Partie 8 - Par Myfanwi
Partie 8
Par Myfanwi
Tout reposait sur Théo. Il pouvait sentir les regards pleins d'espoir de ses amis sur lui qui le suppliait de ne pas faire quelque chose qu'ils allaient tous regretter par la suite. Le choix n'était pas des plus simples. Dans les ordres, les élémentaires de lumière étaient considérés comme des envoyés du dieu, là pour transmettre aux paladins des messages. En frapper un relevait de la haute hérésie et de la haute trahison, et aucun de ces faits n'enthousiasmait le guerrier, encore plus avec autant de témoins qui pourraient rapporter son acte.
Pour autant, avec le recul, sa définition de la morale avait bien changé depuis qu'il côtoyait un demi-démon, un nain et un demi-élémentaire, ce qui, devant une cour, lui vaudrait tout autant le bûcher que s'il attaquait l'élémentaire de lumière. Entre ses amis qui l'avaient soutenu et sa foi qu'il avait enterrée il y avait des années en refusant de tuer Balthazar, le choix fut vite fait.
Avant de croire en la Lumière, il croyait en la justice.
Il leva la tête vers le ciel, où des éclairs commençaient à se réunir. Il le savait, bientôt, ils taperaient le sol aléatoirement et s'il ne faisait rien, ses amis risquaient tous d'y passer. Il jeta un coup d'œil vers ses camarades, pour voir ce qu'ils avaient prévu et décider du meilleur plan d'action pour limiter les dégâts.
Grunlek, coincé avec Balthazar et son père dans un cercle de flammes, saisit la gemme de pouvoir dans la poche du pyromage à sa demande. Il la plaça dans son bras métallique et sentit immédiatement le pouvoir l'enivrer.
Trop concentré sur la scène, Théo ne vit pas Shin arriver sur lui et bondir. L'archer avait passé cinq minutes à lui expliquer qu'il fallait qu'il le propulse avec son bouclier, mais le paladin, perdu dans ses pensées... n'avait rien écouté. Sous la panique, le paladin propulsa bien l'archer, mais en direction du demi-élémentaire de lumière et de l'enfer sur terre d'Enoch et Balthazar. Shin poussa un cri de douleur et de confusion quand le feu commença à ronger son armure. Malgré tout, il réussit à cristalliser une flèche qui traversa le demi-élémentaire de part en part, avant de s'écraser au pied de son ancienne compagne, Dana.
Au même moment, Grunlek se glissa sous le feu et il tapa au sol. Son bras se disloqua sous le sol sous la pression magique et le nain perdit complètement le contrôle sur lui. Des racines agrippèrent les chevilles de l'élémentaire de lumière pour le figer sur place. Le nain soupira secrètement de soulagement. Il n'avait au moins pas attrapé Shin au vol, qui s'était placé sur sa trajectoire par erreur.
Le ciel vrombit sous la fureur de l'élémentaire. La créature pencha la tête sur le côté, face à Théo. Le paladin leva son épée par réflexe et concentra sa psyché sur celle-ci. Les éclairs s'abattirent sur le sol, mais furent comme absorbées par son paratonnerre improvisé. Le visage de l'élémentaire se fendit d'un sourire, comme si elle s'y attendait. La main de Grunlek relâcha sa prise sur sa cheville et regagna son propriétaire. L'élémentaire de lumière tendit la main vers le duc. Un éclair traversa Vendis, obligeant la sorcière rouge à reculer d'un pas.
Théo se retourna vers la créature, nerveux. Ce n'était pas exactement de cette manière que devait se dérouler le plan. Son épée pointa lentement vers l'élémentaire, qui, pour la première fois, fit entendre sa voix.
— Quelle déception.
Un éclair frappa le sol là où se trouvait l'élémentaire de lumière. Celui-ci disparut soudainement.
— C'est classe la téléportation avec un éclair, remarqua Grunlek pour dédramatiser la situation. Il faudrait que tu apprennes ça, Théo.
Il réussit à tirer un semblant de sourire à ses acolytes. La Sorcière Rouge s'approcha des aventuriers que se remettaient difficilement de leurs émotions. L'armure de Théo fumait encore alors qu'il dispersait le reste de la foudre dans le sol, Shin éteignait les dernières flammèches sur son armure, Balthazar calma son démon. La vieille femme se tourna vers le paladin.
— J'ai fait ce que vous m'aviez demandé, inquisiteur.
— Merci, noble dame, répondit Balthazar. Et désolé pour... Euh... Votre maison.
Du trou de la sorcière, il ne restait plus grand chose. La brume de Shin persistait et masquait les dégâts, mais plusieurs arbres avaient pris feu et d'énormes trous dans le sol rendaient à présent la surface du sol bien dangereuse. Au moins, personne n'était mort, ce qui restait l'essentiel.
Vendis, accroupi derrière elle, regardait ses mains comme s'il découvrait le monde pour la première fois. Enoch s'approcha de lui et lui tendit la main. Le jeune duc, toujours confus, la pris et le laissa le tirer sur ses jambes avec une étonnante facilité. Balthazar fronça les sourcils, sur ses gardes.
— Très cher Vendis, clama-t-il, je viendrai vous voir de nouveau. J'ai quelques subtilités de la politique à vous enseigner et ce serai avec un immense plaisir que je partagerai avec vous ma connaissance de la vie en société, et... Je suis sûr que nous avons des choses incroyables à faire ensemble.
Le jeune duc lui serra la main, et chercha de l'aide dans le regard de ses compagnons de voyage, n'osant pas contrarier le Diable. Enoch adressa un clin d'œil à Théo, qui lui adressa en retour un grognement de mécontentement, avant de se retourner vers son fils. Il posa ses deux mains sur les épaules de son rejeton.
— Fils, si ta mère te voyait, elle te dirait que tu te trompes de voie. Mais moi, je suis si fier de toi !
Il l'attira contre lui. Balthazar ne fit aucun effort pour lui rendre l'accolade.
— Je ne t'ai pas demandé ton aide. C'était ton combat, répondit le mage d'un ton sombre. Mais merci. Allez, disparais maintenant et repars faire ce que tu avais à faire avant que je ne me souvienne pourquoi Maman t'avait quitté.
Le démon sourit mystérieusement et se retira. Théo attrapa un caillou au sol et tenta de lui jeter au visage. Enoch leva simplement la main. Le projectile retomba au sol en poussière.
— Eh, attends ! s'exclama soudain Balthazar. L'attaque sur le village, c'était pas toi, pas vrai ?
— Quoi ? Oh, non, répondit le démon. Tu veux vraiment savoir ? Ils travaillent pour votre nouveau copain, l'élémentaire de lumière. Et avant que tu ne demandes, non, je ne sais pas s'ils y sont encore. Tu sais bien que la survie des mortels est le cadet de mes soucis. Tu es grand, je suis sûr que tu trouveras une solution sans avoir besoin que ton vieux père te tienne la main.
Il salua une dernière fois et s'enfonça dans les buissons. Théo resta un long moment silencieux, puis se tourna vers la Sorcière.
— Mais au fait, c'est vous qui avez invoqué cette saloperie, non ?
— Non, Théo, siffla le mage. Ce n'est pas elle. Suis un peu.
— Cher inquisiteur, répondit la Sorcière, je n'y suis effectivement pour rien. Ceci est de l'ordre naturel des choses. L'élémentaire refusait de voir l'un des siens se politiser. Moi, je n'ai fait qu'accompagner le bon vouloir du jeune Vendis. Mais je dois dire que je suis d'accord avec lui. Un demi-élémentaire ne devrait pas servir la politique. Voyez ce que donne tout ce pouvoir au service des mortels, dit-elle en pointant les restes fumants de son habitation.
À ses mots, Dania, qui observait la scène à distance, écarquilla les yeux et baissa la tête, visiblement bouleversée. Elle comprit pourquoi sa mère ne lui avait plus accordé la moindre attention depuis le départ de Shinddha. Elle préférait la compagnie des demi-élémentaires à sa propre famille. Elle était responsable de l'attaque du village en aidant les demi-élémentaires à trouver leur place dans le monde.
Balthazar remonta sur Brasier. Leur travail ici était terminé. Il avança jusqu'à Shin et lui tendit la main.
— Allez viens. Ta dette ici est payée.
Le demi-élémentaire d'eau se tourna vers son ancienne compagne. Il voulut dire quelque chose pour la consoler, elle aussi, mais les mots ne parvinrent à sortir. Tout avait été dit entre eux il y avait des années.
Pendant que Théo réarrangeait la selle de Lumière, Grunlek s'approcha de Vendis et posa une main réconfortante sur son épaule. Le jeune homme sursauta.
— Comment tu te sens ? demanda le nain.
— Très, très bien. Je me sens pousser des ailes. J'ai l'impression qu'il y a plein de choses à faire, à essayer.
— Tu sais qu'il y a de nombreuses responsabilités qui t'attendent. Cette fois, cependant, tu as tous les outils qu'il te faut pour tout réussir. On croit en toi.
Il sourit timidement, mais son regard se fit soucieux.
— Est-ce que... Je suis devenu comme la créature qui nous as attaqué ?
— Ne dis pas n'importe quoi, répondit le mage. Tu es toi-même, tu as toujours été toi-même et c'est la seule vérité qui compte. Quel que soit ce qui habite ton corps, ce n'est l'esclave que de ta volonté. Veille à ce que ce ne soit jamais l'inverse.
— Tout ce qu'il dit, approuva le paladin. Et puis, si un jour tu as un doute dans la vie, demande-toi ce que Théo ferait, et ça ira mieux.
Sans prévenir, le paladin lui lança un caillou. Vendis l'intercepta au vol, et le regarda un instant, nostalgique.
— Merci, répondit le duc. Je vous suis à tous redevable pour tout ce que vous avez fait pour moi. Je ne l'oublierai pas.
— C'est bien beau tout ça, mais on doit te ramener à ton père, grogna le mage. Monte sur un cheval et on se tire. Marre de ce patelin, de la pluie, des chiens, de mon père, des dieux...
Sa plainte s'éloigna à mesure que Brasier descendait le sentier qui revenait dans le village. Grunlek donna une tape sur le dos de son protégé et, ensemble, ils suivirent le mage.
*********
Alors qu'ils avançaient dans la nuit noire vers le palais du duc, les aventuriers prirent quelques minutes pour réfléchir à leur aventure.
Le nain se rendit compte qu'une nouvelle fois, ils avaient fait face à des entités bien plus puissantes. Il était certain que ce groupe pouvait aller loin, même s'il restait quelques petites choses à régler, une fois Vendis de nouveau chez lui. La cohésion d'équipe, notamment. Néanmoins, il avait découvert Théo sous un nouveau jour aujourd'hui. Peut-être que le paladin n'était pas aussi imbu de sa personne qu'il ne le laissait paraître, finalement.
Théo, lui, pensait surtout à la manière dont ils allaient se répartir la prime et ne cessait de jeter des regards mauvais au demi-diable, qu'il savait trop dépensier.
Balthazar, lui, pensait à sa mère qui avait toujours désavoué sa vocation d'aventurier. Et pourtant il était là, sur un cheval, avec des amis pour qui il pourrait donner sa vie et son âme face à des puissances qui les dépassaient tous. Il était fier du chemin parcouru, mais nerveux. Enoch ne s'arrêterait pas là, il le savait. Toute cette mascarade était une expérience. Quelque chose lui disait qu'ils allaient recroiser son chemin très bientôt.
Shinddha... Shinddha avait mal partout. Des bleus, des concussions, une côte cassée, une cheville tordue et le dos à moitié brûlé grâce au demi-diable. Malgré la peine, il avait l'impression d'avoir enfin bouclé une partie de son histoire et de son passé. En particulier avec cette jeune femme qui avait marqué une partie de son aventure et dont, pourtant, il n'avait déjà plus la moindre idée du nom alors qu'ils ne l'avaient quitté qu'il n'y avait que quelques minutes. Peut-être un traumatisme crânien à ajouter à tout le reste.
Mais il avait surtout une pensée pour Vendis qui, pour lui, représentait l'espoir. L'espoir d'une nouvelle ère où les personnes comme lui, comme Balthazar ou Grunlek, seraient enfin acceptés sans avoir à se justifier d'exister.
Oui, l'espoir, c'était tout ce qu'il pouvait espérer pour le futur.
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