invités autour de nous..."
"Oh, vous avez raison."
Un ange passa.
"Séraphine, tout se passe bien ?"
C'était la Grande-Duchesse.
En entendant la voix de sa mère, la jeune fille se retourna brusquement.
Ce qui, avec sa grande robe, eut pour effet de faire bouger tout ce qui l'entourait.
Y compris le prince qui chancela en arrière en cherchant vainement quelque chose à quoi s'accrocher.
Malheureusement, cette chose fut la nappe de la table du buffet sur laquelle se trouvait le bol à punch.
Bol dont le contenu se renversa sur la tête du prince.
Ariane, qui revenait de son passage à l'extérieur, se fraya un chemin entre les courtisans effarés.
"Votre Altesse, que... oh, mon dieu."
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