Chapitre 15 : Au nom de l'amour

On racontait que Marie de Monseuil était en proie au désespoir : elle ne se levait plus de son lit et passait ses journées à pleurer. Le docteur Mousse, médecin de la famille Monseuil depuis des décennies, l'avait vue grandir et connaissait les scènes spectaculaires dont elle était capable pour attirer l'attention et combler son manque d'affection. Pris d'un élan de compassion pour la malheureuse, il tenta de renverser la situation en faveur de la cadette. Mais c'était chose peu aisée, car Georges ne se laissait pas amadouer facilement. Convoqué pour un entretien, le médecin s'approcha timidement du bureau où Georges lisait une lettre.

- Dans quel état se trouve ma sœur ? Est-elle malade ? demanda-t-il sans lever les yeux du courrier qu'il étudiait.

Le docteur prit le temps de s'éclaircir la voix :

- Non Monsieur, votre sœur ne court aucun danger. Cependant, si je peux me permettre de vous donner mon humble avis..

Georges l'interrompit aussitôt en balayant l'air de sa main alors qu'il était toujours penché sur sa lecture. Un geste rapide pour lui faire comprendre qu'il pouvait regagner la porte. Chose très connue : Georges ne demandait d'avis à personne.

L'affaire fut close.

Anna essuya ses mains sur son tablier et décocha l'enveloppe qu'on lui avait remise plus tôt. Elle avait préféré être seule et au calme dans sa chambre pour savourer ce moment de lecture. C'était une lettre de Madame Carousselle.

« Anna, ma chérie,

J'espère que le quotidien à la Grande Demeure est plaisant et que tu t'y accommodes. Tu es partie si vite.. On dit qu'il faut être face à l'absence d'une personne pour mesurer son attachement. Tu nous manques à tous.

Par cette missive, je dois maintenant exprimer quelques mots de la part de Sophie, qui m'assomme tous les jours avec cette question et qui ne me laissera aucun moment de répit, comme tu peux le deviner, car tu la connais si bien : "Qui as-tu rencontré le soir à l'Auberge ? Jérémie, employé comme serveur, lui a certifié sur son honneur qu'après son service, il ne t'a jamais aperçu". Bien, cette requête est finie et tu n'es pas obligé de répondre à ce sujet.

Ici, tout le monde se porte bien. Le mois de septembre est doux et nous ne manquons de rien comme l'a si bien promis Monsieur de Monseuil. Les enfants ne parlent que de toi tous les jours et Basile vient régulièrement me demander de tes nouvelles.

Je te souhaite les journées les plus heureuses dans la Grande Demeure. Nous t'aimons tous très fort.

Je t'embrasse avec toute mon affection. ----- Madame Carousselle. »

Tant d'émotions la submergeaient à présent ! Elle s'était sentie transportée à Sarville en l'espace d'un instant ! Avec le pli de son tablier, elle sécha rapidement ses yeux qui la piquaient. Elle pouffa en s'imaginant la tête de Sophie si elle apprenait que Son Jérémie était Georges de Monseuil. Ce fameux Georges que tout le monde semblait craindre et respecter, celui qui mettait mal à l'aise avec son attitude ferme et son regard perçant, et soutenait toute la renommée de la Grande Famille. Est-ce qu'elle avait réellement fait ce qu'elle avait fait ? Comme le destin était imprévisible ! Anna secoua la tête pour chasser le visage du brun ténébreux qui revenait à son esprit et souleva son oreiller pour cacher sa lettre. Elle y trouva la montre en or et s'exclama : « C'est décidément l'endroit de tous mes trésors ! »

On frappa à la porte. Anna couvrit rapidement l'oreiller par le drap, se sentant toujours coupable d'avoir volé cette montre. Elle était demandée auprès de Marie. Quelque chose lui disait qu'elle allait retrouver une malheureuse..

À peine entrée dans sa chambre, Marie se redressa dans son lit et amena les draps à sa taille, faisant tomber une ribambelle de mouchoirs sur le sol. Ses grands yeux-marrons, autrefois remplis d'espoir et de gaieté, étaient éteints et humides. Lorsqu'elle croisa le regard d'Anna, son cœur se souleva et la dure réalité revint animer sa blessure.

- J'ai été stupide Anna ! J'ai cru que mon frère s'inquièterait de mon état de santé, mais il n'est même pas venu me rendre visite. Même pas une seule fois ! C'est pour te dire à quel point, il tient à moi. Je crois que Docteur Mousse me porte plus dans son cœur que lui.

Anna la regarda avec beaucoup d'affection. Cette jeune femme avait l'air si seule et abandonnée dans cette grande Demeure. Ce n'était pas étonnant qu'elle fût tombée amoureuse d'un homme habitant loin d'ici, capable de lui faire oublier ses longues journées ennuyeuses à la Grande Demeure.

- Il n'a pas d'amour. Je ne veux plus le voir, jamais !

Sa mâchoire se crispa et elle tourna radicalement sa tête vers la fenêtre. Elle avait pleuré toute la journée, verser quelques larmes de plus ne ferait pas la différence. À quoi bon ! Elle ne se sentait pas libérée de cette amertume. Elle lui en voulait comme personne sur cette terre !

Tous les sarcasmes qu'elle utilisait pour se moquer de lui trahissaient son attachement pour son frère. Elle se révoltait sans cesse contre lui pour essayer d'obtenir ce qu'elle voulait et pour un jour le voir faiblir dans sa rigidité. « Est ce que par amour pour moi, il concèdera à mon souhait ? » Depuis petite, elle l'avait toujours admiré : la retenue qu'il avait à cacher ses émotions, son esprit vif et la confiance qu'il émanait ! Elle était la petite sœur insouciante et espiègle et lui, son grand frère mature et austère. À présent, son cœur se serrait de tristesse. Ils étaient décidément trop éloignés l'un de l'autre pour se comprendre.

Un silence pesa dans la pièce, aussi lourd que le chagrin qu'elle retenait d'exploser. Anna s'approcha doucement et s'assit au bord du lit. Elle remit une mèche bouclée de ses cheveux derrière son oreille.

- Je suis sure que si vous étiez réellement malade, il serait venu et vous aurait tout accordé, car ce n'est pas possible de ne pas aimer une femme aussi pétillante que vous.

Marie plongea ses yeux dans les siens et vit avec quelle gentillesse Anna la regardait. Sans parvenir à se contrôler, elle éclata en sanglots.

- Anna, tu es si gentille et moi je suis si méééchante !

Elle eut du mal à reprendre sa respiration entre les quintes de pleurs qui secouait son corps, mais poursuivit, la voix hachée :

- Je suis médisante, car vois-tu, Georges n'a jamais eu beaucoup d'affection. Moi, j'ai été dorloté par nos parents, mais eux, ils le regardaient à peine. J'ai souvent souffert pour lui quand je le voyais s'éloigner comme un solitaire en prétextant d'aller se promener. Il a toujours fait comme s'il ne s'en préoccupait pas, mais dans mon cœur je savais qu'il n'avait pas le droit de dire que cela le dérangeait et que s'il exprimait une demande d'attention particulière, il se serait senti diminué par notre père, car mon père, Anna, avait un talent pour ignorer les gens et les rendre misérables.

- Et votre frère, Monsieur Nicolas ?

Cette question calma les pleurs de Marie. Elle n'avait jamais entendu de « Monsieur Nicolas ». La simplicité d'Anna la fit sourire. Comme elle aimait sa compagnie ! En revanche, le souvenir de son frère la fit soupirer et elle leva les yeux au ciel.

- Nicolas a toujours eu ce qu'il voulait ! Il était l'adorable fils prodige. Je pense que son existence seule suffit au bonheur de ma mère.

Cette nouvelle surprit Anna. Nicolas avait été un enfant choyé et aimé, il n'avait manqué de rien. Comment pouvait-il maintenant être si triste et torturé ? Que s'était-il passé ? Tandis qu'elle se posait davantage de questions, elle se rappela l'avertissement de Madame Pichon : ne pas se mêler des histoires de la famille de Monseuil ! Et pourtant sa curiosité était tellement grande !

Est-ce qu'elle pouvait questionner Marie ? Cette aristocrate la considérait bien plus qu'une domestique, mais jusqu'où pouvait-elle profiter de ce droit ?

Un sourire traversa le visage de Marie comme un rayon de soleil dans un ciel gris. Elle pressa ses mains sur les siennes.

- Accepterais-tu de devenir ma domestique personnelle ? Tu logerais décemment dans une chambre pas loin de la mienne et nous pourrions entretenir une amitié. Dans mon milieu, on voit rarement des aristocrates se lier d'affection avec des domestiques, mais rien ne nous en empêche. Et puis, je me fiche si cela est mal vu. Georges a bien son majordome comme ami, et j'ajouterais même que c'est son meilleur ami, bien qu'il ne puisse pas se rendre compte de ces choses-là. En tout cas, personne n'ira lui faire un reproche.

Anna se sentit extrêmement gênée surtout devant le regard plein d'espoir que lui lançait Marie. Elle repensa à Paulette, Amandine, et même à l'énigmatique Géraldine et son cœur se serra. Oh non, elle ne pouvait pas s'imaginer loger à la Grande Demeure sans elles !

- Je n'ai pas envie de vous rendre triste, mais je refuse votre proposition, Madame, dit Anna dans une petite voix. Je préfère rester avec mes camarades, je suis désolée.

Les épaules de Marie s'écroulèrent et son corps s'affaissa comme un ballon percé. Elle acquiesça de la tête en silence, les lèvres tremblantes, et finit par exploser une nouvelle fois en sanglots :

- Personne ne m'aiiiiiiiime !

Anna se mordit la lèvre pour ne pas rire, car l'expression de sa tristesse était très théâtrale. Son visage se gonflait et se ridait comme une poupée de cire. La poudre blanche dégoulinait de ses joues. Elle prit sa main contre la sienne et la berça doucement pour lui témoigner son affection. Elle avait vu tant d'enfants en manque d'amour à l'orphelinat qu'il était facile pour elle de la comprendre et la réconforter.

- Je ne vais pas m'en aller, ajouta Anna. Je reste ici pas loin de vous. Vous pourrez me voir quand vous voudrez.

Marie pleurait encore et prit le pan du drap pour se moucher. Anna soupira.

- Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous ?

- Non rien. Plus personne ne veut de moi. Je suis comme une fleur que les abeilles et les bourdons refusent de butiner. Mon existence est un gâchis pour la nature ! Le jour où je viendrai à mourir, vieille fille qui plus est, personne ne s'en apercevra. Toi, Anna, tu seras mariée avec un mari adorable et tes enfants gais comme des hirondelles auront des visages joufflus. Ils passeront leur temps à courir après les papillons et se réfugieront toujours dans tes jupons. Tu leur diras..

Soudain, elle s'interrompit. Un éclat joyeux illumina son visage. Avec une excitation débordante, elle pressa fort ses mains contre les siennes.

- Oh Anna, j'ai une idée ! Je vais écrire une lettre à Georges et tu lui apporteras en main propre ! Je vais lui écrire mon amour pour Lord Jack Salmon ! Quand il verra combien je l'aime, il se dira qu'il a mal jugé le caractère frivole de sa sœur !

Cette nouvelle ne plaisait pas du tout à Anna qui fit une moue dégoûtée. « Revoir George, non merci ! » En plus, Georges n'allait sûrement pas accepter son amour pour Lord-quelque chose-, car Anna avait déjà oublié son nom -. Elle soupira intérieurement avec une grande lassitude. Elle n'avait pas le choix et Marie semblait retrouver toute sa gaieté.

Elle était sortie du lit et gesticulait partout dans sa chambre avec une feuille de papier à la main. On aurait dit qu'elle venait déjà d'épouser son homme ! Anna comprit que sa mission était importante et se jura de passer son ressentiment pour George après l'entraide amicale qu'elle avait envers Marie.

Au bout d'un long moment, l'aristocrate plia une lettre qui contenait apparemment tous les supplices de son cœur et la remit précieusement entre les mains d'Anna. Comme si elle envoyait un chevalier porter un message au Roi, elle l'avertit d'une voix grave :

- Tu trouveras sur ton chemin bien des obstacles, car Georges doit être en train de donner un cours d'escrime à ses élèves, et il ne peut pas être dérangé dans ses circonstances. Si ses domestiques t'interdisent de l'approcher, use de mon pouvoir, dit-elle en se frappant la poitrine, ne recule devant rien, dis-leur que je t'ai ordonné de remettre cette lettre en main propre ! Et surtout, Anna, méfie-toi du majordome, Monsieur Geoffrey Roland, sa loyauté envers Georges le pousse à faire des miracles, il serait capable de le protéger avec son propre corps ! Autant te dire que si tu le vois : un homme aux cheveux grisonnant, mais bien portant, cache-toi vite ! Est-ce que je peux te faire confiance ?

- Oui, répondit Anna qui cachait son envie de bougonner.

- Oh Anna ! s'exclama la jeune en la serrant fort contre elle, je suis tellement heureuse ! Je vais te donner un chapeau parce que le vent souffle dehors, je crois qu'un orage se prépare. Un fiacre va venir te chercher et t'emmener à Monchâteau. C'est le nom de notre ancien manoir, là où toute notre famille a grandi. Georges habite là bas, il n'a jamais quitté les lieux ! Peut-être qu'il est sentimental dans le fond ?

Anna s'apprêta et manipula plusieurs fois le chapeau pour ne pas qu'il lui tombe devant les yeux. Elle ne savait pas le mettre correctement et tous les rubans qui le décoraient la gênaient plus qu'autre chose.

Marie, d'humeur guillerette et tout sourire, voulu la rassurer par un dernier mot :

- Et surtout, ne t'en fait pas Anna, n'aies pas peur de mon frère, il ne te fera aucun mal.

Anna monta les innombrables marches du perron et admira l'entrée rustique du manoir, bâti sur de lourdes pierres à l'ancienne. En haut de la porte figurait le blason de la Grande famille : un « M » à l'allure magistrale et imposante. Son cœur se pressa dans sa poitrine en repensant à la montre en or massif qu'elle gardait encore précieusement pour payer un jour un inspecteur, capable de retrouver son frère. Ses pas devinrent plus lourds que jamais. Elle reprit courage en se rappelant qu'elle ne faisait que suivre sa propre destinée. Retrouver son frère était son souhait le plus cher, et s'il fallait à un moment donné qu'elle paie les conséquences de son acte, elle assumerait sa responsabilité.

À sa grande surprise, aucun domestique ne l'empêcha de rencontrer Monsieur de Monseuil et elle fut conduite à la salle d'entrainement où Georges donnait un duel à un de ses élèves devant sa classe.

Elle l'observa un peu, la lettre en main. Il était grand, agile et intimidait plus son élève par son charisme que par son épée. Cette coutume aristocratique perdait de son autorité depuis plusieurs années, car tout le monde préférait maintenant les duels au tir. Anna sourit. Le voir y prêter encore beaucoup d'importance, montrait à quel point il était attaché à l'ancien temps. Peut-être même à la mémoire de son passé..

L'élève étourdit, s'aperçut de la présence d'Anna, une belle jeune femme qui plus est, et perdit toute sa concentration. En un rien de temps, son épée fut éjectée par un coup des plus anodin. Georges tourna aussitôt la tête vers Anna. Quelle ne fut pas sa surprise de la retrouver ! Elle ne manquait pas d'audace pour venir chez lui ! Il fonça sur elle, jetant au sol son épée en chemin.

Les jambes d'Anna se plantèrent fermement au sol, prêtes à vaincre un nouvel affrontement. Elle lui tendit immédiatement la lettre.

- Je ne viens pas de mon plein gré. Ta sœur m'a chargé de te remettre une lettre en main propre et je tiens parole alors voilà, tiens, prends-la.

- Penses-tu ! Je suis sûr que tu n'as pas hésité une seule seconde à venir me voir ! Ce plaisir n'est pas partagé, cela ne sert à rien de me tourner autour comme une femme avide !

Tous les élèves de bonne famille présents dans la salle restèrent figés en état de choc par la façon si familière dont Anna venait de s'exprimer. Mais le pire, c'était de voir Georges lui répondre comme si elle était son égale, et sans même la réprimander pour cette faute grave !

- Ne m'insulte pas ! monta d'un ton la voix d'Anna. Je ne suis pas une femme avide ! Ce n'est pas de ma faute si tu n'es entouré que d'hypocrites à cause de ton argent ! Toutes les femmes ne sont pas comme ça, et il y en a qui ne veulent pas te voir ! Si j'avais su que c'était toi à l'auberge, je ne t'aurais jamais approché !

Cette remarque toucha sans le savoir le cœur de Georges. « Parce que quoi ? hurla-t-il intérieurement. Je suis trop sévère, trop imbu de ma personne, je n'ai pas assez la tête du Dandy pour mériter une nuit de tendresse ? »

- Elles ont toutes quelque chose derrière la tête et venant d'une pauvre domestique, j'imagine que des raisons bien pires t'ont incité à venir travailler à la Grande Demeure.

- N'importe quoi ! Je ne suis pas venu pour toi, mais pour ton..

Anna s'arrêta net et poussa un cri d'énervement. Son poing serra si fort la lettre qu'elle fut presque broyée entre ses doigts. Elle ne pouvait pas lui parler du contrat avec Madame de Monseuil, car elle mettrait fin aux vivres de l'orphelinat. Et son cœur, pourquoi son cœur refusait catégoriquement de prononcer ces aveux ?

- Pour mon argent ? demanda-t-il plus posément en levant un sourcil.

- Laisse tomber ! Je suis désolée pour toi si tu n'as pas assez de qualités pour être aimé autrement.

Georges ricana, mais il était vexé. Il arracha la lettre de ses mains.

- Marie est amoureuse de Lord-quelque chose, et elle souhaite que tu sois plus gentil avec elle. Elle attend que tu..

- Me dirais-tu ce que je dois faire ? demanda Georges en levant les yeux de la lettre.

Il en avait assez lu. Calmement, en défiant Anna du regard, il se mit à la déchirer en petit bout.

- C'est injuste ! Marie est dans un état pitoyable ! fit-elle en se mettant accroupie pour récupérer ce qui restait de la lettre.

Georges s'avança vers elle. Encore plus près. Son air devenait menaçant. La main d'Anna parcourait le sol, parfois même entre ses chaussures pour récupérer tous les bouts de papier. Elle pensait à Marie, la pauvrette. C'était comme si elle voyait son cœur éparpillé en mille morceaux.

- Marie tombe amoureuse de n'importe quel Lord-quelque chose, dit il pour reprendre l'expression d'Anna. Elle n'a aucun sens du discernement. C'est une enfant gâtée, qui fait des caprices. Si je n'étais pas là, elle aurait déjà plongé notre famille des centaines de fois dans la calomnie.

- Tu ne lui fais pas confiance ! Je crois qu'elle est vraiment amoureuse de cet homme et..

Georges bloqua sa main avec son pied. Anna leva aussitôt sa tête vers lui, l'air rageur.

- Et, qu'est ce que tu connais, toi, de l'amour ? demanda Georges avec un regard pénétrant.

Anna resta silencieuse quelques instants. Elle contrôlait ses nerfs. Chaque inspiration était censée la calmer.

- Retire ton pied de ma main, siffla-t-elle entre ses dents serrées.

Mais cet ordre ne parvint pas à le dissuader. Au contraire, il appuya davantage son pied contre ses doigts qui se plaquèrent plus fermement au sol.

- La montre, Anna. Rends-moi ma montre.

Le cœur d'Anna se mit à battre la chamade et elle ne put réussir à soutenir son regard. Cette culpabilité l'étouffait depuis qu'elle avait enfoui cette montre dans sa poche. Mais la lui rendre, non jamais !

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

- En es-tu bien certaine ? Une montre unique, qui appartenait à mon père. C'est étrange, elle a disparu le soir où nous nous sommes rencontrés.

Anna déglutit, et sentit des sueurs froides perler son front comme si une violente fièvre la frappait.

- Tu l'as surement fait tomber quelque part.

- Oui, le bracelet en or massif devait être de mauvaise qualité.

- Je ne l'ai pas !

Il n'hésita plus une seconde et pressa son pied de plus belle. Son visage prit une expression indéchiffrable et ses yeux noirs illuminés par le plaisir de dominer, se plongea dans ceux d'Anna. Il souhaitait la soumettre et il en avait les moyens. Sa chaussure écrasa le dos de sa main comme s'il s'agissait d'un mégot de cigarette.

- Rends-la-moi !

Anna poussa un cri de douleur et tenta de retirer son membre écrasé. Elle attrapa sa cheville avec sa main libre et planta ses ongles de toutes ses forces.

Georges ne bougea pas. C'était comme si la douleur ne le touchait pas ou qu'il en était immunisé. Seulement après un instant à l'avoir regardée en silence, et, car il l'avait décidé, il souleva sa chaussure.

- Je te déteste, hurla Anna en ramenant sa main meurtrie contre sa poitrine.

Ni une, ni deux, elle sortit en courant.

Anna avait regagné sa chambre et s'était étalée tout du long, face contre le matelas. Elle hurlait dans son oreiller en le frappant avec son poing.

Amandine et Paulette arrêtèrent de parler, très surprises. Même Géraldine qui regardait la scène depuis le haut de son lit haussa les épaules avec une mine ébahie quand Paulette l'interrogea du regard.

- Tu n'as pas l'air de bien aller, Anna. Est-ce que tu veux en parler ? demanda Amandine d'une voix timide.

Anna répondit par : « Je le déteste, je le déteste, je le déteste ! », en assommant une nouvelle fois le matelas avec son poing. Amandine s'affola :

- Tu es blessée !

Aussitôt, Géraldine descendit de son lit et poussa les deux autres colocataires agglutinées près d'Anna. Elle examina la plaie avec attention tandis qu'Anna semblait toujours en proie à sa furieuse colère, étouffée dans son oreiller. Elle fit signe de revenir et quelques minutes plus tard, elle réapparut avec de la gaz en coton propre pour lui faire un bandage.

Anna se redressa et fut surprise de découvrir Géraldine. Enfin, elles se rencontraient réellement ! Toute la rage qu'Anna pouvait ressentir et qu'elle n'arrivait pas à calmer s'apaisa face à son regard qui exprimait tant de bonté. En l'espace d'un instant, elle vit en Géraldine l'affection qu'une mère pouvait porter à son enfant. Cela l'émut tellement que de nouvelles larmes montèrent à ses yeux.

- Ne t'embête pas Géraldine, je peux faire moi même mon pansement.

Mais sa colocataire fit semblant de ne pas l'entendre et continua ses gestes doux en tournant le bandage autour de sa main.

- Ma parole, Géraldine, tu es une infirmière ! s'exclama Paulette bouche bée devant le travail méticuleux qu'elle réalisait.

- Merci, dit Anna d'une petite voix, touchée par cette marque d'affection.

On entendit, une lettre passer sous la porte. Amandine la saisit et la tendit à Paulette qui la refusa en agitant ses mains.

- Est-ce que j'ai une tête à savoir lire ? lui demanda-t-elle railleuse.

Finalement, elle atterrit dans les mains d'Anna. Il n'y avait que deux phrases :

« Anna, lavez-vous et venez me voir.

Apprêtez-vous à passer votre première nuit avec Nicolas de Monseuil, ce soir.

-- Madame Pichon »

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