Chapitre 4 : La maladie d'Aladin


La Salpêtrière. Décidément, le hasard suivait d'étranges méandres. L'hôpital se trouvait à proximité du métro Saint-Marcel. Nur pourrait poursuivre son enquête une fois qu'il aurait vu Aladin. Il aperçut Hind, installée dans un des couloirs du service pédiatrique. Quand sa femme le vit, elle cessa de pleurer pour se redresser telle une grue prête à frapper. Elle était coiffée d'une queue de cheval. Elle était élégante, comme toujours.

— Ça recommence. Il s'est effondré ce matin à l'école, expliqua-t-elle la voix blanche. Le docteur pense qu'il va falloir l'interner pour de nouveaux tests.

— Il s'est blessé ? s'inquiéta Nur.

— Une belle estafilade, mais il n'a pas voulu pleurer pour être « fort comme papa ».

— Je suis sur l'attentat en ce moment.

— Le type costumé ?

— Non, l'attentat du métro. Le « costumé » a vidé le service. Écoute, je vais faire ce que je peux pour me libérer davantage...

— C'est toi qui le dis.

En voyant son petit bonhomme arriver, poussé dans son fauteuil par une aide soignante, Nur sentit venir ce terrible sentiment d'impuissance. Aladin avait les mêmes yeux que sa mère, de grands yeux verts et doux. Il avait fait sa première chute lorsqu'il avait trois ans et personne n'y avait prêté attention. N'était-il pas normal pour un enfant de tomber ? La fréquence commença à inquiéter les médecins. En voyant son père, le petit se mit à sourire. Il avait à présent six ans.

— Tu vas rester avec moi ? s'enthousiasma l'enfant.

— Ça va mon grand ? esquiva le brigadier-chef.

Son téléphone l'empêcha d'entendre la réponse. La voix de la chroniqueuse Pénélope d'Urcoven résonnait dans le couloir. Même sans haut-parleur, on entendait parfaitement ce qu'elle disait, tant elle parlait fort.

— Nur ! Enfin ! J'ai besoin de toi ce soir !

— Je ne peux pas Pénélope. Désolé.

— Avec ce type costumé, il me faut un poulet sur le plateau. Ça va casser du sucre sur ta profession et puis il y a cet attentat !

— Justement. Je bosse sur l'attentat, je ne peux pas en parler.

— On laissera l'attentat ! Ça plombe le moral de toute façon et puis ça fait de la pub aux terroristes. Allons, ce type costumé, qui fait peur au président, vous l'appelez bien l'Emplumé ?

— C'est comme ça que mes collègues le surnomment.

— Voilà... Bon... mon chou... Ton syndicat fait moins de 2 % aux élections pros, si tu veux passer la barre des 5 %, il faut mouiller la chemise.

— Mon fils est à l'hôpital.

— Pauvre petite chose. Écoute, dès qu'il est sur pied, tu nous l'amènes et on lui fait visiter la télé.

En entendant ces mots, Aladin saisit la main de son père avec enthousiasme. Avec son teint jauni et ses cathéters, n'importe qui en aurait eu le cœur serré. Hind, elle, fulminait. La chroniqueuse télé, Pénélope d'Urcoven, parvenait toujours à ses fins. Elle acheva son message par une menace à peine voilée :

— Tu sais, j'ai beaucoup lutté pour qu'on t'accueille aussi souvent. Sans moi, ton syndicat n'existerait même pas dans le paysage audiovisuel. Je t'attends à 20 heures. Nur raccrocha.

— Tu vas m'emmener à la télé papa !

— Pas ce soir, mon chéri, il faut que tu te reposes, expliqua Nur.

Il croisa le regard d'Hind : un regard dur, un regard froid, le regard d'une mère inquiète qui venait de passer les dernières heures à lutter contre l'angoisse ; le regard d'une mère qui devait quitter son boulot au pied levé parce que « c'est bien connu » une secrétaire peut quitter plus facilement son poste, une femme, lasse de voir son mari uniquement à la télé. Nur baissa la tête et elle enclencha le mode pivert...

— Et tu l'emmèneras quand alors ? attaqua Hind. Demain, après-demain, quand cette affaire sera finie ou après la suivante ?

— Écoute...

— C'est quoi le truc ? Tu as besoin de briller devant le monde entier ?

— C'est pas ça...

— Tu passes tes heures au boulot. Tu crois qu'Aladin a besoin de ça ?

— C'est pour lui que je fais ça, pour que ce monde soit plus sûr.

— Et il l'est ?

— C'est pour ça que je bosse.

— Hé ben c'est raté. Et tu veux que je te dise ? Tu auras beau passer à la télé, ton syndicat restera à 2 % et tu sais pourquoi ? Parce que tu ne sais pas mentir et que ce n'est pas ce que les gens veulent entendre ! La seule personne à qui tu mens, c'est toi ! Toi, tu as peur de regarder la vérité en face. Tu fuis !

— Bon, je dois y aller. Si j'ai la télé ce soir, je vais devoir filer un coup de main à Bonisseur.

— Qu'est-ce que je disais ?

Nur se pencha pour embrasser son fils. Hind avait cessé de parler. Elle lui tourna le dos quand il essaya de lui dire au revoir.

Il mit un temps avant de comprendre qu'il venait d'atteindre le métro Saint-Marcel. Il avait avancé sans conscience et manqua de percuter un homme qui débouchait à côté de lui. Le curé ! Le prêtre s'excusa et rebroussa chemin. Il aurait bien aimé lui parler, mais en attendant, il fallait se hâter. Bonisseur aurait besoin de lui lors de cette garde à vue.

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