Chapitre 1
Les paumes moites, les doigts crispés sur le volant, la musique « Beautiful » de Michele Morrone en fond sonore, Ciara s'efforce de ne pas céder à la panique. Sur les routes étroites d'Écosse la menant jusqu'au manoir de sa grande tante, même une mécanicienne comme elle n'y pourrait rien si le véhicule décidait de lâcher. Les essuie-glaces tentent vainement de se frayer un chemin sur le parebrise, les phares ne lui sont presque d'aucune utilité, et le vent souffle violemment contre l'habitacle faisant trembler les fenêtres et les mains de la jeune femme. Quelle idée de lui demander de venir un mois de février, en plein hiver !
— Allez, respire Ciara. Ce n'est rien. Tu vas y arriver.
Elle se répète en boucle ces paroles pour essayer de garder son calme, mais au moment où la neige recouvre une fois de plus sa vision, une ombre traverse à toute allure la route en percutant de plein fouet la petite voiture, propulsant la malheureuse conductrice en avant. Son front heurte le plastique dur du volant et la ceinture lui écrase la poitrine. Si les premières secondes, elle reste totalement hébétée, l'angoisse l'envahit ensuite avec force, faisant palpiter son cœur, défrayant sa respiration.
En dépit du froid extérieur, habillée de trois couches de vêtements en plus de son gros manteau, la jeune femme s'empresse de sortir de l'habitacle. Bravant la neige abondante, tremblant de terreur, elle se précipite à l'avant du véhicule pour voir quel animal a eu le malheur de traverser devant elle. Elle ne roulait pas à une allure délirante, mais le choc a tout de même été rude, sa douleur à la tête le prouve. Néanmoins, alors qu'elle s'attend à trouver un corps gémissant ou blessé, elle a la surprise de ne trouver ni animal, ni branche, ou quoi que se soit qui pourrait expliquer sa collision. Étonnée, Ciara fronce les sourcils. C'est impossible ! Elle refait une fois de plus le tour du vieux véhicule avant de se rendre à l'évidence. Quelle que soit la chose qui l'a percuté, elle a disparu. Grelottante, fatiguée et affamée, Ciara soupire de frustration. Au moins, ce n'est pas un sanglier. La rencontre avec un individu du genre aurait vraiment pu mal finir. Elle peut s'estimer heureuse de ne pas avoir plus de dégâts que ça sur la voiture, elle refuse de mourir congelée sur une route de campagne écossaise !
S'apprêtant à repartir, elle est toutefois interpellée par trois petites gouttes de sang alignées sur la neige.
— Est-ce que tout va bien, mademoiselle ? s'exclame alors une voix grave.
Frappée de stupeur, Ciara fait volte-face. Elle découvre alors un homme avec un sourire charmeur sur les lèvres, des yeux en amande bleu clair hypnotisant, de longs cheveux blonds, un visage fin. Parler ? À cette seconde, entre la beauté de son interlocuteur et la peur, son cœur bat tellement vite qu'elle en est bien incapable. Choquée par cette apparition étrange, elle ne peut s'empêcher de se demander ce qu'il fait sur cette route déserte uniquement couvert d'un long manteau en daim gris foncé tandis qu'elle ressemble à un Bibendum avec toutes ses couches superposées.
— Est-ce que vous êtes blessée ? insiste-t-il sans même grelotter.
Ciara tente de formuler une phrase avec sujet, verbe et complément, mais elle ne parvient qu'à bégayer. L'individu en face d'elle ne semble pas s'en formaliser et s'avance d'un pas. Effrayée, la jeune femme se recule un peu trop et, déstabilisée, tombe les fesses dans la neige, la respiration coupée. Elle voit alors l'homme se rapprocher d'elle à une vitesse hallucinante. Son visage est si près du sien qu'elle peut sentir son souffle gelé frôler ses lèvres, glaçant chacune de ses cellules déjà terrifiées. Puis, comme si son enveloppe charnelle n'était qu'une façade destinée à séduire, un spectre aux iris rouge sang, aux cheveux noirs et à la peau légèrement bleutée apparaît furtivement en murmurant :
— Ton cœur semble pur.
Affolée, Ciara hurle d'un cri strident en fermant les yeux. Lorsqu'elle les rouvre, elle est debout devant sa voiture au moteur ronronnant, la lumière des phares illuminant ses jambes, l'homme blond au même endroit qu'il y a quelques secondes avant sa chute, l'incompréhension sur les traits.
— Euh... Excusez-moi, je ne voulais pas vous faire peur.
Était-ce un rêve ? Une hallucination ? Le cœur douloureux, les nerfs en pelote, Ciara tente de se reprendre. Et si cet homme était simplement venu chercher de l'aide ? Elle doit avoir l'air maligne.
— Je suis désolée, j'ai cru voir un sanglier derrière vous, je...
Quoi dire ? Quoi faire ? Cette situation dépasse l'entendement. Elle décide alors de changer totalement de sujet.
— Est-ce que vous avez besoin de quelque chose ? demande-t-elle.
Un sourire sur les lèvres, l'homme sort une de ses mains gantées de ses poches et pointe une direction à l'horizon.
— Un animal a percuté ma voiture, elle est inutilisable. Je me suis dit que vous pourriez peut-être m'aider à retourner au village. Je vous avoue que je ne me vois pas faire cinq kilomètres avec cette tempête.
— Oh ! Bien sûr ! Je vous en prie, montez.
Sa mère lui a toujours dit de ne pas faire route avec un inconnu, mais peut-elle décemment laisser cet homme à son triste sort ? Il est évident que non. Ravi, l'individu s'empresse de s'avancer vers le côté passager. Au moment où leurs corps se frôlent, un frisson remonte la nuque de Ciara comme une caresse du bout des doigts. Elle n'a jamais cru aux légendes écossaises que lui racontait son grand-père, mais cette rencontre lui fait étrangement songer à celle du Fear Geamhraidh. L'angoisse la contaminant comme un virus agressif au fur et à mesure que ses pensées dérivent, la jeune femme prend une profonde respiration puis se dépêche de retourner derrière le volant. Son imagination lui a toujours joué des tours, ce n'est pas le moment de passer pour une folle. D'autant plus que si cet étranger était le Fear Geamhraidh, elle ne serait pas là à se demander qui il est. Elle serait certainement déjà enterrée six pieds sous terre, prisonnière de cette âme damnée.
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