Chapitre 9 : Les voix du saigneur
Jeanne Saint-Clair avait les lèvres aussi pincées que si on lui avait demandé d'embrasser le chroniqueur Vallon. Le petit bureau qui allait servir de lieu d'interrogatoire était chargé d'électricité. Avant qu'elle n'ouvre la bouche pour protester sur la présence de Nur, Bonisseur l'arrêta :
— Le procureur a estimé que la fuite pouvait venir de vous. Votre plainte sera rejetée !
Nur s'installa en silence, puis sortit silencieusement la photo et la déposa devant Claire Duchesne. Elle baissa la tête.
— Je ne vous ai pas tout dit, annonça-t-elle. Ce matin-là, j'ai entendu la conversation entre François et cet homme au téléphone. Il prétendait détenir des informations sur la mort de notre fils. Il disait que celui-ci ne s'était pas suicidé mais avait été assassiné.
— Pourtant les témoins ont signalé avoir vu votre enfant sauter du pont, rappela Nur.
— L'homme prétendait avoir des informations importantes. Il disait que notre fils avait été manipulé et poussé au suicide. François devait venir seul. Il ne savait pas que l'avais entendu. Je l'ai suivi jusqu'au métro. Là, une femme est venue le voir en lui tendant un téléphone et des écouteurs. Elle lui a dit que quelqu'un l'attendait au bout du fil. François a mis les écouteurs. Je l'ai vu ensuite poser son attaché caisse et prendre un sac à dos qui trainait au sol. Je ne savais pas ce qui se passait. Je ne comprenais pas. Je l'ai arrêté pour lui demander, mais il ne me voyait pas. Ses yeux étaient vitreux !
Le visage de Claire Duchesne était livide. Elle revivait la scène. Bonisseur adoucit sa voix pour demander :
— Vous n'avez pas essayé de comprendre ce qu'il y avait dans le sac ?
— J'étais affolée. François était comme hypnotisé et puis il m'a parlé.
— François ? demanda Nur. Il a dit quoi ?
— C'était sa voix, mais quelqu'un d'autre parlait par sa bouche. J'en suis sûre, ce n'était pas lui. Ce n'étaient pas ses mots.
— Comment ça ?
— Il était comme hypnotisé... Je veux dire comme dans les films. Ses yeux étaient éteints et alors il m'a dit : "Madame Duchesne, votre mort me ferait très plaisir, mais aujourd'hui, il n'y a que votre mari qui doit partir. Fuyez s'il vous plait. Je vous invite à rejoindre la vraie Foi et à cesser vos attaques contre nous".
Claire marqua une pause. De lourdes larmes descendaient le long de ses joues, tandis que son avocate la tenait dans ses bras.
— Sa voix, c'était si étrange. Elle était familière et en même temps étrangère. Il était comme possédé. J'ai couru. J'ai cru qu'on allait me prendre pour une folle... C'est la dernière chose qu'il m'a dit...
Un lourd silence s'installa. Seule la caméra filmant la garde à vue accompagnait la scène d'un léger grésillement. Bonisseur fit un signe de tête à Nur et se leva. Les deux policiers quittèrent la pièce laissant l'avocate et sa cliente. Comme Bonisseur proposait à Nur de le suivre, celui-ci lui fit signe qu'il le rejoindrait. Il n'eut pas à attendre très longtemps. Renée Saint-Clair sortit du bureau peu de temps après.
— J'ai une question franche maître, lança Nur. Est-ce vous qui avez informé d'Urcoven ?
— Je n'accepte pas vos insinuations ! répliqua l'avocate.
— Il n'y a personne pour nous voir, annonça-t-il. Il n'y a ni public, ni électeurs, ni personnes. A partir de maintenant, on joue carte sur table, souffla le policier. D'Urcoven m'a tendu un piège...
— C'est trop facile ! souffla l'avocate.
— Laissez-moi finir ! Et croyez-moi, parler avec vous me pèse beaucoup. J'ai en travers de la gorge les affiches de votre parti.
— Nous y voilà... Et vous me reprochez quoi ? De dire la vérité ? Il n'y a pas d'attentats peut-être ?
— Vous mélangez tout !
— Écoutez : ma cliente a besoin d'un verre d'eau. Je n'ai pas envie de parler politique avec vous.
— Votre cliente peut être inculpée pour complicité d'acte terroriste, c'est ce que vous voulez ?
— Je vous écoute.
— Ce matin, D'Urcoven m'a appelé pour me dire qu'elle avait une piste, un lien avec une capacité quasi magique à contrôler des gens à distance. Alors, je vous le demande, est-ce vous, qui avez donné cette info à Pénélope d'Urcoven ?
— Non, je ne lui ai rien dit. Ma cliente ne souhaitait pas que nous en parlions de crainte d'être prise pour une folle. Je n'ai rien à dire à D'Urcoven. C'est elle qui m'a appelée hier pour me proposer le direct. Elle m'a dit qu'elle cherchait une avocate. Je pensais que c'était vous qui étiez responsable de ma présence sur le plateau, une manœuvre pour couvrir vos « révélations ».
***
Pour la première fois depuis très longtemps, Nur vit Bonisseur s'énerver.
— Nur, tu n'es pas sérieux ? intervint le lieutenant. Tu ne prends pas ça pour argent comptant ? De la magie ! Même avec de l'hypnose, on ne peut pas contrôler des personnes comme ça, à distance !
— Je n'ai pas d'avis sur la question, mais apparemment deux sources nous parlent d'une personne qui peut le faire. Je dois vérifier cette histoire.
— C'est impossible, tu sais bien. Elle a rêvé ! N'importe quel psychiatre expliquera l'attitude de Duchesne par le traumatisme qu'elle a subi.
— Il ne s'agit pas d'expliquer, Bonisseur, il s'agit de vérifier un fait. Y-a-t-il une sorte d'hypnotiseur qui peut contrôler les gens avec simplement sa voix ? Je vais accepter l'invitation de d'Urcoven.
— Tu sais ce que tu risques ? Il a été très clair !
— Il a dit, Nur c'est la dernière télé. J'ai compris qu'il m'autorisait un ultime passage...
Le téléphone de Nur vibra. Hind. « Ton fils aimerait savoir s'il te verra ce soir ? »
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