« Un aristocrate ne se mariera jamais avec une femme qui ne lui apporte pas d'argent ou de la renommée. Bien sûr, il peut nourrir un rêve d'amour avec une pauvrette défavorisée par le sort de la nature et fermer les yeux pendant quelque temps en la prenant pour sa maitresse, mais leur relation ne prétendra pas à autre chose. Et un jour, lorsque le tourbillon de la passion lui passera, il la laissera comme un objet qu'il lui aura beaucoup trop servi. »
Assise dans le lit, en regardant la nuit par la fenêtre, Anna respirait lourdement en repensant aux avertissements de madame Pichon. Elle les avait écartés de son esprit, car Georges n'était sûrement pas le même genre d'homme que sa gouvernante avait aimé plus jeune et qui l'avait fait horriblement souffrir ! Pourtant, au fond, quelque chose remuait son ventre. Une crainte invisible mordait cruellement son pauvre cœur. Dans la luxueuse chambre d'invitée, Anna se sentait seule sans la présence de Georges, comme si son absence suffisait à rendre l'espace vide et morne. Où était véritablement sa place au milieu de son riche mobilier et de toutes ses propriétés acquises depuis des générations par sa famille ? Le radieux amour qu'elle éprouvait pour lui se fit plus silencieux, honteux de s'être élevé au niveau de cette grandeur étrange.
« Le maitre est parti tôt ce matin, il avait plusieurs rendez-vous en ville à honorer. Ne vous en faites pas, il reviendra vous voir avant votre coucher. » lui avait assuré la vieille domestique Édith qui s'occupait d'elle avec Agathe la plupart du temps.
« Il rentrera pour le dîner ? »
« Souhaitez-vous connaitre tous les détails de l'agenda de monsieur ? " répondit-elle par l'interrogative en lui rappelant sa place de subordonnée.
« Non, madame » se sentit désoler Anna, en sentant son cœur se serrer.
« Bien. Votre gruau d'avoine. Manger. »
Anna poussa un soupir. Georges n'était pas venu. Était-ce parce qu'elle lui avait dit qu'elle l'aimait ? Ses sentiments lui faisaient-ils peur ? Se rendait-il compte qu'il ne pouvait pas aimer une domestique ? Elle n'avait pas envie de l'entendre se justifier, car il semblait se rendre coupable de tous les désagréments qu'elle subissait depuis qu'elle avait reçu la flèche à sa place.
« Georges ne va pas venir à toi, pensa-t-elle. Nous passerons sûrement notre vie à nous regarder l'un et l'autre sans quitter la pièce où nous sommes, mais sans nous rejoindre. Nous ne serons jamais mariés. »
Lorsqu'Anna réalisa avec lucidité dans quel piège horrible la destinée l'avait placée, elle tomba dans une profonde tristesse. Des larmes montèrent à ses yeux, et d'une main tremblante elle essuya son visage avec le pan du drap.
« Alors, je deviendrai ta maitresse, dit-elle tout bas alors que son cœur s'emparait de vertige. Parce que... parce que je ne pourrai jamais te quitter. »
Elle regarda une dernière fois le ciel obscur par la fenêtre avec une respiration entrecoupée par un nœud de tristesse, puis elle se leva du lit et sortit de la chambre.
Ses pieds nus ne faisaient aucun bruit sur le parquet. Anna s'avança dans un long couloir sans savoir où la chambre de Georges pouvait bien se trouver. Montchâteau paraissait encore plus sombre et inhabité dans la pénombre, comme si aucun évènement heureux n'avait rempli les pièces de cette demeure et que la nuit, les murs frémissaient des airs lugubres. Marchant attentivement un pied devant l'autre, Anna croisa des portraits de famille pareil à une succession de moments éteints. Georges ne s'était jamais séparé d'un objet de sa lignée. Involontairement, il repoussait l'idée de bâtir une vie nouvelle, et s'enfermait dans une espèce de culpabilité. Jour après jour, il devait croiser ces portraits comme s'il ne voulait jamais détourner ses yeux d'une faute qu'il aurait commise.
« Peut-être que je donne à votre fils, une préoccupation supplémentaire », se dit-elle en s'arrêtant devant le buste peint de monsieur Jean Henri de Monseuil qui adressait une mine grave sous des sourcils froncés.
- Mademoiselle Rouille ! Est-ce bien vous ? demanda la voix très étonnée de Geoffrey.
Il s'approcha d'elle à la lumière d'une lanterne qu'il tenait dans sa main droite. Lorsqu'il éclaira sa robe de nuit à peine correctement mise, il eut un mouvement de recul.
- Mon Dieu, mademoiselle ! Vous ne pouvez sortir sans un châle pour vous couvrir ! Que cherchez-vous ? Je vous ai dit que si vous avez besoin de quoi que ce soit pendant la nuit, il vous suffisait d'appuyer sur la sonnette pour qu'une domestique vienne vous voir.
- Eh bien, je... je me dégourdissais un peu les jambes avant de dormir.
- Il est tard pour une promenade. Ne trouvez-vous pas le sommeil ?
- J'ai essayé, mais je... je..., dit elle sans finir d'une voix brisée par le mal-être.
Geoffrey leva un sourcil. Il avait compris son petit manège.
- Ne serait-il pas plus raisonnable de regagner votre chambre ?
Anna hésita à faire demi-tour. Pour rien au monde, elle ne voulait retourner dans la chambre froide et vide qu'elle venait de quitter ! Mais Geoffrey ne bougeait pas et lui barrait le chemin. À force d'avoir consacré sa vie à Montchâteau, il était imprégné par la gravité du lieu. Sa rigueur et son air solennel ressemblaient à une copie conforme de son maitre. Anna se sentit déstabilisée puis elle avança un pas vers lui.
- J'ai fait tomber mon mouchoir derrière vous.
- Derrière moi ? Comme c'est surprenant ! Permettez-moi de vous dire mademoiselle que j'apprécie grandement votre sens de l'humour. S'il n'était pas aussi tard et que vous n'étiez pas devant moi en tenue légère comme vous l'êtes, j'aurais certainement ri, mais s'il vous plait, ne tardez pas. Regagner votre chambre, je vous prie.
- Geoffrey, j'aime votre maitre, dit-elle d'une voix tremblante qui trahissait son désir de le retrouver.
Il eut la respiration coupée par la surprise.
- Je dois dire que vous êtes une nature franche et déterminée, mais ce n'est pas un motif pour... pour... - Il détourna le regard de celui d'Anna qui brillait d'espoir - Bien, je vais vous éclairer jusqu'à ce que vous retrouviez votre mouchoir.
Anna se mordit la lèvre du bas pour retenir un cri de joie et suivit d'un pas hâtif ceux du majordome. Il s'arrêta un peu plus loin, à quelques mètres au seuil d'une porte.
- C'est ici, je suppose, soupira-t-il.
- Merci, Geoffrey, chuchota-t-elle.
- Évidemment, il en va de soi que personne ne vous a vu, dit-il avec la même discrétion.
Anna le découvrit fébrile. Elle ne put s'empêcher de trouver sa vulnérabilité attachante. Pour la première fois peut-être, quelqu'un venait perturber son quotidien et les règles établies par son maitre.
- Vous pouvez compter sur moi, répondit-elle tout bas.
Il disparut aussitôt et Anna prit une grande inspiration avant d'entrer dans la chambre de Georges. Elle se contrôlait pour garder le silence, mais au fond d'elle son cœur chantait à en mourir. Lorsqu'elle pénétra dans la pièce sans faire de bruit, elle le vit. Il était de dos, assis à un petit bureau près du lit, en train d'écrire à la lumière d'une bougie.
Ses pas s'étouffèrent sur le sol recouvert de tapis comme le bonheur qu'elle contenait en s'approchant encore plus près de lui. Puis, elle resta sans bouger à observer sa silhouette de dos, droite, solide et digne. Georges s'était enfermé dans une partie de lui même et trouvait encore la concentration pour travailler à une heure tardive. Il renonçait à son propre sommeil comme s'il subissait toujours l'oppression de son éducation du devoir de « bien faire ».
Elle toussa légèrement. Il se retourna aussitôt.
- Anna ! dit-il, surpris, en se levant rapidement de sa chaise. Que fais-tu ici ?
- Je me suis dit que je te ferais la surprise de venir dans ta chambre. Tu n'es pas content de me voir ?
Il s'empressa de la rejoindre, attrapa sa main et l'entraina vers la porte. Anna se sentit brusquée. Ses élans de joies contenus avec tant d'impatience retombèrent avec la lourdeur d'une pierre.
- Tu ne devrais pas être là, la rabroua-t-il sur un ton sec. Si quelqu'un te surprend à venir dans ma chambre dans la nuit, tu auras une mauvaise réputation.
- Je n'aurais pas de mauvaise réputation parce que je n'en ai aucune à tenir, tout simplement !
- Tu ne réfléchis pas à ce que tu dis. Tu n'es pas une domestique ici, mais mon invitée, dit-il d'une voix ferme.
- C'est plutôt toi qui as peur ! s'emporta-t-elle. Ça te dérangerait que l'on me surprenne avec toi parce que tu es monsieur de Monseuil et moi...
Une émotion lui porta un coup au cœur et sa voix s'éteignit.
- Et toi ? reprit-il en la sondant du regard.
- Et moi je ne suis qu'une pauvre orpheline. C'est cela que tu voulais m'entendre dire ?
- Non. Tu n'as pas compris qui tu étais pour moi.
- Je suis un amour qui passera dans ta vie ? Un vent léger à Montchâteau qui ne doit pas faire de bruit sur son passage ? Tu souhaites simplement me garder comme ta maitresse ?
Anna se sentit honteuse d'avoir prononcé ces mots. Au moment même où ils avaient franchi sa bouche, elle avait senti son cœur se ratatiner sous le poids de la violence. Ses respirations devinrent irrégulières et comprimées. « Dis-le que tu ne veux pas dans le fond être sa maitresse ! Dis-le ! » suffoqua-t-elle intérieurement. Mais elle se résolut avec peine :
- Je dois n'être qu'une discrète maitre...
- Ne dis plus jamais ça, dit-il en posant sa main sur sa bouche pour l'empêcher de parler. Arrête.
Ils se regardèrent en silence. Georges contenait ses émotions, mais elle sût qu'elle venait de lui faire du mal.
- Je sacrifierais ma réputation, ma richesse, mon titre si je le pouvais pour être avec toi, mais je dois veiller encore sur ma jeune sœur pour qu'elle ait un bon mariage. Je ne peux pas lui retirer ce à quoi elle a droit. Je te donnerai tout quand le moment sera venu.
Il retira lentement sa main et Anna eut envie de pleurer. Ces paroles de réconforts lui brisaient le cœur.
- J'ai été cruelle et égoïste, dit-elle, les larmes aux yeux. Je sais que tu es quelqu'un de bien, je n'en ai jamais douté ! Oh, Georges, je ne te demande pas tout cela, je ne te demande rien. Je me suis fait prendre par mes émotions et je ne sais pas ce qu'il m'a pris. Sois tranquille, je vais m'en aller.
Mais il ne supporta pas de la voir partir. Il avait l'impression qu'elle venait de subir son courroux, et qu'il la renvoyait dans sa chambre comme un maitre ferait en congédiant une domestique pour une faute qu'elle n'aurait pas commise. Jamais il ne voulait la dominer. Jamais il ne souhaitait se sentir supérieur à elle par l'usage de quelques serments arides dont elle était naturellement dépourvue depuis la naissance. S'il existait un amour au monde qu'il ne désirait voir s'essouffler, c'était bien le sien.
Il l'attira près de lui et la garda contre son torse un instant.
- Excuse-moi, chuchota-t-il. Je suis content que tu sois venu me voir. Je me suis comporté comme un idiot.
- Moi aussi, souffla-t-elle contre sa peau à travers le col de sa chemise. Tu m'as terriblement manqué aujourd'hui. Tu n'es pas venu me voir et j'ai trouvé le temps long.
- Petite sotte. Je suis venu t'embrasser, mais tu dormais.
Anna releva le menton.
- Rends-moi mon baiser.
Il posa doucement ses lèvres sur les siennes.
- C'est terriblement inconvenant de me troubler à ce point, dit-il.
Son regard se troubla sous l'intensité d'un désir qui montait.
- Et ma robe légère est choquante, souffla-t-elle en caressant du doigt ses lèvres.
- Très choquante.
Il l'embrassa à pleine bouche. Ses mains se posèrent sur ses hanches. Excité par la tiédeur de son corps contre le sien, il referma son étreinte pour l'amener encore plus proche de lui. À cet instant, il ne se soucia plus de rien, il quitta les règles de conduite qui l'avaient auparavant préoccupé en obéissant avec une complète soumission qu'au plaisir de la sentir entièrement sienne. Il ne savait plus rien, Anna l'emportait au-delà de Montchâteau, à grand galop, elle faisait partir les alouettes de ses préoccupations, et franchissait les bords de son monde. Elle lui redonnait sa liberté.
Elle ouvrit sa bouche avide de recevoir ses baisers. Il l'embrassait et l'inondait de sentiments d'amour partout où il posait ses yeux sur son corps. Le moment qu'ils partageaient était un espace gardé par eux-mêmes, une plaine ondulée par la douceur, un berceau de « nous ». Anna ne savait quoi dire et que faire, elle s'enivrait du goût de ses lèvres.
Un feu brulant de désir se logea dans son ventre, ses poumons se gonflèrent, son souffle devint court. Georges retira complètement sa chemise et posa ses mains sur ses épaules qu'il caressa avec fougue. Puis, il se força à ralentir ses gestes, calmant l'impudence de son désir. Ses doigts la touchèrent avec pudeur et s'endormirent sur le voile de coton qu'elle portait. Il brulait d'envie de la voir nue, mais il s'était arrêté, perdu dans son regard, le cœur plein de flammes, il était contraint d'attendre sa permission pour aller plus loin. Une pensée le traversa : « Lequel de nous flotte dans l'air ? Lequel de nous a le sentiment d'avoir tout perdu et ne tient plus qu'à l'autre ? »
Anna déboutonna elle même sa robe, qui tomba à ses pieds comme des vaguelettes blanches sur le sol. La vision de ses seins le laissa interdit.
Il l'attaqua à petits coups de baisers dans le cou, avec le désir de s'emparer d'elle. Il avait besoin d'elle. Il se nourrissait de chaque espace de peau qu'il caressait et qu'il baisait. La pointe de ses seins se frotta contre son torse et les cheveux roux d'Anna qu'elle venait de délacer retombèrent sur son bras musculeux qui pressa son dos. Totalement dépourvue de résistance, elle échappa un gémissement étouffé. Tandis qu'il se débarrassait du reste de ses habits, elle attrapa son visage entre ses mains et écrasa ses lèvres contre les siennes comme une assoiffée. Chaude, et prise de vertige, elle se consumait à la vitesse d'une braise ardente. Il s'agenouilla, et fit basculer son corps frissonnant de passion qu'il désirait enflammer davantage. Elle observa de sa hauteur le vigoureux Georges aux cheveux sombres, les muscles saillants de ses bras et de son torse. Elle aurait été incapable d'arrêter son esprit qui se passionnait de la vue de son corps. Il laissa libre cours à son plaisir en embrassant son ventre nu. Il caressa ses fesses et fit courir ses doigts sur son sexe.
Anna sentit une secousse de plaisir dans le creux du bas ventre, ses mains s'agrippèrent aux épaules de Georges avec le sentiment impuissant d'être sa captive. Entièrement remise à ce moment qui lui était bon, ses muscles se tendirent et bourdonnèrent d'excitation. Il appuya sa bouche sur sa partie intime comme s'il avait l'intention de la vider de toutes ses forces. Anna perdit le repère de ses sens, et sentit son corps s'envoler. Ou bien était-ce elle qui le quittait ? La respiration haletante, plus rien ne ressemblait à quelque chose de réel, même la présence de Georges devenait transparente. Les yeux à demi clos, elle n'eut pas d'autre choix que d'attraper comme un fil qui la rattachait à la terre, une image de l'instant. Elle fut saisie de beauté en voyant les rayons chauds des chandelles refléter des nappes d'or sur le dos musclé de Georges. Elle referma les yeux, et se laissa entièrement recouvrir par son plaisir qui l'embrasait tout entière.
À l'écoute de ses souffles, il remonta sa bouche jusqu'à son cou, et la sentant fébrile, ses baisers devinrent doux comme des caresses. Il plongea son regard dans ses yeux qui venaient de s'ouvrir et lui demandaient qu'une seule chose : d'être encore plus proche de lui.
Le lien invisible et étrange qui les avait unis à l'auberge avait désormais muri, au point qu'il entrelaçait solidement leurs cœurs.
Ils ne se quittèrent pas du regard. Ils s'appartenaient complètement. Georges l'embrassa fougueusement. Sa langue s'enfouit profondément dans sa bouche. Il l'entraina à se coller à lui et pressa ses mains sur ses reins qui la firent se cambrer. Anna sentit son sang palpiter dans ses veines, ses jambes tremblèrent. Leurs corps humides et collés l'un à l'autre battaient à l'unisson. Ils exprimaient le mystère de l'amour qui étreint deux cœurs et qui ne désire jamais se séparer.
Il la renversa sur le lit. Elle referma ses jambes nues autour de sa taille, et ses mains accrochèrent sa nuque comme si elle eut peur qu'il soit trop loin d'elle. Elle avait envie de le sentir entièrement. Le poids de son corps sur le sien, sa peau nue contre la sienne, ses baisers sur sa bouche. Elle désirait tout de son amour sans borne.
Au matin, Anna caressa doucement la joue de Georges qui dormait encore. La première fois qu'ils s'étaient étroitement liés, elle avait donné un surnom aux crins de beauté qui la recouvraient : « une constellation d'étoiles ». Sous le charme, elle aima les regarder et fit danser ses doigts entre chaque comète.
Il se réveilla et lui sourit. Son bras l'attira vers lui et elle vint se blottir contre son torse.
- Hier, j'ai vu ta cicatrice, dit-elle en tournant le menton pour embrasser une marque blanche sous sa clavicule. La première fois que je l'ai vu à l'auberge, je ne savais pas quoi en penser.
- Je ne pensais pas que tu l'avais remarqué. Et, tu t'en souvenais ?
- Je me souviens de tout, moi, monsieur.
Il pouffa de rire.
- Est-ce que tu as encore mal ? demanda-t-elle.
- Non.
Anna n'osa pas le regarder. Pour la première fois, Georges ne parut pas troubler par le fait qu'elle le questionne sur son passé comme s'il venait d'ouvrir une porte pour la faire entrer dans son jardin secret. Cela lui fit peur. Mais pourquoi avait-elle soudainement peur que Georges se confie à elle ? Elle n'osa pas l'interroger sur l'origine de cette laide entaille.
- C'est plutôt à moi de te demander si ton épaule est douloureuse, dit-il. J'ai fait attention hier soir, mais il n'aurait pas fallu que tu bouges ton bras.
- Mon pauvre Georges, tes préoccupations sont bien tardives pour quelqu'un qui a l'habitude de s'inquiéter, le taquina-t-elle.
- Petite garce, je vais te remettre au gruau d'avoine.
- Tu n'oseras pas. Si tu fais ça, je te jure que je ne te parlerai plus jamais.
- Vraiment ? dit-il en la retournant sur le dos pour s'empresser de poser ses lèvres sur les siennes.
- Tu ne m'intimides pas du tout, dit-elle, grand sourire.
- Depuis le début, je ne t'intimide pas. J'ai dû manquer de moyens avec toi.
Il descendit son regard sur son visage et s'attarda sur sa bouche.
- Je ne suis plus le même homme avec toi, chuchota-t-il avant de l'embrasser.
Anna entoura ses bras autour de sa nuque.
- Et moi, je ne suis plus la même femme, répondit-elle dans un souffle.
Georges baisa son front et passa une main dans ses cheveux en tentant de les discipliner.
- Tu as beaucoup de cheveux. Est-ce que tu les coiffes ?
La question fut innocente, mais Anna prit la mouche :
- Tu n'aimes pas mes cheveux ? Qu'est ce qu'ils ont ? Ah ! Tu vas me dire qu'ils sont roux et que tu ne les aimes pas !
- Chuuut. Je n'ai jamais dit cela. Tout à coup, j'ai l'impression d'avoir un tigre dans le lit.
Anna éclata de rire.
- Beaucoup de gens m'ont fait des remarques sur mes cheveux, dit-elle plus sérieusement. Quand on est roux, on n'est pas beau. Je n'ai jamais été adopté à cause de cela, je ne plaisais à personne. On disait même que ça pouvait porter malheur d'avoir un roux dans sa famille.
Georges caressa ses boucles, puis il attrapa une mèche et l'embrassa du bout des lèvres.
- Il ne faut pas croire ce que tout le monde raconte, dit-il. Et tu ne dois pas leur en vouloir d'être aussi bêtes. Certaines personnes croient en des superstitions sans réfléchir. Tu n'étais pas faite pour les rencontrer.
- Je suis faite pour être amoureuse de toi, fit-elle en l'enlaçant.
Il déposa un baiser sur sa joue. Puis, il attrapa une montre à gousset sur le rebord de la table de chevet. En examinant le cadran, il s'enfonça dans le lit en soupirant.
- Je ne suis jamais levé aussi tard.
- Ils vont croire que tu es tombé malade, pouffa Anna. Tu vas voir, ils vont t'apporter un bol de gruau d'avoine !
Il lui pinça la joue ce qui lui déclencha un fou rire.
- À quelle heure te lèves-tu d'habitude ? demanda-t-elle.
- À cinq heures.
- Cinq heures ? répéta-t-elle en se redressant sur un coude. Tu es complètement déréglé ! À cette heure-ci, tout le monde dort ! En tout cas, moi, je dors encore profondément. Je me lève tous les jours à six heures à la grande Demeure, et je trouve que c'est bien assez tôt ! La dame prend son petit déjeuner à sept heures et tout doit être prêt à temps. Parfois, nous devons encore nous lever un peu plus tôt et je ronchonne.
- Pour quelle raison ?
- Parce qu'un certain Georges de Monseuil vient se joindre au petit déjeuner et nous devons préparer encore plus de choses.
Il eut l'air amusé, son regard pétilla en même temps que ses lèvres formèrent un sourire charmeur.
- Me portais-tu une attention particulière en dressant la table ? demanda-t-il.
- J'espérai surtout que tu me laisses de la tarte aux pommes.
Il pressa ses lèvres sur les siennes avec la douceur d'une caresse.
- Je te l'ai laissée toutes les fois où je suis venu.
- Mais c'est parce que tu n'aimes pas les pommes ! s'exclama-t-elle en le repoussant.
- C'est vrai, rit-il.
Anna prit la lourde montre à gousset dans sa main et regarda à son tour l'heure. En la retournant, elle aperçut à son dos la prestigieuse gravure du titre des Monseuil : un « M » écrit en majuscule.
- Ne possèdes-tu rien qui ne porte pas ton nom ? As-tu peur que l'on te vole quelque chose ?
- Non.
- Enfin, c'est absurde ! Moi, je n'écris pas Rouille sur toutes les choses que j'ai ! Ça ne me viendrait pas à l'esprit d'écrire un « r » en lettre capitale dans le dos de ma robe de chambre !
- Lorsque l'on possède un titre, tous les objets de famille qui ont une certaine valeur deviennent un emblème.
Elle soupira.
- Comment peux-tu développer de l'humilité avec tout ceci ?
Il reposa en souriant la montre sur la table de chevet sans prêter attention à sa remarque.
- Tu poses cette montre en or comme une boulette de papier ? S'offusqua-t-elle.
- Oui, répondit-il simplement, amusé par sa réaction.
- Georges, tu as été pourri, gâté !
Il éclata d'un rire sincère. Elle fit semblant de bouder alors il se pencha vers elle en cherchant à la taquiner.
- Ne tire pas sur mon vêtement, dit-elle en posant fermement ses mains sur le drap qui la couvrait.
- C'est un drap, ce n'est pas ta robe. Ta robe est par terre.
Anna s'adoucit et le cajola en frottant le bout de son nez sur le sien.
- C'est de ta faute.
- Oui. Laisse-moi me rattraper, dit-il en l'embrassant chaudement.
La mine joueuse, elle se dégagea de ses bras et se mit à genoux face à lui. Elle tira d'un seul coup sur le drap qui la recouvrait.
- Toute nue !
Elle remit le drap sur sa poitrine.
- Habillée !
Elle répéta plusieurs fois sa comédie avant qu'il ne l'arrête en la tirant vers lui. Georges afficha clairement sa préférence pour la version déshabillée.
★
- Agathe, que faites-vous avec ce plateau ? demanda Geoffrey, posté devant la porte fermée de la chambre de son maitre comme un officier qui montait la garde.
- Je viens apporter le déjeuner à Monsieur, il n'est pas sorti depuis ce matin, répondit-elle.
- Non, non. C'est une mauvaise idée. Donnez-moi ce plateau.
- Mais, monsieur, le repas va être froid et le maitre déteste nous renvoyer en cuisine et attendre.
- Je m'en occupe. Ne me faites pas me répéter.
- Très bien, je vous obéis parce que vous êtes mon supérieur, mais je ne souhaite porter aucune responsabilité.
À ce moment-là, ils entendirent un gémissement poussé par un plaisir aigu traverser la porte. Sachant tous deux de quoi il pouvait s'agir, ils se regardèrent en tentant de camoufler l'un et l'autre leur embarra.
- Voilà le plateau, dit-elle en le lui remettant, un peu tremblante.
- Merci, Agathe, je me charge d'attendre le réveil de Monsieur, dit posément Geoffrey en redoublant d'efforts pour garder son calme.
- Oui, bien. Bon courage, dit-elle en s'éloignant à toute vitesse.
L'instant d'après, une autre domestique vint à la porte de la chambre du maitre. Geoffrey se concentra pour paraitre naturel avec le plateau entre les mains, droit comme un piquet.
- Pour quelle raison cette fois-ci, je vous prie ? demanda-t-il sur un ton cordial.
- Une lettre de madame de Monseuil, monsieur.
- Vous pouvez me la remettre. Le maitre en prendra connaissance au moment opportun.
- Mais, si le contenu est important, il demandera sûrement pourquoi nous l'avons gardé aussi longtemps avant de la lui remettre, insista-t-elle.
- Faites-moi confiance. Donnez-moi cette lettre. Je prends la responsabilité, soupira-t-il.
- Bien.
Elle hésita, car il n'avait pas de mains libres pour la prendre, puis il fit un signe qu'elle pouvait la poser sur le plateau ce qu'elle fit en étant perturber par la situation. Elle lança un regard interrogatif vers la chambre de son maitre et le quitta.
- Reste à savoir maintenant, combien de temps, je pourrai tenir dans cette position, dit Geoffrey.
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