Chapitre 6 : Une constellation d'étoiles

On les conduisit vers la plus belle chambre de l'auberge. Anna n'avait encore jamais mis les pieds dans ce genre d'espace réservé à la haute société. Elle se demanda comment c'était possible que Jérémie eût autant de moyens financiers pour accéder à ces plaisirs mondains.

Avant que son ami éclaire la chambre, elle lui arrêta la main. Le contact de sa peau contre la sienne lui fit prendre conscience qu'elle allait vraiment devenir proche de lui ce soir. Le premier homme à partager son intimité.

- Je préfère que l'on reste dans la pénombre. On se voit déjà assez bien.

La lune brillait dans la nuit et sa propre lumière s'infiltrait dans la chambre par onde apaisante.

Il la dévisageait sans rien dire. Il se sentait perturbé. Ses pensées se bousculaient en hâte et en désordre dans sa tête. Une force magnétique le poussait à ne pas se séparer d'elle et l'amener près de lui comme s'ils se connaissaient depuis longtemps. Ce mystère était au-delà de sa compréhension. Anna, cette troublante inconnue, loin de son monde, était venue à sa rencontre, lui que tout le monde craignait. Ce soir, elle le regardait différemment que tous ceux qui l'entouraient. Ce soir, la nuit emportait le passé et son visage malfaisant. C'était une exception.

Face à face au milieu du silence, Anna se rendit à l'évidence.

- Tu n'es pas Jérémie, n'est-ce pas ?

Il hocha la tête lentement comme réponse.

- J'ai été lente à le comprendre ?

Il sourit.

- Qui es-tu ?

Elle le regarda, le corps immobile et comprit que son air grave cachait une âme indéchiffrable.

- Tu ne me le diras pas ? Tu es un timide qui garde ses secrets bien enfouis. Ce n'est pas grave, on ne se connait pas, je ne veux pas t'en demander trop. Mais ce n'est pas équitable, j'espère que tu le reconnais, car moi tu sais comment je m'appelle !

- On ne se fait pas une idée sur quelqu'un en ne connaissant juste que son prénom. Tu es aussi une énigme pour moi. Mais, je dois dire que ta personnalité transparait rapidement.

- Est-ce que c'est un compliment ?

- Cela pourrait bien l'être. Aimes-tu être complimentée ?

- Je m'en fiche. Je suis une fille simple et honnête, j'aime bien que les autres le soient aussi en retour. Si tu me fais des compliments sans le penser je préfère que tu les gardes pour toi, ou alors peut-être que cela te plait de dire des jolis mots ?

- Ce n'est pas dans mon habitude de flatter, ni de complimenter. Rassure-toi.

- Bien, si tu aimes la franchise, je vais t'avertir d'une chose : ce qui se passera ce soir restera entre nous. Je veux dire que.. c'est une nuit sans lendemain.

- J'y compte bien, merci.

Ces mots prononcés avec froideur ne vexèrent pas Anna qui ne ressentait aucune fibre sentimentale. Son inconnu n'avait jamais rencontré une fille qui parlait avec autant de détachement. Quelle femme vierge s'accoutumait d'un dialogue si dénué d'émotion dans un moment aussi important ? À dire vrai, il trouvait sa nature franche et sans étiquette, très agréable. Proche de la sienne quelque part.

- Les deux cœurs froids sont réunis, lâcha-t-il avec une pointe d'humour.

Anna remarqua que son expression naturellement sévère le quittait au fur et mesure qu'il la dévisageait. Son regard s'imprégna d'une douceur qu'elle n'aurait jamais soupçonnée apparaître. On ne l'avait jamais regardée de cette façon..

- Personne ne m'a embrassée. Mais je ne te demande pas de le faire si ça te dérange. Tu peux juste me faire l'essentiel, je ne te demande pas de te forcer dans le romantisme.

Il se demanda si ces paroles étaient réelles. Encore une fois, il s'exclama intérieurement : est-ce qu'une fille pouvait être aussi éloignée de ses émotions ? Il passa une main sur son visage pour cacher son sourire moqueur et une envie irrésistible de rire. Et lui qui pensait être une personne froide, sans chaleur dans le cœur. Voilà qu'il trouvait son maitre !

Il s'approcha doucement d'elle et s'arrêta face à face, très proche.

- Je vais t'embrasser Anna.

Sa main caressa sa joue avec une tendresse inexpliquée, puis ses doigts s'attardèrent sur ses lèvres fermées. Anna le vit se pencher doucement, son cœur fit un bond. Ses lèvres se pressèrent délicatement sur les siennes, avec l'envie de s'attacher davantage et d'ouvrir ce petit espace de la bouche. Le baiser devenait chaud et doux comme une fleur de coton.

Lorsqu'il décrocha ses lèvres, il eut un silence entre eux. L'intimité de deux âmes qui se reconnaissent. Qui s'animait et se parlait sans que leurs esprits le sachent et leurs lèvres les dévoilent.

- Tu as le droit aussi de m'embrasser, chuchota-t-il avec un joli sourire attendri.

- N'importe où ?

Elle éveilla en lui un désir charnel qu'il ne parvint pas à dissimuler. Ses deux petites fossettes se creusèrent sur chacune de ses joues.

- Oui.

Anna n'avait jamais touché un homme. Jamais. Elle contempla son visage et le trouva beau. Ses mains se placèrent sur ses pommettes. Elle sentit les picots de la barbe naissante sur sa peau. Au centre de sa joue droite, des crins de beauté apparaissaient ici et là. Elle apprécia la vue de ce petit trésor que seule l'intimité entre deux êtres pouvait s'attarder à contempler.

- Tu as une constellation d'étoiles sur la joue.

La poésie qu'elle exprimait lui toucha le cœur. Son regard fixa sa bouche qu'il voulait à nouveau posséder.

- Je vais embrasser tes étoiles.

Avec une précieuse délicatesse, elle baisa sa joue. Puis, comme si elle souhaitait absorber la beauté qu'elle venait de découvrir, elle prolongea le moment, sans défaire ses lèvres de sa peau, aimant le goût et sa volupté. Elle éprouva pour la première fois une douce sensation au creux de sa poitrine. Si agréable.. Cette joue devenait son plus beau coucher de soleil, son plus beau ciel enveloppé par la nuit au scintillement de mille étoiles.

Il ferma les yeux, absorbé par une silencieuse émotion, calme et patiente qui le remplissait peu à peu de sa rondeur affectueuse.

Anna approcha à nouveau son visage du sien et sentit une pression monter, palpiter et lui comprimer la poitrine. Son regard incertain croisa le sien juste avant de l'embrasser. Son baiser timide devenait de plus en plus affirmé. Il voulait l'étreindre et la sentir tellement proche de son corps qu'il l'emmena contre lui en la saisissant par la taille d'une main et passa ses doigts libres sur sa nuque.

Il lui arracha un baiser encore plus vif. Leurs lèvres s'accrochèrent sans se défaire.

- Encore, murmura-t-il.

Combien de temps étaient-ils restés à s'épouser avec leurs lèvres ? C'était comme s'ils se juraient en silence de ne pas se séparer, de tout se donner.

Au moment où il défit ses cheveux attachés, il découvrit sur le visage transporté par les vagues de plaisir d'Anna, un petit bleu sur sa tempe. Lui qui ne s'était jamais montré sensible, sentit en son cœur, une onde de compassion l'envahir et il déposa sur cette zone meurtrie une petite pluie de tendres baisers, car l'amour et son affection prodiguaient le meilleur remède de l'âme aux maux de l'esprit. Invraisemblable nuit.. Voilà que son cœur s'ouvrait par la brèche étroite de leurs caresses.

Alors qu'Anna essaya de déboutonner son corset sans succès, car la couture semblait trop serrée, ses doigts touchèrent les siens, qui plus habiles et avec un calme mature la déshabilla. Il rejeta les manches et ses épaules saillantes se dénudèrent. Puis, ses seins nus et ses tétons se dévoilèrent sous ses yeux sous la forme de boutons de rose. Son corps débordait de sensualité inavouée. Qu'elle était belle Anna, il en perdait l'usage de la pensée.

Dans un mouvement rapide, sans même qu'il s'en aperçoive, Anna retira sa médaille et la glissa dans ses étoffes posées au sol. À présent, il la caressait et l'embrassait abondamment ce qui faisait vibrer son corps de plaisir.

Anna ne parvint pas à le déshabiller, elle commençait à déboutonner sa chemise ou tirait sur sa ceinture, mais ne finissait rien de ce qu'elle entreprenait, car son esprit ne s'échappait pas du moment présent, jouissant de chaque seconde sous ses baisers. Il la trouvait mal habile et adorable. Adorable de la voir se tortiller sous le feu du désir et ne plus répondre de rien.

Anna ferma les yeux pour se laisser transporter, elle lui faisait confiance. Ses mains s'envolaient puis se posaient sur sa peau, elles parcouraient la distance de son torse, son dos et remontaient jusqu'à ses épaules.

Lorsqu'elle ouvrit les yeux. Elle découvrit une cicatrice sous la clavicule de son bel homme. Une entaille laissée par un couteau ?

- Qu'est ce que c'est ? demanda-t-elle tout bas en effleurant la marque du bout de ses doigts.

L'espace d'un instant, il parut troublé puis sans lui répondre il stoppa sa main, et la porta à ses lèvres.

Sur chacun de ses doigts, il déposa un baiser comme une caresse. Il éprouva une envie grandissante de la posséder entièrement. Jamais il ne s'était montré aussi proche et tendre envers une femme.

Les rayons de la lune dans la chambre éclairaient leurs peaux nues.

Il pressa son corps contre le sien et la fit basculer sur le lit.

Coucher sur elle, il dut s'extraire du désir impétueux de lui faire l'amour. Il s'arrêta de l'embrasser juste un instant. La respiration lourde et le corps chaud. Il remit une mèche derrière son oreille. Son regard l'envoutait. Il la cajola d'un petit baiser sur le front.

- Anna..

Elle le dévisagea avec un ravissant sourire.

- Hum ?

- La première fois, ce n'est pas très agréable pour toi, est-ce que tu le sais ?

Elle se contenta de le regarder avec des yeux qui voulaient tout saisir de lui.

- C'est seulement après que tu prendras du plaisir, ajouta-t-il.

- Je suis sûre que tu m'en donneras quand même, répondit-elle avec un sourire gourmand.

- Tu n'as pas appris à t'exprimer correctement, mais tu as l'art de me toucher quand tu décides de prononcer de belles choses.

Il pressa ses lèvres sur les siennes.

- Donne-moi un peu de toi ce soir et je te donnerais un peu du moi en échange. Tu me feras oublier la douleur, j'en suis sûre.

- Tu me confies une grande responsabilité. Est ce que tu me prends pour un doux ?

Elle acquiesça.

- J'en suis persuadée, dit-elle en passant ses bras autour de son cou.

Elle chercha ses baisers et il cessa de résister.

Il la choyait du regard, mais aussi par ses doigts qui passaient dans ses cheveux. Il se remplissait de chacune des parties qui la composaient. Plus il découvrait le feu du désir briller dans les pupilles d'Anna, plus son propre désir s'embrasait. Il la voulait. Son corps, complètement offert sans la moindre pudeur ondulait sous le sien.

Elle s'abandonna à lui et il lui fit l'amour.

Anna tournée sur le côté, dormait profondément à l'opposé de lui. En revanche, il n'arrivait pas à trouver le sommeil. Il sourit en regardant son dos dénudé, ses jambes dépliées qui prenaient l'espace du lit. Elle n'observait pas de vœux de pudeur comme le faisaient les femmes de bonne famille, car le drap ne servait pas à la couvrir, mais il était roulé en boule en guise d'oreiller. Il tira sur le tissu pour pouvoir en profiter, ce qui la fit ronchonner quelques mots incompréhensibles pendant son sommeil. Il échappa un petit rire, surpris par sa réaction si rude.

- Tu es aussi tendre qu'un ours, chuchota-t-il.

Il la saisit par les épaules et la fit glisser jusqu'à lui en faisant bien attention de ne pas la réveiller. Voilà, maintenant il pensait pouvoir s'endormir..

Le contact de son dos contre son torse l'apaisait. Il enfouit sa tête dans le creux de sa nuque et sentit un parfum de savon de cuisine qui se dégageait de ses gros cheveux roux. Cette odeur bon marché devenait son parfum préféré..

Anna se réveilla tôt, car elle avait l'habitude de commencer ses tâches quotidiennes aux aurores. Son bel inconnu dormait calmement. Elle s'attarda un instant à contempler son visage. Sur sa joue, ses petites étoiles délicates.. Elles lui conféraient l'âme poétique malgré le visage froid et fermé qu'Anna avait rencontré au tout début. « Comme quoi, se dit-elle, ne jugeons pas les apparences..» Elle voulut naturellement l'embrasser à nouveau, mais se surprit-elle même de ce comportement. Sophie qui lui avait raconté de nombreuses histoires de nuits charnelles l'avait prévenu qu'il puisse exister un lien fort après une nuit, unissant les deux êtres. « Non merci » se dit elle en se ravisant.

Elle sortit du lit et s'habilla en faisant le moins de bruit possible.

Quelque chose avait changé..

Elle sentait ses membres engourdis et une douleur encore vive entre ses jambes. La robe de Madame Carousselle maintenant représentait cette nuit si particulière. Elle la portait avec une certaine gêne, mais de toute façon c'était la seule qu'elle possédait et il était hors de question de s'en séparer si tôt.

Juste avant de partir, son regard accrocha sur un métal doré posé sur une chaise à côté de la chemise de son inconnu. Elle saisit sa précieuse médaille entre les doigts en hésitant. Était-ce aussi de l'or ? Intriguée, elle s'approcha à pas feutrés et découvrit une montre épaisse. Une très belle montre, richissime. La tentation la saisit..

Anna jeta un regard dans la direction de son homme endormi, il ne bougeait pas. Tout était silencieux. Tandis qu'elle s'empara du bijou, elle sentit son cœur battre un peu plus fort dans la poitrine. « Ce n'est pas correct de voler, Anna repose cette montre » disait sa conscience. Puis, une idée lumineuse vint étouffer la voix de la raison. « Je pourrais la vendre et payer un inspecteur pour retrouver mon frère ! »

Elle prit la montre sans scrupule. « De toute façon, se dit-elle, nous ne nous reverrons jamais..»

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