Partie 5 - Par Draco Nocte

Partie 5

Par Draco Nocte

Théo, le paladin de la lumière au sein du groupe, était arrivé dans ce petit coin tranquille en bombant fièrement le torse. Sur son invocation à l'allure de cheval enflammé, Bob le pyromage toisait lui aussi les personnes qui s'étaient rassemblées autour d'eux et qui, par la même occasion, semblaient être prêtes à sauter sur les aventuriers au moindre signe d'hostilité. Érudit et alerte, le mage comprit alors que la présence d'un tel village ici n'était pas anodine. Les habitants cherchaient probablement à protéger quelque chose, un savoir, ou quelqu'un... vraisemblablement la Sorcière Rouge.

Sans le savoir, Grunlek et Bob avaient partagé la même pensée. Les habitants n'avaient aucune raison de leur en vouloir, et l'inverse était tout aussi vrai. Le groupe décida de poursuivre son chemin, leurs montures au pas, lorsque le regard de Shin capta une présence, une silhouette se tenant près de l'une des huttes proches. Il réalisa soudainement qu'une légère odeur de cannelle s'était portée à ses narines, une odeur sensuelle qui lui rappelait des souvenirs profondément ancrés en lui et qu'il avait peut-être voulu oublier.

Une jeune femme aux alentours d'une vingtaine d'années, malgré sa chevelure blanche, perça le groupe, ou plutôt l'un des membres de celui-ci, de ses yeux azuréens. Le demi-élémentaire ne comprit pas tout de suite pourquoi il avait droit à un tel regard noir, jusqu'à ce qu'il finisse par se rappeler. Cette personne, cette femme, était sa sauveuse. Alors qu'il s'était fait isoler de ses amis lors d'une confrontation, au bord de la mort, elle l'avait recueillie et soigné au sein de ce même village. Fait notable et non des moindres, Shin avait eu une aventure avec elle, courte, mais passionnée et fougueuse. Néanmoins, parce qu'il ne pouvait se résoudre à prendre racine sans avoir percé les secrets derrière sa renaissance en demi-élémentaire, il avait dû la quitter, l'abandonner. Si Bob avait un sourire en coin, Shin, lui, était on-ne-peut-plus blême et avait les pommettes aussi rosies que ce que sa peau bleue permettait de faire voir.

À pas de loup, la jeune femme approcha pour prendre la parole d'une voix impérieuse.

— Après toutes ces années, Shin, après toutes ces années... tu reviens, dit-elle en le fixant avec une certaine intensité. Mon cher ami... cela fait des années que tu n'es pas venu, alors que tu étais attendu. J'espère que tes raisons sont... bonnes.

— Je suis navré, répliqua Shin avec un air complètement déconfit. Tu savais que je n'allais pas rester longtemps, je devais partir et trouver ma voie. C'était prévu depuis le début, on savait que ça allait finir comme ça... tu le savais. Ça ne sert à rien de s'accrocher au passé...

— Tu es en train de me dire que je n'étais pas ta voie ? le questionna-t-elle d'une voix aussi froide que son regard.

— Je sais que je te dois tout, je te dois littéralement la vie... tu m'as sauvé, commença-t-il par dire pour l'apaiser. Mais au-delà de ça, tu sais que j'ai quelque chose au fond de moi et que je dois régler mes propres soucis, mes propres problèmes. Donc... je ne pouvais pas rester là.

En guise de réponse, elle se tourna alors vers une villageoise se trouvant de l'autre côté du groupe d'aventuriers, et lui adressa un regard codifié. Du mouvement put alors se faire percevoir dans les environs, ce que Théo remarqua très vite de par ses sens martiaux affûtés. Il dégaina alors son épée d'un large mouvement de son bras, avant de clamer haut et fort :

— Nous venons en paix !

— Oh là, on se calme, on se calme, intervint immédiatement le demi-élémentaire, loin d'être serein au vu de la situation. Ce sont des amis, il n'y a pas besoin de déclencher de conflit, tout va bien. On est juste de passage, on va juste traverser, et tout ira bien. Rengaine cette épée, s'il te plaît.

En réponse à la réaction peut être démesurée du paladin, trois archers entourèrent les intrus au village, et visèrent celui-ci sans pour autant tirer. Problème étant que le grand homme, tout armuré qu'il était, avait encore son bouclier dans le dos. Qui plus est, si le gaillard qui prenait normalement tous les coups venait à tomber, sans aucun doute que le reste du groupe suivrait. Dans une tentative d'apaiser la situation, Shin vint alors déposer son arc à terre, bien à la vue de tous.

Bob se posta alors au-devant de son groupe, prenant ensuite la parole à l'attention des autochtones.

— Paix, braves gens, entama-t-il son discours sur le ton soutenu qui le caractérisait si bien. Nous sommes en quête pour le duc. Le fils du duc, ici présent avec nous, est en proie à un mal inconnu à cause de sa nature. Nous souhaitons donc trouver des réponses auprès de celle que vous appelez la Sorcière Rouge, une femme très puissante qui serait capable de mener cet homme vers son destin.

Dania, l'ancienne compagne de Shin, répondit.

— Pourquoi devrais-je aider un homme, un autre, alors que celui que j'ai secouru nous a abandonné ? Vous allez nous abandonner dans un avenir proche, dès qu'il va survenir un danger, dès qu'il faudra régler des comptes...

— Est-ce là les coutumes de votre peuple de faire porter la responsabilité des erreurs des autres sur des innocents ? Un jeune homme en plus ! Vous valez bien mieux que ça, je le sais, je connais votre tribu, assura le pyromage.

— Je crois bien que vous n'êtes qu'un étranger pour nous juger, sorcier, fit-elle toujours sur la défensive.

— Dania, Dania, intervint une nouvelle fois Shin. C'est vis-à-vis de moi que tu as un problème. Alors je peux rester ici si tu veux, mais laisse mes amis traverser, ne leur en tient pas rigueur. C'est moi qui vous ai abandonné toutes ces années...

— Qu'on soit clair. J'ai mille raisons d'avoir un problème avec toi, sauf que la réalité est la suivante : après que tu sois parti, commença à expliquer Dania, nous nous sommes fait attaquer à maintes reprises. Nous avions besoin d'un guerrier comme toi, mais tu n'étais plus là. Maintenant, si je laisse tes amis et toi passer, qu'est-ce qui me garantit que, en retour, nous pourrions compter sur vous en cas de problème ? La reconnaissance est quelque chose qui est important à nos yeux. Est-ce que, quand le jour viendra, nous pourrons compter sur vous ? En dépit de ce qui nous est arrivé, Shin, en dépit de ce qui nous lie, est-ce que l'honneur fait partie de vos prérogatives ?

Shin avisa tour à tour Dania et sa sœur. Ce qu'il savait, ou du moins ce dont il s'était souvenu, c'était qu'elles étaient toutes deux les filles de la Sorcière Rouge. De son côté, Théo commençait à s'agacer de cette rencontre inopportune, et préférait largement voir le demi-élémentaire gérer ses pommes plutôt que ses amourettes. Histoire d'en rajouter encore, le paladin sortit son bouclier bien en évidence. La partie démoniaque de Bob commençait elle aussi à ronger son frein, d'autant qu'il y avait bon nombre de savoirs tout aussi alléchants et interdits les uns que les autres. Cette prise de conscience commençait à lui monter au nez. Les canines devenues légèrement proéminentes, le pyromage pivota vers Vendis, resté en retrait depuis leur arrivée au village, et qui arborait sous sa chevelure un visage un sourire aussi démoniaque que celui du demi-diable. Bob avait vu juste, il s'agissait bien de sa connexion avec lui qui excitait le diable en lui et faisait remonter de viles pensées.

— Grun' ! interpella-t-il le nain à voix basse. Il fait une crise, je vais péter un câble aussi... s'il te plaît, calme-le !

— Vendis ? s'étrangla Grunlek en avisant le jeune duc en devenir.

Le pyromage acquiesça de ton son saoul en intimant son compagnon de faire vite, ce après quoi ce dernier descendit de son poney et approcha promptement bien que discrètement de l'élément perturbateur pour pouvoir le tenir fermement de son bras mécanique. Il souhaitait ainsi autant le restreindre que lui signifier qu'il n'était pas seul.

— Vendis, calme-toi, on est là pour toi, ça va bien se passer, lui souffla Grunlek en le retenant toujours. Garde le contrôle, tu peux le faire, j'ai confiance en toi Vendis.

Pendant ce temps, Théo, désireux d'avancer et loin de réaliser ce qui se produisait dans son dos, interrogea la sœur de Dania.

— On est à quelle distance de la Sorcière Rouge, d'ici ? lui demanda-t-il avec une certaine nonchalance.

— Pas loin, se contenta-t-elle de dire pour toute réponse. Mais est-ce que vous êtes prêts, vous, à faire le serment que si les nôtres font face à un danger, nous pourrons compter sur vous ? Est-ce que sur l'honneur nous pouvons compter sur vous ?

Soudain, Grunlek se retrouva propulsé à quelques mètres de Vendis par une puissante force psychique, tout comme le cheval proche qui bascula inévitablement sur son flanc.

— Je... je suis... au-dessus de vous, déclara le jeune homme avec une voix à faire froid dans le dos. Vous n'êtes que des mortels. Tu as déjà vécu ça, toi, Bob. Tu sais comment ça finit...

Tous les regards se rivèrent sur la scène pour le moins inattendue qui venait de se produire à l'arrière du groupe, tandis que Théo privilégia l'action là où les autres demeuraient figés sur place. La tension venait monter d'un cran, les archères étaient désormais sur le point de décocher leurs flèches. Puis, un tintement métallique doublé d'un bruit sourd résonna. Le paladin venait de donner un vigoureux coup de bouclier dans la tête du trouble-fête en semi-trance, qui tomba, sans surprise, dans l'inconscience la plus totale. Vif d'esprit malgré sa fâcheuse tendance à régler ses problèmes à coup d'écu, Théo s'adressa à tous d'une voix claire et forte.

— Voilà pourquoi on veut passer ! Alors qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse ? Vous voulez qu'on le laisse ici et qu'il détruise votre village ? Ou vous allez nous laisser passer ?!

Dania tiqua, puis regarda sa sœur d'un air entendu. Toutes deux firent alors signe aux archères de baisser leurs arcs respectifs.

— Bon... j'espère que nous avons raison de vous faire confiance.

Suite à cela, elles indiquèrent une direction, la direction que les Aventuriers cherchaient depuis leur arrivée, à savoir celle de la Sorcière Rouge. Contre toute attente, à l'embranchement, ce n'est ni le chemin de gauche, ni le chemin de droite, ni celui du milieu qui fut pointé, mais bien le nivelé qui bordait le village et ne paraissait pas avoir les traces de passages fréquents. Bien qu'heureux de savoir enfin par où partir pour poursuivre leur mission, Bob émit intérieurement des réserves quant à la facilité avec laquelle on venait de leur céder le passage, raison pour laquelle il s'exprima une fois de plus.

— Écoutez madame, entama-t-il à l'égard de Dania. Vous nous avez aidé sans rien demander en retour, cette fois. Cependant, nous ne sommes pas ainsi. Nous avons notre honneur, personnel, éternel. Vous allez nous dire ce qui vous a causé du souci dans le passé, peut-être que c'est de ça dont vous demandez finalement la protection. Parlez-nous en, et nous verrons ce que nous pourrons faire. Nous ne promettons rien, bien sûr, avec le « paquet » qu'on se trimballe... Cependant, on fera ce qu'on pourra.

— Les forêts environnantes sont parsemées de ruines antiques, révéla sobrement Dania en guise de prélude. Ces ruines sont habitées par des créatures oubliées, des créatures qui, dirons-nous, sont des ascendances de votre ami nain. Ces créatures sortent parfois des forêts et viennent prendre nos enfants, les nôtres, et repartent sans qu'on ne les revoie jamais. Malgré l'entraînement, malgré les armes, nous ne sommes pas préparées à les combattre. Nous aimerions un jour pouvoir aller à leur rencontre, pouvoir leur montrer que nous pouvons peser dans la balance face à eux, et qu'ils arrêtent de venir nous harceler. Nous aimerions pouvoir compter sur les aventuriers afin de pouvoir les chasser de cette forêt, pour qu'ils ne nous menacent plus.

Le pyromage hocha la tête d'un air grave.

— Excusez-moi, je vous demande quelques instants avec mes compagnons si vous voulez bien les accorder.

Sans demander son reste, il s'exécuta et, pendant que Bob s'enquérait de l'état de Grunlek, Théo chargea un Vendis inconscient sur l'arrière de la monture du nain.

— Il faut qu'on se dépêche, signifia Grunlek en se relevant aidé par le mage. Ça ne peut pas recommencer...

— À quelle fréquence sortent ces... monstres ? demanda Théo à Dania, soudainement intéressé à l'idée de purger des hérésies au nom de l'Église de la Lumière.

— Une ou deux fois par an. Ils nous ont attaqué il y a quelques mois, nous craignons qu'ils reviennent bientôt...

— C'est une bonne nouvelle, annonça Bob, dont les premiers mots purent paraître en totale opposition à la déclaration que venait de faire la jeune femme. S'ils n'attaquent qu'à ce rythme, ça veut dire qu'ils sont contraints par quelque chose. Nous avons donc une chance de les prendre au dépourvu !

— Ma question va peut-être vous paraître idiote, poursuivit le paladin. Mais pourquoi vous ne déménagez pas ?

— Notre mère, notre rôle est de la protéger. Notre rôle est de faire en sorte qu'elle puisse continuer à opérer ses harmonies avec les forces psychiques de ce monde.

— Pour ça, je vous en donne ma parole personnelle, madame, s'exprima Bob sur un ton solennel. Un repris pour un rendu. Votre mère est notre amie, et nous l'aiderons tout comme nous aiderons votre peuple.

Le pyromage traça ensuite sa route, laissant Shin parler à son tour. Le demi-élémentaire, face à son précédent amour, trouva difficilement ses mots, ce qui avait, au fond, quelque chose de mignon.

— Je t'avais promis que je reviendrai, je suis revenu, et je te promets encore que je reviendrai, donc on reviendra et on s'occupera de ça.

L'expression de Dania s'apaisa alors, ces dernières années de rancune et d'amertume s'effaçant peu à peu. Shin s'approcha d'elle et, par réflexe, elle pencha son visage, lequel vit délicatement se poser la main du demi-élémentaire en une douce caresse. Le bleu de leurs yeux se mélangea un instant qui sembla durer toujours, puis les deux se séparèrent sans un mot. Shin partit rejoindre ses compagnons déjà en route, se préparant à rencontrer la fameuse Sorcière Rouge.

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