Chapitre III - II : la planque
Les deux amies s'engagèrent donc le long d'un couloir obscur. Raeni laissa sa camarade la guider, car elle connaissait bien mieux les souterrains qu'elle. L'obscurité autour d'elles rendait le terrain plus inconnu encore à la jeune femme, habituée à voir de nombreuses torches sur les murs pour éclairer le chemin. Elle devina que leur absence devait être liée à la nécessité de passer inaperçus pour cacher Ayrik. La moindre lueur visible depuis l'extérieur attirerait l'attention des gardes, ou au moins des curieux.
Les deux acolytes arrivèrent au bout de quelques minutes en face d'une lourde porte de bois dépourvue de poignée. L'elfe de feu y posa sa main, puis la poussa sans effort apparent. Une vaste pièce circulaire se révéla devant elles, occupée par une petite dizaine de gamins althëliens. Dans un coin, deux d'entre eux discutaient, assis sur des poufs à l'allure confortable. Trois autres dormaient sur des paillasses posées à même le sol, un peu plus loin, et quatre autres s'affairaient autour de deux coffres placés contre le mur, non loin d'une torche accrochée à celui-ci. Raeni reconnut son meilleur ami, Faelor, assis sur l'un des tapis au centre de la pièce avec Thaëlya, une alfombre albinos d'un an sa cadette. Elle remarqua le petit corps blotti dans ses bras, de toute évidence endormi ou au moins assoupi contre elle. Sans attendre, elle marcha droit vers eux. Les regards des deux jeunes gens se levèrent vers elle. L'inquiétude se lisait sur leurs traits.
— Raeni ! s'exclama Faelor à voix basse lorsqu'elle fut à côté d'eux. Des nouvelles ?
La jeune femme s'assura que son protégé dormait bien avant de s'asseoir.
— Ils veulent l'emprisonner et le mutiler, souffla-t-elle d'un ton préoccupé. Khassendrah a fait fort, cette fois. Elle a dérobé un bijou magique à un Ahal.
— Alors ce n'était pas qu'une rumeur ? s'étonna Thaëlya.
— Non, confirma son aînée. Et j'ai comme l'impression qu'elle a vraiment passé du temps avec lui pour pouvoir commettre son crime.
— Tu as pu lui parler ? demanda Faelor.
— Oui. Il m'attendait, avec le directeur. Il a tout de suite accusé Ayrik quand je suis arrivée, comme quoi le bijou aurait été retrouvé dans ses affaires.
— Ça, c'est malheureusement vrai, soupira l'alfombre. Danaël était là quand les gardes ont sorti la broche de sous son matelas.
— Ah, on ne me l'avait pas dit, ça... grogna Raeni. Depuis quand Ayrik a la force de soulever ça ?
— Depuis que c'est un humain, tiens ! ironisa Thaëlya. C'est bien connu, ils sont capables de tout...
— Je vais vraiment finir par tuer quelqu'un, fulmina l'hybride.
— Heu, évite, lui conseilla Avëlëa. Tu as vu les proportions que ça prend pour un simple vol ? Imagine un peu si tu commets un meurtre...
— Qui irait se plaindre de la disparition de Khassendrah ? ricana-t-elle.
— Tu n'oserais quand même pas... s'inquiéta Faelor.
— On ne touche pas à Ayrik, siffla la jeune femme.
Son regard noir et le ton menaçant de sa voix imposèrent le silence durant une bonne trentaine de secondes. Thaëlya rajusta la position du petit humain endormi contre elle, puis jeta un coup d'œil à sa chef. Faelor frissonna, anxieux. Il tenta toutefois, doucement, de raisonner son amie :
— Tu sais qu'elle a une liaison avec le capitaine de la garde, hein ? Si tu la tues, Ayrik risque d'en faire les frais et toi avec...
La contraction soudaine de sa mâchoire lui fit savoir qu'il l'avait touchée. Il soutint le regard glacial qu'elle lui lança, certain qu'elle n'oserait jamais faire une telle chose. Il la connaissait. Elle parlait sous le coup de la colère. Elle était trop fière, trop attachée à la vie pour prendre celle de quelqu'un, même d'une peste comme sa rivale.
— Ayrik est déjà en danger, soupira-t-elle au bout d'un long moment. Tant que l'Ahal restera en ville, il risque à tout moment de se faire attraper.
— Une fois qu'il sera parti, tout s'arrangera, tenta de la rassurer Avëlëa. Il ne va pas rester des années, il doit bien avoir du travail à Torfrirta...
— Espérons-le, soupira la jeune hybride, les yeux rivés sur son protégé. Il mérite tellement mieux...
— Il faudrait qu'il regagne une ville humaine, songea l'elfe de feu à voix haute. Il y serait bien mieux qu'ici.
— Ça, ça reste à voir, grogna son amie avec un regard étrange. D'après les rumeurs, les villes humaines ont été pas mal dévastées pendant la guerre. Et en plus, certaines d'entre elles sont dirigées par des Ahal, alors il y serait autant en danger qu'ici.
— Il doit bien y avoir un village quelque part qui pourrait l'accueillir... tenta encore une fois la jeune femme.
— Même si un lieu aussi sécurisé existait, il faudrait encore l'y emmener, intervint Thaëlya, consciente de la tension naissante entre ses deux aînées. Et ce n'est pas nous, de simples orphelins, qui allons pouvoir traverser Toëlla et Skyëlta pour l'emmener en lieu sûr. Rien que le trajet serait plus dangereux que de rester cachés ici.
Le silence qui suivit ses paroles indiqua que personne n'avait encore pensé à ce problème. Elle baissa la tête vers le gamin endormi dans ses bras, qu'elle resserra un peu autour de lui pour l'empêcher de glisser. Elle déplaça sa tête de quelques centimètres pour le caler un peu mieux contre elle et lui éviter les désagréments d'un torticolis le lendemain. Ses cheveux blonds, un peu bouclés, encadraient délicatement son visage d'ange. Il semblait serein, ainsi blotti contre elle. Elle caressa sa joue, et un sourire léger passa sur ses lèvres. Comme Raeni, elle était prête à tout pour le sauver, mais dans la limite du raisonnable. Quitter Khaëlentis à pieds pour traverser les terres desséchées de Toëlla, puis le désert aride de Skyëlta, lui semblait insurmontable. Elle ne se sentait pas capable d'une telle chose, surtout avec le risque potentiel d'être rattrapés par une colonne de soldats bien entraînés et habitués aux longues marches forcées en terrain hostile.
— Je vais réfléchir, souffla l'hybride au bout de quelques minutes. Pour l'instant, il restera ici. C'est le seul endroit en ville où il est en sécurité.
— Jusqu'à ce que l'Ahal ne décide de faire disparaître Laertha... nuança Avëlëa, la mine sombre.
Un puissant courant d'air la frappa avec force, comme une gifle donnée par un être invisible. Elle se retrouva sur le dos, à la fois choquée et hébétée par l'incident.
— Je crois que Laertha n'apprécie pas ton pessimisme, s'esclaffa Faelor, un sourire au coin des lèvres. Rae a raison, Ayrik ne risque rien, ici. Personne ne pensera à venir chercher dans cette vieille maison en ruines, encore moins en-dessous.
— Vous avez peut-être raison... admit l'elfe de feu en se redressant. Mais n'oubliez pas que ce n'est pas un garde de la ville qui le recherche. C'est un Ahal, un puissant noble thalëni. Il ne faut pas le sous-estimer.
— Le surestimer non plus, déclara Raeni avec insouciance. Il est puissant, mais on connaît la ville et on est soudés. Ensemble, nous lui ferons vivre un véritable enfer s'il ose s'intéresser de trop près à nous.
— Règle numéro dix, énoncèrent en chœur Faelor et Thaëlya. Si quelqu'un cherche des ennuis à un membre de la bande, la bande le lui fera payer !
Les quatre adolescents se regardèrent, et éclatèrent de rire un court instant avant de se taire, inquiets, lorsque Ayrik marmonna quelques mots dans son sommeil. Tous soupirèrent de soulagement une fois certains de ne pas l'avoir réveillé. Leurs regards se croisèrent. Raeni avait raison, encore une fois : tant qu'ils seraient ensemble, soudés, rien ne les arrêterait. Pas même un mage de guerre aux pouvoirs politiques et magiques aussi puissants qu'effrayants.
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