Saint-Marcel et son dragon
Les coups pleuvaient comme ils pleuvaient toujours dans cette émission qui avait fait son succès des punchlines échangées entre les invités. Nur restait figé, incapable de prendre la parole au milieu du duel que se livraient Vallon et Saint-Clair. L'oreillette qu'il portait le gênait. La séquence des coups de fil interrompit le débat et ses pensées. Une voix de femme occupa l'espace. On distinguait mal son timbre.
— J'aimerais poser une question au brigadier-chef al Akhi, demanda-t-elle. Est-il vrai que les terroristes d'Al Sayf peuvent pratiquer la Taqiyya ou art de la dissimulation ?
— C'est une méthode qui permet à des djihadistes de cacher leurs intentions en n'appliquant pas certains interdits pour endormir la méfiance.
— J'ai une question Brigadier, vous même, pratiquez-vous la Taqiyya ?
— Que voulez-vous dire madame ? Pourquoi me demandez-vous cela ?
— On va en rester là, Madame, tenta Pénélope d'Urcoven.
— Je me demandais quelle était la loyauté du Brigadier ! insista la femme au bout du fil.
— Je suis fidèle à mon pays et à la Justice ! éructa Nur. Et croyez-moi, même s'il pratique la taqiyya, je trouverai le responsable de cet attentat !
— Vous voulez dire que vous ne pensez pas que Duchesne soit le responsable de l'explosion ? réagit immédiatement d'Urcoven.
La phrase fit l'effet d'une douche froide à Nur qui se redressa et quitta le plateau.
Ses pas le conduisirent au seul endroit où il pouvait se sentir utile. Le métro Saint-Marcel était toujours interdit au public. Nur se fit ouvrir la porte, et malgré les appels insistants d'Hind, ne répondit pas au téléphone. Il n'y avait personne sur les quais. Le brigadier essaya de chasser de son esprit les doutes et les questions. Il visualisait la scène pour essayer de comprendre.
Le tunnel conduisait à une succession de galeries, qui partaient en plusieurs directions. Nur était persuadé d'entendre un cours d'eau chanter. En passant devant un ancien mur de lourdes pierres, il eut une étrange sensation. Le mur semblait bien plus ancien que tout ce qui l'entourait, comme si un ancien bâtiment avait été pris à l'intérieur de la terre supportant Paris. Il passa la main sur les vieilles pierres puis s'arrêta face à un trou béant et noir. Il ne pouvait voir ce qu'il y avait à l'intérieur, pourtant, il eut la sensation d'être appelé comme on se sent attiré par le vide en regardant depuis le haut d'un immeuble. Avant de pouvoir sortir son téléphone pour regarder, il entendit un bruit. Des silhouettes qui se déplaçaient. Elles étaient accompagnées par des chiens. Son téléphone recommença à vibrer et le policier se dit qu'il était temps de rebrousser chemin. En un rien de temps, il était de retour sur le quai, puis quittait la station. Le téléphone recommença à vibrer. Il décrocha, pensant parler à Hind.
— C'était pas sympa de nous quitter comme ça ! le glaça une voix de femme.
— Pénélope... Tu m'as tendu un piège. C'est terminé.
— Allons mon chou, c'est le jeu et tu n'as rien dit de compromettant... Par contre, moi, je peux t'aider, mais pour ça il faut que tu viennes participer à l'émission de demain soir. Tu comprends, j'ai besoin de montrer que je contrôle la situation.
— C'est une blague ?
— Non. Et puisqu'il va falloir te donner envie de venir, je vais te donner un indice. Aussi étonnant que ça puisse te paraître, l'homme qui s'est fait exploser sur le quai n'était pas maître de lui-même. Quelqu'un le contrôlait... à distance.
— Et il faisait comment ? Par magie ?
— Je tiens l'info d'une source fiable. Je te donne le contact si tu viens.
— Non merci !
Même s'il faisait nuit, Nur avait besoin d'un expresso en urgence. Il avisa sur le Boulevard Saint-Marcel, un rade miteux où un vieil homme au visage marqué par l'alcoolisme déblatérait devant une salle presque vide. L'homme accompagnait ses propos de grands gestes :
— Une bête épouvantait Paris et visitait la nuit la tombe d'une femme ayant eu une mauvaise vie pour la souiller ! C'était un dragon ! L'apprenant, l'évêque se dirigea vers la bête, posa sa crosse sur sa tête et lui demanda si elle préférait disparaître ou retourner dans la Bièvre. Sur ce, il attacha au cou de l'animal son écharpe et la conduisit vers le fleuve. Cet homme c'était Saint-Marcel, Messieurs Dames ! Le protecteur de Paris ! Pas vrai l'abbé ?
Nur gagna le comptoir où un homme se tenait de dos et il reconnut immédiatement le prêtre, qu'il avait croisé à plusieurs reprises. Paul-Marie prenait un café au lait, un journal posé sur le côté.
— J'ai l'impression de vous rencontrer tout le temps, lança Nur.
— Je suis le berger de ce quartier, sourit le père Paul-Marie. J'attends qu'Ernest ait fini pour le ramener chez lui.
À l'allure du fameux Ernest, il n'était pas près de partir. L'ivrogne enfila un pastis cul sec avant de recommencer l'histoire depuis le début.
— Comment allez-vous Brigadier chef ? s'inquiéta le père Paul-Marie.
— Je me sens... dispersé.
— Quelle serait la meilleure chose à faire ?
— Mettre l'enquête en pause, passer du temps avec mon fils qui est hospitalisé.
— Il est dix heures du soir, pensez-vous que vous trouverez la réponse à vos questions dans ce bar ?
Nur ne savait pas pourquoi, mais l'homme qui se tenait en face de lui, lui inspirait une grande confiance. Depuis toujours, d'un regard, Nur pouvait sentir si les gens étaient fiables ou non.
— Le dragon est toujours là, messieurs dames, sous nos pieds ! tempéta Ernest ! Il est enchaîné à la Bièvre attendant son heure pour venir se repaître de vos cadavres !
Le Brigadier se leva. Son téléphone l'arrêta avant qu'il n'entre dans l'hôpital. C'était Bonisseur.
— J'ai un truc qui va t'intéresser...
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