Le fantôme de la falaise
Il y avait un banc, sur le bord de ce chemin rocailleux longeant la mer. Il était taillé dans du marbre et sa couleur ressortait parmi la basse végétation que le climat rendait sèche.
Cela faisait des décennies qu'il était là, placé face au bord de la falaise et à l'étendue d'eau. D'ici, on pouvait admirer la mer s'étendant à perte de vue, reflétant les rayons du soleil.
Maintes fois, ce banc avait enduré la chaleur, la pluie et le vent.
Maintes fois, des couples, des vacanciers, et des randonneurs s'étaient posés dessus, écoutant le bruyant silence qu'offrait ce coin de nature.
Et maintes fois, ils étaient repartis en sentant une brise glacée et en voyant le soleil se cacher derrière les nuages, assombrissant le lieu et rendant le tout légèrement glauque à cause de la teinte fantomatique du banc.
Il y en avait eu, quelques fois, qui était venu là-bas au crépuscule, pour admirer le coucher du soleil sur la mer, plein ouest. Ceux-là avaient alors pu profiter d'un magnifique tableau, une myriade de couleurs se mélangeant les unes aux autres, rendant le tout magique.
Cependant, dès que le soleil disparaissait, la même brise glacée revenait, et des frissons leur parcouraient l'échine.
Ici, on disait que le lieu était hanté, par une jeune fille que l'on aurait poussée du haut de la falaise. On disait aussi qu'elle attendait la nuit tombé pour attraper les passants et les conduire au même destin qu'elle, afin de se venger.
La légende qui habitait les environs était vieille, alors les gens avaient recommencé à s'y rendre, l'esprit léger, sans se soucier de quoi que ce soit.
Seules les personnes qui connaissaient encore la rumeur ne s'y risquaient pas, et prenaient bien garde à ne pas y mener leurs pas.
Pourtant, ils n'avaient pas tout juste, bien qu'ils n'avaient pas tout faux.
En effet, une jeune fille hantait le lieu, et apparaissait aux yeux des vivants la nuit, accompagnée de sa brise glaciale. Seulement, elle n'avait pas été poussée, comme le disait la légende. Elle s'était suicidée.
Elle-même, elle s'était jetée du haut de la falaise, pour finir tout en bas, dans les flots tumultueux et les rochers tranchants qui s'y trouvaient.
Sa vie n'avait plus d'importance et était devenue bien trop douloureuse pour qu'elle ne puisse la supporter davantage, alors elle avait mis fin à ses jours. Elle s'était libérée.
Elle n'hantait pas non plus le lieu pour envoyer les passants à la même mort qu'elle, non, elle avait toujours détesté la violence et était bien trop protectrice.
Non, elle était seulement ici pour attendre celui qu'elle aimait.
La jeune fille était amoureuse, et chaque fois qu'une personne arrivait, elle priait pour que ce soit lui. Mais, lui, il avait vécu il y a deux-cents-trente ans. Elle ne pourrait le revoir à nouveau, mais elle ne le savait pas, tout comme sa condition de fantôme, alors elle continuait d'espérer, en souriant, toujours, en souriant.
Malheureusement, elle avait perdu la notion du temps, à force d'attendre et d'attendre, la même personne, au même endroit, infiniment. Alors elle attendait, toujours et encore, sans jamais désespérer, le croyant vivant; et en souriant, toujours, en souriant.
C'était sur ce banc qu'elle avait rencontré celui qu'elle aimait, c'était sur ce banc qu'elle avait échangé son premier baiser avec lui, et c'était sur ce banc qu'elle s'était élancée vers la mer, mettant fin à ses jours, qui portaient trop de ses cris silencieux et pourtant déchirants.
Elle attendait celui qu'elle aimait, ce garçon au regard si doux. Ils s'étaient donnés rendez-vous au crépuscule, pour parler toute la nuit comme à leur habitude, assis main dans la main sur ce banc en marbre. Parlant de tout et de rien, ils restaient la nuit entière, et parfois s'endormaient dans les bras l'un de l'autre.
Ils s'aimaient. Ils s'aimaient d'un amour innocent, pur et profond.
Le fantôme de la jeune fille demeurait donc ici, apparaissant chaque nuit, assis sur ce banc en marbre, attendant un être qui ne viendrait jamais, mais qu'il attendait tout de même, plein d'espoir, et en souriant, toujours, en souriant.
Un jour d'automne, la jeune fille transparente rencontra un jeune homme qui passait sur le chemin, très tôt le matin. Arrivé en haut de la côte, il s'assit sur le banc, essoufflé d'être monté ici aussi vite.
Le fantôme se rapprocha de l'individu, et s'assit sur le banc, à ses côtés. Cependant, le garçon ne sembla pas remarquer la brise glaciale qui accompagnaient chaque fois la jeune fille. Il avait fermé les yeux et mis sa tête en arrière, respirant le doux air de l'aube, frais et iodé, rafraîchissant son front brûlant.
La jeune fille l'observa. De loin, elle avait cru reconnaître la silhouette de son amant, mais ce n'était pas lui. Elle avait été déçu, mais tout de même intrigué. Elle se mit donc à scruter la figure du jeune homme, avec un étrange intérêt.
Puis, le garçon rouvrit les yeux, et, pendant un instant, aperçu une forme blanchâtre au dessus de sa tête, et peut-être, un visage. Elle, juste avant de disparaitre, irradiés par les touts jeunes rayons du soleil, eu le temps d'apercevoir une lueur dans les yeux du jeune homme, une lueur qu'elle n'avait jamais vu que dans les yeux de celui qu'elle aimait.
Toute la journée, dans son cocon de blanc dans lequel elle se retrouvait la nuit passée, elle repensa au jeune homme. Elle avait été intrigué, par lui, et son étrange regard.
La jeune fille fantôme ne comprenait pas pourquoi elle avait retrouvé cette flamme dans les yeux de ce garçon, alors qu'elle avait toujours pensé que son amant était le seul à l'avoir. Elle espérait le revoir, afin de tenter d'élucider ce mystère, qui prenait à présent toutes ses pensée - qui n'était depuis des décennies, plus très variées.
Et le lendemain, à la même heure que le jour précédent, quoiqu'un peu plus tôt, le jeune homme revint, et s'assit de nouveau sur le banc. De la même manière que la dernière fois, il posa sa tête sur le dossier du banc, en arrière, et ferma les yeux.
La jeune fille était un peu frustrée de ne pouvoir voir les yeux du garçon, mais passa finalement outre et observa à nouveau pendant de longues minutes les fins traits du jeune homme; depuis sa gauche, à genoux sur le vieux banc en marbre. Tout comme la veille, il était vêtu simplement et ne portait aucun bagage.
Le fantôme de la jeune fille se sentit soudainement hapé et se retrouva dans son cocon de lumière. Il avait juste eu le temps d'apercevoir le jeune homme rouvrir les yeux en sentant les rayons du soleil sur son visage, sublimant ses traits pourtant banals que la jeune fille trouvait magnifiques.
Pendant un court instant, elle aperçu la même lueur que la veille, et s'extasia devant leur simple présence.
Puis, le cocon de blanc se referme autour d'elle et elle ne distingua plus rien.
La jeune fille ne s'était donc pas trompée, le jeune homme portait bien dans ses yeux la même flamme que son amant, qu'elle chérissait tant.
Elle attendait impatiemment la troisième nuit, priant pour que le garçon revienne. Elle voulait en savoir plus sur lui, il l'intriguait.
Et, comme les deux jours précédents, tôt le matin, le jeune homme revint, marchant lentement sur le chemin pierreux de ce bord de mer. Il était encore plus tôt que la veille, et il faisait plus sombre.
La jeune fille l'attendait, assise sur le banc, et se leva en le voyant approcher. Elle était contente qu'il soit revenue, car, sans qu'elle ne s'en soit aperçu, elle appréciait sa présence.
Lorsqu'il arriva, le fantôme s'écarta et laissa passer le jeune homme. Celui-ci ne lui lança même pas un regard, il ne la voyait toujours pas. Et, comme les deux jours précédents, il s'assit sur le banc, et ferma ses yeux, s'échappant de ce monde pour se retrouver dans celui de ses pensées.
Ainsi se passèrent les matinées des deux jeunes gens, chaques jours depuis lors. Le garçon se posait sur le banc, ignorant le fantôme, et la fille l'observait, assise à ses côtés, et apercevant parfois la lueur si particulière de ses yeux, avant de se retrouver dans son cocon de lumière.
Des jours, puis des semaines passèrent et leur routine du matin restait la même. Un jour, il y avait juste eu un jour où le jeune homme n'était pas venu, décevant le fantôme. Mais il était finalement revenu le jour suivant, comme à chaque fois. Cependant, il avait semblé à la jeune fille qu'au fur et à mesure du temps qui passait, la lueur dans ses prunelles brillait moins fort, et même qu'elle dépérissait.
Cela l'avait inquiété, elle qui aimait tant cette flamme, cette flamme qui dansait dans les yeux de son amant et maintenant de ce jeune homme. Elle aimait cette lueur, cette petite étoile qui brillait doucement et tendrement, et qui avait contribué à la faire tomber amoureuse de son cher amant.
Un matin parmi les autres, le garçon arriva par le chemin, un peu plus tôt que d'habitude. Mais, ce matin-là, le jeune homme ne se posa pas sur le banc de marbre, mais continua sa marche pour se mettre debout face à la mer, traversant par la même occasion le fantôme de la jeune fille, comme si elle était invisible.
Elle se retourna et se retrouva derrière le garçon, qui regardait au loin, par delà d'horizon. Elle se replaça devant lui, mais il garda son regard au travers d'elle. Soudain elle remarqua ses cernes sous ses yeux, son teint pâle et la lueur qui n'était quasiment plus visible dans ses si belles prunelles.
Et elle compris.
Troublé et tremblante, elle leva son bras et attrapa la main du jeune homme. Ses doigts glissèrent à travers son corps, laissant la jeune fille encore plus apeurée, alors qu'elle savait déjà qu'elle ne pouvait rien attraper.
Elle recula de quelques pas, toujours tremblante, quand le garçon s'approcha d'un pas de la falaise. Elle écarquilla les yeux, et couru se replacer devant lui, les bras écartés, mais il continua à avancer d'un pas lent mais décidé, laissant la jeune fille désemparée.
Le jeune homme lui passa au travers, et s'arrêta, à quelques centimètres du précipice. Il regardait toujours au loin, puis avança son pied devant lui, prêt à partir.
Les battements de coeur de la jeune fille s'accélérèrent, et, après une demi-seconde d'horreur, des larmes se formèrent aux coins de ses yeux avant de dévaler ses joues; et elle lâcha ce qui lui faisait le plus peur depuis qu'elle l'avait remarqué, mais qu'elle n'aurait pu garder pour elle plus longtemps :
«Je t'aime...»
Une phrase si simple mais pourtant si sincère, traversant les lèvres de la jeune fille.
Le jeune homme se stoppa en entendant ces mots. C'était à son tour d'être troublé, avait-il bien entendu ? Il voulut se retourner pour trouver la provenance de cette voix, mais son pied était déjà au dessus du vide, et il ne put pas retrouver son équilibre à temps. Il tomba du haut de la falaise, laissant derrière lui un fantôme en larmes, et désespéré.
La jeune fille pleura, et pleura encore. Jusqu'à l'aube, puis une fois dans son cocon de blanc, elle pleura, laissant son désespoir et son infinie tristesse se manifester.
Chaque jour, sans qu'elle ne s'en aperçoive, elle était tombée un peu plus sous le charme du jeune homme, et de sa lueur si particulière. Chaque jour, son coeur s'était un peu plus épris de lui. Chaque jour, il l'avait un peu plus ensorcelé.
Et maintenant... que restait-il ? Juste un pas, un pas de trop et le garçon avait scellé son destin. La jeune fille ne connaissait que trop bien le suicide, mais elle ne pouvait s'empêcher de penser que s'il l'avait remarquer, si le jeune homme avait remarquer son fantôme plus tôt, tout cela ne se serait pas passer ainsi.
Au final, lui, il avait - seulement, mais tout de même - entraperçu le fantôme, et elle, elle avait fini par réaliser sa situation d'esprit...
Mais à présent, tout était fini. On aurait dit que l'histoire se répétait... Pour un pas, tout avait changé, pour l'un comme pour l'autre.
Pour un pas ; tout...
Un pas...
Un tout petit pas...
Toute la journée, le fantôme pleura, elle pleura son désespoir, son infinie tristesse et la mort d'un jeune homme.
Et le soir, lorsqu'elle se retrouva libérée de son cocon blanc, elle essuya ses yeux, et s'approcha doucement du bord de la falaise. Elle regarda l'horizon, retenant ses larmes qui menaçait de revenir dégringoler à flots ses joues, et, écartant ses bras, elle leva son pied au dessus du vide, s'apprêtant à se libérer de cette existence inutile qui était devenue trop pesante pour elle.
Et, tremblante mais pourtant décidée, elle fit passer son pois dans sa jambe au dessus du vide, ferma ses yeux, et se laissa tomber.
Ainsi, elle rejoindrait le jeune homme et ils serait ensemble pour l'éternité. Ainsi, elle serait heureuse et plus jamais elle ne pleurerait.
Cependant, elle ne se sentit pas tomber. Pourquoi n'était-elle pas encore en bas de la falaise, parmis les reflux de la mer et les rocher que l'eau et le sel avait taillés ?
Elle rouvrit ses yeux et remarqua que l'on retenait son bras. Co- comment ? N'était-elle pas un fantôme ? Ne devait-on pas être incapable de l'attraper ?
Elle releva sa tête et son regard remonta jusqu'à la personne qui l'avait retenu. Elle écarquilla les yeux en voyant qui était-ce. Les larmes lui revinrent et, alors que son sauveur la remontait en haut de la falaise, elle laissa ses sanglots éclater. Peut-être était-ce des larmes de joies.
C'était lui, le jeune homme à la si belle flamme dans ses prunelles.
Sous la lumière de la lune, l'on pouvait voir son teint pâle, sa peau légèrement transparente et son aura blanchâtre. Oui, il était mort, car ce n'était maintenant plus qu'un fantôme, mais il était là, serrant dans ses bras la jeune fille qui n'arrêtait pas de pleurer, pleurer et pleurer encore toutes ses émotions.
Tôt le matin, quand les sanglots de la fille eurent cessé, le jeune homme l'aida à se relever, et ils s'installèrent sur le banc en marbre, dans cet endroit que l'on disait hanté.
Pour la jeune fille, ce garçon était la réincarnation de son amant. Pour elle donc, elle avait retrouvé son amant. Et, pour elle finalement, elle n'avait plus besoin d'errer car son âme était maintenant apaisée.
Et alors que le soleil commençait à apparaître, les deux êtres installés sur ce banc se mirent à devenir de plus en plus transparent qu'ils ne l'étaient déjà; laissant s'échapper par la même occasion quelques rayons et hâlos de lumière.
Lentement, ils disparurent, dans les bras l'un de l'autre, délaissant ce monde pour en rejoindre un autre où plus jamais ils ne souffriraient.
Fin.
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